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Commission des affaires sociales

Séance du 12 janvier 2010 à 21h00

Résumé de la séance

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La séance

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COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mardi 12 janvier 2010

La séance est ouverte à vingt et une heures quinze.

(Présidence de M. Pierre Méhaignerie, président de la Commission)

La Commission des affaires sociales entend Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports, sur l'évolution de la pandémie grippale et la mise en oeuvre du dispositif de lutte contre celle-ci.

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

Madame la ministre, nous vous remercions d'avoir, pour la quatrième fois, répondu à l'invitation de notre commission.

À la demande du groupe socialiste qui souhaite la création d'une mission d'information parlementaire s'ajoute celle du groupe Nouveau Centre, qui a déposé une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête. Lors d'une prochaine réunion du bureau de la commission, nous discuterons de l'opportunité de créer une telle mission d'information, mais il est clair que si le groupe Nouveau Centre exerce son droit de tirage, nous ne pourrons nous opposer à la création de la commission d'enquête. Je pense avoir ainsi répondu à Mme Marisol Touraine, qui m'a adressé un courrier à ce sujet.

PermalienPhoto de Marisol Touraine

Monsieur le président, nous ne comprenons pas, au groupe SRC, la raison pour laquelle vous refusez systématiquement, depuis le mois de septembre dernier, d'accéder à notre demande de mettre en place une mission d'information, qui est pourtant l'une des prérogatives du Parlement. Selon vous, ce serait interprété comme un geste de défiance à l'égard du Gouvernement. Je trouve cela étonnant dans la mesure où notre rôle est de légiférer, de contrôler, d'évaluer et d'analyser. Le Gouvernement aurait-il des choses à cacher ?

Nous procédons aujourd'hui à la quatrième audition de Mme Bachelot – qui a d'ailleurs indiqué qu'elle ne voyait pas d'inconvénient à la constitution d'une mission d'information –, mais certaines des questions qui lui ont été posées au cours des précédentes auditions sont restées sans réponse. Rétrospectivement, il me semble donc que nous avions raison de souhaiter la création d'une telle mission d'information.

PermalienPhoto de Denis Jacquat

Je tiens, pour ma part, à remercier Mme la ministre d'avoir accepté à quatre reprises l'invitation de la Commission des affaires sociales et, surtout, d'avoir pris le temps de répondre à l'ensemble de nos questions. Je n'ai rien contre les missions d'information et les commissions d'enquête, mais nous avons été informés très régulièrement et très complètement par Mme la ministre et ses collaborateurs.

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

Madame Touraine, je ne refuse pas de créer une mission d'information Simplement, une mission très voisine a été confiée à Jean-Pierre Door par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, et notre commission en a mis en place plusieurs autres. Dois-je également rappeler que l'ensemble de nos collègues souhaitaient participer aux débats avec Mme la ministre de la santé, ce qu'une mission d'information n'aurait pas permis.

PermalienRoselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je suis heureuse, à l'aube de l'année 2010, de vous adresser des voeux fervents pour la qualité du travail parlementaire. Bien entendu, quelles que soient les décisions que vous prendrez, je serai, comme par le passé, à votre disposition autant qu'il sera nécessaire.

La campagne de vaccination nationale engagée voilà huit semaines est loin d'être achevée. Elle se poursuivra jusqu'en septembre, mais sous des formes qui vont évoluer : nous voulons nous adapter et être pragmatiques.

Les critiques adressées aux pouvoirs publics, souvent a posteriori, souvent malveillantes, parfois contradictoires, deviennent dangereuses quand elles font accroire que le risque pandémique serait déjà de l'histoire ancienne.

Attitude désinvolte et arrogante que celle qui consiste à réduire la grippe H1N1 à une « grippette » : à ce compte, nous aurions tôt fait de tenir une tempête causant des centaines de mort pour un simple coup de vent. Je préfère me référer, quant à moi, à l'attitude du Chef de l'État, qui, ce matin, a rappelé la douleur des familles des 240 morts de cette grippe.

Dangereuse sophistique que celle qui consiste à soutenir un jour une thèse pour, la saison d'après, la renier sans vergogne.

Comment est-il possible, à l'instar de votre collègue Jean-Marie Le Guen, de reprocher au Gouvernement, le 25 juillet, une insuffisante préparation pour, quelques mois plus tard, le critiquer d'en avoir trop fait ? Comment oser prendre le risque de brouiller l'esprit des gens, de semer le doute, alors qu'aujourd'hui rien n'indique qu'il faudrait renoncer à se faire vacciner ? Aucun scientifique n'est en mesure d'affirmer à tel ou tel d'entre nous, en parfaite santé, et qui ne se serait pas encore fait vacciner, qu'il ne risque en aucun cas d'être contaminé par un virus qui, une fois sur 5 000, peut être à l'origine d'une forme très grave de la maladie, voire causer un décès.

Nous en sommes à près de 1 200 cas graves et 240 décès. L'évolution reste imprévisible. Quatre scénarios sont possibles à ce jour : l'extinction pure et simple de l'épidémie après le pic que nous avons connu fin 2009, scénario qui, hélas, est le moins vraisemblable ; la poursuite larvée ; la survenue d'un second pic pandémique précoce, début 2010 ; la survenue d'un second pic tardif à l'automne prochain, avec la possibilité que le virus ait muté. Sans me livrer à l'exercice difficile de la prévision, je dois à la représentation nationale une constatation : le cycle épidémique nord-américain possède, je crois, un pouvoir prédictif, avec quelques semaines d'avance. La grippe peut donc revenir, sous une forme ou une autre, avec plus ou moins de virulence.

La responsabilité de la ministre en charge de la santé est de tenir un discours de sagesse et de précaution, instruite par l'expérience. Faut-il à ce point méconnaître l'histoire des pandémies pour s'aventurer à pronostiquer l'extinction d'un virus nouveau même si, par ailleurs, nous la souhaitons tous ? Le sens des responsabilités devrait pourtant interdire de prendre ses désirs pour des réalités. Les prières que certains peuvent faire ne font pas une politique. C'est ainsi qu'une bonne gestion de crise commande de ne préempter aucune hypothèse.

Quels que soient les scénarios possibles, la raison commande de se faire vacciner. C'est un acte de prévention simple et efficace. La population française n'est, à ce stade, pas assez protégée.

La pharmacovigilance très stricte que nous avons déployée nous enseigne que les vaccins sont sûrs. Les difficultés indéniables d'organisation rencontrées à l'ouverture des centres ont été levées en quelques jours, grâce à une action vigoureuse. Les personnels médicaux, paramédicaux et administratifs se tiennent prêts à accueillir nos concitoyens dans des centres qui resteront ouverts jusqu'au début du mois de mars, même s'il est possible que nous en réduisions le nombre au cours du mois de février. Les cabinets médicaux commencent à prendre le relais, et cela jusqu'à l'automne. L'heure n'est donc pas à la démobilisation.

Les esprits inconséquents, qui prétendraient ici ou là que le Gouvernement ne cherche qu'à écouler des stocks inutiles, jouent avec le feu. Je veux le dire ici avec gravité : c'est aux résultats, en septembre, que vous pourrez juger notre politique de prévention. L'heure des bilans n'a pas encore sonné.

Je voudrais répondre, comme il se doit, aux questions légitimes que vous vous posez et même, s'agissant de M. Gérard Bapt, rapporteur spécial du budget de la mission Santé pour 2010, à toutes les questions qu'il ne m'a pas posées, et qu'il n'a pas posées non plus à mon directeur de cabinet ou au directeur général de la santé. Monsieur Bapt, s'adresser à tel de mes conseillers, en charge d'autres secteurs que la grippe, et qui n'est pas nécessairement toujours directement en situation de répondre à vos demandes, n'est pas de bonne méthode.

J'ai le plus grand respect pour les fonctions de rapporteur spécial et je connais les prérogatives qui y sont attachées. C'est précisément parce qu'elles sont éminentes, qu'elles doivent s'exercer dans un cadre transparent, sans précipitation, sans chercher forcément la polémique.

De surcroît, ce que le rapporteur spécial prétend avoir découvert par surprise, je l'ai toujours dit. Il suffisait de m'écouter. J'ai toujours défendu quatre options, y compris auprès de vous : le don, la revente, le stockage stratégique de certains composants de vaccins et l'aménagement des contrats.

S'agissant de la vente des vaccins, avant de faire un bilan global sur ce point fin janvier, je souhaiterais me livrer à un exercice de rappel.

Dès le début du mois de novembre, les premiers résultats des essais cliniques ont plaidé en faveur d'un schéma vaccinal à une seule dose, sauf pour les enfants de moins de neuf ans. Il était impossible d'envisager cette hypothèse simplifiée auparavant, les dossiers d'autorisation de mise sur le marché ayant été construits sur deux injections. S'agissant d'un virus nouveau, à fort potentiel de mutation, ne correspondant pas forcément aux standards de la grippe saisonnière, il était normal d'attendre que les essais cliniques soient robustes. Cette orientation, que nous avons commencé d'évoquer début novembre, a été confirmée le 20 novembre par l'Agence européenne du médicament.

Le Gouvernement a élaboré progressivement une stratégie d'utilisation de ses excédents. La cession de doses – à titre onéreux et à prix coûtant – à des pays qui en faisaient la demande est l'un des éléments de cette stratégie. Deux accords ont alors été signés : ils portent sur la cession de 300 000 doses au profit du Qatar et de 80 000 au profit de Monaco, avec qui nous disposons d'un partenariat sanitaire. Le contrat signé avec l'Égypte, et dont mes services vous ont communiqué un exemplaire, monsieur le rapporteur spécial, vient d'être rompu unilatéralement par les autorités égyptiennes. Ce type d'aléas justifie ma prudence en termes de communication.

Par ailleurs, chacun comprendra qu'il peut être nécessaire d'éviter la diffusion intempestive de messages susceptibles de porter atteinte à la mobilisation requise.

Nous n'avons pas communiqué urbi et orbi sur ces cessions pour plusieurs raisons qui, contrairement à ce que laissent entendre ses dernières déclarations, ont été expliquées à M. Bapt.

D'une part, ces cessions ont été acceptées car elles portaient sur des quantités très faibles de vaccins – 380 000 doses sur 94 millions ! – qui ne risquaient pas de compromettre l'approvisionnement des centres de vaccination.

D'autre part, je ne souhaitais pas, au moment où la campagne de vaccination débutait dans les centres, faire de la publicité sur une vente quantitativement très mineure, et qui aurait pu susciter un « appel d'air » auprès des pays ayant formulé des demandes beaucoup plus importantes, portant sur plusieurs millions, voire plusieurs dizaines de millions de doses, comme le Mexique, l'Ukraine, la Roumanie et la Bulgarie, demandes auxquelles nous ne pouvions pas donner suite, priorité étant bien entendu donnée à l'approvisionnement national.

Enfin, je souhaitais avoir, début janvier, une stratégie de communication globale concernant les ventes, à un moment où les quantités livrées me permettraient de mieux répondre aux sollicitations – nettement plus importantes, je le redis – de pays étrangers.

En plus des deux contrats que j'ai mentionnés, et comme cela vous a également été indiqué par mes services, des contacts ont été pris par d'autres pays – Ukraine, Mexique, pays d'Amérique latine – et les négociations sont en cours. Je doute d'ailleurs que ces ventes soient importantes, car je suppose que les laboratoires, dont c'est le métier, sauront commercialiser leurs produits directement.

La résiliation des contrats pour les doses encore non livrées, et donc non payées, est un autre élément de cette stratégie. La résiliation est un acte unilatéral, prérogative de puissance publique depuis 1910. Ce sont les règles générales applicables aux contrats administratifs. La puissance publique peut user de cette prérogative, alors même qu'aucun dispositif légal ou qu'aucune stipulation contractuelle ne l'aurait prévu.

Les négociations sont en cours, car il peut y avoir indemnisation. Votre commission aura l'information dès que cela sera possible, c'est-à-dire dès qu'elles seront conclues. Toutes les garanties sont prises – je rassure M. Bapt – pour que le dénouement soit conforme au droit et aux intérêts financiers de l'État, que je défendrai âprement.

Je tiens d'ailleurs à reprendre une expression employée par le rapporteur spécial pour qualifier à mon tour de « politiquement destructeur » l'impact que peuvent avoir sur nos concitoyens des procès d'intention. Je ne peux laisser insinuer que des irrégularités pourraient venir entacher les démarches que le Gouvernement a engagées pour assurer la protection de nos concitoyens. Je suis très attachée à l'usage raisonné de l'argent public.

C'est ainsi que je conçois, pour ma part, un engagement responsable au service de l'intérêt général. Si je conçois que l'on puisse me critiquer, le minimum aurait été qu'un mot de santé publique soit prononcé. Il faut penser d'abord aux Français. La démocratie mérite mieux que ces procédés « politiquement destructeurs ».

Je souhaite ainsi replacer l'éthique au coeur du débat et tenter de prendre un peu de hauteur, pour échapper aux rets de polémiques délétères.

La question qu'aujourd'hui beaucoup se posent, et qu'au moment de commander les vaccins, il n'était pas de bon ton de formuler, j'y répondrai sans détour : pourquoi le Gouvernement a-t-il décidé d'acheter 94 millions de doses, ni moins, ni plus, comme il était possible de le faire ? Certains pays, en effet, ont fait des choix différents des nôtres.

Il y a, au fond, trois catégories de pays. La Pologne, à titre d'exemple, a souverainement décidé de ne pas vacciner sa population. Une deuxième catégorie de pays a souhaité proposer la vaccination à une partie seulement de la population : c'est le cas de l'Allemagne, de l'Italie ou encore de l'Espagne. Enfin, un ensemble de pays a opté pour un dispositif permettant d'assurer à toute la population une protection : la France, aux côtés de la Suède, des États-Unis, de la Grande-Bretagne et du Canada, se range dans cette troisième catégorie.

Le Royaume-Uni avait, à titre de comparaison, commandé 130 millions de doses, soit 2,1 par habitant, et le Canada 51 millions de doses, soit 1,55 par habitant. Pour leur part, les États-Unis voulaient commander 600 millions de doses, mais la capacité de production des laboratoires ne pouvait permettre d'honorer la commande. Si l'on veut comparer de manière pondérée nos 94 millions de doses, celles-ci représentaient 1,46 dose par habitant. Notre commande n'avait donc rien d'extravagant. Elle était comparable à celle des pays qui avaient choisi la même stratégie.

À ce jour, après résiliation, nous disposerons de 44 millions de doses, soit 0,68 dose par habitant – soit autrement moins que les États-Unis, la Grande Bretagne et le Canada.

Cependant, notre choix est d'abord un choix éthique, déterminé par notre attachement aux valeurs d'égalité et de solidarité. Je voudrais en rappeler ici le fondement, réitéré par le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé dans son avis n° 106 du 5 février 2009 sur les questions éthiques soulevées par une possible pandémie grippale : si, au nom de l'équité, il peut y avoir un ordre de priorité, l'accès aux soins doit, au nom de l'égalité, être rendu possible pour tous.

La crise que nous traversons, mettant au jour notre universelle vulnérabilité, appelait, en réponse, une politique de justice essentiellement déterminée par un principe de solidarité : solidarité nationale, mais aussi internationale.

La perspective critique d'un débordement des services hospitaliers et la probabilité d'une dissymétrie entre les ressources de santé disponibles et la demande potentielle a justifié, en amont, la dépense engagée et l'organisation préconisée par l'État. Aussi, je souhaite rappeler plusieurs décisions du Gouvernement occultées par des polémiques partisanes.

J'ai notamment fait en sorte de promouvoir la vaccination anti-pneumococcique pour les populations à risque. Celle-ci a été réalisée, dès juillet 2009, par les médecins libéraux auprès de plus de 300 000 patients, soit six fois plus que les autres années. C'est autant de complications bactériennes qui ont été évitées.

Par ailleurs, l'observation des formes graves qui sont survenues dans l'hémisphère Sud nous a conduits à renforcer nos équipements à la fois en respirateurs sophistiqués pour assurer la ventilation des patients, et en dispositifs d'oxygénation extracorporelle, qui constituent l'ultime recours dans les formes les plus graves de ces atteintes pulmonaires. Nous avons ainsi acquis 100 respirateurs haut de gamme et 34 appareils d'oxygénation extracorporelle, qui ont été répartis dans les principales unités de réanimation, de manière à sauver des vies humaines.

Le choix de l'égalité, excluant la pénurie des moyens et la pratique délétère du passe-droit, est le fondement de notre politique. L'accès des personnes fragiles à la vaccination a été pour nous une préoccupation constante.

La France s'est donné les moyens d'un combat solidaire. Ce choix peut être discuté. Je l'assume pleinement et, en tant que ministre de la santé, j'en suis fière.

Ce choix, nous l'avons fait en conscience, éclairés bien entendu par l'analyse des experts. Ainsi, la conséquence logique de cette posture éthique aurait pu être d'acheter 120 millions de doses.

Nos commandes de vaccins, telles que nous les avons réalisées au début de l'alerte pandémique, représentaient un total de 94 millions de doses auprès de quatre industriels. Cette quantité correspondait, dans le cadre d'un schéma vaccinal à deux injections, tel qu'il était annoncé par les scientifiques et les industriels pharmaceutiques sur la base de vaccins prépandémiques contre la grippe aviaire, à la protection de la population de notre pays avec un taux d'attrition de l'ordre de 25 %, et la prise en compte de la probabilité que les sujets âgés de plus de soixante-cinq ans pourraient n'avoir besoin que d'une injection. En achetant 94 millions de doses, c'est en quelque manière un risque mesuré que nous prenions.

J'ai suivi en ce sens les indications de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) et de l'Agence européenne du médicament pour choisir les produits et définir leurs conditions d'utilisation. J'ai également suivi les recommandations du Haut conseil de la santé publique, de manière à déterminer, pour l'ensemble de la population, une stratégie vaccinale adaptée.

Une question abrupte mérite ici d'être posée : en serait-on arrivé au point de remettre en cause l'analyse des experts dont la vocation n'est pas, que je sache, d'exagérer la menace ? En viendra-t-on au point de ne se fier qu'à la rumeur et aux sornettes qui prolifèrent ? Ceux qui aujourd'hui alimentent la défiance et la suspicion en instrumentalisant la santé publique, alors que nous aurions tant besoin d'entraide et de confiance, portent une lourde responsabilité.

J'ai déclaré dès le 30 novembre – mes propos ont d'ailleurs été repris par une dépêche AFP – que je disposais de vaccins monodose. Jusqu'à la fin du mois de décembre, ces vaccins monodose ont été disponibles en quantité limitée et utilisés en priorité pour la campagne de vaccination des personnes sans domicile fixe.

L'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS) dispose actuellement, avec les livraisons importantes de la fin du mois de décembre, de 170 000 monodoses de Panenza, de 850 000 monodoses de Focetria conditionnées en boîte unitaire, et de 4 900 000 monodoses de Focetria conditionnées en boîte de dix. Je souligne, à ce sujet, que ces boites de dix ne peuvent pas être déconditionnées avant leur utilisation.

Nous disposons donc, depuis la fin 2009 et le début 2010, de la masse critique de vaccins monodoses pour approvisionner l'ensemble des médecins libéraux qui seront volontaires pour vacciner. J'ai demandé à mes services de travailler avec les représentants des pharmaciens d'officine pour étudier la possibilité, le plus rapidement possible, d'utiliser le circuit pharmaceutique habituel pour l'approvisionnement des médecins.

Certes, je pourrais m'adresser à moi-même un reproche dans ces circonstances : non pas celui d'en avoir trop fait pour protéger nos concitoyens du risque pandémique, mais celui, peut-être, de ne pas en avoir fait assez pour les protéger de l'irresponsabilité de certaines personnalités publiques et de la désinformation qu'elles ont organisée.

Je regrette de n'avoir pu rassurer davantage, dès le mois de septembre, sur la qualité des vaccins. Mais, je me suis imposé comme règle éthique de ne pas communiquer sur un produit de santé, tant qu'il ne bénéficie pas d'une autorisation de mise sur le marché.

La campagne menée par le Gouvernement s'achèvera en septembre. Il sera temps de juger, alors, de la valeur de notre engagement.

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

Comme nombre d'entre vous, mes chers collègues, j'ai approuvé les choix du Gouvernement et je ne changerai pas d'opinion. Mais la façon dont les choses se passent nous conduit à réfléchir sur l'application du principe de précaution, désormais constitutionnalisé. Le Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques, créé au sein de notre Assemblée, a décidé de procéder à une première évaluation de ce principe, qui ne se limite d'ailleurs pas au domaine de la santé : il concerne tout aussi bien l'agriculture ou les finances publiques et son application intégrale pourrait avoir des conséquences non négligeables dans de nombreux secteurs.

Je souhaite donc qu'un débat public s'engage sur l'application de ce principe et que nous comparions nos usages en la matière avec ceux d'autres pays.

PermalienRoselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports

Il serait, en effet, intéressant d'engager un débat sur le principe de précaution, désormais constitutionnel – et au nom duquel, d'ailleurs, la taxe carbone a été censurée. En tout cas, la santé publique repose sur un certain nombre de principes fondamentaux et il est du devoir du ministre de la santé de mettre en place une politique qui respecte non seulement le principe de précaution, mais également le principe de prévention. À cet égard, ce n'est pas contre une pandémie virtuelle que nous avons pris des mesures de précaution et proposé une politique de prévention ! C'est face à une pandémie grippale, qui a entraîné, au mois de décembre, 900 000 consultations supplémentaires en une semaine, que nous avons choisi de vacciner les Français.

PermalienPhoto de Marisol Touraine

Je m'étonne de la présentation que vous venez de nous faire, madame la ministre. À vous entendre, l'opposition serait responsable de l'échec de la campagne de vaccination ! À vous entendre, les parlementaires de l'opposition auraient recommandé aux Français de ne pas se faire vacciner ! Ce n'est pourtant pas de nos rangs qu'est venue l'idée selon laquelle la grippe A ne serait qu'une « grippette », ni le souhait qu'un effort plus raisonné soit fait en matière de vaccination.

Nous avons indiqué d'emblée que toutes les mesures devaient être prises pour que les Français soient prémunis contre le risque représenté par la grippe A, et nous avons toujours soutenu le principe de précaution.

Nous n'avons jamais remis en question l'utilité de la vaccination, mais nous considérons que les choix du Gouvernement ne sont pas de nature à assurer une parfaite protection des Français. Peut-on parler d'autre chose que d'un échec, alors même que cinq millions de Français seulement ont été effectivement vaccinés ?

Nous avons toujours exprimé des doutes sur le choix, que vous avez revendiqué, de vacciner l'ensemble de la population, mais nous n'avons jamais préconisé d'interdire à certains Français de se faire vacciner.

Pouvez-vous nous assurer que tous les Français considérés comme faisant partie d'une population à risque ont à ce jour été vaccinés ? Les témoignages que nous avons reçus, les uns et les autres, dans nos permanences, montrent que ce n'est pas le cas. N'est-ce pas le signe de l'échec de votre stratégie qui, voulant toucher tout le monde, ne nous a pas permis de vacciner ceux qui en avaient le plus besoin ? Nous aimerions vraiment obtenir des informations très précises sur les catégories concernées – enfants, femmes enceintes, personnes souffrant de maladies respiratoires.

Lors de votre audition du 16 septembre, nous avons exprimé notre inquiétude face au développement du sentiment anti-vaccination. Déjà, il nous semblait que vous ne preniez pas les mesures nécessaires pour y faire face.

Quelles leçons tirez-vous de votre action au moment de dresser un premier bilan ? Comment expliquez-vous ce sentiment ? Je ne peux imaginer que vous allez continuer à affirmer que ce sont les déclarations de l'opposition qui ont poussé la majorité des Français à refuser de se faire vacciner. Si, demain, nous devions faire face à une nouvelle crise sanitaire, que changeriez-vous dans votre dispositif ? Vous avez indiqué à plusieurs reprises que si c'était à refaire, vous referiez la même chose. Pourtant certaines dispositions, interdites hier, sont désormais autorisées, comme les vaccinations par les médecins généralistes ou sur les lieux de travail !

Comment analysez-vous le fonctionnement des centres de vaccination ? Y a-t-il eu des divergences au sein du Gouvernement, entre le ministère de l'intérieur et le ministère de la santé, sur cette question ? Le choix de la vaccination de masse a-t-il fait l'objet de certains arbitrages ? Il y a longtemps que notre pays n'avait pas connu de telles files d'attentes devant les centres de vaccination, qui rappellent le système soviétique… Demain, si une telle crise se présente, conseillerez-vous à votre successeur de mettre en oeuvre une organisation de ce type ?

Comment expliquez-vous par ailleurs que, quelques mois à peine après avoir voté la loi dite « HPST », qui prétendait faire de la médecine de premier recours le socle de notre système de santé, vous décidiez de vous passer des médecins, qui sont pourtant les professionnels de santé de proximité ?

J'en viens à la question des contrats. Pour nous, ce n'est pas une question de gros sous. Peu nous importe que nous dépensions 100 ou 300 millions de trop : ce qui compte, ce sont les séquelles de cette crise en matière de santé publique. Les Français ne croient pas à la stratégie que vous avez mise en place et leurs doutes ne cessent d'augmenter. De ce fait, lorsque nous aurons à gérer une nouvelle crise, la confiance dans notre système de santé se sera érodée.

Pour revenir sur la précipitation avec laquelle certains contrats semblent avoir été signés, si ses prérogatives de puissance publique permettent à l'État d'annuler certains contrats, des compensations devront nécessairement être accordées. Surtout, alors qu'à l'époque vous insistiez sur l'incertitude de la pandémie, pourquoi n'en retrouvons-nous pas la trace dans les clauses des contrats, ce qui aurait dû permettre d'ajuster nos achats en fonction justement de l'évolution de cette pandémie ? Ce que nous vous reprochons, ce n'est pas d'avoir passé des commandes sur la base d'une double dose de vaccination, mais d'avoir envisagé la vaccination de l'ensemble de la population, sans prévoir de dispositif de repli.

La santé publique est au centre du débat. Or, les Français se sentent floués devant les dépenses excessives qui ont été engagées, à un moment où on leur demande des efforts en matière de santé à travers les déremboursements, l'augmentation du forfait hospitalier, les dépassements d'honoraires… Ils sont en mesure de comprendre que le principe de précaution a un coût s'ils ont le sentiment que l'effort a été justement réparti et que les mesures en direction des plus fragiles ont été prises. Or, ils n'ont pas ce sentiment et c'est la raison pour laquelle il ne s'agit plus d'une crise sanitaire, mais d'une crise politique.

PermalienPhoto de Denis Jacquat

La notion de prévention est importante pour notre commission, car toutes les crises que nous avons étudiées – sang contaminé, ESB, chikungunya, grippe aviaire, canicule ou encore poly-toxicomanies – nous ont conduits à conclure à la nécessité d'appliquer le principe de précaution et de vacciner toute la population. Que n'aurait-on entendu si nous n'avions pas prévu les stocks suffisants !

Vous dites, madame la ministre, que si c'était à refaire, vous recommenceriez. Je suis d'accord avec vous, même si je reconnais que nous aurions pu faire mieux. Dès le mois de septembre nous aurions pu procéder à quelques adaptations, comme je l'ai indiqué lors des précédentes auditions.

Certains parlent d'échec devant le nombre de personnes vaccinées. C'est vrai que leur nombre est faible. Mais, lorsque des médecins hospitaliers déclarent qu'ils ne se feront pas vacciner eux-mêmes, cela sème le trouble. J'avoue m'être moi-même posé des questions, lorsque j'ai lu dans la presse que Mme Chan, directrice de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), n'avait pas eu le temps de se faire vacciner !

Pour notre part, nous estimons que la mort d'une seule personne n'est pas tolérable. Or, nous en avons déploré plusieurs dizaines. Notre politique de prévention était de parvenir à zéro mort !

Nous n'avons rien à regretter, sauf peut-être que les médecins libéraux n'aient pas été, dès le départ, les acteurs directs de la vaccination. S'ils avaient eu la possibilité de vacciner, les Français auraient été plus rapidement protégés. Pourquoi n'avons-nous pas procédé de la même manière qu'au Luxembourg et en Belgique ?

L'évolution de la pandémie, vous avez raison, madame la ministre, était imprévisible. Aujourd'hui, les médecins libéraux sont autorisés à vacciner – dans quelques jours, les pharmacies recevront les vaccins – et c'est une bonne chose, car les médecins ont autre chose à faire qu'à s'occuper de problèmes technico-administratifs. Vous avez agi comme il le fallait et l'UMP n'accepte pas les attaques qui ont été portées contre vous.

PermalienPhoto de Jacqueline Fraysse

Je ne suis pas venue ici avec la volonté d'attaquer qui que ce soit, sur un sujet important qui touche à la santé de nos concitoyens. Il s'agit d'un problème difficile à gérer, qui ne mérite pas les comportements regrettables de certains.

Il n'est pas question pour moi de nier la nécessité de prendre des mesures de prévention et de protection de la population, notamment face à des agents pathogènes nouveaux comme les virus H5N1 et H1N1. Pour autant, il faut savoir regarder la réalité avec courage et en tirer des enseignements pour l'avenir.

Ce qui nous inquiète, c'est qu'exagération et excès, incohérence et gâchis ont marqué la campagne de lutte contre la pandémie grippale. Cela se révèle très contre-productif et explique, pour une large part, le fait que peu de nos concitoyens se soient fait vacciner.

Les exagérations ont elles-mêmes été assorties d'une certaine opacité, ce qui a conduit à se demander si certaines informations gênantes n'auraient pas été cachées à l'opinion et à s'interroger sur le possible jeu des intérêts financiers de l'industrie pharmaceutique. Puisque vous n'avez rien à cacher, madame la ministre, vous ne serez donc pas opposée à la création d'une mission d'information, voire d'une commission d'enquête. L'exagération du danger et le matraquage médiatique excessif, décalé par rapport à la réalité, ont en tout cas décrédibilisé votre action et provoqué la suspicion des Français.

Les excès portent sur les mesures qui ont été préconisées. S'il est normal, madame la ministre, que les experts dispensent des avis compétents aux autorités sanitaires, reconnaissez que le danger a été très exagéré !

Nous avons, par ailleurs, reçu de nombreuses instructions contradictoires. Le corps médical a ainsi reçu l'injonction – la recommandation, appelez cela comme vous voulez – de prescrire le Tamiflu, dont l'efficacité n'était pourtant reconnue que dans des cas très particuliers. Je ne vous cache pas que, dans les couloirs des hôpitaux, nous nous sommes demandés si le but n'était pas d'écouler les stocks excessifs…

La campagne telle qu'elle a été orchestrée a alimenté à la fois la peur et le doute, dans un contexte de méfiance légitime face à un Gouvernement qui ne s'était pas distingué par sa gestion de crises antérieures. Ce cocktail a alimenté un certain obscurantisme très regrettable. Pourtant, l'intérêt de la vaccination, pour chacun comme pour la collectivité, a été démontré par Pasteur, à la fin du XIXe siècle ! Rien de tout ce qui est arrivé n'aurait dû nous surprendre.

Je voudrais ajouter quelques observations sévères concernant l'organisation. Les médecins généralistes ont été écartés de la vaccination, de même que les centres de santé, qui sont pourtant des structures collectives pluridisciplinaires. C'est regrettable. À Argenteuil, par exemple, la vaccination a eu lieu dans la salle des fêtes, située à 500 mètres du centre de santé. De ce fait, les médecins généralistes ne sont pas, aujourd'hui, en mesure de savoir lesquels de leurs patients sont vaccinés, même ceux relevant de la population à risque.

J'en viens à la mauvaise gestion des réquisitions. Je trouve méprisante la façon dont ont été traités les jeunes internes et les infirmières – à l'image de cette infirmière de Nanterre qui a été réquisitionnée pour le centre de vaccination de Magny-en-Vexin, situé à cinquante kilomètres de sa résidence, sans que personne ne se préoccupe de la façon dont elle pourra s'y rendre. Personne non plus ne s'est préoccupé des conséquences sur la formation des personnes réquisitionnées ni sur la désorganisation des hôpitaux !

Je suis, en outre, préoccupée par les gâchis financiers alors même que vous dénoncez l'irresponsabilité des médecins et des patients et la situation des hôpitaux publics dont le déficit, fin 2008, atteignait 760 millions d'euros, sans oublier que la loi de financement pour 2010 prévoit le prélèvement de 300 millions d'euros sur les caisses complémentaires, qui ont prévu d'augmenter leurs cotisations. Tout cela laisse perplexe.

L'objectif de vacciner un maximum de citoyens est légitime, mais il ne justifie nullement les dérives auxquelles nous avons été confrontés. C'est pourquoi je souhaite que la clarté soit faite concernant la question des doses, des contrats et des prix.

Enfin, je regrette le mélange entre les intérêts économiques et les responsabilités politiques qui a alimenté les soupçons, alors que seul le souci de la santé publique devrait présider à nos travaux.

PermalienPhoto de Olivier Jardé

Nous sommes face à la première pandémie du XXIe siècle. Souvenons-nous qu'au cours du siècle précédent, la grippe de Hong-Kong a fait plus d'un million et demi de morts ! En présence d'un virus mal connu, très contagieux et présentant des possibilités de mutation, ne faut-il pas vacciner le maximum de personnes si l'on veut protéger la population ? Les experts de l'OMS, en préconisant d'emblée deux injections, ont été parfaitement clairs sur ce point.

Je regrette que le corps médical n'ait pas adhéré à cette politique de prévention et de santé publique, mais les internes des services hospitaliers y ont participé, de façon bénévole et spontanée. Il faut leur rendre hommage. Je n'ai pas constaté les dysfonctionnements qu'a évoqués Jacqueline Fraysse dans mon hôpital.

Le risque de la pandémie étant écarté, il est beaucoup plus facile de tirer des conclusions de votre action. Mais lorsque la grippe est apparue, au Mexique et en Europe, nous n'en connaissions pas les risques. À l'avenir, d'autres maladies virales ne manqueront pas de survenir. Nous devons donc savoir pourquoi le nombre de personnes vaccinées est aussi faible, car l'objectif de vacciner une grande partie de la population reste toujours un objectif souhaitable.

PermalienRoselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports

La première question qui a été posée est de savoir si les scénarios ont été exagérés et si nous avons été trompés par les experts. J'observe pour ma part que les experts ont toujours été très prudents et nous ont proposé plusieurs scénarios. De fait, seuls les faux experts sont péremptoires. Ainsi, en mai 2009, le Professeur Antoine Flahault, homme respectable qu'on ne saurait accuser de collusion avec je ne sais quels lobbys, déclarait dans Le Monde : « Le phénomène envisageable le plus possible pourrait être une répétition de ce qui s'est passé en 1968. Cette année-là avait sévi la forme sévère, dite "grippe de Hong Kong". Dans cette hypothèse, 35 % de la population pourraient être touchés, soit environ 20 millions de personnes en France. Conséquences possibles : un excès de mortalité de l'ordre de 20 000 ou 30 000 décès. À une telle situation, déjà perturbante dans les pays développés, pourrait correspondre, dans les pays pauvres, un scénario plus proche de la pandémie de 1918 ». M. Flahault qualifie, cependant, de « fantasmatique » l'hypothèse de mutations virales entraînant une répétition planétaire de la grippe espagnole. M. Flahaut n'est en rien péremptoire. Il utilise partout le conditionnel pour présenter un scénario parmi d'autres. Les experts sont restés prudents. L'OMS a, certes, été plus péremptoire. Mais, un ministre de la santé qui se prépare à une pandémie grippale ne doit pas choisir d'emblée le scénario le plus optimiste. Il lui faut accepter les différents scénarios proposés par les experts, sans en privilégier aucun. Les charmes de la lucidité a posteriori ont leurs limites.

Par ailleurs, je ne partage pas l'idée que la campagne de vaccination serait un échec. Le taux de vaccination en France est tout à fait comparable à celui de bien des pays européens, et même parfois supérieur. Certes, le Canada et la Suède obtiennent un très grand succès en la matière, atteignant des taux de plus de 50 %, mais il importe d'examiner les raisons de ce succès qui nous interpelle.

Le Canada a organisé sa campagne sur le modèle français, c'est-à-dire autour de centres de vaccination connaissant d'ailleurs aussi quelques difficultés – on a pu voir à la télévision des files d'attente devant les centres canadiens. Face aux cas très sévères qu'a connus le pays et à la présence du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), les Canadiens ont eu très peur et se sont mobilisés, forts d'une culture de santé publique bien plus structurée que dans notre pays.

En Suède, le mécanisme de vaccination s'est appuyé exclusivement sur la médecine ambulatoire, de premier recours. Il faut, cependant, rappeler que l'organisation de la médecine ambulatoire est très différente dans les deux pays. À la différence de la situation qui prévaut en France, les médecins suédois, salariés, ne disposent pas de la liberté d'installation et le système de soins est organisé autour de 1 000 centres de santé pluridisciplinaires pour une population légèrement inférieure à 10 millions d'habitants – ce qui équivaudrait à 6 000 centres de ce type dans notre pays. Il ne s'agit pas ici de débattre des avantages et des inconvénients de ces différents modèles, mais de souligner qu'ils ne peuvent en aucun cas être comparés.

Dans notre pays, la campagne de vaccination s'est développée en tenant compte de diverses contraintes, dont la première est liée aux livraisons de vaccins, qui ont été très progressives. Dès avant la pandémie de grippe, l'adhésion à la vaccination a toujours été très faible dans notre pays, comme dans l'ensemble des pays européens. Notre pays n'est pas une exception sur ce point. Le taux de vaccination reste donc très faible, ce qui doit inviter les pouvoirs publics européens à une réflexion globale sur cette question.

Je dirais pourtant que la conviction a progressé, en particulier chez les professionnels de santé. De fait, alors que moins de 20 % de ces derniers souhaitaient se faire vacciner dans l'hôpital au début de la campagne de vaccination, ils sont maintenant plus de 50 % à l'avoir été – 60 % dans le corps médical, où le pourcentage a pratiquement triplé au fil de la campagne, atteignant parfois 100 % dans des services sensibles, comme ceux de la réanimation ou des maladies infectieuses. Contrairement à l'image que véhiculent certains, l'adhésion à la vaccination n'a donc pas reculé. Elle a même notablement augmenté, chez les professionnels de santé. Je rappelle que, selon un sondage du Quotidien du médecin publié le 21 septembre dernier, un généraliste sur deux ne souhaitait pas vacciner. Force est de constater que le taux d'adhésion à la vaccination a aujourd'hui fortement augmenté, même s'il reste cependant encore beaucoup de travail à faire.

Le taux de vaccination doit être également rapporté aux populations réellement appelées. En effet, compte tenu de la faible disponibilité des produits, nous n'avons appelé que progressivement à la vaccination les personnes concernées, notamment les publics prioritaires. Il est encore trop tôt pour répondre à la question de Mme Touraine, qui demande quel pourcentage des populations à risques a été vacciné. Ces études sont, du reste, très difficiles à réaliser et se heurtent à certaines difficultés éthiques liées à l'impossibilité de croiser les fichiers. Peut-être Mme Weber, directrice générale de l'Institut de veille sanitaire, ou M. Houssin, directeur général de la santé, pourront-ils expliquer les méthodes rétrospectives qui permettront d'analyser, catégorie par catégorie, les personnes qui se sont fait vacciner. Il est, je le répète, encore trop tôt pour le faire. Cependant, les personnes à risque ayant été prioritairement appelées à la vaccination, c'est principalement dans ce groupe que se recrutent les cinq millions et demi de personnes vaccinées.

Face à l'idée, émise par plusieurs d'entre vous, que nous aurions écarté les médecins généralistes, je tiens à rappeler les contraintes que nous avons rencontrées. Ainsi, le vaccin Pandemrix de GSK a été livré dans des boîtes indéconditionnables contenant 50 flacons de 10 doses, soit 500 doses. Certains pays ont fait le choix, incompatible avec la législation française, d'autoriser le déconditionnement des flacons de 10 doses. Rien dans notre situation n'obligeait à déroger aussi gravement à la sécurité pharmaceutique.

Je me suis personnellement rendue chez un grossiste, afin de voir comment il serait possible de procéder au déconditionnement des boîtes de 500 doses. Il m'a été indiqué que, si l'établissement possédait des armoires réfrigérées, il ne disposait pas d'ateliers réfrigérés, ni de personnel formé au déconditionnement des boîtes de vaccins et au reconditionnement des vaccins, ni des équipements nécessaires pour les personnes qui seraient appelées à travailler dans des laboratoires par des températures de 4 à 8 degrés centigrade. J'ai donc tenu à respecter la sécurité pharmaceutique. De plus, la disponibilité progressive des vaccins nous a conduits à appeler d'abord les publics prioritaires. Il était donc difficile d'inscrire la médecine générale dans cette stratégie.

J'ajoute, une fois encore, que nous avons voulu protéger celle-ci. De fait, avec un million de personnes vaccinées dans la semaine précédant Noël, on imagine quelle aurait été la charge de ce million de consultations supplémentaires pour la médecine générale. J'ai cependant indiqué fin novembre, dans une réponse à M. Élie Aboud qui m'interrogeait sur la possibilité pour les médecins de vacciner, que je souhaitais bien évidemment que ces derniers soient associés à la vaccination – un grand nombre d'entre eux sont d'ailleurs venus participer à la vaccination dans les centres, et je les en remercie.

J'avais indiqué que, dès que nous disposerions de vaccins unidose en nombre suffisant, beaucoup plus faciles à manier, nous ouvririons la campagne de vaccination aux généralistes. C'est maintenant le cas, mais depuis peu de temps, car les livraisons de vaccins unidose ne datent que de la fin du mois de décembre. Ce n'est que depuis que nous savons, avec certitude, que nous serons approvisionnés que nous pouvons travailler sur ce sujet avec les médecins.

D'ailleurs, j'observe que les discussions en cours confirment la pertinence des difficultés que nous soulevions. Ainsi, à la différence de ce qui se produit pour la grippe saisonnière, le vaccin ne peut pas être apporté par le patient, qui l'achèterait en pharmacie, car 5 millions de ces vaccins unidose sont livrés en boîte de 10 doses indéconditionnables.

S'ajoute à cela un important travail administratif, le médecin devant assurer, outre l'acte de vaccination proprement dit, l'accueil du patient, l'administration et l'approvisionnement en vaccin. Les centres de vaccination permettent, en revanche, un partage optimal des tâches, de telle sorte que certains médecins peuvent y pratiquer jusqu'à trente vaccinations à l'heure. Pour compléter la réponse que je vous ai faite cet après-midi, madame Lemorton, lors de la séance de questions d'actualité, je précise que, si le professeur Didier Houssin, qui n'a pas la rentabilité d'un médecin généraliste de base, parvient à pratiquer vingt vaccinations à l'heure, c'est précisément parce qu'il n'a pas à assurer toutes ces autres tâches.

Huit semaines après le début de la campagne de vaccination – six semaines si l'on tient compte de la période des fêtes –, certaines difficultés logistiques sont levées et la pandémie diminue au point de passer peut-être prochainement sous le seuil pandémique. Nous devrions donc pouvoir, après une phase mixte où la vaccination sera assurée à la fois par les centres de vaccination et les médecins généralistes, passer le relais à ces derniers dans quelques semaines.

Jamais les généralistes n'ont donc été écartés, vilipendés ou critiqués : nous avons au contraire voulu protéger la médecine générale. C'est également la raison pour laquelle les vaccins peuvent désormais être proposés sur les lieux de travail.

PermalienChristophe Weber, directrice générale de l'Institut de veille sanitaire

En cas d'émergence d'un agent infectieux tel qu'un virus endémique grippal, le travail des experts consiste à déterminer, en fonction de l'état de la science, le champ du possible et celui du plausible, afin de permettre à ceux qui vont affronter cette pandémie de s'y préparer et de mettre en place les mesures de prévention et de contrôles nécessaires. Les évaluations pratiquées au fil de l'évolution d'un agent infectieux ne se situent donc pas dans le champ du certain. Les scenarios proposés ont une probabilité substantielle et raisonnable de survenir, mais nous ne les présentons jamais comme certains. Nous nous contentons de hiérarchiser les probabilités entre le possible, le plausible et le probable, quand l'état de la science et les données disponibles nous en donnent les moyens. Si, à la fin de la pandémie – mais nous n'y sommes pas encore –, le scénario le plus optimiste se confirme, nous ne pourrons que nous en réjouir. En tout état de cause, ne demandons pas aux experts plus qu'ils ne peuvent donner et comprenons leur position.

Pour ce qui est de l'évaluation de la couverture vaccinale des personnes à risque, permettez-moi d'évoquer brièvement la méthodologie. Cette évaluation suppose que l'on dispose de fichiers permettant de croiser l'identité des personnes, les pathologies dont elles souffrent et leur recours à la vaccination. En France, la loi Informatique et libertés garantit que ces fichiers ne peuvent pas être croisés, ce qui est probablement très bon pour les citoyens. À la différence des pays scandinaves, qui ont fait le choix de disposer de tels fichiers, nous devons procéder à des études plus complexes et plus rétrospectives, qui demanderont plus de temps avant que nous ne puissions donner une réponse.

PermalienPhoto de Marisol Touraine

Il devrait pourtant être possible de connaître le taux de retour des bons de vaccination envoyés par la sécurité sociale aux publics prioritaires ciblés – et cela d'autant plus que ces bons avaient initialement une durée de validité limitée.

PermalienChristophe Weber, directrice générale de l'Institut de veille sanitaire

Les bons ne permettent pas d'identifier les pathologies dont souffrent les personnes, ni le degré de priorité qui leur est affecté. Il nous est donc impossible de croiser les informations liées à ces bons, qui ne couvrent d'ailleurs probablement pas la totalité des personnes à risque, car ils concernent essentiellement celles qui souffrent d'affections de longue durée (ALD). Les personnes à risque ont été incitées à se faire vacciner par l'intermédiaire des bons ou, pour celles qui ne souffraient pas d'ALD, par une information spécifique. Nous ne pouvons donc pas encore répondre à la question de connaître la proportion de personnes à risque qui se sont fait vacciner.

PermalienDidier Houssin, directeur général de la sant

La question a été posée de savoir si la recommandation d'élargir l'usage des antiviraux était destinée à écouler les stocks constitués au cours des années précédentes dans la perspective d'une pandémie grippale. Si tel avait été notre objectif, nous aurions dû prendre cette mesure dès le début du mois de juin.

En réalité, la surveillance exercée continuellement sur la pandémie grippale, notamment par l'Institut de veille sanitaire, a fait apparaître que, chez des personnes présentant ou non des facteurs de risque, la possibilité d'observer les formes les plus graves était plus importante si les patients n'avaient pas reçu de traitement antiviral précoce. Ces données françaises, en cours de publication, correspondent aux données américaines, mexicaines et canadiennes, confirmant le fait déjà connu que l'administration des antiviraux était préférable lorsqu'elle était précoce.

Nous observions par ailleurs une augmentation de la consommation du Tamiflu – distribué par le laboratoire Roche en France – disponible en pharmacie et partiellement remboursé. Le Comité de lutte contre la grippe a donc recommandé un élargissement de la prescription des antiviraux au-delà des patients présentant des formes d'évidence graves. Il était, par ailleurs, recommandé que ces antiviraux soient utilisés sur un mode « préemptif », c'est-à-dire à doses curatives, mais sur une courte durée. L'AFSSAPS a rendu un avis à ce propos.

Je précise enfin que la recommandation d'élargir l'usage des antiviraux a été formulée, en décembre, dès que nous avons eu la certitude que la logistique serait assurée et que les antiviraux seraient disponibles dans les pharmacies en quantité suffisante et que l'AFSSAPS aurait mis en place un dispositif de pharmacovigilance spécifique pour ces produits. Depuis lors, nous avons eu l'occasion d'échanger avec les sociétés savantes, notamment de médecins généralistes, et de fournir des explications aux médecins qui le demandaient.

Le stock d'antiviraux a été constitué à partir de 2005 dans la perspective d'une pandémie grippale de type H5N1. Il n'a jamais été imaginé que nous soyons en mesure, dans le cas d'une pandémie grippale, de proposer la vaccination avant une première vague en France. Tous les efforts ont donc été faits pour constituer un stock de médicaments antiviraux et de masques, qui étaient les seules armes dont nous disposions. Du fait des circonstances – le virus est apparu en avril dans un pays qui a transmis très rapidement les souches à l'OMS et les industriels ont entrepris très vite la fabrication de vaccins –, il a été possible de disposer d'un vaccin presque à temps, même si, dans la course contre la montre, il est arrivé un peu tard pour certaines personnes.

PermalienPhoto de Jean-Marie Le Guen

En qualité de rapporteur des questions de sécurité sanitaire, j'ai été de ceux qui ont alerté les pouvoirs publics dès 2005 sur la grippe de type H5N1. Le Président de la République et l'Assemblée nationale ont alors mis en place une mission, que je présidais et dont Jean-Pierre Door était le rapporteur, et qui a notamment travaillé, avec le ministre de la santé, M. Xavier Bertrand, à l'établissement du plan gouvernemental Pandémie grippale. Ce travail, mené dans un climat d'incertitude scientifique, a été accompli dans un esprit de recherche collective et d'écoute mutuelle. Par ailleurs, ce plan, défini pour répondre aux virus H5N1, plus létal que la souche actuelle, était particulièrement robuste. Dans l'annexe du rapport de la mission, j'insistais, avec mes collègues du groupe socialiste, sur la confiance et la mobilisation sociales, appelant l'attention des pouvoirs publics sur le fait qu'il convenait de se garder d'éviter des mesures trop techniques ou trop axées sur l'ordre public.

En 2007, lors du changement de gouvernement, je n'ai pas obtenu de l'Assemblée une prolongation de la mission de surveillance, qui me semblait pourtant être un cadre démocratique et responsable pour la préparation des différents plans. J'ai néanmoins participé avec vous en 2008, madame le ministre, à un exercice qui m'a donné l'occasion d'insister à nouveau, auprès des hauts fonctionnaires du Secrétariat général de la défense nationale, sur le fait que, parallèlement à la problématique de l'ordre public, celle de la résilience et de la confiance sociales était également fondamentale.

Je suis aussi conscient que vous, madame la ministre, de la difficulté des questions de santé publique, mais j'ai été néanmoins surpris de l'approche adoptée par le Gouvernement, tant sur le plan technique que sur le plan politique. Ce dernier a, en effet, pensé qu'il devait assumer seul la responsabilité du dossier et n'y a guère associé l'Assemblée – qui, du reste, n'a pas été très demandeuse.

À l'instar de l'intervention de Marisol Touraine, notre discours ne se situe pas sur le plan de la rhétorique, mais sur celui des interrogations fondamentales. Madame la ministre, puisque vous avez interpellé à plusieurs reprises Gérard Bapt et, comme certains de vos collègues, m'avez interpellé moi-même, je crois utile de citer certains des propos que j'ai tenus lors d'une interview que j'ai donnée, le 7 juin dernier, au Journal du Dimanche :

« Que pensez-vous de la décision du Gouvernement de proposer la vaccination à tous les Français ?

« Je suis bien sûr favorable au principe de la vaccination mais je suis hostile au tout vaccin. Le vaccin doit être un des éléments de la lutte contre la pandémie, pas l'unique mode d'action. Pour le moment, on ne sait même pas s'il sera efficace. On ignore également quand il sera disponible. Il me paraît exagérément optimiste de penser que tous les Français puissent être vaccinés lors du ressac épidémique attendu à l'automne prochain. Les premiers d'entre nous devront certainement patienter jusqu'en novembre. Les autres, le milieu de l'hiver. Les firmes pharmaceutiques sont incapables de livrer 50 millions de doses pour octobre-novembre.

« Vous semblez critique envers la gestion gouvernementale de la crise ?

« Depuis quelques jours, le dispositif gouvernemental, qui m'a paru efficace lors de l'apparition du virus, est en train de dysfonctionner. Le Gouvernement m'inquiète par ses contradictions et ses oublis.

« De quelles contradictions parlez-vous ?

« Le système est trop rigide. L'épidémie n'est pas très virulente, mais en France on continue à hospitaliser les malades dans des services spécialisés alors que dans les autres pays c'est la médecine de ville qui s'en charge.

« Vous évoquez aussi des oublis ?

« Le Gouvernement n'a toujours pas dit ce que serait le rôle de la médecine de ville en cas de pandémie et cela suscite beaucoup d'inquiétude au sein du corps médical. »

Je ne retire rien aux critiques que je formulais en juin – en des termes qui, du reste, n'étaient pas particulièrement polémiques. Je ne prétends pas pour autant détenir la vérité – personne, d'ailleurs, ne sait quel sera l'avenir de ce virus.

S'agissant du principe de précaution, de prévention et de mobilisation, le groupe socialiste n'émettra jamais aucune réserve. Ainsi, nous ne critiquons pas le choix que vous avez fait d'une vaccination en deux doses. Nous sommes solidaires sur ce point, mais il nous semblerait souhaitable d'interroger les laboratoires pharmaceutiques sur la manière dont ils ont affirmé que ces deux doses étaient nécessaires.

Nous ne sommes pas solidaires, en revanche, lorsque le seul nom d'expert que vous citez est celui du professeur Antoine Flahault, qui s'est précisément exprimé fin août pour dire son opposition à la vaccination généralisée et a consacré un livre à cette question.

Si je vous ai blessée, je n'en avais pas l'intention. Mais en tant que parlementaire, je ne puis accepter l'idée selon laquelle mieux vaudrait en faire trop que pas assez. Il est, à cet égard, consternant d'entendre Denis Jacquat parler de « zéro mort » ! Aucun d'entre nous ne peut promettre cela aux Français.

Nous nous interrogeons sur le traitement politique de cette question – c'est-à-dire au sens, non de politique partisane, mais de politique de l'État. Quelle est la part du ministère de l'intérieur dans le processus ? De fait, il semble que le ministère de la santé n'ait joué qu'un rôle de porte-parole, mais que les choix stratégiques ont été faits ailleurs.

La création d'une mission d'information parlementaire n'a pas soulevé un grand enthousiasme et bon nombre de nos collègues se sont employés à ce qu'elle n'ait pas lieu – mais je crois savoir que cette commission devrait tout de même voir le jour. Indépendamment du contrôle de l'utilisation des fonds publics, qui relève de notre compétence de parlementaires, la question de fond reste de savoir si la confiance des Français envers les pouvoirs publics a augmenté en matière de santé publique.

Nous avons là une responsabilité pour l'avenir. Il nous faudra, au sein de cette commission d'enquête, retrouver le chemin de la confiance et rechercher des méthodes de communication permettant d'éviter l'autosatisfaction face à une crise de santé publique. Mon propos n'a rien de polémique, mais je regrette que vous préfériez-vous poser en victime, madame la Ministre, pour ne pas avoir à répondre de vos responsabilités réelles.

PermalienPhoto de Dominique Dord

Quel curieux pays que le nôtre ! Au moment où une victoire – plus facile d'ailleurs qu'on ne l'attendait – semble se dessiner sur un ennemi tant redouté, ce pays, au lieu de se réjouir, et alors même que la guerre n'est pas finie, demande des comptes à son général en chef sur la manière dont il a conduit la bataille ! Quel curieux pays que le nötre ! J'ose à peine imaginer quelle serait l'ampleur de la polémique si, par malheur, des dizaines de milliers de nos compatriotes avaient perdu la vie dans cette bataille.

Après vous madame le ministre, dans cinq, dix ou quinze ans, un autre ministre héritera de la charge des relations particulières que notre peuple entretient avec sa santé et avec ses gouvernants. À cet autre ministre, d'autres autorités sanitaires signaleront l'arrivée d'un autre virus, probablement venu d'un autre pays, sans pouvoir lui dire – après l'avoir peut-être détecté plus vite encore que cette fois-ci, compte tenu des progrès techniques – quelle en sera l'ampleur. Le ministre prendra alors la même décision que vous : il demandera de couvrir le plus largement et le plus rapidement possible toute la population. Il faudra faire travailler les laboratoires de l'époque, qui se diront prêts à préparer un vaccin, par exemple sous forme de multidoses. Le nouveau ministre prendra alors, avec le même sens des responsabilités que vous, la même décision que vous en matière de logistique. En effet, si le virus est redoutable, chaque jour compte dans la mise en place du dispositif.

Dans la crise que nous traversons, vous avez particulièrement bien exercé la responsabilité de ministre français de la santé. Je suis écoeuré de la polémique actuelle, des critiques, du cynisme et de la désinvolture auxquels nous sommes malheureusement confrontés dans ce débat. Je suis également inquiet des conséquences de cette polémique face à une pandémie qui, pour autant que je sache, n'est pas terminée. Ne devrions-nous pas avoir, tous ensemble, la sagesse républicaine d'attendre au moins que la bataille soit finie pour commencer à demander des comptes ? Y a-t-il à ce point urgence que nous soyons obligés de venir ici à 11 heures du soir, les uns pour vous défendre et les autres pour vous demander des comptes ? L'état du débat public sur un sujet qui devrait nous rassembler en pleine bataille est attristant. Quels qu'en soient les responsables, ce débat n'honore pas notre pays.

PermalienPhoto de Gérard Bapt

J'ai noté que Mme la ministre m'a cité – voire morigéné – sept fois. Madame la ministre, en m'efforçant de faire mon travail de rapporteur spécial, membre de l'opposition, j'ai appelé votre cabinet et pris contact avec la personne chargée des relations avec le Parlement. Cette personne, disponible et réactive, m'a apporté des réponses à l'aide d'un directeur adjoint chargé de la pandémie. J'ai ensuite rencontré ce membre de votre cabinet et le directeur adjoint compétent, ainsi que votre conseiller diplomatique. Est-ce là s'adresser aux mauvaises personnes ? Merci, si c'est le cas, de m'indiquer comment m'orienter dans ce jeu de piste : faut-il que vous me donniez votre numéro de téléphone personnel, pour que je puisse vous interroger directement ?

Pour ce qui concerne les ventes à l'étranger, comme dans le cas du regrettable incident d'octobre – fondé au demeurant sur un malentendu –, les parlementaires sont, une fois encore, alertés par les journalistes. Ainsi, après m'être entendu répondre que rien n'était décidé, c'est par lefigaro. fr que j'ai appris que deux ventes avaient été conclues avec le Qatar et l'Égypte.

PermalienRoselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports

Pas avec l'Égypte !

PermalienPhoto de Gérard Bapt

Vous comprendrez qu'étant chargé de faire vivre la compétence du Parlement dans le domaine de responsabilité qui m'a été confié par la Commission des finances, je sois quelque peu ulcéré de cette situation.

Malgré la satisfaction affichée ce soir par les orateurs de la majorité, je tiens à souligner que certains des membres de celle-ci ne sont pas contents et le disent – ils sont parfois plus virulents que nous.

PermalienRoselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports

Il y en a aussi de l'opposition qui sont contents et qui me l'écrivent.

PermalienPhoto de Gérard Bapt

Vous avez déclaré que vous avez fait votre choix en conscience et que vous l'assumez. Vous ayant connue d'abord comme parlementaire, nous vous en donnons acte. Le contexte dans lequel ce choix a été fait n'en laisse pas moins craindre une grave crise de confiance entre l'autorité sanitaire – l'État et les agences – et la Nation, c'est-à-dire l'ensemble des citoyens, les corps de santé et les parlementaires, lesquels demandent depuis des mois la création d'une mission d'information ou d'une commission d'enquête, comme cela avait été le cas pour la grippe aviaire.

Pour ce qui concerne la négociation avec les laboratoires liée à la résiliation de la majeure partie de la commande de vaccins, j'ai appris par la presse qu'il serait envisagé, afin de dédommager les laboratoires concernés, de verser des arrhes ou de prendre des engagements de commandes pour des produits de santé futurs. Votre cabinet, interrogé, n'a pas apporté de démenti. J'ai, pour ma part, demandé au directeur de l'EPRUS de faire passer le message que cette démarche, du reste sans doute illégale au regard des règles des marchés publics – tous les maires ici présents sont conscients qu'il importe d'être très prudents en la matière –, aurait un caractère politiquement destructeur pour vous. Compte tenu du climat entretenu, notamment sur l'Internet, par des ligues anti-vaccinales et des accusations de collusion qui circulent, ce serait également destructeur dans la perspective de crises sanitaires futures. Ma réaction sonnait donc comme une alarme.

Pour faire écho à Jean-Marie Le Guen, il me semble que la création d'une commission d'enquête aiderait l'autorité sanitaire que vous représentez à mieux traiter ce problème.

Parmi les experts, on pourrait citer aussi le professeur Marc Gentilini, qui a dirigé un grand service de maladies infectieuses et préside une ONG qui lutte contre le sida, notamment en Afrique. Cet ancien président de l'Académie de médecine s'est plaint de ne pas avoir été écouté. Quant au professeur Flahault, il a déclaré qu'il n'avait jamais conseillé une vaccination de masse. La qualité de l'expertise nécessite qu'elle soit indépendante, transparente et exempte de tout conflit d'intérêt. Il est troublant de constater qu'aux Pays-Bas, le responsable de la grippe à l'OMS fait l'objet d'une d'enquête pour conflit d'intérêts par le Parlement, car il est en même temps salarié d'un grand laboratoire producteur de vaccins. Le fait que l'Agence européenne du médicament refuse de publier les dossiers de conflits d'intérêts de ses experts pour la grippe, que l'OMS refuse d'en publier la liste, ou que la France refuse de dévoiler celle des experts qu'elle a mandatés auprès de cette organisation, crée un climat qui n'est pas propice à la confiance et à entraîner nos concitoyens.

Vous avez déclaré, madame la ministre, qu'« il ne faut pas remettre en cause l'analyse des experts, dont la vocation n'est pas, que je sache, d'exagérer la menace ». La situation du « M. Grippe » de l'OMS relativise cette déclaration un peu rapide.

La question de l'expertise doit, du reste, faire l'objet d'un débat à l'occasion de la fusion, à laquelle vous allez procéder par ordonnance, entre l'Agence française de sécurité de l'environnement et du travail (AFSSET) et de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA). L'AFSSET, qui a gagné la confiance d'ONG et d'acteurs de l'environnement, est aujourd'hui en situation difficile face à l'AFSSA, qui n'a pas cette réputation face à la société civile, comme on l'a vu à propos des ondes électromagnétiques ou des pesticides, et plus récemment à propos du bisphénol.

Sur ces questions de fond, Jean-Marie Le Guen a raison et le président Pierre Méhaignerie a tort : il faut associer le Parlement et, au-delà, les professionnels de la santé et les associations d'usagers à ce que pourrait être une meilleure gestion.

L'échec de la prévision – on partait d'un chiffre de 130 millions de vaccins, pour assurer une double dose à chaque personne résidant sur le territoire national – n'est pas propre à la France, ni à votre choix, que je conteste par ailleurs, de gestion purement étatique, car la Suède et le Canada obtiennent, avec des systèmes différents certes, de bons résultats. Il s'agit d'un problème de confiance, qui s'est posé dans d'autres pays européens.

PermalienPhoto de Yves Bur

Mon analyse rejoint en partie celle de Dominique Dord : il y a dans ce débat beaucoup d'excès et de passion, alors que nous devrions aborder cette question avec beaucoup de responsabilité. L'heure des bilans n'est pas encore venue, car les risques de l'épidémie ne sont peut-être pas encore totalement écartés. Soyons donc prudents. Le moment venu, en revanche, il sera de notre devoir de nous interroger collectivement et d'analyser les faits.

À la différence de certaines crises sanitaires passées, pour lesquelles nous avons cherché des coupables qui n'avaient pas assez anticipé les réponses, certains sont tentés aujourd'hui de chercher des coupables qui les ont trop anticipées. Si donc je suis favorable à la mise en place d'une mission d'information, que nous pourrions mener sereinement comme nous avons l'habitude de le faire, je ne le suis pas à la création d'une commission d'enquête qui chercherait des coupables. À l'évidence, nous devrons tirer les conclusions de ce qui s'est passé et analyser l'ensemble des choix qui auront été arrêtés, mais faisons-le, je le répète, dans la sérénité et la responsabilité, en évitant les polémiques inutiles.

Quelles seront les conséquences de la gestion de cette crise, notamment sur l'attitude des Français vis-à-vis de la vaccination ? Je suis inquiet du discrédit jeté sur la vaccination par tous les docteurs Diafoirus de l'Internet, que nous risquons de payer très cher en termes de santé publique dans les années à venir. On observait dès avant la crise des refus de vaccination contre la rougeole ou la coqueluche. Ce sera peut-être un jour le tour de la rubéole. Nous pourrions voir réapparaître des catastrophes qui avaient disparu.

Nous sommes donc confrontés à un problème de santé publique en devenir, que nous devons avoir le courage d'affronter ensemble.

Il conviendrait de savoir – et il me semble que Mme la ministre, qui est venue devant notre commission chaque fois que nous en avons exprimé la demande, est prête à aborder cette question – si l'organisation actuelle nous permettrait d'affronter une pandémie beaucoup plus sévère. De fait, et pour l'exprimer d'une manière un peu caricaturale, si la pandémie avait été plus virulente, nous aurions dû placer des CRS devant les centres de vaccination. La question se pose d'ailleurs dans d'autres pays. Ainsi, en Allemagne, où je me trouvais début novembre, on disait que le nombre de doses de vaccin était insuffisant. La crise a été, me semble-t-il, gérée au jour le jour.

Sans doute devrions-nous nous interroger, d'autre part, sur la gouvernance mondiale de l'OMS et sur la manière dont sont édictées ses recommandations et ses règles. En effet, je vois mal un gouvernement passer outre pour définir ses propres règles. Quelle confiance pouvons-nous accorder à la gouvernance mondiale ?

En tant que rapporteur de la loi de financement de la sécurité sociale, j'ai le souci de savoir combien tout cela a coûté. Le moment venu, nous étudierons sereinement cette question pour évaluer la part prise en charge par chacun. Nous avons bien noté, par exemple, que les assurances complémentaires ont tiré argument de leur contribution à la vaccination pour augmenter leurs tarifs, alors que leur situation financière ne l'exige absolument pas.

Enfin, nous devrons nous demander comment affronter un autre épisode pandémique. Il faut le faire en capitalisant sur la confiance de l'opinion publique. Dans la crise actuelle, cette confiance n'a pas toujours été au rendez-vous ou a été fluctuante. Le refus de vacciner manifesté par certains médecins pose aussi la question de la responsabilité de certains responsables syndicaux et de la part de politique politicienne dans l'action syndicale. Comment pourrait-on capitaliser sur des médecins généralistes majoritairement opposés à la vaccination ?

Il est de la mission de notre commission que nous nous posions toutes ces questions et je souhaite que nous le fassions, en parfaite complémentarité avec le Gouvernement.

PermalienPhoto de Michèle Delaunay

Madame la ministre, nous nous adressons à vous dans un état d'esprit qui ne serait pas différent si nous étions aux affaires : une volonté de clarté en matière de santé publique – qui n'exclut pas pour autant la lucidité : on ne saurait demander, comme Denis Jacquat, un « risque zéro », dont l'évocation fait frémir.

Nous nous inquiétons de l'impact de la campagne de vaccination en termes de santé publique. Le faible nombre de personnes vaccinées et quelques maladresses, que nous devons tous assumer, ont conforté la thèse de ceux qui, pour des raisons pas toujours très claires, veulent décrédibiliser les vaccins. Pour nous, qui avons connu la fin de la poliomyélite et la diminution considérable de la tuberculose, il s'agit là d'une véritable inquiétude. Nous devons donc tous agir à cet égard.

Comme je l'ai déjà souligné lors de vos différentes auditions, je m'interroge sur le fait que la France ait acheté d'emblée 94 millions de doses de vaccin. Vous m'avez en quelque sorte donné raison en déclarant à la presse, au cours des derniers jours, qu'une pandémie se gérait au fur et à mesure. Il n'était pas imaginable que toute la population de notre pays puisse être vaccinée d'un seul coup. Or, nous ne savions rien alors de l'évolution de la pandémie. Toutes les explications que vous avez données à propos de la vaccination à double dose ne suffisent pas à expliquer pourquoi vous avez fait cet achat massif, auquel la plupart des autres pays n'ont pas procédé.

Philippe Séguin disait que ce n'est pas parce que les caisses sont vides qu'elles sont inépuisables. Le budget de la santé est limité : l'argent que nous avons employé à cela, nous ne pourrons pas l'employer ailleurs. Pourquoi un pays négociant l'achat de 94 millions de doses de vaccin n'a-t-il pas pu obtenir des prix inférieurs ? Dites-nous pourquoi le prix des vaccins que nous avons achetés est supérieur à celui qu'ont négocié les autres pays européens – ou, si ce n'est pas le cas, donnez-nous des chiffres précis.

En Allemagne, l'épidémie a fait beaucoup moins de bruit dans la presse. Comment expliquer que l'Allemagne, qui n'est pas connue pour négliger l'hygiène et la prévention, ait acheté, par rapport à sa population, beaucoup moins de doses que la France ? Ces questions méritent une explication simple, transparente et objective.

PermalienPhoto de Colette Langlade

Du fait des contraintes importantes liées notamment au respect de la chaîne du froid ou à la nécessité de deux injections, ainsi qu'aux tâches administratives assez lourdes rendues nécessaires par l'exigence de traçabilité, les médecins généralistes n'ont pas été associés jusqu'à présent à la campagne de vaccination – qui ne commence qu'aujourd'hui dans leurs cabinets. Or, dès qu'il est apparu qu'une seule injection suffisait au-delà de l'âge de neuf ans, il n'y avait plus de raison que ces médecins ne vaccinent pas.

Les généralistes sont maintenant prêts à oublier les vexations du début la campagne de vaccination et à participer à cette dernière, à condition qu'on ne leur complique pas la vie par des tâches administratives.

Le 7 janvier, les médecins généralistes ont reçu une circulaire du ministère leur demandant d'établir et de renvoyer avant le 10 janvier la liste des patients isolés qui devraient être vaccinés à domicile. Il est peu probable, vu le délai, que vous ayez reçu les réponses en temps voulu.

Comment, par ailleurs, les vaccins seront-ils acheminés au cabinet du médecin ? Pour des raisons de temps et de distance, les médecins ne veulent pas aller chercher eux-mêmes les vaccins dans les centres de vaccination. Les vaccins devraient donc être livrés directement dans les cabinets ou, si elles sont proches, dans les pharmacies.

Enfin, la vaccination sera-t-elle facturée comme une consultation ou selon un tarif restant à négocier entre le ministère et les différents syndicats ?

PermalienPhoto de Catherine Lemorton

Lorsque nous avons appris, le 22 juillet, la commande de 94 millions de doses de vaccin, nous vous avons posé une question simple, portant sur la logistique humaine à mettre en oeuvre pour procéder à la vaccination. Dans l'hypothèse alors retenue d'une vaccination à deux injections, il était impossible, comme nous l'indiquaient les syndicats de médecins et d'infirmiers, de vacciner deux fois 47 millions de Français en sept, huit ou neuf mois – sauf à ce que les professionnels interrompent toutes leurs autres activités. En termes de santé publique, il importe de déterminer le pourcentage de population à vacciner pour protéger l'ensemble et de disposer, en regard, d'un potentiel humain suffisant pour permettre la vaccination.

Sans doute le caractère électrique du débat d'aujourd'hui s'explique-t-il par le fait qu'on nous a refusé la création d'une mission d'information. Cependant, la lecture des comptes rendus des précédentes auditions atteste que nous avons toujours été raisonnables et avons posé les bonnes questions. En outre, nous n'avons pas beaucoup communiqué à l'extérieur.

J'en viens à la question de la communication. Chacun sait que, même si nous souhaitons tous que les décès sont moins nombreux, le risque zéro n'existe pas – n'en déplaise à Denis Jacquat. Les Français sont intelligents. Ils sont capables de mettre en balance le chiffre de 240 morts et celui des 7 ou 8 millions de personnes touchées. Par parenthèse, nous serions heureux que toutes les maladies infectieuses aient un taux de mortalité aussi faible. Or, la balance bénéfices-risques collective, positive pour notre pays, a été traduite en balance bénéfices-risques individuelle, les jeunes adultes en bonne santé considérant que, s'ils contractaient la grippe, ils avaient de grandes chances de faire partie des millions de personnes qui reprennent leur travail après quelques jours d'arrêt – ou qui ne s'arrêtent pas du tout, puisque, comme l'indiquent les experts épidémiologistes, dont M. Flahault, et sous réserve de le vérifier par des tests, 40 % de la population serait atteinte sous une forme quasi asymptomatique. Peut-être, au bout du compte, vaudrait-il mieux parler moins du nombre de morts, qui ne signifie plus grand-chose pour le public.

PermalienPhoto de Jacques Domergue

L'impression prévaut que nous nous trouvons face à une armée de généraux arrivant après la bataille pour faire des commentaires critiques. C'est oublier le climat qui régnait voilà six à huit mois, lorsque les experts appelaient l'attention sur le fait qu'il s'agissait d'une pandémie planétaire qui allait entraîner des milliers, voire des millions de morts. Ces mêmes généraux faisaient d'ailleurs partie de ceux qui, à l'époque, craignaient le pire, et qui, comme nous tous, avaient à l'esprit l'épidémie H5N1 qui avait effrayé la planète. C'est donc forte des avis des experts et après vous être entourée des précautions d'usage, que vous avez alors mis en oeuvre un plan de bataille pour protéger la population, sachant qu'à partir du moment où vous avez su qu'une vaccination – et non plus deux – était suffisante, vous avez corrigé le tir afin de négocier avec les différents laboratoires et avec des pays qui n'avaient pas été aussi précautionneux que nous.

On vous reproche aujourd'hui de n'avoir pas mobilisé les médecins généralistes pour vacciner les Français. Nos collègues devraient pourtant faire la différence entre une vaccination ponctuelle et une vaccination de masse ! En outre, on ne peut pas dire que les médecins généralistes – qui, il faut bien le reconnaître, ont traîné les pieds au début – ont été exclus de la vaccination. Simplement, une vaccination de masse s'imposait pour les raisons logistiques ou purement pratiques que vous avez évoquées. Qu'ils viennent aujourd'hui appuyer les médecins retraités et les internes me paraît donc cohérent.

En médecine, on n'agit pas de la même façon selon que l'on veut traiter un individu avec 100 % de réussite et une population avec la meilleure réussite possible en fonction des moyens disponibles. Face au procès d'intention qui vous est fait, nous sommes ici aujourd'hui pour que vous indiquiez à tous nos collègues les différentes étapes de votre action, laquelle me semble parfaitement en accord avec la situation que nous avons vécue.

PermalienPhoto de Michel Issindou

Loin d'être des généraux à la recherche de coupables, nous savons que, confrontée à une pandémie qui pouvait être grave, vous avez pris vos responsabilités. Pour autant, faut-il ne voir en nous que d'exécrables accusateurs et en vous une ministre parfaite ? Il n'est pas question de condamner qui que ce soit aujourd'hui, mais de se demander simplement, si cet événement doit se reproduire l'an prochain, s'il ne faudra pas procéder d'une autre manière – par exemple améliorer la commande ou encore intégrer immédiatement les médecins libéraux.

Concernant le principe de précaution, les élus locaux y sont confrontés tous les jours du fait de risques d'inondation, d'accident chimique, voire d'ondes émises par les antennes de téléphone mobile. Pour autant, si les experts sont utiles pour prendre la décision, ils ne doivent pas se substituer aux politiques. C'est à ces derniers qu'il revient d'avoir le courage de prendre cette décision – ce n'est pas vous que je vise en l'occurrence, madame la ministre ! Je souhaite seulement appeler l'attention sur le problème général posé par l'intervention des experts qui soulève quelques difficultés.

S'agissant des excès médiatiques, il est insupportable d'entendre égrener le nombre de morts dus à la pandémie. Si chaque cas individuel est bien sûr douloureux, n'oublions pas que l'on compte 180 morts par jour du fait du tabac et, plus généralement, plus de 500 000 morts par an, soit 1 500 par jour environ. Nous savons que nous devons tous mourir un jour. On nous a fait le coup avec la grippe aviaire, la vache folle… Cela a, on le voit bien, aucun effet.

Enfin, pour revenir à la question des masques, qui a beaucoup coûté à nos collectivités, je répète qu'il s'agit là d'un gaspillage de deniers publics. Aucun expert ne nous a dit par exemple à quel moment il fallait les mettre. Pourrait-on enfin savoir ce que l'on peut faire d'utile avec ces masques ?

PermalienPhoto de Simon Renucci

Je me réjouis, en ma qualité de pédiatre, que cette pandémie ait fait aussi peu de morts et que, pour la première fois, on ait trouvé un vaccin efficace et pouvant être fabriqué rapidement. Cela n'enlève cependant rien au fait que les généralistes ont pu mal percevoir le refus de leur intervention – en l'occurrence, le président de la Confédération syndicale des médecins français n'a pas vraiment été charitable avec vous, surtout après le cadeau fait avec le secteur optionnel ! Il aurait pour le moins été préférable qu'il explique beaucoup mieux à l'ensemble des acteurs la nécessité de l'intervention des médecins généralistes. On ne peut en tout cas que regretter la bataille qui a eu lieu contre la vaccination et l'attitude désinvolte avec laquelle celle-ci a été traitée. On ne pourra pas faire de progrès si tout le monde ne dit pas la même chose !

Vous avez semblé ce soir, madame la ministre, être sur la défensive. Pourtant, nous ne sommes pas là pour vous attaquer, mais pour savoir ce qui peut être amélioré dans le cas où une nouvelle pandémie surviendrait. Ce que j'aurais même aimé à la limite, c'est que ce soit vous qui demandiez la mission d'information : une telle demande aurait en effet montré que le rôle des parlementaires peut être efficace. J'espère au moins que la majorité s'exprimera en faveur de la création d'une mission d'information.

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

Le problème n'est pas de savoir s'il y aura ou non une mission d'information ou une commission d'enquête : il y en aura une. C'est le moment de sa création qui est posée, sachant que M. Jean-Pierre Door souhaite avancer les travaux de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques sur la mutation des virus, que nos collègues souhaitaient entendre la ministre, et que d'autres missions d'information sur des sujets importants tels que la flexisécurité ou la pénibilité du travail accusent des retards importants.

PermalienRoselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports

Je tiens à remercier tant les parlementaires de la majorité pour leur approbation et leurs encouragements que ceux de l'opposition, dont j'ai beaucoup apprécié le questionnement serein. Les questions posées vont d'ailleurs bien au-delà de la pandémie H1N1 et une réflexion collective sera à cet égard nécessaire. Le Gouvernement – je n'échapperai à aucune de mes responsabilités – la mènera en commun avec le Parlement et avec de nombreux autres acteurs, car il nous faudra convoquer non seulement les sciences médicales mais également les sciences humaines. L'exercice promet d'être intéressant.

MM. Jean-Marie Le Guen et Jacques Domergue ont très utilement rappelé le contexte, à savoir la pandémie H5N1 – très peu contaminante, mais au taux très élevé de létalité – contre laquelle notre pays s'est préparé pendant des années – je parle sous le contrôle du délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire, M. Didier Houssin. Dès l'apparition de la grippe H1N1, je n'ai pas voulu remettre en cause le dispositif alors mis en place, puisqu'il avait été fondé sur des choix éthiques que l'on peut ne pas partager mais que je revendique. Mais il fallait l'adapter. S'il n'y avait, en effet, qu'une leçon à tirer des crises pandémiques récentes, c'est – comme l'a rappelé M. Dominique Dord – qu'aucune ne ressemblera à une autre et que l'on ne peut reprendre, pour une nouvelle, les choix effectués pour le traitement d'une précédente. La souplesse est nécessaire, même si les choix reposeront toujours sur les mêmes principes éthiques, opérationnels et politiques. C'est d'ailleurs pourquoi j'ai voulu dialoguer avec vous tous de façon continue – à un point tel d'ailleurs que je me demande si cette méthode de travail n'a pas créé un précédent. Au mois de juin, j'ai invité les parlementaires intéressés par cette question, qu'ils soient de la majorité ou de l'opposition.

À cet égard, si une mission d'information – que je ne peux demander puisqu'il s'agit d'une prérogative du Parlement – devait être créée, je n'y serai pas défavorable, au contraire. D'ailleurs, nos échanges ne ressemblent-ils pas finalement au travail d'une telle mission ? Que pourrais-je vous dire de plus en effet qu'aujourd'hui ? Sa création, quoi qu'il en soit, ne me gêne pas.

Je n'ai jamais voulu promouvoir – je le dis plus particulièrement à l'attention de M. Jean-Marie Le Guen, qui n'est plus là – une campagne du tout vaccin. Il s'est d'abord agi d'une campagne de prophylaxie fondée sur les gestes barrière, sur l'information du public ou encore sur la mobilisation du système de santé. C'est ainsi que l'information des professionnels de santé a été multipliée par l'envoi de lettres et par l'organisation, sur le terrain, de réunions par les préfets et par l'administration sanitaire et sociale, qui ont parfois regroupé plusieurs centaines de professionnels. Ce n'est d'ailleurs pas à cette occasion qu'ont été constitués les stocks de masques et de Tamiflu : ceux-ci avaient été constitués – je m'adresse là à M. Michel Issindou – lors de la gestion de la grippe H5N1, et nous n'avons fait que les rafraîchir et vérifier qu'ils n'étaient pas périmés. J'ai d'ailleurs continuellement répété notre doctrine constante en la matière, à savoir que le masque FFP2 était destiné aux professionnels de santé au contact avec les personnes contaminées, tandis que les masques chirurgicaux l'étaient aux personnes malades pour éviter qu'elles ne contaminent leur entourage. Ces masques constituent aujourd'hui un stock de précaution – j'emploie ce mot bien qu'il ait tendance à devenir ici un gros mot ! – utilisable pour toute pandémie : on ne peut attendre que l'une d'elles survienne pour le constituer.

Le dialogue de l'État avec le citoyen dans le cas d'une crise pandémique est un vrai sujet, qui a été d'ailleurs abordé par de nombreux spécialiste de la fonction publique. La difficulté vient du fait que l'on assiste de plus en plus dans nos sociétés contemporaines – en France comme dans le reste de l'Europe – à une consommation de soins sur un mode individuel, dans le cadre du colloque singulier avec « l'offreur de soins » – médecins, professionnels paramédicaux, institutions... Or, dans le cas d'une crise de santé publique, la puissance publique est conduite à assumer une responsabilité qui est dérangeante pour l'opinion publique, laquelle n'a pas l'habitude de voir le ministre de la santé ou les collectivités territoriales organiser des dispositifs de santé. C'est un sujet de réflexion important. Cela peut être l'un des objets de la mission d'information qui, par ailleurs, serait l'occasion d'examiner les moyens de gérer la désinformation sur l'Internet ou encore les multiples interventions de pseudo-experts dans les médias – on a atteint des sommets en la matière la semaine dernière ! – et l'hypermédiatisation, que nous devons gérer.

M. Yves Bur l'a souligné, l'heure des bilans n'est pas venue. Néanmoins, tout le monde y réfléchit et la ministre de la santé en premier. Pour ce qui est de l'opinion publique, sa méfiance n'a cependant pas augmenté avec la campagne de vaccination, bien au contraire. S'agissant des médecins et autres personnels de santé à l'hôpital, je répète que nous avons même gagné en persuasion. C'est ainsi qu'aujourd'hui, le taux d'adhésion des professionnels de santé à cette campagne n'a plus rien à voir avec celui du début. Ces derniers ont été de plus en plus nombreux à comprendre que la vaccination était un acte de prévention, cela grâce à une pharmacovigilance extrêmement pointilleuse que je revendique, même si elle a pu être reprochée aux services – à l'AFSSAPS comme à la Direction générale de la santé. Si nous avons gagné des parts de conviction, c'est aussi parce que le moindre événement indésirable, même mineur, a fait l'objet d'une intervention. Rappelez-vous au début de la campagne de vaccination les polémiques concernant le syndrome de Guillain-Barré et les adjuvants : si nous avons gagné la bataille de la communication en la matière, c'est par une pharmacovigilance, par une transparence, par une communication de tous les instants.

La France a ainsi revendiqué des choix sur les plans éthique et stratégique que je ne développerai pas à nouveau. Que Mme Michèle Delaunay sache simplement que nous avons voulu – pour les raisons qu'a rappelées le Comité consultatif national d'éthique dans son avis – être en mesure, au nom du principe républicain d'égalité, de proposer le vaccin à tous les Français qui le souhaiteraient. Mais, nous avons aussi montré que l'éthique n'était pas incompatible avec la souplesse. C'est ainsi que, lorsque l'OMS est passée au niveau 6 de l'alerte pandémique, nous avons pris la décision de rester au niveau 5, estimant qu'un tel passage serait surdimensionné concernant la France. Je rappellerai, à cet égard, les étapes du dispositif que nous avons piloté : vaccination dans les hôpitaux, puis dans les centres de vaccination ; appel aux généralistes à partir de début décembre pour vacciner les populations isolées ; mise en place de l'actuel système mixte, les médecins étant ensuite seuls aux commandes. Il n'y a jamais eu de volte-face de ma part. J'ai toujours annoncé les phases qui allaient se succéder.

Il n'y a jamais eu de vexation des médecins généralistes. La circulaire dont a parlé Mme Colette Langlade a été envoyée le 3 décembre – et non le 7 janvier pour le 10. Pour préparer la campagne de vaccination, nous avons beaucoup discuté avec les représentants des médecins généralistes et des pédiatres – mais si des cardiologues, des pneumologues, voire des cancérologues comme Mme Delaunay, veulent procéder à des vaccinations, ils le peuvent bien entendu. Les échanges ont été intéressants, encore qu'il n'était pas possible de répondre à la demande des professionnels d'une livraison des vaccins à leur cabinet : la logistique de l'EPRUS n'est pas telle qu'elle permette de livrer 57 000 médecins généralistes, 6 000 pédiatres et plusieurs milliers de spécialistes ! Ce que nous leur demandons, dans un premier temps, c'est de se rapprocher d'un centre de vaccination qui pourra assurer, dans des conditions sécurisées, la livraison des vaccins. Nous ferons en sorte par la suite que des pharmacies référentes leur offrent un circuit pharmaceutique opérationnel après la fermeture des centres de vaccination. Je comprends qu'ils ne veuillent pas de « paperasse », mais un minimum de pharmacovigilance et de traçabilité est nécessaire. Les médecins se sont d'ailleurs eux-mêmes rendu compte des difficultés et des exigences d'une vaccination de masse.

S'agissant des conditions de rémunération des médecins, je rappelle qu'une vaccination dans un centre coûte 5,80 euros, hors le prix du vaccin lui-même. Dans le cas d'un accueil spécifique – c'est-à-dire non pas au détour d'une consultation normale pour laquelle le médecin ne percevra pas de rémunération particulière puisque l'acte de vaccination est très court –, le médecin sera rémunéré à hauteur de 6,60 euros la vaccination. Il me semble me rappeler d'ailleurs que les médecins, lorsqu'ils ont demandé à être associés aux vaccinations, ont souligné qu'il ne s'agissait pas pour eux d'une question d'argent et que leurs conditions de vaccination seraient même moins coûteuses que dans les centres de vaccination...

Quant au prix des vaccins, l'équipe – bien connue des industriels pharmaceutiques pour sa rudesse et son intégrité – composée notamment de Noël Renaudin, président du Comité économique des produits de santé, et du directeur de l'EPRUS, les a négociés au plus juste. Cette équipe connaît parfaitement l'industrie pharmaceutique, ses techniques, ses coûts de fabrication…

Enfin, Mme Catherine Lemorton s'est fort justement demandée si la protection devait être populationnelle ou individuelle. J'ai, pour ma part, voulu que ce choix cornélien ne se pose pas en la matière et donc que la protection soit à la fois individuelle et populationnelle. La semaine dernière, M. Benoît Hamon, porte-parole du parti socialiste, a prétendu que pour être efficace face à la pandémie il suffisait de vacciner 30 % de la population. Outre que, s'agissant du parti socialiste, on eût aimé entendre d'autres personnes s'exprimer sur le sujet, je ne sais d'où il sort ce chiffre pour le moins hasardeux. Sur quels critères d'ailleurs choisir ces 30 % ? C'est pour ma part un choix auquel je me suis refusé sur un plan éthique, conformément à l'avis du Comité consultatif national d'éthique. Nous n'avons pas le droit de choisir, nous devons pouvoir assurer la vaccination à chacun de nos compatriotes qui le souhaite. Oui, c'est le principe d'égalité qui a guidé mon action dans la stratégie de prise en charge de cette pandémie grippale.

Monsieur le président, mesdames, messieurs, j'ai pris un grand plaisir à cet échange, et je reviendrai devant vous chaque fois que vous le souhaiterez.

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

Le plaisir était partagé, madame la ministre.

La séance est levéele mercredi 13 janvier à zéro heure dix.