Commission d'enquête sur la situation de l'industrie ferroviaire française : production de matériels roulants « voyageurs » et fret
La séance est ouverte à dix-huit heures vingt-cinq.
Créé en 1980, le GART regroupe 192 agglomérations, 64 départements et 22 régions. Sa principale vocation est d'être un cadre d'échanges entre les autorités responsables des transports. Le transport urbain sous toutes ses formes – bus, tramway ou modes alternatifs en site propre – s'inscrit, bien sûr, au coeur de ses préoccupations. Le GART s'intéresse aussi à la circulation, aux déplacements et au stationnement, de même qu'aux questions relatives à la livraison des marchandises, donc, pour partie, au fret ferroviaire.
Nous aimerions avoir votre avis, messieurs les vice-présidents, sur l'évolution future des transports publics et leur financement. S'agissant de l'acquisition des matériels, nous sommes également intéressés par le « retour d'expérience » du GART, par exemple, sur la procédure relative aux appels d'offres européens. Souhaitez-vous des modifications du droit applicable en la matière, ou à tout le moins quelques retouches ?
Enfin, quels types de relations entretenez-vous avec les constructeurs de matériels ferroviaires, notamment de tramways ? Je pense par exemple au problème de l'adaptation des matériels aux règles d'accessibilité pour les personnes handicapées ou âgées. Sur ce point, constatez-vous des différences d'approche selon les constructeurs, qu'ils soient français ou étrangers ?
Pour ce qui concerne votre dialogue avec les pouvoirs publics, en particulier avec les services de l'État, quelles sont, actuellement, vos préoccupations les plus sensibles ? Par ailleurs, existe-t-il à vos yeux un pays européen que l'on pourrait considérer « exemplaire » en matière de transports publics ? Dans l'affirmative, lequel ?
Après votre exposé liminaire, le rapporteur et nos autres collègues qui le souhaitent vous poseront un certain nombre de questions.
(M. Pierre Mathieu et M. Denis Jullemier prêtent serment.)
Le GART, qui regroupe des élus de toutes les sensibilités politiques républicaines, est l'interlocuteur des pouvoirs publics à l'échelle nationale et européenne ; il a aussi pour vocation de promouvoir les transports publics, dont le bon fonctionnement dépend non seulement de la qualité des infrastructures et des matériels notamment ferroviaires, mais aussi du montant des ressources disponibles, au niveau des régions comme des agglomérations. L'objectif des autorités organisatrices est d'assurer la meilleure accessibilité possible, en termes d'aménagement du territoire, de politique sociale et tarifaire et, comme vous l'avez mentionné, en ce qui concerne également les équipements destinés aux personnes à mobilité réduite. Pour ce faire, les besoins financiers sont très lourds.
Au cours de ces dernières années, la volonté de développer les transports collectifs s'est traduite par des investissements importants : à l'échelle régionale, avec le renouvellement des matériels et les commandes liées au développement de l'offre ; et, au niveau urbain, avec les différents programmes de transports en site propre. Ces investissements représentent en moyenne 25 % des budgets régionaux ; quant aux matériels roulants, le total des marchés clos et en cours – que se partagent à parts à peu près égales les constructeurs Alstom et Bombardier – dépasse les 20 milliards d'euros.
Les commandes en cours – jusqu'à 1 000 rames pour le Regiolis d'Alstom et 860 pour le Regio 2N de Bombardier – ont été établies sur la base d'une évaluation des besoins ; mais, depuis, la « donne » financière s'est beaucoup dégradée : toutes les collectivités ont vu leurs dotations gelées, mais les régions sont désormais les seules à ne plus disposer d'aucun levier de fiscalité directe. Les coûts des produits ferroviaires augmentant par ailleurs un peu plus que l'inflation, on observe des effets de ciseaux dont pâtissent forcément les capacités d'investissement – et cette situation est d'autant plus préoccupante que les collectivités, et notamment les régions, n'ont plus aucune visibilité financière, alors que les programmes d'investissements, établis pour trente ou quarante ans, se chiffrent en centaines de millions d'euros. Faute de moyens, la région dont je suis vice-président a été obligée de revenir sur certaines commandes de matériels ! Elle n'est d'ailleurs pas la seule dans ce cas : les commandes fermes ne dépassent pas 160 rames pour le Régiolis et 129 pour le Regio 2N, contre 1 000 et 860 prévues à l'origine. Ces difficultés sont préoccupantes pour les transports eux-mêmes, mais aussi, plus généralement, pour l'aménagement du territoire, l'économie et les emplois, autant de domaines dont les collectivités sont aussi responsables.
De surcroît, certaines différences de traitement sont mal perçues. Ainsi, à la différence des autres régions, l'Île-de-France bénéficie d'une importante ressource propre avec le versement transport et, pour le renouvellement des matériels roulants, d'une participation de la SNCF, ce que je ne conteste d'ailleurs pas au fond. Dans ces conditions, le GART estimerait tout aussi légitime une aide de l'État aux autres collectivités au titre du renouvellement des matériels. Certes, l'aide pour les transports en commun en site propre (TCSP), à hauteur de 2,5 milliards, a été rétablie ; mais elle concerne, pour le dire vite, le BTP – c'est-à-dire l'infrastructure –, et non le matériel roulant. J'ajoute que le plan de relance gouvernemental prévoyait des programmes en faveur de l'automobile, mais rien pour le ferroviaire ou les transports publics stricto sensu.
Le GART regrette également certaines décisions qui lui semblent peu cohérentes avec les objectifs du Grenelle. Ainsi, sur l'enveloppe d'un milliard d'euros en faveur des investissements d'avenir, 750 millions sont consacrés aux véhicules routiers, contre 150 millions pour le ferroviaire et 100 millions pour le transport fluvial.
Le total cumulé des investissements prévus au titre des projets de tramways et, plus largement, des TCSP – infrastructures et matériels roulants – se monte à 13,8 milliards d'euros. Mais la situation est très inégale selon les agglomérations : certaines d'entre elles, qui auraient besoin de développer leur offre ferroviaire, ne seront pas éligibles aux aides de l'État – puisque celles-ci excluent le matériel roulant –, alors que d'autres le seront, par exemple, en créant une ligne.
Même si certains aspects dont j'ai parlé dépassent peut-être le cadre de votre commission d'enquête, l'organisation des transports forme un tout. Les autorités organisatrices, notamment les régions, sont de plus en plus sollicitées pour financer des infrastructures, ce qui serait plutôt le rôle d'instances nationales ; si l'on y ajoute le gel des dotations et le défaut de ressources, la situation devient très préoccupante pour nos capacités d'investissement.
Nous avions déjà évoqué le problème du matériel roulant avec d'autres membres du GART. Je souhaite vous interroger sur le rôle des régions et leur double compétence – les transports et le développement économique. La réforme territoriale et le Grenelle leur donnent deux leviers, certes limités, à commencer par une fiscalité économique relativement favorable.
Non, les régions ne votent plus aucun taux de fiscalité : il n'y a même plus de lien entre le développement de l'activité économique et leurs recettes fiscales. Les seuls leviers dont elles disposent encore relèvent de la fiscalité indirecte : à savoir, les taxes sur les cartes grises et les permis de conduire.
Non, car son produit est obligatoirement « fléché » vers les grands projets d'infrastructure du Grenelle, hors des compétences régionales.
Précisément : les TCSP font tout de même partie de ce « fléchage ».
S'agissant de la double compétence, quid de la mixité d'usage des infrastructures existantes pour le fret, une mixité plutôt propice au développement économique et à l'emploi ? Je pense aux opérateurs ferroviaires de proximité – tramways et TER – qu'il faudrait sans doute adapter en ce sens, dans la mesure où, avec l'ouverture à la concurrence du marché des TER, les autorités organisatrices pourront se voir proposer de telles offres.
Il faudra effectivement que l'on reparle des moyens des régions et de leur évolution, car le problème n'est pas neutre pour les investissements.
Dans la région des Pays de la Loire, le tram-train circule sur des distances de 30 à 60 kilomètres. Le GART réfléchit-il à la complémentarité de ce mode de transport avec les TER, voire les grandes lignes ? Que font les agglomérations en la matière ? Si de tels projets sont à l'étude, il serait bon que nos industriels en soient informés pour être en mesure d'y répondre.
Comme l'a confirmé le déplacement que nous avons effectué hier à l'usine d'Alstom d'Aytré dans l'agglomération rochelaise, on peut douter de l'utilité de différencier les tramways de chaque ville par la multiplication d'options qui peuvent augmenter le prix de 25 %, alors qu'on pourrait les produire de la même façon en les différenciant seulement par un changement de leur couleur de sièges ou de rames !
Ne peut-on envisager de développer les appels d'offres communs, à l'exemple de ce qu'ont fait Dijon et Brest pour le tramway ? Les constructeurs ne sont pas forcément défavorables, car les petites commandes augmentent les coûts de séries très limitées.
Puisqu'il s'agit des deniers publics, comment introduire, dans les cahiers des charges, des critères qui, tout en respectant les règles européennes, éviteraient une sous-traitance massive à l'étranger ? Les appels d'offres assurent-ils suffisamment la traçabilité des produits ? Le fait est que, dans un cadre paraissant tout à fait conforme aux règles européennes, la Deutsche Bahn et Siemens remportent tous les marchés de matériels en Allemagne. N'oublions pas que les équipementiers français sont indispensables à une entreprise telle qu'Alstom.
Les 20 milliards d'investissements que j'évoquais ne prennent en compte ni les projets franciliens, ni ce qu'il conviendrait de faire pour répondre aux objectifs du Grenelle s'agissant des reports modaux. C'est pourquoi les donneurs d'ordres doivent avoir des moyens suffisants.
Sans céder au catastrophisme, je me référerai à la situation en Champagne-Ardenne, car elle est très probablement transposable aux autres régions. Les dotations que nous recevons de l'État pour le matériel roulant découlent des règles de la décentralisation engagée en 2002 : elles s'élèvent à 5 millions d'euros par an, soit depuis 40 millions d'euros, au total ; or, nos investissements ont atteint au cours de la période 240 millions d'euros. Le tram-train a évidemment un bel avenir ; mais, pour tout investissement nouveau – même s'il s'agit de l'exploitation –, nous ne recevons plus aucune dotation de l'État. Sur ce sujet, la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains dite « SRU » prévoyait pourtant qu'un rapport devait être adressé au Parlement et qu'il serait suivi d'un débat. Si un rapport a été rédigé par l'Association des régions de France (ARF), le débat, lui, n'a jamais eu lieu.
La région Champagne-Ardenne a été, avec les régions Picardie et Lorraine, la première à être confrontée au problème de l'exploitation de certaines lignes à grande vitesse. Nous avons, pour ce faire, négocié une compensation auprès de l'État, laquelle reste d'ailleurs partielle. Mais le matériel roulant a aussi été confié aux régions, ce qui représente, dans notre cas, une augmentation du parc de 35 %, pour un investissement de 120 à 130 millions d'euros – Alstom et Bombardier sont évidemment très au fait du dossier. Or, nous ne percevons aucune aide de l'État pour cela. Certaines régions ont ainsi été amenées à différer leurs commandes, si bien que l'on observe même désormais certaines régressions de l'offre de transports en lien direct avec ces contraintes financières.
Il est très rare d'arriver à des niveaux de commandes de plusieurs centaines de rames – y compris à l'échelle internationale. Ce n'est certes pas le cas pour les tramways et, si le GART na pas vocation à exercer une quelconque tutelle sur les collectivités, un appel d'offres groupé comme celui de Brest et de Dijon – moyennant une personnalisation du design – ne peut que contribuer à la diminution des coûts. On peut aussi s'interroger, dans cette optique, sur le niveau de sophistication des matériels et, sans qu'il soit évidemment question de transiger avec la sécurité, sur des exigences particulièrement lourdes voire excessives en matière de normes.
S'agissant des appels d'offres, des marges de progrès sont assurément possibles. Les régions commandent et paient, mais, aux termes de la réglementation, c'est la SNCF, dont nous ne contestons évidemment pas l'expertise, qui passe le marché ; or, les intérêts ne sont pas forcément convergents, dans la mesure où l'exploitant, soucieux du coût d'entretien des rames – lequel, sur la durée de vie d'un train, atteint souvent le niveau du prix d'acquisition –, peut pousser à certaines dépenses lors du processus de fabrication. Certaines propositions d'équipements sanitaires nous avaient ainsi semblé pour le moins surréalistes – d'autant que ce sont toujours les autorités organisatrices de transports qui en financent l'entretien. Bref, ce qui est possible dans certains pays de l'Union européenne doit aussi l'être en France.
On ne peut qu'être d'accord sur ce que vous avez appelé la traçabilité et la transparence. Reste que les autorités organisatrices des transports exercent une forte pression pour les délais, qui semblent parfois longs au regard de l'urgence des besoins : que ce soit avec Bombardier ou Alstom, il nous arrive « d'essuyer quelques plâtres » pour les mises en service, car les temps nécessaires au rodage des matériels ne sont pas toujours pris en compte.
Les autorités organisatrices souhaitent évidemment le meilleur rapport qualité-prix, encore faut-il savoir dans quelles conditions de sous-traitance. À cet égard nous devons réfléchir à l'élaboration du cahier des charges ; tous les éléments doivent être transparents, y compris de la part des industriels qui répondent aux appels d'offres. Enfin, s'il est un modèle étranger à suivre ou qui pourrait être une source d'inspiration, c'est sans doute celui de la Suisse – ce qui nous changera un peu du traditionnel « modèle allemand ».
Vous évoquiez le financement du TER par les régions, et les difficultés pour renouveler le matériel. J'ai déjà eu l'occasion de défendre l'idée selon laquelle le propriétaire doit être celui qui paie ; dans cette hypothèse, la valeur de revente permettrait de gager le renouvellement du matériel. Jadis en charge des transports dans mon département, je me suis battu pour que les bus appartiennent à la collectivité et non à l'exploitant privé. Aujourd'hui la SNCF déplace les matériels payés par les régions loin de celles-ci – des TER normands et picards, par exemple, sont garés dans certaines stations d'Île-de-France, quand ils n'y sont pas utilisés. Quelle est la position du GART sur cette question, qui, en Allemagne, se pose sans doute différemment, bien que les situations doivent sensiblement varier selon les Länder ?
Le vrai propriétaire est celui qui paie, j'en conviens. Ce point mérite cependant d'être examiné dans le détail. Certains AGC « bimodes » de Champagne-Ardenne, par exemple, circulent dans le cadre d'une mission régionale depuis Culmont-Chalindrey jusqu'à Troyes, et dans le cadre d'une mission nationale – moyennant une facturation, donc des ressources supplémentaires pour les régions – de Troyes à Paris-Est, leur gare d'arrivée.
Les autorités tiennent beaucoup à cette transparence : Le président de la région des Pays de la Loire, M. Jacques Auxiette, d'ailleurs ancien président du GART et toujours adhérent, vous l'a sans doute confirmé.
Cependant, lors d'un audit commandé par l'ARF et pour lequel la SNCF avait donné accès à ses comptes, il apparaissait clairement que la SNCF avait, sur trois séries de trains, facturé deux fois ses frais d'ingénierie aux régions : une première fois, au titre des coûts de structure généraux, il est vrai qu'une partie de ses personnels travaillent en amont sur nos dossiers et, une seconde fois, à l'occasion des marchés, pour un total de 60 millions d'euros. Est-il légitime de faire supporter aux collectivités territoriales la totalité des frais d'ingénierie, et ce par anticipation, sachant que ces frais profitent à d'autres activités de la SNCF, voire à l'exportation de certains aspects du savoir-faire français ? Ne peut-on envisager un partage plus équitable avec d'autres acteurs publics, y compris l'État, ou même avec certains industriels ? Le secteur aérien pourrait servir d'exemple.
Le GART est unanime sur la question de la transparence, y compris dans le cadre des négociations sur les cessions de terrains appartenant à la SNCF ou à RFF, nous disposons localement d'exemples révélateurs d'une certaine complexité sur le sujet.
La séance est levée à dix-neuf heures dix.