Commission d'enquête relative aux modalités, au financement et à l'impact sur l'environnement du projet de rénovation du réseau express régional d'Île-de-France
L'audition débute à dix heures dix.
Mesdames, messieurs, monsieur le président, chers collègues, nous poursuivons nos travaux en recevant à présent M. Pierre Cardo, que nous accueillions avec un grand plaisir.
Il n'est point besoin de présenter Pierre Cardo à des élus, notamment à des députés d'Île-de-France. En effet, Pierre Cardo a longtemps appartenu à notre Assemblée. Il nous a quittés pour prendre la présidence de la nouvelle Autorité de régulation des activités ferroviaires, l'ARAF.
À cet égard, je tiens à vous préciser, monsieur le Président, que notre commission comprend qu'il vous sera peut-être parfois difficile de ne pas invoquer une obligation de réserve sur certains sujets. En effet, votre position pourrait se trouver délicate face à des questions qui porteraient sur les relations entre la SNCF et RFF, voire concernant la RATP. Nous chercherons bien entendu à respecter votre mission d'arbitrage. Une mission dont nous avons conscience de la difficulté, car ces entités vous ont déjà saisi de certains de leurs conflits – elles sont peut-être même venues soumettre quelques unes de « querelles » devant vous !
En tout état de cause, notre commission travaille dans le souci de formuler des propositions concrètes, en dehors de toute polémique, donc de toute mise en cause institutionnelle ou personnelle qui ne serait pas étayée sur des faits précis.
Si nous avons tenu à vous entendre, c'est bien plus en qualité de « grand témoin ». Votre expérience de maire de Chanteloup-les-Vignes, puis, aujourd'hui, de président de la communauté d'agglomération des Deux Rives de la Seine (CA2RS), peut nous éclairer sur de nombreux points. Chacun se souvient de vos interventions et de vos propositions sur les conséquences d'une urbanisation plus ou moins bien maîtrisée, et sur de nombreux autres aspects de ce qu'on a appelé la politique de la ville. Vous êtes d'ailleurs actuellement pilote d'une opération d'intérêt national (OIN), l'opération « Seine Aval ».
Dans ces conditions, la question des transports en Ile-de-France et, en premier lieu, les problématiques du RER, du Transilien, sans oublier les attentes comme les interrogations liées au Grand Paris, ne vous sont pas étrangères. Nous avons notamment déjà entendu les associations d'usagers, les organisations syndicales de salariés des deux opérateurs RATP et SNCF, et, hier soir, leurs présidents, M. Mongin puis M. Pepy. Nous progressons ainsi méthodiquement dans une démarche empreinte de pragmatisme. Nous n'allons pas vous demander de valider telle ou telle affirmation de nos interlocuteurs, même si certaines de leurs réflexions peuvent, consciemment ou non, inspirer nos questions.
Nous allons donc vous écouter pour un court exposé liminaire. Puis notre rapporteur, Pierre Morange, engagera le dialogue, et il sera suivi par nos autres collègues.
Conformément à l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, M. Pierre Cardo prête serment.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, messieurs les parlementaires, en tant que président de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF), votre convocation m'a quelque peu surpris dans la mesure où nos compétences et nos responsabilités ne nous amènent pas à intervenir pour la RATP, qui n'est pas considérée comme relevant du réseau ferroviaire au même titre que la SNCF. Cependant, comme élu de banlieue, je me suis senti interpellé car la problématique en région parisienne recouvre un grand nombre de thèmes. La politique de la ville, c'est en effet l'aménagement du territoire, les zones d'emploi, ou encore la fiscalité locale sur la réforme de laquelle je reviendrai.
D'abord, je ne vous apprendrai rien en vous disant qu'une grande partie du réseau parisien est saturée depuis des années. Le problème est qu'on nous demande, à nous acteurs de la périphérie, notamment de la grande banlieue, de continuer à construire des logements pour remédier à la pénurie criante qui sévit dans Paris intra muros et la petite couronne, alors que le système de transport n'est pas du tout adapté en grande couronne. Les cartes font apparaître de vastes déserts. Et le Grand Paris n'apportera parfois aucune amélioration. Ainsi, nous relevons du seul contrat de territoire de l'ouest parisien à ne pas être concerné par Arc Express. C'est tout à fait regrettable ! Dans la mesure où les zones d'emplois ne se situent pas forcément chez nous, comment les habitants, actuels et futurs, de nos quartiers pourront-ils rejoindre leur lieu de travail ? Le réseau est vieillissant et saturé, le matériel est inadapté, les rames à deux niveaux se font toujours attendre, et les dysfonctionnements sont quasi quotidiens. Il est indispensable de développer un réseau de transport adapté.
La zone de la confluence est concernée par l'opération d'intérêt national « Seine Aval », l'Axe Seine, le Grand Paris, et notamment le contrat de territoire qui réunit les villes de Cergy-Pontoise, Poissy, Achères, Conflans, Maurecourt et les territoires de notre communauté d'agglomération. Cet ensemble représente 400 000 habitants et plus de 150 000 emplois. Nous assurons à nous seuls la construction de plus de 400 logements par an, et l'agglomération dans sa totalité, avec les villes que je viens de citer, plusieurs milliers, alors que toutes les lignes du RER A sont saturées. La ligne Paris Saint Lazare–Mantes-la-Jolie par Conflans-Sainte-Honorine, un véritable « tortillard », est elle-même saturée aux heures de pointe.
Chercher à remédier à la pénurie de logements en région parisienne est une excellente chose. Mais la réforme des finances locales pose le principe selon lequel nos ressources seront basées essentiellement sur les recettes de la taxe d'habitation et beaucoup moins sur celles provenant du développement économique. Si ce principe me paraît adapté à Paris intra muros et à la petite couronne, où le nombre de logements doit être augmenté et le développement économique freiné, il ne l'est pas pour la grande couronne où la construction de logements va inciter les gens à continuer à habiter dans notre secteur, alors que les zones d'emploi ne vont pas se déplacer. Ainsi, la réforme des finances des collectivités locales ne va pas dans le sens d'un règlement de la problématique des transports en grande couronne.
De la même manière, si la taxe sur les bureaux se justifie, là encore, pour Paris et la petite couronne, il n'est pas logique que la grande couronne y soit soumise alors que, dans le même temps, on continue à développer La Défense pour épargner un déficit à l'EPAD. Je l'avoue, tout cela me laisse perplexe.
À un moment donné, il faudra bien s'interroger sur l'incidence des décisions prises en matière de fiscalité locale et de développement. On ne peut pas considérer que seul le transport va régler les problèmes de la région Île de France : il faut tenir compte aussi de l'aménagement du territoire et de la fiscalité locale dont la réforme, même si je la comprends, globalement mériterait d'être ciblée.
Par ailleurs, si nos axes sont saturés dans de nombreux endroits, il n'y a jamais eu de déclaration de saturation sur une partie du réseau. Or des priorités sont données. Le président de Réseau ferré de France (RFF) a ainsi récemment déclaré donner la priorité aux transports de voyageurs par rapport au fret, ce dernier trouvant davantage sa place la nuit, quand le réseau n'est pas saturé. J'entends bien cela, sauf que les directives européennes prévoient qu'en l'absence de déclaration officielle de saturation, il ne peut y avoir de priorité. La déclaration de saturation permettrait de donner des critères de priorité et, éventuellement, d'imposer certaines contraintes en termes d'investissement.
Les grands projets, comme Eole, permettront de prendre en charge une partie du trafic de voyageurs du RER A. Quant au tracé de la ligne nouvelle Paris Normandie, il règlera en partie le problème de la saturation du RER A, et même de la ligne Paris-Saint-Lazare –Mantes-la-Jolie par Conflans, mais à la condition qu'une gare soit prévue au niveau de la Confluence, faute de quoi les sillons ne seront pas soulagés. Alors que le port d'Achères occupe quelque 450 hectares, avec tout ce que cela implique en termes de trafic, de populations nouvelles et d'emplois, il paraît difficile de ne pas envisager une gare digne de ce nom dans cette ville. Elle permettrait d'assurer la connexion avec la tangentielle Ouest puis la tangentielle Nord. La ligne à grande vitesse (LGV) Paris Normandie n'aura qu'un intérêt relatif si elle ne sert qu'à aller à Caen ou au Havre.
Autre grand problème : le trafic de banlieue à banlieue. Si je veux me rendre de Chanteloup-les-Vignes à Versailles, il me faudra d'abord aller jusqu'à Saint-Lazare pour emprunter ensuite le RER. Ce sera long. Par le bus, il faudra passer par Poissy et Saint-Germain avant d'arriver à Versailles. Tout cela n'est pas très cohérent. Dans la grande couronne, qui peut encore accueillir des entreprises et des populations, il faudra bien, si l'on veut éviter l'incohérence de la sur utilisation des radiales, se préoccuper aussi des rocades, et pas seulement au niveau autoroutier, d'autant que la Francilienne n'est pas encore achevée chez nous. Je note au passage que, si la route doit parfois épauler le rail, je vois mal comment on pourra augmenter le trafic sur l'A13 ou l'A14 par le biais de la Francilienne alors que le classement il y a quelques années de la plaine de Versailles bloque toute possibilité d'une liaison vers Saint-Quentin-Versailles.
En outre, il faut prendre conscience des difficultés rencontrées par nos concitoyens dans le RER, en soirée ou la nuit, du fait des horaires et de la fermeture de certaines gares. Dans notre secteur, nous avons mis en place le bus A14, qui va jusqu'à La Défense. Les bus de cette liaison rapide et efficace sont pleins sans toutefois être saturés le matin alors qu'ils le sont le soir. C'est tout simplement que les usagers, en premier lieu des femmes, y trouvent davantage de sécurité et de confort que dans un train. Il serait intéressant de voir comment on peut améliorer le confort, voire la sécurité, le soir, sur les lignes du RER ! Le Syndicat des transports d'Île de France (STIF) considère néanmoins que le développement de cette ligne, réclamé par les usagers, constitue une forme de concurrence par rapport au réseau ferré. Je pense pour ma part que si les usagers souhaitent utiliser préférentiellement le bus dans certaines circonstances, il est de notre devoir de favoriser le développement des lignes concernées. Je ne suis par là pour empêcher le développement du ferroviaire, bien au contraire ; encore faut-il que les infrastructures le permettent, ce qui n'est pas le cas actuellement. Du reste, l'intermodalité ne doit pas être négligée. Quand les lignes seront moins saturées, que les moyens de transport seront plus adaptés, nous pourrons alors peut-être moins utiliser la route. Nous en sommes loin, pour l'instant.
S'agissant de la sécurité, à la suite de l'agression de chauffeurs de bus lors des émeutes des années quatre-vingt-dix, j'avais mis en place un réseau de médiateurs. Les choses n'ont pas très bien fonctionné au départ car les jeunes initialement engagés n'étaient pas véritablement formés. Mais ils ont bénéficié ensuite d'une formation adaptée grâce à la mise en place de structures appropriées, et la SNCF m'a demandé d'en prévoir pour ses trains. Ils ont toutefois mis du temps à se faire accepter, notamment par son Service de surveillance générale (SUGE)… Aujourd'hui, sur la ligne Paris-Mantes par Conflans et sur la ligne Nord qui mène à Cergy, l'action des médiateurs est efficace. Le dispositif règle cependant davantage les problèmes d'incivilité que d'insécurité. En tout état de cause, je constate que la SNCF a passé contrat avec l'association de formation de nos médiateurs, c'est donc qu'elle y a trouvé un certain bénéfice au regard des problématiques de dégradations des matériels, de non-paiement des tickets de transport, et d'autres comportements inacceptables.
Le dispositif a permis de régler un autre problème : celui des signaux d'alarme. Pour échapper à une interrogation, certains collégiens ou lycéens n'hésitaient pas en effet à actionner le signal d'alarme afin d'obtenir une dispense de la SNCF pour cause de retard ou d'annulation du train. Il n'est donc pas inintéressant d'essayer d'améliorer la régularité du trafic par le biais de ce type d'intervention, qui ne coûte pas très cher. Si nous avons fait le choix de la médiation, c'est aussi parce que, dans un grand nombre de circonstances, la police ne pourrait pas agir.
Toujours au titre des dysfonctionnements, si les grèves sont plus ou moins bien supportées par nos concitoyens, désormais elles sont au moins annoncées et permettent de s'organiser, dans la mesure du possible Les annulations ou les retards des trains compliquent en revanche considérablement la vie des gens. Vous ne pouvez pas imaginer le nombre de personnes qui ont perdu leur travail pour cause de dysfonctionnements du réseau ! En outre, j'ai beaucoup de mal à accepter l'usage abusif du droit de retrait : il n'est pas censé servir à mettre en exergue des revendications. Ce n'est pas parce qu'on est solidaire d'un agent victime d'une agression inacceptable qu'il faut bloquer le réseau. Imaginez la situation des femmes, souvent parent isolé, lorsqu'elles sont « coincées » à Paris alors que la crèche va fermer ! Je comprends parfaitement que des droits protègent les salariés, mais il faut éviter les dérives auxquelles nous assistons Elles pénalisent les familles, confrontées ainsi à des difficultés insurmontables. On ne dit pas assez combien il est difficile d'être un parent isolé en banlieue. C'est un cri du coeur de l'ancien maire de banlieue que je suis. J'ai une relation affective avec ma population et il m'est insupportable de voir les gens souffrir à cause d'un dysfonctionnement dans les transports en commun. La vie est déjà bien assez pénible pour certains en dehors des problèmes de transport...
Pour finir, je dirai que l'amélioration du réseau passe d'abord par la résolution des problèmes de gouvernance et de répartition des responsabilités. Il faudra bien s'attaquer à ces problèmes, et pas seulement pour la région parisienne.
C'est avec grand plaisir que nous accueillons à nouveau notre ami Pierre Cardo, dont chacun connaît la richesse de l'expérience.
Monsieur le président, pouvez-vous nous apporter des précisions sur la gouvernance et les problématiques organisationnelles entre les deux transporteurs que sont la RATP et la SNCF, en particulier s'agissant des lignes A et B que vous connaissez bien ?
Que recouvre pour vous la notion de convention entre RFF et la SNCF, notamment dans le cadre de l'attribution des sillons ?
Pouvez-vous préciser la méthodologie réglementaire de la déclaration de saturation, qui permet de définir des priorités ?
S'agissant des incivilités, une évaluation socio-économique a-t-elle été menée, au moins dans votre bassin de vie ? Le rapport de la Cour des comptes de la fin de l'année 2010 relève en effet une carence en la matière. Une telle évaluation assortie de critères nous permettrait de définir des priorités.
Enfin, une évaluation économique des dysfonctionnements dans leur ensemble a-t-elle été réalisée ?
Monsieur le président, vous avez des pouvoirs d'investigation en matière de comptes et la possibilité de prononcer des sanctions si vous constatez un manquement en matière de mise à disposition des réseaux. S'agissant du RER B, les personnes précédemment auditionnées nous ont fait part de problèmes entre RFF, la SNCF et la RATP pour l'ouverture de sillons. Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet, sachant que cette ouverture permettrait de résoudre certains dysfonctionnements, fréquents sur cette ligne, à l'entrée nord de Paris ?
Par ailleurs, si des investissements importants ont été réalisés pour le TGV, l'entretien des lignes et des réseaux en banlieue parisienne semble avoir été négligé par RFF comme par la SNCF. Vous êtes-vous penché sur cette question pour déterminer d'éventuels manquements de la part des opérateurs ?
La question de la gouvernance a souvent été abordée au cours des auditions précédentes. Aux dires du président de la RATP, cette dernière fonctionne correctement et s'il y a des difficultés, elles sont dues aux autres intervenants ! Ces derniers, eux, mettent en avant l'avantage de l'existence de plusieurs opérateurs sur une même ligne, qui permet d'éviter l'arrêt total du réseau en cas de grève.
Selon vous, de quelle manière doivent être gérées les lignes RER, en particulier celles qui sont « cogérées » par la SNCF et la RATP, sans oublier RFF ? Est-il préférable de désigner un seul opérateur par ligne ?
La gouvernance est éclatée. Monsieur le président, appelez-vous à une plus grande cohérence entre RFF, gestionnaire des infrastructures, et la SNCF, l'exploitant ; entre la RATP, pour le réseau RER, et la SNCF ; et entre RFF et la RATP pour la gestion des réseaux ? On peut craindre en effet, d'un côté, un risque d'appauvrissement des compétences de la SNCF au vu de l'éclatement des responsabilités, et, de l'autre, un risque d'éloignement dans la mesure où RFF n'est pas en relation directe avec les usagers. Les « Assises du ferroviaire », qui se sont tenues à la fin de l'année 2011, ont abordé la question du regroupement sous une bannière unique des infrastructures du réseau francilien, mais aucun gestionnaire n'a été désigné me semble-t-il. En tant qu'autorité de régulation, pensez-vous que ce gestionnaire unique devrait être plutôt RFF ou la SNCF ?
Par ailleurs, quelles seraient selon vous les conséquences de l'ouverture à la concurrence, sachant que RFF revendique une stricte neutralité vis-à-vis de la SNCF ? Une priorité d'attribution des sillons ne devrait-elle pas être accordée au RER francilien de la part de RFF ?
Enfin, qu'en est-il de la place des élus ? De quelle manière les collectivités territoriales pourraient-elles être davantage parties prenantes des choix en matière de gestion des infrastructures ?
Monsieur le président, la loi du 8 décembre 2009 relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires a introduit la notion de maîtrise d'ouvrage partagée entre le STIF et la RATP pour les aménagements, les prolongations et les extensions de lignes ou de gares existantes. Cette possibilité a-t-elle déjà été mise en oeuvre ?
Sur certains aspects de la gouvernance, je ne saurais vous répondre dans la mesure où nous ne sommes pas compétents, même si nous pouvons esquisser plusieurs hypothèses sur l'organisation en région parisienne. Je dirai simplement qu'une gouvernance claire s'impose, afin d'éviter toute ambiguïté entre les responsabilités des uns et des autres ; il faut savoir qui décide. Faute de quoi, nous irons au conflit ! C'est d'ailleurs ce qui se passe actuellement puisque la réforme engagée est restée « au milieu du gué ».
L'ARAF s'est déjà exprimée dans le premier document de référence des réseaux (DRR) qu'elle a commencé à étudier à partir de fin 2010. Notre position est claire : étant donné les contraintes imposées par l'Europe, une attribution de sillons non discriminatoire et impartiale implique que le gestionnaire de l'infrastructure maîtrise l'ensemble de la problématique. Comme nous l'avons expliqué lors des « Assises du ferroviaire », cela signifie que RFF doit disposer non seulement de la pleine et entière responsabilité des attributions de sillons, par l'intermédiaire de la Direction de la circulation ferroviaire (DCF), mais aussi de la maîtrise totale des plages de travaux pour que précisément les attributions de sillons puissent se faire de façon optimale.
Je pense donc qu'il faut définir un organisme indépendant de la SNCF, qui sera responsable de l'attribution des sillons et qui n'aura aucun lien hiérarchique avec un quelconque opérateur. La SNCF Infra, chargée de l'entretien du réseau, doit être elle aussi détachée de l'opérateur ferroviaire SNCF. L'analyse des conflits que nous avons à régler démontre en effet qu'il y a souvent suspicion vis-à-vis de la SNCF de la part des opérateurs concurrents du fait que SNCF Infra est au sein de la SNCF, et que la DCF l'est également. Certes, le législateur a prévu que la nomination du directeur de cette dernière direction devait nous être soumise pour approbation, mais cela ne garantit pas pour autant la neutralité totale de tous les acteurs – disant cela, je ne fais aucun procès d'intention.
Au surplus, si l'Europe, après avoir ouvert à la concurrence le marché du fret ferroviaire et le transport international de voyageurs, décide de l'ouvrir localement aux transports de voyageurs, il faudra que l'attribution des sillons soit effectuée en toute objectivité, que seule l'indépendance totale des structures d'attribution rendra possible. Sans cela, nous aurons de multiples conflits à régler à l'ARAF.
Les interventions d'entretien et de rénovation du réseau sont définies par RFF, mais il n'est pas certain que ce qui a été programmé soit réalisé. Or cela pourra engendrer de la suspicion. Un opérateur pourra ainsi se demander pourquoi une plage de travaux, dont la programmation l'a empêché d'obtenir le sillon qu'il avait réclamé, a brutalement été supprimée alors qu'il a pourtant été forcé de se contenter d'un sillon de moindre qualité. Un autre opérateur souhaitera bénéficier d'une priorité pour l'attribution du sillon qu'il aura été le premier à demander. Bref, la situation sera ingérable. Quand on sait, en outre, que ces opérations, d'une grande complexité, restent encore largement effectuées manuellement... les systèmes informatiques n'étant toujours pas tout à fait au point !
Encore une fois, si l'on veut optimiser le fonctionnement de notre réseau – très étendu et qui a coûté très cher à la France – et arriver à définir clairement les priorités en région parisienne, une gouvernance claire est essentielle.
S'agissant de la RATP, qui a le réseau et qui est opérateur, l'urgence impose que tous les conducteurs, de la Régie comme de la SNCF, soient formés pour être aptes à conduire sur toute partie du réseau, comme c'est le cas pour le RER B. Cela évitera les changements de conducteur et donc des pertes de temps pour l'usager. Les deux grands opérateurs doivent se mettre d'accord.
Au vu de tous ces éléments, l'idéal serait pour l'avenir que l'ensemble du réseau français appartienne à un gestionnaire d'infrastructure distinct de l'opérateur. Cette solution réglerait bien des problèmes en matière d'attribution des sillons. Elle finira par s'imposer en cas d'ouverture à la concurrence au niveau européen, y compris pour la RATP.
Pour l'heure, il appartient aux élus de décider ou non de l'ouverture à la concurrence au niveau des régions. Mais l'Europe a son mot à dire, d'où l'importance de clarifier l'organisation du système ferroviaire français afin que l'opérateur historique, notamment, soit en mesure d'affronter la concurrence et de ne pas perdre des parts de marché. En Allemagne, le fret sur la Deutsche Bahn a progressé et la concurrence a permis de développer de nouvelles parts de marché. Ce n'est pas le cas en France, et l'on doit s'interroger sur l'organisation de notre réseau ferré, qui se distingue de celui de certains nos voisins européens.
Pour autant, l'ouverture à la concurrence n'est pas un but. Elle n'est qu'un moyen qui permet d'offrir un choix supplémentaire, éventuellement de faire baisser les prix. En tout état de cause, elle ne pourra être abordée de façon objective si le problème des conventions collectives et celui du statut particulier du personnel de la SNCF ne sont pas clairement traités dans le cadre de négociations. Les élus ont un rôle à jouer en la matière.
Pour les régions, il faudra arbitrer l'attribution des sillons des TGV, des TER et des TET, d'où l'intérêt, encore une fois, d'avoir un gestionnaire d'infrastructure unique qui garantira l'objectivité de ces attributions à l'autorité organisatrice. Cela permettra aux régions, qui fixeront un cahier des charges définissant les prestations que souhaitent les élus, de défendre leurs intérêts, puisque les plages travaux notamment seront négociées face à un interlocuteur unique.
N'ayant aucune connaissance très précise de l'organisation du réseau ferroviaire, je suis arrivé à l'ARAF sans a priori : essayant de garder cette objectivité, je pense sincèrement que beaucoup de choses doivent être réformées d'urgence...
Par ailleurs, l'ARAF considère qu'il n'est pas souhaitable de continuer à investir massivement sur des lignes à grande vitesse, dont la rentabilité devient de moins en moins évidente. En effet, au-delà de la distance parcourue et de la concurrence ainsi ouverte par rapport à l'avion et la route, une ligne à grande vitesse doit, pour être rentable, assurer la liaison d'une agglomération à une autre. Les plus rentables étant d'ores et déjà réalisées, les futures lignes auront un intérêt économique plus limité. Certes, ce sujet s'inscrit dans le cadre de l'aménagement du territoire, mais nous constatons que tous les élus dans les régions souhaitent avoir « leur » LGV. En la matière, les choix politiques ne sont pas neutres. Enfin, à titre personnel et en tant qu'ancien élu, je pense qu'il faudrait limiter l'appel aux partenariats public privé (PPP) qui se révèlent toujours coûteux à terme.
S'agissant de la déclaration de saturation, le secrétaire général de l'ARAF va vous apporter des précisions. Pour dire les choses simplement, un opérateur n'a pas le droit d'afficher des priorités s'il n'a pas fait une déclaration de saturation sur telle ou telle partie du réseau. Je trouve étonnant qu'aucune déclaration de ce type n'ait été faite alors que certaines parties de réseau sont bel et bien saturées. A-t-on peur des conséquences de cette procédure ?
L'article 22 de la directive européenne 200114 et le décret 2003-194 du 7 mars 2003 relatif à l'utilisation du réseau ferré national régissent la déclaration de saturation.
Le principe général de l'allocation des sillons est qu'il n'y a pas de priorité. En pratique, RFF doit recevoir l'ensemble des demandes, auxquelles il doit répondre de manière « raisonnable », comme le stipule la directive.
Dès lors qu'il est obligé de refuser des sillons, le gestionnaire de l'infrastructure doit s'interroger sur la saturation, qui doit être déclarée devant le ministre et qui lui permet notamment de fixer des priorités. Il peut alors examiner les capacités réelles d'une ligne saturée et donner des priorités – tant de trains pour le fret, tant d'autres pour le transport régional et pour les TGV. Aux termes de la directive, il ne peut prendre de telles décisions qu'en cas de déclaration de saturation.
La fixation de priorités est un moyen de gestion. Elle oblige aussi le gestionnaire à proposer un programme pour lutter à long terme contre la saturation.
Depuis de nombreuses années, l'investissement pour la rénovation du réseau est insuffisant. Il doit impérativement être accru pour assurer une circulation correcte des trains. Si le réseau ferré national contribue largement à l'aménagement du territoire, un grand nombre de lignes secondaires, considérées comme non prioritaires, sont délaissées. En outre, le lancement de lignes à grande vitesse sur des axes déjà saturés n'est pas logique : en effet, ces lignes viennent perturber le fonctionnement des lignes « classiques » – on peux penser par exemple à la LGV Atlantique. Certains choix politiques peuvent être contestables. Il faudrait éviter de répéter les mêmes erreurs sur d'autres axes.
Pour être plus précis sur le renoncement, des conventions entre RFF et SNCF Infra prévoient un montant pour la réalisation par cette dernière de travaux définis par le premier. Notons au passage que la facture pour l'entretien du réseau n'est pas loin de représenter le montant des péages que RFF reçoit de la SNCF… Or lorsque SNCF Infra a consommé le budget qui lui a été attribué par une convention pour effectuer un ensemble de travaux programmés, on renonce à effectuer certains travaux. Et les parties du réseau concernées par ce renoncement sont plutôt des voies secondaires, souvent utilisées par le fret – ce qui n'est pas forcément dans l'intérêt des régions.
Nous avons découvert ce problème du renoncement récemment. Il existe certainement des moyens de le régler, mais pour l'instant l'ARAF, à peine installée, ne s'est pas prononcée. Je rappelle que nos équipes ont été constituées l'année dernière et comprennent essentiellement des jeunes. Le fait que notre siège soit situé au Mans, a sensiblement retardé le recrutement en renforçant la proportion des jeunes, car c'est un fait, les gens expérimentés ne souhaitant pas, en général, quitter Paris. Certes, nous avons un pouvoir d'investigation. Mais alors que l'étude de préfiguration de l'ARAF prévoyait un effectif de 60 personnes, nous ne sommes que 40 pour l'instant – votre assemblée ayant eu la gentillesse de fixer en outre un plafond à 52. Aujourd'hui, cela passe mais nous risquons de rencontrer des problèmes à l'avenir en cas de surcharge de travail.
Avez-vous un droit de regard sur le bien-fondé du renoncement ? Pouvez-vous vérifier la bonne allocation des moyens financiers et les procédures en matière de concurrence et de marchés publics ?
Pour l'instant, il n'y a pas de concurrence : SNCF Infra est la seule à intervenir sur le réseau. Nous avons un droit d'investigation, mais notre tâche nécessite du temps. Pour les gares, nous devons définir la séparation comptable. Nous attendons les dernières réponses de la SNCF. Là encore, ces structures sont censées être autonomes, mais elles sont au sein de la SNCF.
La Cour des comptes a d'ailleurs souligné cette agrégation comptable, et a demandé des comptes certifiés.
L'Autorité de la concurrence est allée dans le même sens : on ne peut qu'être favorable à une telle mesure. Pour une partie des gares, la gouvernance devra de toute façon être clarifiée à terme. La question est de savoir si cela relève d'un opérateur ferroviaire ou d'une entité totalement indépendante, ce qui est tout à fait possible. Le rôle du politique ne sera pas neutre.
Au sein de la SNCF la complexité des comptes et des facturations internes est un réel problème, et j'accorde du temps à mes services pour qu'ils ne commettent pas d'erreurs. Il faut avoir à l'esprit que la SNCF constitue un groupe qui n'a pas moins de 650 filiales. À titre personnel, je dirai que, pour être efficace, un opérateur ferroviaire doit intervenir dans son coeur de métier.
S'agissant des évaluations, je pense que la SNCF peut d'ores et déjà établir des comparaisons entre les dégradations et les interruptions de service liées aux incivilités sur les lignes qui comportent des médiateurs et celles qui n'en bénéficient pas. Si l'opérateur a continué à accepter la prestation de service des médiateurs, c'est qu'elle présente un certain intérêt pour lui. Prenez donc un train un samedi entre treize et quatorze heures à Mantes-la-Jolie en direction de Paris : vous constaterez que la dernière voiture est remplie de passagers qui n'ont pas payé ! Face à cette situation, les CRS sont parfois intervenus, mais cela n'a rien changé, si ce n'est générer quelques incidents. Si l'on veut que les jeunes des quartiers, comprennent que tout n'est pas gratuit, ils doivent apprendre très jeunes à se déplacer en transports en commun dans le cadre de l'école ou des activités périscolaires. Car s'ils ne les découvrent que le week-end avec les grands qui leur apprennent à entrer en force dans les trains, il devient quasiment impossible de leur expliquer comment les choses doivent normalement se passer.
Je termine par la problématique des gratuités. La mise en place du RSA complémentaire s'est heurtée à la gratuité dans les transports pour les chômeurs en région parisienne, révélant un problème de cohérence entre les dispositifs mis en place par les régions et les systèmes nationaux au bénéfice de certaines populations. Je pense qu'il est possible, en respectant le droit de chacun, d'établir un minimum de coordination pour que les dispositifs d'aide aux personnes et ceux pour le retour à l'emploi fonctionnent en cohérence.
L'audition s'achève à onze heures vingt.
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Membres présents ou excusés
Commission d'enquête relative aux modalités, au financement et à l'impact sur l'environnement du projet de rénovation du réseau express régional d'Île-de-France
Réunion du jeudi 19 janvier 2012 à 10 h 10
Présents. - M. Patrice Calméjane, M. Daniel Goldberg, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, M. Pierre Morange, M. François Pupponi
Excusés. - M. François Asensi, Mme Annick Lepetit