La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l'audition de Mme Sylvie Feucher, secrétaire générale du Syndicat des commissaires de la police nationale.
La séance est ouverte à dix-sept heures trente.
Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation. Vous allez inaugurer une série d'auditions qui viendront clore dix ans de travail de la Délégation. Nous avons auditionné nombre de femmes d'exception, qui ont réussi dans un milieu essentiellement masculin ou ont eu un parcours professionnel exemplaire. Vous êtes l'une d'entre elles. Comment êtes-vous arrivée au sommet de la hiérarchie de votre profession ? Comment managez-vous une équipe d'hommes en restant une femme ?
J'ai toujours essayé, à la tête de la Délégation, de mettre l'accent sur le fait que les femmes, pour réussir, ne doivent pas s'approprier des qualités d'hommes mais conserver leur personnalité. C'est le message que nous devons adresser aux jeunes femmes qui s'engagent dans des métiers où les femmes ne sont pas majoritaires.
Je suis ravie de m'exprimer dans cette enceinte et vous en remercie. En lieu et place de l'administration, j'ai réalisé une étude portant sur l'ensemble de la police nationale sur le sujet de la parité qui, grâce au législateur, sera désormais abordé par les comités techniques dans le cadre de leurs nouvelles compétences. Mon mandat se terminant l'année prochaine, je ne connaîtrai pas cette nouvelle façon de fonctionner, mais je serai attentive à la manière dont l'administration l'appliquera.
Je suis entrée dans la police en 1980 en tant qu'inspecteur de police. Mon père souhaitait que j'intègre la marine nationale, mais j'ai préféré le métier de policier qui venait de s'ouvrir aux femmes et j'ai été bien accueillie. A l'époque, sur une promotion de près de 600 personnes, 15 postes seulement étaient ouverts aux femmes au concours externe. Nous étions plutôt bien traitées, bien qu'observées de près. Je fus ensuite la deuxième femme à intégrer la police judiciaire. Là encore, j'ai été bien accueillie. Je n'ai fait l'objet d'aucun ostracisme, bien au contraire, pas plus que lorsque j'ai passé le concours de commissaire.
Les difficultés sont arrivées lorsque j'ai abordé les échelons supérieurs de la hiérarchie.
Probablement… Il en va de même dans le domaine syndical : tant que j'étais déléguée départementale, tout se passait bien, mais depuis que je suis la seule femme secrétaire générale d'un syndicat de police, s'occupant des corps dits actifs, je peux vous dire que mon rôle est devenu très compliqué, presque plus que l'exercice de ma fonction de commissaire de police. Le machisme est davantage présent dans le syndicalisme policier que dans la police. En tant que secrétaire du syndicat des commissaires, je suis en butte aux remarques de quelques représentants d'autres corps. Sur un site internet, certains m'appellent par mon prénom. Lorsque je mène un combat, ils m'appellent Jeanne d'Arc, et si je m'exprime sur tel ou tel sujet dans une enceinte paritaire, ils invoquent mon énervement potentiel de femme pour dénaturer mon combat… Le décor est planté.
Depuis cinq ans que j'exerce cette fonction, j'essaie de ne pas m'exprimer au nom des seuls commissaires mais dans l'intérêt de l'institution et pour tous les métiers. Les syndicalistes reconnaissent toutefois que l'arrivée d'une femme a apporté une dose d'humanité dans les combats syndicaux. Certains m'ont même confié que j'avais changé la manière dont fonctionnent les comités techniques paritaires et surtout les comités d'hygiène et de sécurité.
Les commissaires ont basé leur représentation syndicale sur la parité : durant mon mandat, la secrétaire générale est une femme et son adjoint est un homme ; lors du prochain mandat, mon adjoint sera secrétaire général et son adjointe sera une femme. Le syndicat des officiers de police (SNOP) devrait bientôt suivre notre exemple. C'est une ouverture intéressante.
Lorsqu'en 2006 j'ai réalisé cette étude sur la parité dont je vous ai parlé, il n'existait aucune donnée sur ce sujet. J'ai donc commencé à collationner les chiffres concernant les 1 700 commissaires mais également les officiers et les gardiens de la paix.
Recueillir ces données fut un parcours du combattant. Les services qui gèrent les concours sont regroupés à Clermont-Ferrand alors que les concours de gardien de la paix sont organisés au plan local. Il a été aussi très difficile de connaître la composition des jurys pour vérifier le respect de la parité. J'avais également besoin de connaître le nombre des admissibles et celui des admis afin d'établir des ratios. Or ce ne sont pas les mêmes bureaux qui gèrent les concours pour les trois grades. En outre, il m'a fallu expliquer aux responsables pourquoi je souhaitais obtenir ces données car ils me croyaient animée de mauvaises intentions. L'administration n'est pas très ouverte à la fourniture de données chiffrées et cette attitude est généralisée comme je m'en suis rendue compte au cours d'une récente visite au Conseil d'État.
Elles le sont aujourd'hui mais elles ne l'étaient pas complètement en 2006. La réforme des comités techniques va obliger l'administration à fournir des chiffres illustrant la parité. En outre, les chiffres qui m'ont été fournis n'étaient pas toujours exacts.
Cette étude m'a appris que le pourcentage global des femmes dans les trois corps - 20 % de femmes commissaires, un peu moins chez les gardiens de la paix – avait peu évolué. Elle a également montré que toutes les femmes qui s'inscrivent aux concours ne s'y présentent pas. Elles ont la velléité de progresser, s'inscrivent aux préparations mais ne parviennent pas à renvoyer leurs devoirs et prennent conscience de la difficulté du challenge, surtout celles qui élèvent des enfants.
Les officiers aimeraient supprimer le concours externe de commissaire, ce qui leur garantirait un parcours linéaire, du grade « d'officier à celui d'inspecteur général ». Il est naturellement plus facile de ne pas passer de concours au cours d'une carrière, mais cela nuirait à la représentation des femmes et des hommes et de toutes les classes d'âge car les jeunes viennent essentiellement des concours externes.
Mon étude a également montré que la féminisation des trois corps actifs est due uniquement aux concours externes. Très peu de femmes réussissent le concours interne et peu obtiennent la promotion au choix ou une nomination au titre de la voie d'accès professionnelle que les officiers considèrent comme la panacée. En revanche, on trouve beaucoup de femmes dans les classes préparatoires intégrées destinées aux personnes de milieux défavorisés, tant à l'école de commissaires qu'à l'école d'officiers, pour une raison simple : ces formations s'adressent à des jeunes. C'est bien la preuve que les femmes sont freinées par les charges familiales. Comment sortirons-nous de cette situation, sachant qu'il faut bien que les femmes élèvent leurs enfants ? La solution appartient au législateur.
Le fait que les femmes entrent dans la police par concours externe montre que pour elles, même dans la police, l'évolution de carrière est un parcours difficile.
En effet.
Comment se déroule la formation des fonctionnaires de police ? Les personnels en place sont-ils encouragés à se présenter aux concours internes ?
Les gardiens de la paix sont recrutés au niveau du baccalauréat, les officiers à celui de la licence et les commissaires à celui du master 2. Mais la diminution des effectifs en cours a considérablement réduit le nombre de postes ouverts aux concours externes. Les promotions de commissaires, qui représentaient 90, voire 100 personnes, il y a quelques années, n'en représentent plus qu'entre 40 et 50. Au niveau national, le concours externe de commissaire est ouvert pour 20 à 25 postes, le concours externe d'officier pour une quarantaine de postes.
Les gardiens de la paix et les officiers peuvent naturellement se présenter aux concours internes pour devenir officiers ou commissaires. Il leur est proposé de participer à une préparation organisée par l'Institut National de la Formation de Clermont-Ferrand, ensuite ceux qui sont sélectionnés effectuent un stage de préparation aux épreuves écrites et orales. Mais compte tenu de la charge de travail qui leur est demandée, peu nombreux sont ceux qui réussissent. Les gardiens de la paix et les officiers peuvent également choisir la voie d'accès professionnelle. Les épreuves sont plus techniques.
Les élèves officiers suivent une scolarité de 18 mois à l'école de Cannes-Écluse, en Seine-et-Marne, et les élèves commissaires une formation de deux ans à l'École nationale supérieure de la police, située près de Lyon. Cette période de formation est très difficile à gérer pour ceux qui ont des enfants, sauf à déménager. Peu de femmes s'y autorisent, craignant de ne pouvoir réussir sur les deux tableaux. J'ai moi-même réussi avec deux enfants, âgés de 4 et 6 ans, mais je reconnais que c'était difficile et que j'ai beaucoup culpabilisé.
Il existe une autre préparation au concours dispensée à l'IPAG de Clermont-Ferrand qui est d'une grande qualité. D'une durée de six mois ou dix huit mois sur site, en fonction du niveau de diplôme détenu, elle est prise en charge par le Ministère, pour les personnels de tous grades, administratifs ou actifs. Mais les candidats ne perçoivent que leur salaire de base, sans les primes. Ces préparations au concours sont difficilement accessibles à tous et particulièrement aux femmes, compte tenu des charges familiales.
Environ la moitié des commissaires sont issus du concours interne. Les autres, issus d'un concours externe, sont des étudiants ou de faux internes. Les 20 % du concours interne à proprement parler sont de jeunes gardiens de la paix, des officiers et des administratifs, et 5 %, soit un ou deux postes par an, sont issus de la promotion au choix, qui consiste en un entretien de 30 minutes. Ce sont des personnes généralement plus âgées.
On constate que le nombre de femmes admissibles au concours externe est très élevé, mais les ratios s'inversent après l'épreuve orale et les admis sont essentiellement des hommes. En outre, tant pour le concours d'officier que pour celui de commissaire, beaucoup de femmes échouent à cause de leur mauvais résultat au parcours sportif.
Il l'est, mais les barèmes ont leur importance.
Sans doute. Dans les années 2000, la Cour européenne a condamné la France pour discrimination à cause des quotas dans les recrutements. L'administration a changé les barèmes de sport. En 2002, les barèmes ont changé et le ratio entre le nombre des femmes admissibles et celui des femmes admises était équilibré pour tous les concours. Mais cela n'a duré qu'un an.
Les moniteurs sportifs sont essentiellement des hommes.
Ces épreuves comprennent-elles une épreuve de force, par exemple un grimper de corde ?
Mme Sylvie Feucher. En effet.
L'échec des femmes au grand oral du concours de commissaire est-il dû à l'émotivité, au manque de préparation ou à la composition des jurys ?
Les jurys des concours de commissaire et de lieutenant sont paritaires, mais le recrutement des jurys pour les concours de gardien de la paix se fait localement : à Paris ou en région parisienne, le nombre de femmes commissaires est suffisant pour assurer la parité, mais ce n'est pas le cas dans tous les départements.
L'échec des femmes au grand oral s'explique peut-être par le fait que les femmes, membres du jury, ne sont pas indulgentes avec les autres femmes, bien au contraire.
C'est la même chose dans les jurys de baccalauréat. J'ai participé, il y a une quinzaine d'années, à la correction des copies : j'ai constaté que les notes des copies corrigées par des femmes étaient inférieures d'un ou deux points. Et c'est encore plus vrai pour les épreuves orales.
Elles sont soumises à la pression de conformité.
Dans le cadre d'une association féminine dont je faisais partie, nous avons travaillé avec un sociologue sur le thème « Les bus ont-ils un sexe ? ». La RATP avait constaté que les femmes qui se présentaient pour devenir chauffeurs de bus échouaient à deux épreuves : or, la première consistait à réparer le moteur du bus – et cela devant un jury d'hommes – et la seconde à effectuer une marche arrière, ce qui est totalement interdit à tout chauffeur de bus.
J'ai découvert qu'en matière de nominations, le monde syndicaliste était très spécial. Même le directeur de la police départemental n'a pas le dernier mot.
Dans un livre très dur, l'une de vos collègues de la PAF a dit avoir été victime de harcèlements. Existe-t-il des cas similaires ? Le métier de policière est-il particulièrement dur ?
Le cas de cet agent administratif est particulier. Je travaille dans ce milieu depuis plus de 30 ans, je peux vous dire que ce n'est pas le bagne même si la pression de conformité est forte. Il faut simplement se faire respecter. Pour les commissaires, le problème de l'avancement et du non respect de la parité, apparaît après le grade de commissaire divisionnaire.
Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Le fameux plafond de verre !
Il existe également chez les officiers. Au final, on trouve peu de femmes parmi les commandants fonctionnels, chefs de circonscription. Dans le corps des commissaires, il y a peu de femmes contrôleur général, inspecteur général, et sur une douzaine de directeurs de service, il n'y a aucune femme. C'est inadmissible ! Au départ, on a invoqué le fait qu'elles n'étaient recrutées depuis assez longtemps, mais cet argument est obsolète.
Les premières femmes inspecteurs de police sont arrivées en 1972, les commissaires en 1974, le dernier bastion étant le corps des officiers de paix tombé en 1983. Il n'y a aucune femme directeur zonal à la police aux frontières. Et sur plus de 600 commissaires affectés en sécurité publique, il y a une femme contrôleur général, responsable de la police de Seine-et-Marne, et une autre est contrôleur général à la Direction centrale de la sécurité publique. Et aucune femme au grade d'inspecteur général ! Quant à la police judiciaire, elle s'est féminisée mais on ne trouve encore aucune femme au poste de directeur interrégional de la police judiciaire. En ce qui concerne les emplois de très haut niveau, la police est totalement fermée et reproduit les élites masculines.
Dans un métier spécifique comme le vôtre, les hommes considèrent peut-être que les femmes n'ont pas la force physique nécessaire en cas d'affrontement. Avez-vous reçu une formation de combat ?
Il est évident qu'il est préférable d'envoyer sur le terrain un équipage équilibré de gardiens de la paix, même si les femmes permettent parfois d'éviter le conflit. Mais au grade de commissaire, le fait d'être une femme ou un homme est totalement indifférent.
Les femmes qui composent les patrouilles de police peuvent difficilement exprimer leur féminité au travail. Elles se sentent souvent obligées d'adopter une posture masculine. C'est moins vrai pour les officiers et les commissaires. Cela dit, il m'est arrivé de participer au contrôle de manifestations très dures qui m'ont conduite à faire preuve de mon autorité.
Comment les jeunes femmes commissaires sont-elles accueillies dans un milieu aussi machiste ? Est-il facile de commander des officiers de police et des gardiens de la paix ?
Les femmes doivent trouver leur place. Je leur conseille d'asseoir leur autorité dès leur premier commandement. Mais en gardant de l'humanité car les personnes qui n'ont pas un minimum de qualités humaines et d'empathie n'ont rien à faire dans la police nationale.
Les commissions n'observent pas une règle de parité stricte.
Les formations de commissaire de police comportent-elles des modules spécialement destinés aux femmes ?
Non, la formation est totalement identique pour les femmes et pour les hommes. En outre, pendant leurs stages, celles-ci rencontrent des personnes plus ou moins ouvertes à la présence de femmes dans la police. Les femmes obtiennent parfois des notes de stage moins élevées que leurs collègues masculins.
Vous dites rester jusqu'en 2012 au poste de secrétaire générale du Syndicat. Serez-vous remplacée par une autre femme ?
Mon adjoint va me remplacer et une femme va prendre sa place d'adjoint. Il faut que les femmes se présentent à l'élection mais c'est une fonction contraignante, plus difficile encore que celle de commissaire !
J'en viens au travail à temps partiel. Actuellement trois femmes commissaires travaillent à temps partiel, mais elles font partie, toutes les trois, de services de renseignement. Je ne pense pas qu'une personne responsable d'un commissariat puisse travailler à temps partiel.
Chez les officiers, des lieutenants et des capitaines travaillent à temps partiel, mais très peu de commandants, et ce sont surtout des femmes. En décembre 2010, chez les gardiens de la paix, 1 046 femmes travaillaient à temps partiel contre 237 hommes.
Naturellement – il est d'ailleurs repoussé pour les femmes qui ont plus de trois enfants – mais cette limite devrait évoluer avec l'allongement du temps de travail.
Les femmes bénéficient-elles d'aménagements horaires pour articuler leur vie familiale et leur vie professionnelle ?
Si les femmes choisissent le temps partiel, c'est qu'il n'existe pas de solution en interne. La seule crèche qui existe est celle de Nélaton, réservée aux agents du ministère de l'intérieur, mais elle ne convient pas aux personnels qui ont des horaires décalés. Les seules crèches qui nous conviennent sont celles des hôpitaux, mais le nombre de places est très insuffisant.
En laissant se multiplier les temps partiels, l'administration fait un mauvais calcul. Il lui suffirait, pour conserver des salariés à temps plein, de mettre en place un système de garde d'enfants. Je le dis depuis longtemps, mais je n'ai pas encore été entendue… Les recrutements, les formations coûtent cher à la collectivité. Si les salariés choisissent le temps partiel, leur formation n'est pas rentabilisée. Par ailleurs, on ne peut intégrer les personnes qui travaillent à temps partiel dans une brigade de gardiens de la paix. Il faut savoir, en effet, qu'il est déjà presque impossible d'adapter les horaires de deux membres d'un même couple qui travaillent à temps plein dans le même commissariat. Les temps partiels sont un paramètre complexe que chaque chef de service doit prendre en compte.
Nous pourrions peut-être davantage avancer sur ce point si les représentants syndicaux s'intéressaient à cette question.
Ce n'est pas leur préoccupation. Je ne représente que 1 700 personnes, à comparer avec les plus de 100 000 personnels dits actifs que regroupent les autres syndicats. Les commissaires organisent le travail du commissariat en fonction des fonctionnaires dont ils disposent. En période de réduction d'effectifs, ils ne peuvent satisfaire toutes les demandes des personnels. J'ajoute que les femmes gardiens de la paix sont souvent jeunes, ce qui les conduit souvent à désirer avoir des enfants.
Les congés de maternité sont-ils plus longs pour les femmes policières, plus exposées que les autres à des risques physiques ?
Nos congés sont conformes à la durée légale. Cela dit, les femmes n'effectuent plus de service sur la voie publique à partir de quelques mois de grossesse.
Si certaines femmes se contentent de ce qu'elles ont, d'autres, bien qu'ayant un fort potentiel, ne présentent pas leur candidature, parce qu'elles ont l'impression qu'elles ne seront pas choisies… le fameux plafond de verre.
Il est possible de devenir commissaire divisionnaire en douze à quinze ans, pourtant certaines femmes restent à ce grade jusqu'à leur retraite. Je ne comprends pas pourquoi, sur la douzaine de directeurs centraux, nous n'avons pas au moins trois femmes. Comment expliquer que la quasi-totalité des postes à responsabilités soient occupés par des hommes ? Le ministère se targue d'avoir mis en place la parité sur les recrutements, mais il ne présente pas les chiffres détaillés qui permettraient de démontrer qu'elle s'arrête au grade de commissaire divisionnaire.
Les compagnies de CRS, pourtant traditionnellement fermées aux femmes, ont beaucoup progressé. S'il n'y a aucune femme aux grades de commissaire, d'officier ou de gardien de la paix en maintien de l'ordre, officiellement pour des raisons de casernement, elles sont de plus en plus présentes dans les compagnies motocyclistes.
La Marine nationale a bien réussi la féminisation de ses effectifs embarqués dans les sous-marins !
La féminisation pose des problèmes particuliers lors des opérations de maintien de l'ordre, car les hommes, instinctivement, redoutent que les femmes soient gravement blessées. Mais cette mentalité devrait évoluer, car les femmes sont désormais autant victimes de violences que les hommes.
Il est difficile pour les personnes qui ne sont pas aidées d'arriver au sommet. De fait ce ne sont pas toujours les femmes qui ont des qualités professionnelles qui émergent, mais plutôt celles qui bénéficient d'un réseau relationnel ou d'une aide syndicale.
Quoi qu'il en soit, je ne suis pas malheureuse dans la police.
Ça l'est davantage au niveau syndical.
Il m'est arrivé de lui en parler. Je sais qu'il s'est intéressé à la question. Mais certains directeurs centraux n'ont pas apprécié que je les cite dans mon étude thématique.
Comment, selon vous, cette situation peut-elle évoluer ? Comment, en tant que parlementaires, pouvons-nous faire bouger les lignes ? Est-ce qu'une personne extérieure à votre administration assiste aux commissions administratives paritaires ?
Il existe, en effet, mais je ne l'ai jamais rencontré. Cela dit, c'est un alibi. Les ministères fournissent des chiffres et des pourcentages qui donnent l'impression que tout va bien mais ne permettent pas de comprendre comment sont effectuées les nominations et les promotions.
Il faut appliquer la loi de 2001, qui impose l'établissement d'un rapport de situation comparée. Dans son rapport d'information sur l'égalité professionnelle dans la fonction publique, Françoise Guégot préconise de mettre en place un suivi de l'évolution de carrière. Pourquoi, à compétences égales, la carrière des femmes subit-elle une telle cassure ?
La raison en est que les femmes s'impliquent moins dans les réseaux que les hommes. Elles attendent d'être reconnues pour leurs seules compétences pendant que les hommes, eux, bénéficient de l'aide de leurs réseaux. Aujourd'hui quelques femmes essaient de constituer un réseau – je pense au Women's forum, qui est une initiative intéressante.
Depuis le vote de la loi relative aux quotas dans les conseils d'administration, les femmes ont constitué des réseaux au sein de quelques professions : experts-comptables, professions libérales, cadres supérieures dans les banques. Je suis persuadée que les femmes commissaires le feront elles aussi.
Il est difficile de mettre en place un tel réseau. L'Institut national des études de la sécurité intérieure s'y est essayé en vain. Il faut pourtant noter la création d'une association européenne de policiers.
Sans nier l'intérêt des réseaux, je pense que si les jeunes ont tant de mal à entrer dans le monde du travail, c'est que la société française, plus que d'autres, fonctionne en réseaux. Le jeune qui ne bénéficie pas du réseau de ses parents a beaucoup de mal à trouver un travail.
Cela commence avec les stages de troisième.
Nous avons multiplié les formations nécessitant la participation à des stages en entreprise, mais nous laissons les étudiants se débrouiller seuls pour les trouver. Cette discrimination est inquiétante.
Dans la police nationale, nous en sommes aux balbutiements en matière de gestion des ressources humaines. Nos carrières ne nous permettent pas de faire une pose ou de choisir, pour un temps, un poste moins exposé. Chaque direction gère ses propres ressources humaines. Les commissaires ont un bureau soi-disant transversal, mais qui, en réalité, ne l'est pas. Nous avons beaucoup de mal à gérer les couples composés de deux policiers. Leur mutation – sachant que les commissaires changent de poste tous les quatre ans – n'est possible que dans les régions importantes comme la région parisienne ou la région lyonnaise. Un commissaire qui quitte sa direction pour une autre est perçu comme un traître. Notre administration n'a toujours pas compris l'intérêt d'utiliser les compétences de tous, c'est-à-dire de satisfaire à la pyramide de Maslow… Quel est le bien-être au travail d'un employé – femme ou homme – préoccupé par des soucis de garde d'enfant ?
Je ne jette pas la pierre aux hommes car ils ont été élevés dans cet esprit. Il faut dans notre société redéfinir de façon globale les rapports femmeshommes. Beaucoup d'hommes se retrouvent eux aussi dans des situations difficiles – je pense à ceux qui assure la garde alternée de leurs enfants. N'oublions pas qu'un mariage sur deux se termine par un divorce à Paris et un sur trois sur le reste du territoire. Mes fonctions m'ont amenée à réfléchir à cette situation. Les femmes qui travaillent dans la police côtoient les aspects les plus noirs de la société dont la solitude des enfants à la dérive, que ce soit en banlieue ou en ville. Il est donc normal qu'elles choisissent instinctivement de s'occuper de leurs enfants avant leur carrière.
Nous devons travailler ensemble pour que, demain, les enfants soient élevés avec sérénité et que les adultes aient encore du temps à leur consacrer. Nous avons mis de côté l'éducation de nos enfants. Les femmes qui en ont les moyens peuvent employer des personnes susceptibles de compenser leur absence, mais comment font les mamans de banlieue, qui ont un petit salaire et ne sont pas acculturées, pour élever leurs nombreux enfants ?
Lorsque je travaillais à Versailles, j'ai tenu, pendant un an, à recevoir les parents d'enfants en dérive. J'ai découvert que beaucoup d'enfants étaient livrés à eux-mêmes. Cette solitude explique pourquoi tant d'enfants quittent le droit chemin.
Lorsque nous avons rédigé le rapport relatif aux femmes et à l'immigration, j'ai découvert qu'il existait des programmes de télévision de 3 à 5 heures du matin destinés aux enfants dont la maman part au travail et qui restent seuls à la maison. Il est évident que les adolescents, en pareille situation, sont tentés par toutes sortes de dérives.
La parité ne vise pas seulement le bien être de la femme : elle a des conséquences pour toute la famille.
Aujourd'hui on construit des lotissements à une vingtaine de kilomètres des communes. Les adolescents et les pré-adolescents qui vivent dans ces cités dortoirs n'ont rien à faire. C'est un vrai problème.
Il faut donner aux parents le temps d'élever leurs enfants, en globalisant le temps de travail sur l'ensemble de la carrière, ou en reportant les ruptures de carrière sur l'âge de départ à la retraite. Mais les personnes qui s'arrêtent pour élever leurs enfants sont mal considérées dans l'entreprise, et le salaire des femmes n'est souvent qu'un salaire d'appoint. Il faut trouver des solutions. Les femmes refusent de choisir entre leur vie professionnelle et leur vie familiale.
La culpabilité est très présente chez les femmes qui occupent des postes à responsabilités. Elles essaient de bien faire leur double métier, mais les journées n'ont que 24 heures. C'est encore plus difficile pour celles qui habitent en banlieue et travaillent à Paris.
Je pense, au risque de vous paraître immodeste, que mon mandat syndical aura été utile. Les hommes m'ont remerciée d'avoir réalisée cette analyse car ils n'auraient pas osé le faire eux-mêmes.
Dans la police, le syndicat des commissaires joue un grand rôle, notamment dans les réflexions sur l'avenir de la profession.
Mon adjoint a trois enfants et sa femme travaille : il est amené à garder ses enfants. Quant à son adjointe potentielle, elle a également trois enfants.
Lorsque ma première étude est parue, en 2006, j'ai observé la réaction de mes collègues masculins. Ils l'ont bien acceptée. Cela dit, je suis persuadée que si, dans quatre ans, les directeurs n'ont pas changé, les chiffres seront les mêmes.
Lors de la prochaine législature, la Délégation aux droits des femmes auditionnera votre successeur.
Je propose que nous rédigions un rapport de situation comparée pour les ministères et les administrations.
Dans certains pays, les ministres sont recrutés sur projet et ont des comptes à rendre sur ce projet.
C'est ce qu'il faudrait instaurer en France !
J'ai eu l'occasion, pour l'Observatoire de la parité, de rédiger un rapport sur la parité dans les ministères. J'ai donc auditionné le chargé de mission pour l'égalité : il semblait vivre dans un autre monde…
En Lorraine, la déléguée aux droits des femmes a organisé un colloque pour faire avancer la parité dans la fonction publique. Cela a permis de faire entrer la parité dans la discussion et de provoquer la mauvaise conscience de ceux qui s'y refusent... Mais après ?
Quoi qu'il en soit, nous vous en remercions, Madame, pour l'action que vous avez accomplie dans la police.
J'ai été la première femme chargée de diriger un service de 500 personnes réputées difficiles à commander. Il n'y avait alors aucune femme dans les brigades anti-criminalité (BAC) et une seule parmi les motards. J'ai réussi à vaincre les résistances et, lorsque je suis partie, il y avait des femmes à ces postes. Je suis heureuse d'avoir contribué à l'évolution de la société française. Je l'ai fait pour mes enfants, pour tous les jeunes que je rencontre. J'ai deux filles et un garçon : je veux qu'ils soient à égalité pour choisir un métier.
J'aimerais, Madame la présidente, que nous auditionnions une directrice de service du ministère de l'intérieur.
L'audition s'achève à dix-neuf heures.