Hôtel de Lassay
La séance est ouverte à onze heures cinq.
Évaluation de la politique d'aménagement du territoire en milieu rural : examen du rapport (MM. Jérôme Bignon et Germinal Peiro, rapporteurs).
Nous examinons, ce matin, le rapport de MM. Jérôme Bignon et Germinal Peiro sur l'évaluation des politiques d'aménagement du territoire en milieu rural.
Nous avons travaillé tout au long de l'année sur ce rapport qui nous fut confié au début de 2011, un point d'étape ayant été présenté le 5 mai dernier.
Animés par la passion du monde rural où nous sommes élus depuis longtemps, M. Bignon et moi avons travaillé ensemble et sans esprit partisan. Le monde rural est en pleine mutation, mais pas en déclin : au plan national, sa démographie est même en progression, de nouvelles populations, issues des villes et de l'Europe du Nord, étant venues s'y installer. Les besoins en services s'en sont bien entendu trouvés accrus. À cet égard, nous sommes tous deux attachés au fait que l'État reste le garant de l'égalité républicaine sur l'ensemble du territoire.
S'agissant de la méthode, nous nous sommes efforcés de dresser le bilan des évaluations antérieures et de recenser les objectifs des politiques publiques à partir des travaux législatifs de ces dernières années. Nous avons aussi envoyé un questionnaire aux dix ministères concernés, procédé à treize auditions et tables rondes, visité quatre territoires ruraux – en Dordogne, dans la Somme, l'Allié et le Jura – et confié deux études à des consultants extérieurs.
Nous tenons à remercier le secrétariat du Comité, qui nous a apporté un concours précieux dans ce travail.
Nous avons travaillé dans une entente que j'oserais presque dire exemplaire, et ce dans un environnement administratif particulièrement agréable.
Dans la première partie de notre rapport, nous avons analysé la coordination des politiques d'aménagement du territoire en milieu rural, puisque celui-ci concerne dix ministères, seize missions et trente-cinq programmes budgétaires. Le champ était si vaste que vous aviez exprimé quelques doutes, monsieur le Président, sur sa pertinence lors de la présentation du rapport d'étape. Cependant, toute vision partielle échoue à rendre compte de la politique d'aménagement du territoire, dont la particularité est d'associer la transversalité interministérielle et la verticalité, puisque c'est l'État qui donne l'impulsion. La Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (Datar) assure la coordination de ces politiques sous l'autorité du Premier ministre, laquelle est en réalité transférée à un ministre. Or, au cours de la présente législature, trois ministres ont été successivement chargés de l'aménagement du territoire : M. Borloo, qui fut assisté d'un secrétaire d'État ; M. Mercier, qui reçut un portefeuille dédié ; enfin, M. Le Maire, qui est chargé à titre principal de l'agriculture. L'une de nos recommandations est, d'une part, que la Datar reste directement placée sous l'autorité du Premier ministre, et, de l'autre, qu'un ministère soit réservé à l'aménagement du territoire, compte tenu de sa complexité et de la dynamique interministérielle qu'il requiert. Sur ce dernier point, la loi de développement des territoires ruraux de 2005 prévoyait une conférence annuelle de la ruralité ; or cette conférence ne s'est tenue que deux fois, en 2006 et en 2007.
Nos analyses et nos critiques sont assorties de recommandations, parmi lesquelles le renforcement du rôle de la Datar, qui a été dirigée, depuis sa création, par des personnes de grande qualité. L'immense majorité des habitants des territoires ruraux, élus compris, ne connaissent ni la Datar, ni le secrétaire général pour les affaires régionales (Sgar), qui est chargé de la coordination au niveau régional ; ils souffrent donc du manque d'interlocuteurs.
Il nous apparaît également essentiel de mieux articuler nos politiques avec celles qui sont menées au niveau européen. Ainsi, l'essentiel des crédits du Fonds européen agricole de développement rural (Feader), qui atteignent au total quelque 7 milliards d'euros, vont aux agriculteurs : il conviendrait de les redéployer davantage vers l'aménagement du territoire, celui-ci étant au demeurant indispensable aux agriculteurs eux-mêmes, et de décloisonner les différents fonds européens par une intégration de leur programmation en France.
Le deuxième volet concerne la gouvernance locale. Sur ce point, nous avons interrogé les consultants extérieurs sur ce qui leur semblait être la taille de territoire idéale, tant il est de tradition, en France, de calibrer les mêmes modèles pour tous. Mais il est apparu, précisément, que cet idéal n'existait pas : chaque territoire est construit par les hommes, selon une ingénierie particulière et par la mobilisation de ses forces vives, sous l'impulsion des acteurs locaux. En un mot, la bonne gouvernance des territoires ne dépend pas de leur taille.
Les consultants ont insisté sur l'importance de la matière grise. Or la plupart des intercommunalités sont de gestion, et non de projets. Des intercommunalités de projets seraient plus efficaces, par exemple, dans le cadre de la sollicitation des fonds, européens ou nationaux, ou du dialogue avec la Datar : en l'absence d'ingénieurs formés à la conception technique et financière des projets, ces territoires risquent de végéter. Nous préconisons donc que l'État prenne en charge cette ingénierie publique, autrefois assurée par les directions départementales de l'aménagement (DDA) et de l'équipement (DDE).
Par ailleurs, la dernière réforme territoriale a un peu abruptement supprimé, sinon les pays, du moins leur statut législatif. Selon les acteurs de terrain, cette décision fut une erreur, car les pays permettent la déclinaison locale des politiques d'aménagement du territoire.
Enfin, il existe deux modalités de mise en oeuvre des politiques publiques : la première réside dans les appels à projets et la seconde dans le zonage prioritaire. Celle-ci incite moins à la dynamique que celle-là, puisqu'elle repose sur l'attente passive des deniers publics. Il convient donc, selon nous, de combiner ces deux modalités.
Sans énumérer toutes nos recommandations, je veux insister sur la treizième, qui concerne les services publics et les services au public.
Qu'il s'agisse des services, de l'offre de soins, de l'enclavement, de l'accès aux nouvelles technologies ou de sujets plus larges, tels que l'avenir de la PAC, l'agriculture et la désindustrialisation, le monde rural a souvent un sentiment d'abandon. Il faut donc maintenir un socle de services publics sur l'ensemble du territoire, en faisant précéder toute action en ce domaine d'une consultation des élus, comme le prévoit la charte des services publics en milieu rural, signée en 2006.
Par ailleurs, le rôle de la Datar dans l'évaluation des conséquences de la réforme de l'administration territoriale de l'État (RéATE) doit être réaffirmé.
Nous demandons aussi que soit respectée la directive nationale d'orientation (DNO), aux termes de laquelle, compte tenu de l'abandon de l'ingénierie publique, les sous-préfectures sont au service des collectivités. C'est souvent faute de matière grise, comme l'a souligné Jérôme Bignon, que le monde rural ne parvient pas à tirer profit de toutes ses potentialités. Si l'argent public va souvent aux grandes agglomérations, c'est qu'elles disposent de l'ingénierie nécessaire à l'élaboration des projets. Dans le même esprit, l'assistance technique de l'État pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire (Atesat) doit être maintenue pour les petites intercommunalités.
Un effort de lisibilité et de visibilité des nouvelles directions départementales et régionales interministérielles est nécessaire : les élus eux-mêmes ne s'y retrouvent pas toujours.
J'ajouterai, sans esprit partisan, un mot sur la RGPP. Personne ne nie la nécessité des économies budgétaires, mais on observe sur le terrain qu'il existe un niveau en dessous duquel les services ne peuvent plus être assurés. Les communautés de brigades de la gendarmerie réunissent jusqu'à trois ou quatre cantons ; or, en dessous d'un certain seuil, il n'est plus possible d'assurer la permanence tous les jours et vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Je partage les analyses de M. Peiro. Si l'on considère qu'une politique d'aménagement du territoire ambitieuse fait partie du pacte républicain, il faut maintenir un socle, en termes de services publics comme en d'autres domaines. Nous nous sommes longuement penchés sur celui de la santé. Comment imaginer, par exemple, que les gens viendront s'installer sur un territoire qui ne compte qu'un médecin pour 25 000 habitants ? S'agissant des différents moyens mis en oeuvre pour enrayer la désertification médicale – maisons de santé pluriprofessionnelles, dispositions de la loi « HPST » ou contrats locaux de santé –, il faut veiller, compte tenu notamment du vieillissement de la population, à la bonne coordination des services sanitaires avec les services sociaux. Dans chacun de ces deux domaines, d'ailleurs, des initiatives innovantes ont vu le jour. Quoi qu'il en soit, élus, médecins et services médico-sociaux doivent travailler ensemble.
Le maintien d'un socle de services passe également par l'attractivité économique. À cet égard les agriculteurs, qui pour beaucoup sont devenus des chefs d'entreprise, s'impliquent moins qu'avant dans le monde rural et, de ce fait, contribuent à lui faire perdre un peu de son identité : ils doivent comprendre qu'ils en sont les premiers gestionnaires et promoteurs.
Le potentiel du tourisme rural, dont le canton de M. Peiro offre une très belle illustration, est sans doute sous-exploité au regard de celui des zones littorales, urbaines ou montagneuses. Il convient, en particulier, d'assurer une meilleure capillarité entre les zones littorales et les arrière-pays.
L'une des principales revendications des habitants des territoires ruraux est l'accès aux nouvelles technologies de communication, essentielles à l'éducation, à la médecine – puisqu'elles permettent aux praticiens de rester en lien avec les différentes institutions sanitaires – et à l'attractivité : les territoires ruraux doivent apparaître comme des territoires dynamiques, où l'on vit avec son temps.
Nous avons entendu dire, par exemple, que la construction de logements HLM devait être réservée aux zones urbaines, compte tenu de la pression démographique qu'elles subissent. Les efforts financiers de l'État leur étant réservés, beaucoup de programmes en zone rurale ne peuvent voir le jour. Or, compte tenu de la pénurie de terrains en zone urbaine, les crédits ne sont pas consommés – c'est le cas dans ma région. Vivre en milieu rural n'est plus une punition : la construction de logements sociaux, notamment dans le rural périurbain, permettrait d'atténuer la pression qui pèse sur les villes.
J'aurais pu évoquer aussi les transports, en particulier les lignes aériennes ; quoi qu'il en soit, nous avons beaucoup appris de cette mission. Nos vingt recommandations ne constituent évidemment pas la panacée, d'autant que certains aspects mériteraient certainement d'être approfondis ; mais en réfléchissant à la transversalité, à l'organisation ou à la nécessité de préserver un socle de services, nous avons voulu affirmer la conviction que nos territoires ruraux sont des territoires d'avenir ; tel est d'ailleurs le titre que nous proposons de donner à ce rapport.
Je remercie et félicite nos deux rapporteurs, qui démontrent une nouvelle fois que le CEC peut produire des travaux exemplaires, et aider ainsi à définir des politiques positives pour notre pays. Je remercie également les services du secrétariat du Comité, ainsi que Bernard Lesterlin et Arlette Grosskost, qui ont apporté leur contribution à ce travail.
Ce travail, aussi volumineux qu'utile, est un peu le pendant de celui qui fut réalisé sur la politique de la ville : il servira de référence, non seulement à la représentation nationale, mais aussi à toutes les institutions concernées.
Si les collectivités et les différents acteurs privés, sociaux et culturels doivent se mobiliser, le rôle de l'État, garant de l'intérêt général et acteur d'une politique volontariste d'aménagement du territoire, reste primordial. Or, sans évoquer la volonté politique, qui à mes yeux s'érode, la lisibilité des services de l'État en milieu rural est loin d'être évidente, y compris pour les agents eux-mêmes. Cela gêne évidemment le déploiement des politiques publiques.
Le rapport contient vingt recommandations qui concernent, en bonne logique, tous les domaines de l'aménagement du territoire. Cependant, il faut bien commencer quelque part. Quelles seraient donc à vos yeux, messieurs les rapporteurs, les trois priorités ?
Je tiens à dire que j'ai eu beaucoup de plaisir à m'impliquer dans ce travail fort intéressant. Pour les personnes qui habitent en milieu rural, il y a deux enjeux majeurs : le désenclavement et le maintien des services publics dans les territoires – je partage l'analyse de Jean Mallot sur ce point. À certains endroits, élus et population sont particulièrement inquiets d'observer la disparition progressive de la santé publique.
Dans vos recommandations, il n'est fait aucune mention de l'emploi, alors qu'il s'agit d'un aspect essentiel du sujet. Je suggère aux co-rapporteurs d'ajouter le terme dans l'intitulé de la recommandation n° 15 relative à l'attractivité économique des territoires.
Par ailleurs, il serait bon de faire taire les personnes mal intentionnées qui rabâchent que les députés ne travaillent pas. Notre travail d'évaluation est fondamental ; il enrichit la démocratie en renforçant le rôle du Parlement. Ce rapport, qui bénéficiera d'une large diffusion, sera lu par de nombreux acteurs économiques locaux et élus. En conséquence, je propose que soit mentionné, sur la deuxième de couverture, le nom des membres du groupe de travail qui a procédé à cette évaluation, ainsi que la liste des missions conduites sur le terrain. On prouvera ainsi qu'il ne s'agit pas d'un travail uniquement « parisien ».
Cher collègue, permettez-moi de vous signaler que le deuxième paragraphe de l'introduction, à la page 9 du projet de rapport, donne la liste des parlementaires qui ont participé à l'évaluation.
Monsieur Mallot, Jérôme Bignon va répondre en détail à votre question, mais je souhaiterais au préalable formuler une recommandation générale : que l'État garde la main sur la politique d'aménagement du territoire. Aujourd'hui, certaines collectivités territoriales, comme les régions, aspirent à gagner de nouvelles compétences, tandis que les départements souhaitent conserver les leurs ; il reste que c'est à l'État qu'il revient de définir l'aménagement global du territoire, car il est le gardien de l'égalité entre les citoyens. Dans le cas contraire, le risque serait grand de voir, comme chez certains de nos voisins, la gamme de services offerts varier en fonction de la richesse de la région.
Il est difficile de choisir entre les recommandations ! Après concertation, les trois principales nous semblent être le maintien d'un socle de services publics, le rééquilibrage de l'offre de soins et le développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Si l'on devait n'en retenir qu'une, ce serait cette dernière, dans la mesure où elle conditionne tout le reste : la santé, l'éducation, l'économie. Jamais un industriel ne s'installera en milieu rural s'il n'a pas accès au numérique. Si l'on prive les espaces ruraux du haut et très haut débit, la fracture territoriale s'accentuera très rapidement et, dans vingt ans, on aura des territoires exsangues.
Je me réjouis de ce rapport qui balaie un très grand nombre de sujets, mais dans des termes toujours mesurés. De fait, les territoires ruraux sont très différents les uns des autres !
Je partage votre opinion : l'État doit conserver son rôle régalien en matière d'aménagement du territoire. En revanche, s'il apparaît nécessaire de développer le numérique dans les zones rurales, comment le faire, et avec quels financements ? Il faut aussi veiller à l'attractivité économique, au logement, à l'agriculture – qui est la base du développement rural. Bref, il semble bien délicat de dégager des priorités ; ce qui ressort du rapport, c'est précisément que l'ensemble doit être pris en considération.
Vous préconisez de « clarifier l'avenir des pays » – que j'avais défendus lors de l'examen du projet de loi de réforme des collectivités territoriales. C'est en effet en leur sein que se trouvent potentiellement les ressources en ingénierie. Les effectifs n'ont pas besoin d'être importants : quatre ou cinq chargés de mission de haut niveau suffisent amplement pour amener des collectivités à travailler ensemble, pour inciter les entreprises et les professions libérales à agir de concert, et pour faire émerger des identités nouvelles. Certes, il convient de se montrer responsable en matière de coûts, notamment dans le cadre de la RGPP, mais des collectivités de projet de ce type permettent justement d'obtenir de bons résultats sans avoir besoin de multiplier les emplois et les services.
Ayant l'honneur de représenter Pierre Méhaignerie, président de la commission des Affaires sociales, je tiens à féliciter les rapporteurs pour ce riche rapport.
L'offre de soins se trouve bien évidemment au coeur des préoccupations de la commission des Affaires sociales. Un constat a été dressé, des propositions ont été faites, mais il faudra un certain temps pour résoudre les problèmes. Cela passe par le regroupement des professionnels de santé, notamment au sein des maisons de santé, voire par le développement des consultations avancées et des cabinets secondaires.
Le haut débit est indispensable à un bon maillage du territoire. Les employeurs me l'ont dit : sans haut débit, les entreprises partiront. Dans mon département, on essaie de le déployer, mais il existe encore des zones muettes.
Il faut également un bon réseau de transports. Aujourd'hui, on observe un recul des lignes secondaires et des trains Intercités au profit des grandes lignes. Les déplacements quotidiens s'en trouvent affectés, puisqu'on est contraint de prendre la voiture. Ce matin, il m'a fallu deux heures et quart pour venir jusqu'ici par l'autoroute, alors que cela m'aurait pris une heure par le train. J'ai saisi la SNCF du problème.
Il existe une certaine superposition des structures, entre les intercommunalités, les pays et les schémas de cohérence territoriale (Scot). De nouveau, on multiplie les entités, sans forcément leur tenir le même langage. À un moment ou à un autre, il faudra réfléchir à ce qui est bon pour le maillage du territoire.
Enfin, vous n'avez pas évoqué le financement des intercommunalités. La loi Chevènement n'a pas été modifiée depuis 1999. À l'époque, il avait été décidé que l'attribution de compensation serait reversée par l'intercommunalité aux communes en fonction du produit de la taxe professionnelle. Aujourd'hui, rien n'a changé : nous continuons à reverser le même montant, alors que la taxe professionnelle a disparu et que rien ne garantit que les entreprises existent toujours. Peut-être faudrait-il mutualiser à nouveau les moyens et donner des réserves financières aux intercommunalités. On ne peut continuer à les dépouiller ainsi !
J'ai le sentiment inverse : si une commune est en plein développement économique, le montant de la redistribution étant calculé sur la base de données antérieures, cela lui pose un problème. Résultat : la taxe d'habitation et la taxe foncière sur les propriétés bâties doivent venir compenser la différence.
Dans ce cas, autant réduire les compétences des communes : il n'y aurait plus besoin de compensation !
Le rapport souligne qu'après avoir changé à de nombreuses reprises de tutelle, l'aménagement du territoire est désormais sous la responsabilité du ministre de l'Agriculture. Ayant analysé attentivement la composition des cabinets ministériels, j'ai observé que leurs effectifs avaient récemment diminué. Notamment, les effectifs du cabinet de Michel Mercier, lorsqu'il était chargé de l'aménagement du territoire, n'ont pas été reversés dans le cabinet du ministre de l'agriculture. Autrement dit, on ne sait pas qui, au cabinet du ministre, s'occupe de l'aménagement du territoire : voilà qui ne peut que renforcer votre point de vue !
Force est de constater que le budget alloué à l'aménagement du territoire se réduit. Pour autant, la priorité pour notre pays est non seulement la sauvegarde, mais aussi la création d'emplois, si possible sur l'ensemble du territoire. Certes, les régions sont compétentes en matière de développement économique ; toutefois, au regard de la décision de favoriser les grappes d'entreprises et les investissements étrangers à travers le pays, on peut se demander si la prime d'aménagement du territoire est bien utilisée. Ne devrait-on pas mieux la cibler, voire l'augmenter ?
Sous la précédente législature, j'étais rapporteur spécial pour l'aménagement du territoire : en cinq ans, trois ministères différents en ont été successivement chargés ! En 2002, l'aménagement du territoire dépendait de Jean-Paul Delevoye, ministre de la Fonction publique, de la réforme de l'État et de l'aménagement du territoire ; en 2004, de Gilles de Robien, ministre de l'Équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer – Frédéric de Saint-Sernin étant secrétaire d'État à l'aménagement du territoire ; en 2005, de Nicolas Sarkozy, ministre d'État, ministre de l'Intérieur et de l'aménagement du territoire – Christian Estrosi étant ministre délégué à l'aménagement du territoire ; aujourd'hui, il est confié au ministre de l'Agriculture : cela démontre le besoin d'une compétence transversale rattachée directement au Premier ministre. Votre préconisation me paraît aller dans le bon sens.
S'agissant de l'attribution de compensation, j'avais proposé, lorsque le CEC a été installé, de procéder à l'évaluation, dix ans après, des mécanismes mis en place par la loi Chevènement. De fait, les deux situations évoquées peuvent se produire. Personnellement, je me trouve dans celle décrite par Serge Poignant : sur la base du produit de la taxe professionnelle, ma commune reçoit la même compensation qu'il y a dix ans, alors qu'entre-temps, les taux et l'activité ont augmenté. Il conviendrait d'examiner cela de près.
En effet, Mme Grosskost, on ne peut pas dire que la prime d'aménagement du territoire et les aides de l'Agence française pour les investissements internationaux (AFII) bénéficient en priorité aux territoires ruraux… Il faudrait, pour y remédier, qu'il existe un pilotage national de la politique d'aménagement du territoire en milieu rural. Or, malgré tous ses efforts, la Datar ne donne pas l'impression d'être ce pilote ; les réalités de terrain diffèrent souvent de la façon dont les choses sont vues de Paris. Plus on s'éloigne de la capitale, moins la Datar est connue : on la considère comme une institution technocratique, qui produit des études, mais dont l'action a peu d'effets concrets sur la vie quotidienne. Peut-être un travail d'animation et de communication serait-il nécessaire.
Je partage vos analyses sur les technologies de l'information et de la communication : cela conditionne tout le reste, y compris l'emploi – un peu comme l'accès au téléphone dans les années 1970 ! Aujourd'hui, pour développer les services, le télétravail, les industries et pour ne pas prendre de retard, il faut avoir accès au haut et très haut débit.
Je remercie à nouveau nos deux rapporteurs, ainsi que les membres du groupe de travail et les fonctionnaires de l'Assemblée. Je suis d'accord avec Bernard Lesterlin : il faut souligner la mobilisation de nos collègues sur ce dossier, et nous veillerons à ce que leurs noms figurent en bonne place dans le rapport.
J'admets que l'ampleur du sujet m'avait inquiété. Le défi était difficile à relever, mais vous l'avez fait avec succès. La situation actuelle découle d'une des plus importantes mutations qu'ait connue la société française : en un demi-siècle, le nombre des exploitations agricoles est passé de 2,3 millions à 490 000, soit une diminution de 80 %. Il n'est donc guère étonnant que nous soyons aujourd'hui confrontés à un certain nombre de problèmes, qu'il s'agisse de la désertification de certaines zones ou des déséquilibres entre collectivités territoriales, beaucoup plus puissantes en milieu urbain. Cela soulève des questions extrêmement intéressantes sur la représentativité des territoires, notamment par rapport au nombre de leurs habitants ; il est heureux de pouvoir en débattre sans pressions politiques, conformément à la règle du CEC. De fait, on évoque souvent une surreprésentation des territoires ruraux au sein des collectivités – que je ne juge pas si grave que cela. Les tenants de la décentralisation se trouvent confrontés à la nécessité d'une régulation et d'un contrôle par la puissance d'État de l'indispensable solidarité entre les territoires.
Dans le même temps, la désertification des zones rurales et le manque de services publics – et de services en tous genres – en milieu rural sont réels. Pourtant, en une trentaine d'années, le nombre des fonctionnaires d'État a augmenté de 400 000 et celui des fonctionnaires territoriaux de 500 000 : cela semble signifier que si l'on avait voulu maintenir les services publics en milieu rural inchangés, on aurait eu les moyens humains de le faire. Ce rapport d'évaluation constitue une base de données extrêmement importante pour essayer d'infléchir ce qui doit l'être.
Je pense que vous avez raison en ce qui concerne le danger d'une fracture numérique. Toutefois, n'ignorons pas non plus les progrès fantastiques qui permettent d'accéder plus facilement à ces puissants moyens de se connecter au reste du monde.
Je finirai par deux réflexions personnelles. La première est d'ordre sémantique : vous recommandez une « mutualisation » des moyens, alors qu'il s'agit plutôt d'une « mise en commun », la mutualisation signifiant la mise en commun d'une charge ou d'un risque. Si l'on mutualise des moyens, il n'y a plus de gestion possible. Si, comme le suggère Louis Giscard d'Estaing, on procédait à l'évaluation de la loi Chevènement, on s'apercevrait que l'utilisation du terme « mutualiser » a conduit les collectivités, quand elles en avaient les moyens, à introduire un niveau administratif supplémentaire et à augmenter leurs dépenses de fonctionnement, sans pour autant apporter une amélioration de service significative. Il faut donc mettre en commun les moyens humains, financiers et immobiliers, notamment au sein de l'intercommunalité, et mutualiser les risques, les charges et le handicap territorial.
Deuxièmement, les élus ont besoin d'ingénieurs à leurs côtés. Alors que d'aucuns nous expliquent qu'il faut organiser la concentration des habitants au détriment des petites communes, ou développer certaines initiatives au détriment de notre avance technique, technologique et industrielle, il est vital d'assurer la présence, au niveau local et national, de fonctionnaires d'État qui soient des ingénieurs de haut niveau. La France moderne, celle des grands succès techniques et technologiques, résulte du travail des ingénieurs. L'aménagement du territoire doit découler d'une réflexion scientifique, et non seulement philosophique ou sociologique. Pour faire marcher la société, il faut que soient répartis de manière scientifique les moyens, l'énergie, les liaisons haut débit, les investissements.
Conformément aux dispositions de l'article 146-3 du Règlement, le Comité autorise la publication du rapport d'information sur l'évaluation de la politique d'aménagement du territoire en milieu rural, auquel seront annexées les études des prestataires extérieurs.
Le rapport sera distribué et mis en ligne sur le site Internet de l'Assemblée nationale. Il sera transmis au Gouvernement.
Notre ordre du jour appelait également l'examen des suites données au rapport sur l'évaluation de l'aide médicale de l'État, mais Claude Goasguen ayant eu un empêchement, ce rapport de suivi sera présenté lors de la prochaine réunion – que je ne pourrai malheureusement pas présider.
En conclusion de nos travaux, je voudrais dire qu'avec le CEC, l'Assemblée nationale a mis en place une nouvelle structure, qui donne corps à la compétence d'évaluation et de contrôle que la réforme constitutionnelle de 2008 a confiée au Parlement. J'ai la conviction que, dans un pays démocratique, si la majorité vote les lois, le contrôle relève avant tout de l'opposition. La mise en oeuvre réussie du CEC illustre ainsi le rôle que doit jouer l'opposition dans une activité indispensable pour l'intérêt national, dans le cadre d'un travail transpartisan, un rapporteur de la majorité et un rapporteur de l'opposition dressant un constat partagé et élaborant des recommandations objectives si possible communes, qui ne sont pas dictées par les seules considérations politiques. Par ailleurs, nous interpellons régulièrement le Gouvernement de manière à contrôler le suivi de nos recommandations, par nos rapports de suivi systématiques ou dans le cadre des débats en séance publique organisés en semaine de contrôle.
Je vous propose de laisser à nos successeurs un double message : je souhaite présenter un rapport sur l'ensemble de l'activité du CEC durant cette législature, et recommander à cette occasion que le suivi des rapports que nous avons réalisés se prolonge durant la prochaine législature. Il paraît en effet indispensable que le pouvoir législatif fasse preuve de continuité sur ces questions, sinon l'exécutif oubliera les recommandations qui ont été faites et s'exonérera de tout contrôle ; à la fin, c'est le pays qui en supporte les conséquences. Nous devons être les plus efficaces possible.
Dans cette perspective, je tenais à souligner qu'hier a été adoptée, de manière transpartisane puisque sans aucune opposition, la proposition de résolution relative à la mise en oeuvre du principe de précaution élaborée et déposée en commun par nos deux rapporteurs sur l'évaluation de la mise en oeuvre du principe de précaution. À cette occasion, nous avons consulté l'Académie des sciences et l'Académie de médecine – dont les avis nous sont parvenus trop tard pour que nous puissions inscrire leurs recommandations retenues dans le texte, mais qui ont pu faire néanmoins l'objet de précisions orales en séance par les auteurs de la proposition. Cela montre que nous sommes en train d'élaborer une méthode de travail, et que l'Assemblée nationale a pris sérieusement en main l'évaluation et le contrôle, avec l'aide de la Cour des comptes, mais également des Académies, et avec la possibilité de faire réaliser des études sur des points spécifiques par des prestataires spécialisés. Si nous avions la possibilité de poursuivre notre effort au-delà des changements de législature, le Parlement en serait considérablement renforcé.
L'activité du CEC suscite d'ailleurs l'intérêt de plusieurs parlements étrangers, qui souhaitent avoir connaissance de nos travaux. Je me suis récemment livré à cet exercice en Italie au nom du Comité, des demandes analogues semblent se faire jour également dans d'autres pays.
Je crois en effet que nous avons franchi une étape importante dans l'évaluation et le contrôle, qui complète le travail réalisé par les commissions ; il convient juste d'être attentifs au risque d'inflation. Merci à tous.
Conformément aux dispositions de l'article 146-3 du Règlement, le Comité autorise la publication d'un rapport d'information dressant le bilan de l'activité du Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques depuis sa mise en place. Ce rapport sera déposé par le Président du Comité.
Le rapport sera distribué et mis en ligne sur le site Internet de l'Assemblée nationale.
–Prochaine séance
La prochaine séance aura lieu le jeudi 16 février 2012 à 11 heures avec l'ordre du jour suivant :
– rapport sur l'évaluation des incidences sur l'économie française de la stratégie de Lisbonne (rapporteurs : MM. Philippe Cochet et Marc Dolez) ;
– rapport de suivi des recommandations du rapport sur l'aide médicale d'État (rapporteurs : MM. Claude Goasguen et Christophe Sirugue).