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Commission de la défense nationale et des forces armées

Séance du 18 mai 2011 à 10h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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La séance

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La séance est ouverte à dix heures.

PermalienPhoto de Guy Teissier

En préambule, je souhaiterais rendre hommage, au nom de l'ensemble des membres de la commission, au soldat Loïc Roperh, tué en Afghanistan le 10 mai dernier. C'est le deuxième militaire du 13e régiment du génie de Valdahon, dans le Doubs, à perdre la vie sur ce théâtre d'opérations.

Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui M. Antoine Bouvier, président-directeur général de MBDA qui vient nous parler de son entreprise et, plus généralement, de la filière missilière et munitionnaire.

Nous avons examiné la semaine dernière l'avis de notre collègue Marc Joulaud sur la coopération franco-britannique de défense et avons adopté cette nuit à la quasi-unanimité le projet de loi autorisant la ratification du traité franco-britannique relatif à des installations radiographiques et hydrodynamiques communes. Je crois que vous êtes particulièrement concerné par cette coopération, votre groupe étant un parfait exemple du lien qui unit nos deux pays. Pouvez-vous nous donner votre sentiment sur ce dossier ? L'accord signé en novembre, qui nous engage sur une longue durée et constitue un tournant important dans les relations franco-britanniques de défense, vous ouvre-t-il de nouvelles perspectives ?

Je vous sais également très attentif à la question de l'exportation. Pouvez-vous nous faire part de votre point de vue au regard du conflit dans lequel nous sommes engagés en Libye ? Considérez-vous que le projet de loi que nous avons récemment adopté en la matière va faciliter les échanges ? Renforcera-t-il la base industrielle et technologique de défense en France et en Europe ou risque-t-il de l'exposer à de nouvelles concurrences ?

PermalienAntoine Bouvier, président-directeur général de MBDA

Je souhaite vous présenter la situation, les enjeux et les perspectives de la filière missilière avant d'évoquer la coopération franco-britannique.

En quinze ans, six entreprises européennes nationales concurrentes, ayant chacune leur culture spécifique, se sont consolidées, étape par étape, pour former le groupe européen MBDA qui représente aujourd'hui plus de 20 % du marché mondial. MBDA regroupe dans quatre pays 10 000 employés, dont la moitié en France, avec un chiffre d'affaires de 3 milliards d'euros, dont la moitié réalisé dans notre pays.

MBDA représente environ 70 % de l'industrie européenne des missiles. Il est à ce titre « l'Airbus des missiles » : un grand succès français et européen et l'un des exemples les plus aboutis de l'objectif du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de développer des champions européens de dimension mondiale.

L'industrie des missiles s'inscrit dans un contexte mondial. Exception faite de la Russie et de la Chine qui, pour des raisons évidentes, ne sont ni des marchés accessibles ni des coopérants potentiels, le secteur est principalement représenté par trois grands groupes qui se partagent environ 75 % du marché et de l'activité industrielle : les américains Raytheon et Lockheed Martin et MBDA. Chacune de ces entreprises dispose de l'ensemble des technologies lui permettant de développer ses activités de maîtrise d'oeuvre. Les trois entreprises sont présentes sur toute la gamme de produits et ont une dimension commerciale mondiale ; ce sont donc des acteurs globaux de taille équivalente.

Le reste du marché relève d'un peu plus d'une dizaine d'entreprises, européennes, sud-africaines, israéliennes ou coréennes. Il s'agit d'acteurs de niche ne pouvant constituer, pour un pays comme la France ou pour l'Europe, une option de long terme en matière de sécurité des approvisionnements et de maintien des compétences industrielles et techniques de souveraineté. Il n'y a donc pas aujourd'hui d'alternative européenne à MBDA dans le domaine des missiles.

Notre groupe porte plusieurs enjeux essentiels pour la France. Le premier est lié à la dissuasion, MBDA étant le maître d'oeuvre de l'ASMP-A et ayant à ce titre la responsabilité de la pérennité industrielle et technique de la composante nucléaire aéroportée. L'enjeu stratégique et opérationnel est pour sa part lié au type d'armements que nous développons, au premier rang desquels le SCALP dont la récente campagne en Libye a montré l'intérêt stratégique, les performances et la fiabilité. Je souligne que l'autonomie d'emploi, l'accès aux meilleures technologies et la sécurité des approvisionnements des autres missiles, des missiles antichar ou de combat terrestre sont des objectifs aussi importants que pour les missiles complexes. Sur le plan économique, MBDA représente en France environ 5 000 salariés en région parisienne et en région Centre, et génère au total 10 000 emplois industriels si l'on tient compte de la filière missile autour du groupe. Tous ces emplois sont de haute technologie, à haute valeur ajoutée et non délocalisables compte tenu de la nature de notre activité. Nous avons également une responsabilité dans le domaine de la coopération franco-britannique, notre secteur étant au coeur de l'initiative de 2010. Le dernier enjeu concerne l'exportation : nous réalisons actuellement 600 millions d'euros à l'export, sachant que le chiffre d'affaires indirect, c'est-à-dire lorsque nous équipons des plates-formes aériennes ou navales, est bien supérieur. Sans nos produits, il n'y aurait pas aujourd'hui de place pour les plates-formes françaises à l'export.

La stratégie de développement du groupe est simple à exprimer, ce qui ne veut pas dire qu'elle est aisée à mettre en oeuvre : nous souhaitons renforcer notre position d'acteur global, c'est-à-dire développer notre position sur les technologies, rester présents sur l'ensemble des gammes de produits et conforter notre action sur le marché notamment en termes d'exportations. Nous voulons également accroître notre position de champion européen de dimension mondiale. Pour cela nous devons avant tout assurer la pérennité de la filière missilière française avec nos partenaires, nos sous-traitants et l'ensemble des activités de recherche correspondantes.

Cette stratégie repose sur trois piliers fondamentaux : l'Europe, l'export et les programmes.

Chacun de nos deux principaux concurrents américains, Raytheon et Lockheed Martin, a un chiffre d'affaires supérieur à l'ensemble des budgets pour les missiles de tous les pays de l'Union européenne. Cela signifie que les enjeux de taille critique pour MBDA par rapport à ces deux groupes et, demain, à l'égard des nouveaux entrants sur le marché, sont essentiels. Ils ne peuvent être abordés de manière efficace que dans un cadre européen. Or, il n'y a pas de place en Europe pour deux champions ; le choix retenu est celui du Livre blanc, à savoir un champion européen ouvert sur l'extérieur. L'export nous donne la capacité de développer nos produits ; il nous impose aussi des impératifs d'innovation et de compétitivité.

L'Europe est donc le périmètre naturel de notre activité. Les consolidations industrielles et les programmes en coopération se renforcent mutuellement pour créer une dynamique d'intégration européenne.

J'en viens à l'export. Nous constatons que la pression sur les budgets de défense n'est pas une difficulté de circonstance, mais une donnée de long terme à laquelle nous devons nous adapter et qui doit faire partie intégrante de notre stratégie. Pour compenser cette réduction, en particulier celle des budgets pour les missiles en France, notre objectif est de développer fortement l'export que nous souhaitons faire passer du taux actuel de 30 à 40 % du chiffre d'affaires à plus de 50 % d'ici à 2015.

Le troisième pilier repose sur les programmes : sans eux, ni la construction européenne ni le développement à l'export ne sont possibles. Le SCALP naval comme le programmes ASMP-A, l'Exocet Block 3 et le Mistral MRV vont s'achever en 2011 et 2012. La situation pour MBDA est donc aujourd'hui d'une extrême urgence, même si elle était prévisible dès les années 2006-2007. Si l'on ne prend en compte que les programmes qui ont été décidés, nous ferons face à un véritable écroulement de la charge du bureau d'études. La part de développement relevant du programme 146 devrait en effet passer de 220 à 230 millions d'euros par an en moyenne entre 2008 et 2010 à 120 millions en 2012 et à moins de 40 millions en 2013.

Malgré le caractère alarmant de ces données, je reste confiant parce que MBDA a poursuivi depuis de nombreuses années une politique de transparence et de dialogue avec les États-majors et la direction générale de l'armement (DGA) et que nous disposons des éléments en termes de programme pour que des décisions soient prises rapidement. Nous souhaitons, dans un calendrier de plus en plus contraint, qu'un comité ministériel d'investissement (CMI) sur les programmes et la pérennité de la filière missile puisse se tenir avant la fin du mois de juin. Les dossiers sont prêts à être examinés et il ne faut pas retarder la décision : plus on tarde, plus il sera difficile d'arbitrer.

S'agissant de la coopération franco-britannique, le sommet du 2 novembre 2010 est très important pour l'ensemble de la communauté de défense et en particulier pour MBDA. Si de nombreux programmes en coopération sont mentionnés dans la déclaration finale du sommet, seul le secteur industriel des missiles est cité en tant que tel. Il fait l'objet d'un article spécifique et détaillé fixant à la fois le cadre, les objectifs et les modalités d'un plan de développement sur dix ans.

L'objectif est d'atteindre 30 % d'économies à l'horizon 2020. Cela ne signifie pas nécessairement 30 % de réduction de budget, mais un équilibre entre cette réduction et une meilleure utilisation des budgets disponibles en termes de capacités militaires. L'optimisation de ces capacités repose sur une spécialisation industrielle, la mise en place de centres d'excellence entre la France et le Royaume-Uni, la constitution d'un maître d'oeuvre industriel unique en Europe et le développement de programmes en coopération. Spécialisation, consolidation et coopération sont trois leviers identifiés par le sommet pour atteindre cet objectif.

Pour autant, il ne faut pas s'arrêter au contexte actuel de budgets contraints et de recherche d'économies. Les fondations de cette initiative bilatérale sont beaucoup plus profondes et recouvrent une vision de long terme.

Quatre éléments principaux nous rendent optimistes sur l'avenir de la coopération franco-britannique.

En premier lieu, nos deux pays ont suffisamment de choses en commun pour partager des objectifs stratégiques de souveraineté sur le long terme : puissances nucléaires, ils représentent à eux seuls 50 % des budgets d'équipement, et 70 % des dépenses de recherche et de développement (R&D) en Europe. En outre, ce sont les deux seuls États européens prêts à intervenir en premier et dans un cadre de souveraineté le plus étendu possible, comme le montre le récent conflit libyen.

Le deuxième principe fondateur est souvent méconnu : il s'agit du changement d'orientation du Royaume-Uni pour les achats d'équipements de défense. Pendant des décennies, ce pays a été le plus fervent adepte de l'achat sur étagère, de la mise en concurrence au cas par cas, de l'acquisition de matériels américains et de l'absence de politique industrielle avec, en toile de fond, la relation spéciale qui le lie aux États-Unis. À partir des années 2006-2007, la situation a changé avec la mise en place de la politique industrielle de défense appelée Defense Industrial Strategy (DIS). Dans le même temps, on a pu constater l'apparition d'une grande frustration à l'égard des États-Unis, en particulier sur le programme JSF : les Britanniques, bien que partenaires de premier rang et ayant beaucoup investi, ont eu des difficultés à obtenir les données techniques leur permettant d'intégrer leurs propres équipements sur leurs avions. Cette situation leur a fait prendre conscience qu'acheter au cas par cas sur étagère n'était pas nécessairement, pour les équipements de défense, l'approche la plus efficace financièrement, si l'on considère le prix d'acquisition, le coût d'évolution des produits, le développement de nouvelles versions, le maintien en condition opérationnelle (MCO) ou l'adéquation des spécifications des produits aux besoins.

Le Royaume-Uni a donc mis en place, en particulier dans le secteur des missiles, la Team Complex Weapon, c'est-à-dire une filière industrielle intégrée dans une approche globale de la relation entre le ministère de la défense et l'industrie. Elle concerne l'ensemble des acteurs et des programmes et s'inscrit dans une démarche de long terme avec un réexamen annuel des priorités et des synergies. Cette politique améliore la visibilité sur la programmation et les budgets ; elle renforce le dialogue avec les industriels qui peuvent ainsi apporter plus en amont leurs contributions à l'optimisation des programmes et la convergence des besoins opérationnels.

Le secteur des missiles est celui où cette nouvelle politique industrielle a été mise en oeuvre avec le plus de succès et de la manière la plus profonde. Cet élément a été déterminant pour la nouvelle coopération franco-britannique. Nous avons en France cette culture de relations de partenariat avec l'industrie ; le Royaume-Uni, qui ne l'avait pas, s'en est dotée, ce qui permet à nos deux pays d'engager un dialogue sur la base d'une compréhension commune des enjeux industriels et de défense.

J'en viens au troisième fondement de cette relation. Le Livre blanc a constaté qu'aucun pays en Europe n'a seul les moyens pour maintenir l'ensemble des capacités industrielles et technologiques correspondant à tous ses besoins militaires. Il en a tiré la conclusion que le deuxième cercle de souveraineté, à savoir une dépendance mutuelle acceptée, organisée, équilibrée entre pays européens, est nécessaire pour maintenir les capacités de souveraineté en Europe. Comme le disent les Britanniques avec l'expression « share it or lose it » : faute de partager une capacité, on la perd.

Il me semble enfin que la coopération franco-britannique peut s'appuyer sur la réussite de MBD, puis de MBDA. MBD a été mise en place en 1996, parce que Français et Britanniques ont décidé d'opter pour une solution commune en faveur du SCALP Storm Shadow, le produit le plus stratégique des missiles puisqu'il assure la frappe dans la profondeur. Ce choix a été fait en alternative à une solution américaine. C'est à la suite de cette coopération que la société MBD a été élargie à Aérospatial, puis que l'Italie et l'Allemagne ont participé au projet.

Les éléments que je viens de vous présenter constituent une nouvelle donne pour l'industrie. Il ne s'agit pas seulement de l'approfondissement d'une coopération existante, mais d'une nouvelle approche de l'intégration de l'industrie européenne de défense.

Jusqu'à présent, nous avons donné la priorité à une coopération sur les programmes et dans ce cadre, étape par étape, sous forme d'ajustements, nous avons opéré des spécialisations ou supprimé certaines duplications. Désormais l'approche est totalement différente : sa dimension principale est celle de la rationalisation industrielle ; ce ne sont pas seulement les programmes qui permettent, à la marge, d'assurer une spécialisation, mais une démarche globale, dans un périmètre franco-britannique, sur l'ensemble des capacités techniques et industrielles.

Les conséquences sont considérables, obligeant à inventer de nouveaux outils. Nous entrons sur des terrains de coopération inexplorés qu'il faut comprendre, identifier et pour lesquels il faut définir des solutions originales.

La spécialisation qui en résulte n'est pas subie : l'accord franco-britannique n'a pas créé cette situation de dépendance mutuelle, mais seulement constaté qu'elle existait, qu'elle était la conséquence naturelle des réductions de budget. Plutôt que de se cacher cette situation et de laisser perdre par absence de décision des pans entiers industriels et technologiques, nos pays ont eu le courage politique de faire face et d'organiser leur interdépendance.

Si l'on procède à cette spécialisation en mettant en place des centres d'excellence en France et au Royaume-Uni, il faut que leur répartition soit équilibrée d'un point de vue industriel et politique. Se pose le problème de garantir l'accès réciproque aux données et aux centres, y compris pour les activités à l'export. Il serait paradoxal que cette initiative franco-britannique conduise à rendre plus difficile l'obtention d'une licence d'exportation parce qu'il faut pour chaque produit avoir une licence française et une licence britannique ! Il convient donc d'inventer de nouveaux dispositifs pour l'exportation vers les pays non européens. Pourquoi ne pas revenir à la logique de l'accord Debré-Schmidt entre la France et l'Allemagne qui était pragmatique, compatible avec la législation des deux pays et qui a bien fonctionné pendant plusieurs décennies ?

Par ailleurs, si la France accepte que des centres d'excellence soient constitués au Royaume-Uni, et réciproquement, il faut qu'elle ait la garantie qu'ils sont pris en compte par la politique de R&D et financés dans le cadre de programmes ou de d'actions de recherche, de façon à ce que sur le long terme, ils se développent et restent au meilleur niveau de la technologie mondiale. Il faut donc élaborer une approche de R&D commune qui ne peut exister qu'avec une politique de produits commune, correspondant à une anticipation des besoins opérationnels. Cette anticipation n'a de sens que si elle découle d'une appréciation partagée des menaces, des scénarios et de la stratégie au sens le plus noble du terme. La spécialisation ouvre donc des horizons totalement nouveaux qui dépassent largement le cadre industriel. Elle nécessite une réflexion en matière de R&D, de plans produits, de convergence sur les capacités, de vision partagée sur les menaces et de stratégie commune au niveau le plus élevé entre nos deux pays.

La spécialisation a également des conséquences sur la nature même de notre coopération. Nous ne pouvons pas avoir une industrie plus intégrée, travaillant dans un périmètre franco-britannique comme une seule entreprise, si les deux ministères de la défense, c'est-à-dire les deux interfaces contractuelles, agissent de manière moins coordonnée que nous ne le faisons et sur la base d'un cadre juridique non harmonisé ou incompatible. Un important travail est à faire dans ce domaine.

Les conditions de succès de cette coopération sont multiples et passent d'abord par des budgets équilibrés : la dépendance mutuelle suppose que l'on se fasse confiance pour avoir la même approche sur les moyens. Les Britanniques viennent de confirmer un budget pour les missiles de 600 millions de livres par an. Si la France s'en éloigne trop et si nos partenaires ne pensent pas que les perspectives de long terme sont aussi solides chez nous que chez eux, ils ne s'engageront pas dans une voie de dépendance mutuelle.

Il faut aussi une volonté politique avec la signature d'un traité : les sujets liés à la spécialisation et à la coopération ne peuvent dépendre d'outils juridiques de circonstance, mais doivent être inscrits dans une convention entre les deux pays.

Enfin, il revient aux industriels d'avoir des résultats à court terme pour montrer que cette dynamique est justifiée et doit être poursuivie.

La coopération franco-britannique dans le domaine des missiles est la première application véritable de ce principe du second cercle de souveraineté du Livre blanc. Au-delà de cette approche bilatérale, qui est pragmatique et utile, la vision européenne doit être préservée. Je rappelle que MBDA est installée dans quatre pays et que ce n'est pas une entreprise franco-britannique !

Les différents outils de coopération dont nous discutons avec les ministères de la défense français et britanniques ne sont pas spécifiques au secteur des missiles : demain ils seront, je l'espère, applicables à d'autres domaines de l'industrie de défense. Cette initiative est également un « test » avant une extension à d'autres secteurs industriels. Je précise que ce terme a été employé dans la déclaration finale du sommet franco-britannique.

En conclusion, le secteur des missiles est aujourd'hui en France et en Europe à la croisée des chemins. Des décisions urgentes doivent être prises. Nous pouvons engager une dynamique positive, à la fois en termes de pérennité et de croissance avec des succès à l'export, en mettant en oeuvre cette coopération franco-britannique et au travers de nouveaux programmes. Mais si ce n'était pas le cas, la spirale de sortie serait rapide et brutale : sans décision sur les programmes, la dynamique franco-britannique sera perdue. Les Britanniques ne s'engageront pas dans une dépendance mutuelle s'ils croient que nous n'accordons pas autant d'importance qu'eux à ce secteur stratégique. Nous n'aurons pas alors les exportations escomptées. Ces trois éléments que sont l'export, la coopération franco-britannique et les programmes se tiennent donc et nous sommes aujourd'hui à un stade de décision majeur pour engager cette dynamique positive.

PermalienPhoto de Gilbert Le Bris

Comment les Britanniques envisagent-ils ce qu'ils appellent leur « relation spéciale » avec les États-Unis dans le domaine des missiles ? Quelles conséquences pourraient en découler, y compris pour vous ?

En matière de défense antimissile balistique (DAMB), êtes-vous toujours, sur votre feuille de route, concentrés sur les intercepteurs endo-atmosphériques moyens et hauts ou envisagez-vous à d'autres pistes ?

PermalienAntoine Bouvier, président-directeur général de MBDA

Cette relation spéciale avec les États-Unis est en toile de fond de toutes les discussions. Mais la nouvelle politique industrielle britannique dans le domaine des missiles et la coopération franco-britannique ont réduit à peu de choses la coopération entre le Royaume-Uni et les États-Unis dans ce secteur. Une filiale de Raytheon spécialisée dans des bombes guidées est certes implantée outre-Manche, mais elle n'intervient pas dans le domaine des missiles et ne fait pas partie de la Team Complex Weapon que j'évoquais. Cela veut dire que si nous proposons des schémas industriels optimisés, des programmes bien conduits et conformes à leurs objectifs contractuels ainsi qu'une perspective de long terme, nous pouvons représenter une alternative solide à la solution américaine.

S'agissant de la défense antimissile qui est un sujet très vaste, je veux souligner qu'il s'agit d'un moyen pour les États-Unis de tirer l'ensemble de son industrie et d'asseoir sa suprématie stratégique en Europe et sur un ensemble de pays d'Asie et du Moyen-Orient. Cette question technologique et stratégique est également un enjeu pour les industriels : si nous ne sommes pas partie prenante de ces initiatives, nous prenons le risque de ne pas avoir accès aux technologies de base pour développer les prochaines générations de produits. MBDA se place dans une approche de défense aérienne élargie, c'est-à-dire d'extension, étape par étape, des domaines d'interception des nouvelles menaces, dans un contexte marqué par le développement des risques liés aux missiles de théâtre mis en place dans de nombreux pays pour contourner la suprématie aérienne.

PermalienPhoto de Michel Grall

Des risques pèsent-ils sur la composante océanique de notre dissuasion nucléaire à l'horizon de vingt ou trente ans ? Je pense par exemple à des risques liés à l'éventuelle détection de sous-marins. Si c'est le cas, quelles conclusions faut-il en tirer ?

PermalienPhoto de Michèle Alliot-Marie

Vous avez parlé d'un objectif d'économie globale de 30 % : y aura-t-il une répercussion équivalente sur le coût des missiles, qui est aussi un des problèmes de notre compétitivité à l'exportation ?

Quelles sont par ailleurs l'importance, la nature et les origines géographiques de nos dépendances extérieures sur les composants ?

Notre relation privilégiée avec le Royaume-Uni est-elle un moyen pour les Britanniques d'affaiblir l'agence européenne de défense (AED), notamment en matière de prospective ?

PermalienAntoine Bouvier, président-directeur général de MBDA

Je ne ferai aucun commentaire sur la composante océanique. Je dirai simplement que l'objectif de stricte suffisance implique que la marge de manoeuvre par rapport à une situation où nous ne serions plus suffisants est aussi étroite que possible et que cette marge doit être gérée sur les plans technologique et stratégique. Cela suppose d'avoir des leviers différents, c'est-à-dire une double composante océanique et aéroportée, de manière à anticiper des menaces ou des réductions de crédibilité sur l'une ou l'autre des composantes à un horizon de vingt ou trente ans. À cet égard, la composante nucléaire aéroportée apporte une brique essentielle.

Les économies de 30 % conduiront à des réductions de budget et à une amélioration de l'efficacité de nos industries, donc du prix de nos produits. Si nous nous fixons pour objectif d'avoir plus de la moitié de notre activité à l'export, c'est bien parce que sur ces marchés très concurrentiels, nous avons confiance en notre capacité à améliorer notre compétitivité dans les prochaines années. Nos nombreux succès à l'exportation ont montré que la performance de nos équipements fait la différence et que les clients apprécient le produit de manière globale, considérant non seulement le prix d'acquisition mais le coût sur l'ensemble de sa durée de vie. Cette performance et cette compétitivité sont pour nous des objectifs essentiels tant vis-à-vis du client français que des clients étrangers.

Notre dépendance à l'égard des composants soumis aux règles ITAR (International Traffic in Arms Regulations) est un point critique. Dans le domaine spatial, l'Agence Spatiale Européenne a mené des actions de fond avec des investissements significatifs pour recréer des doubles sources en Europe sur des composants critiques de la liste ITAR ou de la liste EAR (Export Administration Regulations). En France, cette question est examinée par la DGA et correspond à l'une des actions lancées par l'AED. Si les composants sont moins visibles que les équipements, ils sont aussi essentiels pour l'autonomie stratégique.

Je ne sais pas si le Royaume-Uni utilise l'initiative franco-britannique pour affaiblir l'AED, mais je sais que l'Europe a été construite étape par étape et de façon pragmatique. Chaque fois que nous pouvons faire une avancée, faisons-là ! Nous progressons dans le cadre de la coopération franco-britannique, il faut s'en réjouir mais ne perdons pas de vue la vision européenne, notamment celle tendant à développer l'AED. Aujourd'hui, les budgets sont certes limités et les attentes, peut-être trop élevées, ont engendré une frustration au regard de l'action de l'agence, mais les principes directeurs restent tout à fait valides. Ils reposent sur une approche européenne des programmes de R&D, sur la définition de capacités militaires et sur une conception de consolidation industrielle ; trois éléments également essentiels dans la coopération franco-britannique.

PermalienPhoto de François Cornut-Gentille

S'agissant de cette coopération, vous avez montré que dans le cadre de MBDA, des possibilités de consolidation et d'innovations très fortes existaient et ouvraient rapidement des perspectives nouvelles. Mais votre groupe n'est-il pas un cas à part : ces avancées ne sont-elles les plus faciles eu égard aux spécificités industrielles du secteur des missiles ? Les groupes de travail mis en place dans les autres domaines peuvent-ils aboutir à des résultats ? Je pense notamment à des systèmes plus complexes, impliquant plusieurs industriels ou exigeant des restructurations industrielles. Qu'en est-il du positionnement de la DGA et de l'organisation de leur suivi politique ? Pensez-vous que les groupes de travail dont vous avez parlé peuvent être à l'origine d'initiatives et faciliter une recomposition du paysage industriel ?

PermalienPhoto de Philippe Vitel

L'accord franco-britannique a provoqué certaines réactions négatives : les milieux politiques de défense allemands avec lesquels j'ai été en contact y sont défavorables et les milieux italiens ne manifestent pas beaucoup d'enthousiasme ! Qu'en pensez-vous, vous dont le groupe s'est construit dans le cadre d'une coopération et d'une vision européennes ? N'y a-t-il pas une antinomie entre l'initiative franco-britannique et cette vision ?

PermalienAntoine Bouvier, président-directeur général de MBDA

MBDA est effectivement un cas à part et l'intégration au sein de ce groupe est plus facile. Nous avons déjà parcouru une grande partie du chemin : lorsque nous avons reçu le mandat de proposer aux ministères de la défense français et britannique des centres d'excellence, nous avons mis en place, à la fin de 2010, des groupes de travail franco-britanniques au sein de MBDA dans le cadre de notre organisation intégrée avec un comité directeur et un président ayant autorité sur l'ensemble des équipes pour faire avancer les dossiers. Les choix sont parfois douloureux et les discussions industrielles difficiles en interne, chacun acceptant les objectifs dans leur principe mais pas toujours, loin s'en faut, leurs conséquences. Si nous avons pu identifier une dizaine de propositions de centres d'excellence dans les deux pays, propositions que nous présenterons lors de la préparation du prochain sommet franco-britannique, c'est parce que nous avons fait ce travail dans le cadre d'une organisation intégrée.

Lorsque dans d'autres secteurs il n'existe pas d'organisation intégrée, chaque entreprise défend ses intérêts et il est beaucoup plus difficile de créer une dynamique. De plus, il est souvent impossible d'assurer un équilibre dans le périmètre du secteur concerné, la répartition ne pouvant intervenir que de façon plus globale.

Je vois suffisamment les difficultés de cet exercice au sein de MBDA pour anticiper celles, plus importantes encore, que pourraient rencontrer les autres secteurs. Cela ne fait que renforcer la nécessité d'une vision politique très solide, déclinée dans l'ensemble de l'administration et adressée clairement à l'industrie.

À côté des réactions des autorités politiques allemandes et italiennes et de leurs parlements, il faut aussi prendre en compte celles des personnels. Lorsque le concept de « one MBDA » a été défini à la suite du traité, les questions ne concernaient pas seulement la France et le Royaume-Uni, mais aussi l'Allemagne et l'Italie. Dans ce contexte, j'ai multiplié les réunions avec les cadres, les syndicats et l'ensemble du personnel dans ces quatre pays pour expliquer que la vision de MBDA en tant que société européenne demeurait intacte.

Pour éclairer le débat, je pense qu'il faut revenir aux fondements de la coopération franco-britannique : une convergence de deux pays qui, comme le disent les Britanniques, « payent et se battent » ; la reconnaissance que le secteur des missiles est absolument stratégique et doit être sanctuarisé, ce que le Royaume-Uni a fait en termes de politique industrielle et de budget sur les programmes ; et la mise en place d'une politique industrielle de long terme qui est la base du dialogue entre les deux pays. Il faut créer ou recréer ces mêmes conditions en Allemagne et en Italie. L'importance accordée au secteur des missiles, la sécurité des approvisionnements, l'objectif de compétence industrielle de souveraineté et des budgets permettant de soutenir la mise en place de cette politique industrielle sont des préalables indispensables sans lesquels on n'aura que des déclarations de principe.

En attendant, il faut utiliser toutes les opportunités, et elles existent, pour des coopérations sur des programmes, sur la R&D et pour mettre en oeuvre des initiatives communes avec l'Allemagne et l'Italie.

PermalienPhoto de Francis Hillmeyer

Pouvez-vous nous préciser vos objectifs en termes d'exportations, sachant que le budget militaire américain est également en baisse ? Quelles sont vos cibles en la matière ?

PermalienPhoto de Damien Meslot

Quel impact l'accord avec le Royaume-Uni aura-t-il sur vos exportations ? Vous permettra-t-il d'avoir accès à de nouveaux marchés, comme certains pays du Commonwealth ?

PermalienAntoine Bouvier, président-directeur général de MBDA

Notre objectif est bien de passer de 30 à 40 % de notre activité à l'export à plus de 50 %, soit 850 millions d'euros de chiffre d'affaires pour la partie française. Cela ne se réalisera pas en mettant simplement davantage d'équipes commerciales et en accordant plus de priorité aux budgets de prospection. Plusieurs conditions sont nécessaires : il nous faut tout d'abord renouer avec le succès sur les grands contrats relatifs aux plates-formes qu'il s'agisse des avions avec le Mirage 2000 et le Rafale, ou des navires avec les frégates multimissions (FREMM). Nous devons aussi être plus attentifs à l'exportabilité des produits que nous développons pour nos clients français et européens et être certains qu'il n'y a pas de sur-spécification. Je crois que cet élément est moins une contrainte qu'un facteur de discipline. Si nous gérons bien cette exigence, en lien avec les états-majors et la DGA, nous améliorerons notre expression des besoins et nous nous assurerons que ces besoins ne sont pas trop éloignés de ceux des autres pays. Enfin il nous faut garantir la compétitivité des produits, la concurrence se faisant de plus en plus sur les prix.

L'export constitue pour MBDA au Royaume-Uni une part relativement faible de son activité, de l'ordre de 15 à 20 %. L'objectif est de faire croître ce taux, mais pas aux dépens des exportations françaises. C'est la raison pour laquelle, dans cette initiative franco-britannique, la coordination des politiques à l'exportation est essentielle. Cela suppose de promouvoir de manière efficace et conjointe les produits communs, mais aussi d'avoir des politiques commerciales complémentaires et optimisées. Nous y travaillons dans le cadre de groupes de travail avec la DGA et son équivalent britannique. Notre objectif pour le mois de juillet est de fournir un plan franco-britannique d'exportations avec une stratégie et des objectifs communs sur le nouveau programme d'antinavire léger (ANL) mentionné par la déclaration du 2 novembre. Nous commençons par ce programme, qui n'est pas le plus difficile, en mettant autour de la table des administrations qui n'ont jamais dialogué et se sont considérées comme rivales depuis des décennies. La direction du développement international de la DGA (DGADDI) n'avait pas en effet pour objectif de promouvoir les exportations britanniques, sa mission s'exerçait exclusivement au profit des exportations françaises.

PermalienPhoto de Françoise Hostalier

Quel sera l'impact de l'accord franco-britannique sur l'emploi direct et indirect en France et au Royaume-Uni, compte tenu de la redistribution prévisible des lieux de production et de sous-traitance ? Quelles seront ses conséquences sur la recherche notamment ?

PermalienPhoto de Nicolas Dhuicq

La question des matières premières me semble déterminante, en particulier pour les terres rares. L'Union européenne a interdit l'exportation des téléphones portables usagés et de divers matériels informatiques pour mettre en place des systèmes de recyclage. Quelles sont vos intentions dans ce domaine ? Rejoignent-elles celles des Britanniques ?

En matière de R&D, pensez-vous, au regard des 10 milliards de dollars par an qu'y consacrent les États-Unis, que notre effort est suffisant pour maintenir notre niveau de compétences ?

Au sujet des exportations, peut-on, dans le domaine des missiles, avoir des produits d'un niveau technologiquement moins élevé que ceux utilisés par nos armées ?

Avez-vous, enfin, une inquiétude pour les sous-traitants ?

PermalienAntoine Bouvier, président-directeur général de MBDA

La coopération franco-britannique n'a pas, en tant que telle, d'impact sur le périmètre industriel et l'emploi. C'est le cas en revanche de la diminution des budgets, que nous cherchons à gérer au mieux au travers de cette intégration industrielle, laquelle a pour objectif de réduire notre base de coût, donc d'améliorer notre compétitivité et d'augmenter ainsi nos activités à l'export.

Les 250 millions d'euros de chiffre d'affaires supplémentaires que nous souhaitons réaliser avec les exportations correspondent plus ou moins au montant de la baisse escomptée de 20 % du budget français sur les programmes 144, 146 et 178. Il y donc compensation au niveau du chiffre d'affaire.

Pour autant, l'export n'a pas le même contenu que la production nationale en termes d'emplois, dans la mesure où il repose plus sur la fabrication, comporte une part de développement moins élevée et fait davantage appel à la chaîne des équipementiers et des sous-traitants.

Nous anticipons donc une réduction du format de l'entreprise en France et au Royaume-Uni à l'horizon 2015, sachant que l'initiative franco-britannique limite ce phénomène grâce à l'export.

L'écroulement de l'activité du bureau d'études est aujourd'hui pour moi le souci majeur : si des décisions sur les programmes ne sont pas prises dans les prochaines semaines, je ne vois pas comment nous pourrions poursuivre la coopération. Nous avons l'opportunité de soutenir nos capacités industrielles ; il ne faut laisser passer cette occasion. Je crois que c'est un élément structurant qui souligne, s'il en était besoin, l'urgence de la situation.

S'agissant des terres rares et plus généralement des équipements comportant des composants électroniques, la tendance que nous avons connue depuis des décennies s'est inversée : aujourd'hui, c'est le civil qui tire le militaire en matière de technologies. Notre objectif n'est pas tant de diffuser nos technologies que de sécuriser la faible part du chiffre d'affaires que les grands équipementiers et les fabricants de composants de matières premières font dans le domaine de la défense. Je note d'ailleurs qu'ils ne considèrent pas toujours cette activité comme importante ni rentable. Au Japon ou dans les pays nordiques, on estime même que ce domaine comporte des risques trop importants par rapport aux gains escomptés ; il en est ainsi par exemple pour les fournitures japonaises sur les composites. Nous voulons sécuriser nos sources d'approvisionnement, ce qui ne peut se faire que dans un cadre commercial global.

Cela n'est pas incompatible avec une approche spécifique sur les composants ITAR, qui doit être conduite dans un cadre dépassant celui de l'industrie de défense.

La DAMB est un secteur stratégique, les États-Unis l'utilisant, comme je l'ai dit, pour tirer la technologie et les exportations et pour asseoir leur suprématie sur de multiples secteurs. Sont concernés les systèmes, les radars, les missiles, mais également des technologies génériques qui, demain, seront communes à l'ensemble de nos gammes de produits et détermineront notre capacité à les développer au meilleur niveau.

La question des exportations comportant des technologies de niveau moins élevé doit être examinée au cas par cas. Dans bien des situations, il faut s'interroger sur la pertinence des performances supplémentaires qui représentent parfois un surcoût très important ; il faut mener une véritable analyse de la valeur. Tel est d'ailleurs un des objectifs de l'initiative franco-britannique avec une implication la plus en amont possible de l'industriel, non pas dans le processus de décision mais comme une contribution à celui-ci. L'industriel apporte une vision sur la technologie, le programme et le coût escompté en fonction des options possibles. Dans d'autres situations, comme pour le successeur du missile Milan qui était relativement rustique, on observe que nos concurrents et nos clients s'orientent vers des solutions plus techniques avec des capacités « systèmes » plus élevées, permettant de tirer au-delà des vues directes ou d'homme dans la boucle, capacités largement communes à nos autres gammes de produits. Par cet exemple, je veux souligner que l'utilisation d'équipements rustiques peut donc, dans certains cas, demander les technologies les plus avancées.

PermalienPhoto de Dominique Caillaud

L'intervention en Libye a montré que les missiles avaient atteint leurs objectifs et ce théâtre d'opérations est sans doute idéal pour faire évoluer les matériels. Y aura-t-il un retour d'expérience et une analyse partagés avec les Britanniques pour essayer d'avancer dans cette démarche de produits communs ?

La qualité des produits ayant été démontrée sur ce théâtre, les clients à l'export devraient être plus demandeurs. Quelle garantie pouvez-vous apporter à nos troupes que ces matériels pourraient être neutralisés en cas de retournement de ces matériels contre nous, comme les États-Unis en ont fait l'expérience ces dernières années en Afghanistan ?

PermalienPhoto de Philippe Folliot

L'accord franco-britannique a eu une première conséquence au travers du traité sur les installations radiographiques et hydrodynamiques communes dont l'Assemblée a autorisé la ratification cette nuit. Ce traité aura-t-il des conséquences sur votre entreprise au regard des éléments mis en commun et d'un point de vue technique ?

PermalienAntoine Bouvier, président-directeur général de MBDA

L'intervention en Libye a confirmé la performance et la fiabilité de produits qui n'avaient pu être essayés sur un théâtre de guerre, de même que l'importance de la frappe dans la profondeur dans ce type de conflit. Qui aurait pu prévoir au début de 2011 que l'on pourrait aujourd'hui faire un premier bilan de l'emploi du SCALP ? Cela montre que les notions de surprise stratégique, de conflit de haute intensité, d'utilisation d'équipements sophistiqués complexes, peut-être moins mis en valeur dans les autres conflits en cours, retrouvent leur importance, ce qui nous conduit à relancer, dans un cadre franco-britannique, une réflexion sur l'avenir de la frappe dans la profondeur et sur un ensemble d'équipements de haute technologie.

À ce stade, nous avons des retours d'expérience excellents mais partiels de la marine, de l'armée de l'air et des forces britanniques. Nous avons prévu de nous revoir dans un deuxième temps, dans un cadre britannique et français, pour avoir un retour plus détaillé et pour tirer les leçons sur les équipements en cours et futurs. À cet égard, nous avons lancé après le sommet franco-britannique, une initiative commune sur la frappe dans la profondeur avec pour objectif de définir les grands contours du successeur du SCALP Storm Shadow ainsi peut-être que de l'Exocet et de technologies communes sur la frappe nucléaire aéroportée.

Les performances montrées par le Rafale et ses armements associés en Libye constituent en effet un facteur majeur pour leur exportation.

Concernant le risque politique, pour nous industriels de la défense, tout ce qui n'est pas autorisé de manière explicite et préalable est interdit, ces principes étant parfaitement légitimes. Nous intervenons dans ce cadre, en tant que bras industriel de la politique étrangère et de défense de la France. Il n'est pas d'action commerciale ou de partenariat qui n'ait été au préalable examiné avec les autorités compétentes. La coopération franco-britannique ne constituera pas un obstacle à ces principes.

Si la déclaration finale du sommet comporte des dispositions spécifiques sur la coopération dans le domaine des missiles, il est important que le traité général franco-britannique soit ratifié et que certains principes fondateurs soient ainsi confirmés. Je pense notamment à la mise en place de centres d'excellence, au support à la pérennité de la base industrielle et à la dépendance mutuelle.

PermalienPhoto de Yves Fromion

En dehors de la coopération franco-britannique, quelles sont vos autres perspectives de développement ? Pouvez-vous nous préciser les projets que vous présenterez au Gouvernement en la matière ?

Pensez-vous que l'A400M puisse être le point de départ au sein d'Airbus Military de quelque chose qui ressemblerait à MBDA au niveau européen ?

PermalienPhoto de Jean Michel

Vous êtes dithyrambique sur les avantages de l'accord franco-britannique, mais il ne faut pas oublier l'Allemagne et l'Italie qui sont également pour vous des partenaires importants !

D'ailleurs, les suites données au sommet franco-britannique de 1998 n'ont guère été concluantes, qu'il s'agisse du porte-avions, des frégates ou du spatial. Il ne faudrait pas que l'histoire se répète…

Je suis également inquiet vis-à-vis de l'Allemagne, qui est le plus grand pays européen dont le PIB est 50 % supérieur à celui de la France et une balance commerciale et des paiements largement excédentaires, contrairement à celles du Royaume-Uni et de la France. Il ne faut pas oublier que la coopération franco-allemande a toujours eu une place importante.

Vous avez évoqué la création d'une vingtaine de centres d'excellence implantés en France et au Royaume-Uni : que vont en penser les Allemands et les Italiens ? Comme l'a souligné Mme Michèle Alliot-Marie, n'assiste-t-on pas à un contournement de la construction européenne telle qu'elle avait été envisagée avec un affaiblissement du rôle dévolu à l'AED ?

PermalienAntoine Bouvier, président-directeur général de MBDA

La dynamique sur les programmes n'est, il est vrai, pas seulement franco-britannique. Certaines opérations sont par exemple franco-italiennes, comme l'Aster. Nous discutons actuellement sur le successeur du missile Milan, sujet dont nous débattons depuis plusieurs années avec les états-majors et la DGA. Ce dernier, qui a été pendant des décennies un des points forts de l'industrie de défense française et européenne et un élément moteur de la coopération franco-allemande, ne doit pas conduire à une sortie de l'Europe de ce secteur du combat terrestre. C'est absolument essentiel pour notre position d'acteur global, l'enjeu devenant de plus en plus technique, avec des technologies génériques communes à l'ensemble de nos programmes et un potentiel d'exportations considérable.

Nous avons certes été en situation difficile en juillet 2009 quant la France a acheté sur étagère des missiles américains Javelin en nombre limité correspondant à 10 % des besoins de l'armée de terre. Cela nous a laissé le temps de nous rétablir et de revenir à une solution française entre MBDA et Sagem qui correspond, je pense, aux besoins de l'armée de terre et à un prix attractif. Nous prenons d'ailleurs à notre charge une partie importante des coûts de développement parce que nous croyons à ce produit et à son potentiel à l'export. Mais cela fait un an et demi que nous travaillons en autofinancement et nous avons besoin d'un contrat pour agir dans un cadre formel et pour que les besoins soient clairement définis. C'est à nos yeux la décision la plus urgente à prendre lors d'un prochain CMI.

Nous travaillons aussi sur le programme de l'antinavire léger (ANL) qui est mentionné dans la déclaration du sommet franco-britannique et sur des options d'évolution des programmes Exocet et Aster.

Pour autant, même si ces quatre programmes étaient aujourd'hui décidés, le flux financier qui alimenterait notre bureau d'études serait d'environ 20 % inférieur à l'actuel. Nous ne sommes pas dans une situation où les options sont ouvertes et où nous pouvons accepter des risques.

Je ne me hasarderai pas à répondre sur l'A400M, ne souhaitant pas empiéter sur un domaine qui n'est pas le mien. Je vous dirais juste, à titre personnel, que de même que le Boeing 747 a été peut-être au moment de son lancement un problème majeur pour son producteur puis pendant des décennies un programme clé et un succès, le concept de l'A400M est très solide. Cet avion devrait se révéler comme un succès industriel, commercial et opérationnel pour l'Europe. Nous avons toute la matière pour étendre des coopérations dans ce domaine.

MBDA aborde en effet avec optimisme cette nouvelle donne de la coopération franco-britannique parce qu'elle correspond à la façon dont cette société s'est développée et que nous pensons que les fondations de cette coopération sont solides.

Cela étant, il n'y a pas d'entreprise européenne de défense sans une composante allemande forte, en raison de la position et du poids politique et économique de ce pays. La volonté ne manque pas de notre côté, mais nous sommes confrontés à la difficulté de mettre en place un dialogue et de trouver des sujets sur lesquels ce partenariat pourrait se développer. Cela constitue pour nous une frustration, mais nous avons pour objectif d'identifier des programmes, des technologies et des initiatives sur lesquels nous pourrons travailler.

Nous concevons la mise en place des centres d'excellence franco-britanniques en trois temps : d'abord, MBDA dans son ensemble, c'est-à-dire avec ses équipes allemandes et italiennes, travaille sur leur identification en fonction de notre politique industrielle comme nous le faisons de façon régulière depuis des années. Ensuite cette politique générale est déclinée dans un périmètre franco-britannique puis débattue avec les ministères de la défense français et britannique. Enfin, les orientations qui en résultent sont validées par le comité directeur de MBDA.

J'ajoute que certains de ces centres incluent ou incluront une partie de production italienne ou allemande significative. L'Allemagne conserve par exemple, au travers de notre filiale TDW, une compétence mondiale dans le domaine des charges militaires : nous pouvons utiliser ses équipements pour des produits franco-britanniques comme l'ANL et prenons en compte, dans le centre d'excellence relatif aux charges militaires, les capacités essentielles que nous avons outre-Rhin. Il en est de même de l'Italie pour l'activité « systèmes » et « autodirecteurs », où les compétences sont fortes. Si nous pensons que la seule solution raisonnable pour l'évolution du programme Aster est de poursuivre la coopération franco-britannique sur l'auto-directeur et d'autres parties du missile, c'est parce que nous avons des compétences dans ce pays ; on ne va pas transformer un programme de coopération avec l'Italie en un programme de coopération franco-britannique !

Les principes que nous avons définis et appliquons tiennent donc compte des contraintes et objectifs que vous avez mentionnés.

PermalienPhoto de Étienne Mourrut

Il y a lieu de prendre en compte l'Allemagne et l'Italie dans le contexte économique actuel. La politique du Royaume-Uni est, depuis des années, à cheval entre les États-Unis et l'Europe et ce pays n'a pas toujours été un fervent partisan de l'unité européenne…

PermalienPhoto de Jacques Desallangre

La vision bilatérale des menaces entre la France et le Royaume-Uni peut-elle être partagée avec l'Union européenne, si tant est que celle-ci ait une vision dans ce domaine, l'Europe de la défense étant encore dans les limbes ?

PermalienAntoine Bouvier, président-directeur général de MBDA

Comme je l'ai dit, la relation spéciale avec les États-Unis est en toile de fond de la coopération franco-britannique, mais je ne crois pas qu'elle constitue une menace de court terme dans le domaine des missiles, compte tenu des éléments que j'ai déjà évoqués et de la solidité de la Team Complex Open. C'est néanmoins une option toujours ouverte, la France ayant aussi d'autres options pour la coopération.

C'est la raison pour laquelle il faut s'engager avec le Royaume-Uni sur des approches de long terme. L'initiative lancée sur la frappe dans la profondeur, qui a été la fondation industrielle de MBDA et correspond probablement dans nos équipements, à l'exception de l'ASMP-A, à ce qui est le plus stratégique, tend à créer une situation de solidarité et de convergence qui, sans être irréversible, est de plus en plus solide.

Il ne revient pas à l'industriel de répondre à la question sur les menaces qui constituent un élément essentiel de la préparation de l'avenir en termes de technologies et de politiques de produits. Nous avons avec le Royaume-Uni le lien le plus étroit sur les technologies, les produits et la conception des menaces et de l'engagement. La contribution de l'industriel est technologique et porte sur l'analyse de la valeur et des performances : l'examen des menaces et la convergence des besoins opérationnels relèvent du pouvoir politique.

La séance est levée à onze heures trente.