C'est un grand honneur et un grand plaisir de me présenter à nouveau devant la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, comme je l'avais déjà fait voilà cinq ans, mais cette fois à un moment qui constitue un tournant pour le processus d'intégration européenne.
L'Espagne assure aujourd'hui, pour la quatrième fois de son histoire, la présidence tournante de l'Union européenne. Les circonstances ont profondément changé : le traité de Lisbonne a été ratifié, la crise économique et financière conduit à de nouveaux équilibres internationaux, et la construction d'un monde multipolaire tend à modifier le rôle et les responsabilités de bien des acteurs.
Le traité de Lisbonne nous accompagne dans la création de cette nouvelle Union européenne que nous avons tous souhaitée : une Union plus crédible dans le monde, davantage intégrée, plus démocratique, plus forte au plan institutionnel et dotée de représentants permanents de façon à garantir la continuité de ses travaux, sans remettre en cause l'existence de la troïka présidentielle définie par le traité. Afin d'éviter certaines confusions sur le rôle et les responsabilités de la présidence tournante, il importe que nous montrions d'emblée comment fonctionnera la nouvelle Europe du XXIe.
La présidence espagnole s'est naturellement préparée aux défis actuels, même si bien des interrogations ont plané jusqu'à la dernière minute sur la ratification du traité de Lisbonne. La nouvelle Europe ne s'est mise en marche que depuis le 1er janvier dernier, mais nous avons désormais un nouveau Parlement européen, doté de nouvelles compétences qu'il entend exercer pleinement, au risque de surprendre parfois les médias, le Conseil européen et l'opinion publique européenne ; nous avons également une nouvelle Commission européenne, la Commission Barroso II, qui a été approuvée la semaine dernière par le Parlement européen ; nous avons enfin deux nouveaux acteurs : le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, et la Haute représentante et vice-présidente de la Commission européenne, Catherine Ashton. Tous ces changements interviennent dans un contexte de crise économique, comme l'a rappelé le président Poniatowski, mais aussi dans un contexte de relance de la stratégie économique de l'Union européenne, objet d'attentes légitimes de nos opinions publiques.
Force est de constater qu'il existe aujourd'hui un certain nombre d'anxiétés. On nous interroge déjà sur notre bilan, alors que l'Espagne n'exerce la présidence de l'Union que depuis 46 jours. Attendons la fin du mois de juin pour porter un jugement sur la façon dont la nouvelle Europe se met en place et répond à nos aspirations.
Comme j'aurai certainement l'occasion de revenir sur ces différentes inquiétudes à la faveur des questions qui me seront posées, je vais maintenant aborder les deux grandes priorités que s'est fixées la présidence espagnole.
Notre premier objectif est de sortir de la crise économique. L'année 2009 a été consacrée à apporter une réponse à l'effondrement du système financier international et à définir une nouvelle architecture européenne et internationale. Approuvée lors du dernier Conseil européen sous la présidence suédoise, cette réponse doit être parfaite par l'adoption de plusieurs règlements, par le Parlement européen.
La reprise économique est lente et difficile : selon les dernières statistiques, la croissance ne dépasse pas 0,2 % du PIB. Dans ce contexte, la priorité absolue de la présidence espagnole concerne l'agenda économique. Nous réfléchissons ensemble à la définition d'une nouvelle stratégie en la matière, en dépassant les tabous qui ont jusqu'à présent empêché de mettre sur la table la question de la gouvernance économique de l'Europe, objet de très fortes attentes en France.
Nous disposons certes de bonnes règles de gestion financière et d'un Pacte de croissance et de stabilité, mais il nous manque une gouvernance économique ouvrant la voie à un futur gouvernement économique européen. Nous n'en sommes pas encore là, mais la crise nous a fait prendre conscience qu'il est urgent de coordonner les politiques économiques et de définir une méthode de travail pour atteindre les objectifs de la stratégie de Lisbonne. Nous devons réviser cette dernière et passer des indicateurs actuels à de vraies politiques, dotées d'instruments communautaires.
Cette action, bien que lancée en coordination avec la présidence espagnole, est le premier acte de leadership du président Van Rompuy, qui a pris l'initiative de convoquer un Conseil européen extraordinaire pour relever les défis économiques actuels et pour traiter les difficultés traversées par certains pays européens, notamment la Grèce. Ce sommet a permis la manifestation d'une volonté de solidarité et de soutien mutuel entre les pays de la zone euro, qui doivent travailler ensemble pour maintenir la cohésion et l'unité de celle-ci. Il y a désormais un consensus au sein du Conseil européen pour développer une nouvelle stratégie économique et pour la prolonger par un système de gouvernance jusque là inexistant.
J'en viens à notre seconde priorité, qui n'est pas dépourvue de lien avec l'élaboration d'une stratégie économique. Les Pères fondateurs de l'Europe, Jean Monnet, Robert Schuman ou encore Alcide de Gasperi, se préoccupaient avant tout de prospérité économique et sociale, et non de politique étrangère communautaire, même s'ils ont donné naissance à une politique commerciale commune, à une politique de coopération, et à des programmes avec l'Afrique du Nord et les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique). Pourquoi les citoyens européens nous demandent-ils aujourd'hui de nous doter d'une politique étrangère et de sécurité commune ? Pourquoi avons-nous créé de nouvelles institutions avec le traité de Lisbonne ? La situation internationale exige que l'Union européenne soit mieux représentée et qu'elle défende certains dossiers de façon intégrée, notamment en matière de changement climatique, d'énergie et d'immigration.
Telle sera la seconde priorité de la présidence espagnole, qui compte développer l'action extérieure de l'Union en distinguant trois grands cercles.
Si nous voulons plus de stabilité, plus de prospérité et plus de sécurité au sein de l'Union européenne, nous devons veiller, en premier lieu, à ne pas fermer la porte aux pays qui ont exprimé la volonté de faire partie de la famille européenne. C'est tout le sens du processus d'élargissement de l'Union. À partir du moment où nous avons mis de l'ordre dans la maison, adopté le traité de Lisbonne et approfondi les relations institutionnelles au sein de l'Union, pourquoi fermer la porte à ces pays dès lors qu'ils respectent les critères de Copenhague ? C'est notamment le cas de la Croatie, avec laquelle nous pouvons envisager de conclure les négociations, de l'ancienne République yougoslave de Macédoine, dont le nom continue à poser un problème que nous devons régler, mais aussi de la Turquie. Tout en respectant les positions de tous les Etats membres, la présidence espagnole considère que nous devons continuer à avancer dans le processus de négociation. Nous sommes également disposés à ce que la Commission donne son avis sur l'ouverture des négociations avec l'Islande.
Au-delà de ce premier cercle, nous devons développer une politique de voisinage avec tous les pays qui vont profiter de la stabilité, de la paix et des relations de proximité favorisées par l'Union européenne. L'est et le sud sont naturellement les premiers espaces concernés. L'Espagne porte un intérêt particulier à l'Union pour la Méditerranée, essentielle pour l'avenir des deux rives de cette mer, mais sans oublier le partenariat oriental, objet de plusieurs initiatives, dont il faut maintenir la dynamique issue du sommet de Prague.
S'agissant plus particulièrement de l'Union pour la Méditerranée, je rappelle que nous allons organiser en juin un nouveau sommet et que nous appliquerons les résolutions et l'engagement pris en 2008 lors du sommet de Paris. L'inauguration du secrétariat permanent de l'UPM, fruit de longues négociations, aura lieu à Barcelone le 4 mars prochain, en présence des ministres égyptien et français des Affaires étrangères. C'est incontestablement une bonne nouvelle. Nous allons maintenant travailler sur des projets concrets et nous efforcer de créer des conditions politiques d'un succès lors du sommet de Barcelone. Nous ferons le maximum pour favoriser le processus de paix au Proche-Orient, les négociations entre Israël et la Palestine, ainsi que la relance des négociations entre la Syrie et Israël.
J'en viens aux relations transatlantiques, c'est-à-dire à notre troisième cercle. Comme vous le savez, le sommet entre l'Union européenne et les Etats-Unis a été ajourné. Il n'en reste pas moins que nous devons maintenir des relations étroites avec l'administration américaine. La présidence espagnole continue naturellement le travail sur des dossiers aussi essentiels que la justice, l'aide au développement, la politique commerciale. Nous nous attelons, par ailleurs, à la préparation du prochain sommet qui devrait avoir au second semestre, sous présidence belge.
L'Espagne est d'avis que nous arrivons à un moment clef de nos relations avec l'Amérique latine et les Caraïbes. Il faut bien admettre que jusqu'à présent l'Union a maintenu une certaine distance à l'égard de cette zone, où l'Espagne est présente pour des raisons tenant à l'histoire, à la langue, à la culture et aux intérêts économiques et commerciaux. Hormis l'Espagne, la France et l'Italie et, dans une moindre mesure, l'Allemagne, les pays de l'Union européenne manquent d'intérêt pour cette région, pourtant importante dans notre monde désormais multipolaire. Nous allons maintenant essayer de signer un accord avec l'Amérique centrale, avec la Communauté andine et avec le Mercosur – à ce dernier égard, j'ai bon espoir après la rencontre que Mme Ashton et moi-même avons eue hier avec le ministre brésilien des affaires étrangères.
Sans revenir sur toutes les initiatives de la présidence espagnole, notamment à destination de l'Asie et de l'Afrique, je rappellerai seulement notre inquiétude quant à notre politique d'aide au développement et notre souhait d'un plus grand engagement en ce domaine. Nous ne pouvons pas continuer comme aujourd'hui : l'Europe est la première puissance du point de vue de la solidarité, mais elle manque de capacité d'action sur le continent africain. Nos amis français connaissent bien ce continent, mais nous avons besoin que de plus nombreux pays s'y engagent. Nous avons développé de nombreuses politiques à destination de l'Afrique, mais très peu avec les Africains eux-mêmes. Pour bien préparer le sommet Union européenne-Afrique, nous voulons travailler sur la notion novatrice de financement du développement et engager les Etats membres dans la lutte contre la pauvreté. Ce sera l'objet de la réunion des ministres du développement qui aura lieu après-demain à la Granja, le Versailles espagnol. Pour la première fois dans l'histoire européenne, nous allons en outre discuter de la pauvreté et de l'aide au développement au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement lors du Conseil européen de juin. Nous souhaitons engager de façon définitive l'Union européenne dans la bataille pour l'éradication de la pauvreté.