Audition de l'amiral Édouard Guillaud, chef d'état–major des armées, sur le projet de loi de finances pour 2011 (n° 2824)
La séance est ouverte à neuf heures trente.
Nous recevons ce matin le chef d'état-major des armées, l'amiral Édouard Guillaud, à qui je souhaite la bienvenue en votre nom à tous.
Nous avons hier entendu le ministre de la défense nous présenter les grandes lignes du budget, vous allez nous détailler leur impact sur nos armées.
Par ailleurs, je souhaiterais que vous nous fassiez aussi le point sur les opérations extérieures. Leur coût pour 2010 semble stabilisé à 867 millions d'euros. Comment seront-elles financées à la fin de l'année ? Quelles sont les perspectives pour 2011 ? Je crois savoir que cette année encore la provision inscrite au budget est en augmentation, ce qui est une bonne chose. La situation au Sahel conduit en effet à être prévoyant.
Je souhaite que vous évoquiez bien évidemment les opérations en Afghanistan. Vous étiez récemment, avec le général Irastorza, en inspection au centre de préparation des forces de Mailly pour rencontrer les militaires qui s'apprêtent à partir. Par ailleurs, l'offensive autour de Kandahar a été engagée ; vous nous donnerez ses objectifs et peut-être d'ores et déjà une estimation du résultat. De même, si j'en crois les déclarations du général David Petraeus, des talibans auraient approché le gouvernement afghan et les forces de l'OTAN, et sont prêts à commencer des discussions.
Amiral Édouard Guillaud, chef d'état–major des armées. En préambule, je tiens à remercier les élus pour le soutien qu'ils apportent à nos unités, à nos bases, à tous nos organismes.
Votre présence et votre action sont déterminantes : elles sont attendues et appréciées par les hommes et les femmes de la Défense, militaires et civils, personnel d'active ou de réserve.
Ils méritent de se sentir soutenus et reconnus dans l'accomplissement des missions que leur confie la représentation nationale, au service de la défense et de la sécurité des Français.
Pour introduire mon propos liminaire sur le projet de loi de finances (PLF), je citerai le Président de la République : « La défense est le fer de lance de notre diplomatie, de notre sécurité, de notre rang ».
Et ce fer de lance, ce sont plus de 11 000 hommes des armées engagés, au quotidien, sur des théâtres d'opérations extérieures et sur le territoire national, au service de la sécurité de notre pays et de nos concitoyens.
Parallèlement, nous conduisons la réforme la plus importante depuis celle de Pierre Mesmer après la fin de la guerre d'Algérie.
La plus importante, mais pas la plus visible, parce que nous serons probablement les seuls à aller au bout de l'exercice en serrant les dents !
Ce n'est pas pour autant un chemin semé de pétales de roses ! L'exercice est très difficile, d'autant plus difficile que l'irruption de la crise économique et financière vient singulièrement compliquer la donne. J'y reviendrai.
Mais d'abord, je souhaite aller à l'essentiel de ce que nous sommes : des militaires, et de ce que nous faisons : des opérations.
Ces opérations sont plus complexes, et ce pour plusieurs raisons.
Elles sont d'abord lointaines et multinationales pour la majeure partie d'entre elles ; l'adhésion de la nation n'en est que plus difficile.
Elles sont ensuite inscrites dans la durée : le temps du verbe n'est pas celui de la résolution des crises sur le terrain, qui sont toujours de nature politique et jamais exclusivement militaire. La bataille décisive de Clausewitz n'a plus cours aujourd'hui : nous sommes au sein de l'ONUST depuis 1948 (surveillance de la trêve en Palestine), au Liban depuis vingt-huit ans, au Kosovo depuis plus de dix ans, en République de Côte d'Ivoire (RCI) depuis huit ans.
Elles sont complexes aussi parce que le prix du sang est plus lourd qu'il y a dix ans et de moins en moins supportable par nos opinions publiques : 19 tués depuis le début de l'année et 104 blessés.
Elles engagent des moyens à la fois plus comptés quand les besoins vont croissant.
Enfin, elles sont sous l'emprise d'une judiciarisation qui suit les évolutions de nos sociétés occidentales, et ce phénomène n'est pas uniquement français. La mort d'un soldat dans la vallée d'Afganya est traitée comme un accident de la circulation sur l'A6.
Un soldat qui meurt au service de son pays est considéré comme une victime et non pas comme un héros ! Voilà qui déstabilise !
Je commencerai par vous parler de l'engagement des armées sur le territoire national. Pourquoi ?
Parce que, on l'oublie, c'est notre deuxième théâtre d'engagement, avec environ 2000 soldats qui chaque jour participent à la défense de notre souveraineté, à la protection de notre territoire et à la sécurité de nos concitoyens.
Notre participation à la défense de notre souveraineté s'effectue au travers de deux opérations principales. En premier lieu, HARPIE et la lutte contre l'orpaillage clandestin en Guyane : les FAG (Forces armées en Guyane) engagent en moyenne 330 militaires par jour dans cette opération. Deuxièmement, la lutte contre l'immigration clandestine à Mayotte.
Notre participation à la protection du territoire national passe par le dispositif VIGIPIRATE (734 hommes par jour en moyenne), mais aussi par la sécurité et la sûreté aériennes (posture permanente de sûreté (PPS) Air avec 217 hommes par jour), ainsi que par l'action de l'État en mer et la sauvegarde maritime (PPS mer avec 200 hommes par jour). Elle passe également par l'opération HEPHAISTOS l'été, pour les feux de forêts. 170 militaires ont ainsi été engagés du 29 juin au 19 septembre derniers.
La protection de nos concitoyens consiste aussi à faire face quand les autres administrations sont débordées par l'étendue de la crise. Nous sommes les spécialistes de l'extrême et du chaos. Nous sommes alors présents pour compléter les capacités qui leur manquent ou leur donner le temps de s'organiser. Nous sommes là et nous serons toujours là.
Cette année, ce fut le cas à l'occasion de Xinthia (avec 155 évacuations par hélicoptères militaires, sept kilomètres de rétablissement d'itinéraires, six kilomètres de reconstruction de digues ; 150 hommes mobilisés pendant un mois).
Ce fut aussi le cas pour les inondations du Var le 15 juin dernier (avec 300 hélitreuillages et 600 militaires engagés pendant plus d'un mois, soit le volume moyen d'un régiment).
Il ne s'agit pas de rentrer dans une logique de chiffres mais simplement de vous montrer que les armées s'engagent avec leurs capacités disponibles quand notre pays est menacé dans ses frontières, quand nos concitoyens sont démunis et dans l'épreuve.
J'en viens maintenant à nos théâtres d'opérations extérieures, où s'exerce aussi la défense de la France et de ses intérêts.
Je commencerai par le Kosovo, parce que c'est un théâtre proche, un théâtre européen. Le désengagement est progressif et maîtrisé, en concertation avec nos alliés ; notre présence a été divisée par deux depuis un an. Au printemps 2011, après le passage en « Gate 2 », nous devrions encore réduire de plus de 50% notre contribution. Nous garderons sur place le volume d'une grosse compagnie française, sur les ressources de la brigade franco allemande, au sein d'un bataillon multinational.
Deuxième théâtre : la République de Côte d'Ivoire. Depuis l'été, la RCI semble enfin s'être engagée dans un cycle vertueux qui pourrait enfin se conclure par des élections présidentielles avant la fin de l'année 2010 (le premier tour est prévu le 31 octobre). Je suis optimiste, même si tout n'est pas encore réglé (logistique électorale, désarmement, démobilisation, réinsertion (DDR)) : nous pouvons espérer une poursuite du processus électoral dans des conditions viables.
Sur place, nous disposons d'un bataillon de 900 hommes, dont un escadron de gendarmerie, ce qui constitue un volume suffisant pour protéger les sites nécessaires à l'organisation d'une éventuelle évacuation de nos ressortissants, en cas de crise sécuritaire grave. J'ai le sentiment que la question n'est plus celle des élections mais du jour d'après. Les négociations entre les différentes parties autorisent un certain optimisme.
Quelle est la nature des relations, y compris militaires, que la Côte d'Ivoire et la France souhaiteront développer, une fois un Président élu ? Ceci déterminera notre posture future.
Troisième théâtre : le Liban et la FINUL. La situation reste sensible, vous le savez. S'agissant de la FINUL, elle a fait ce qu'elle devait faire : elle a permis l'arrêt des hostilités malgré de petites explosions de violence, et bon an mal an, elle a offert quatre ans de non-belligérance.
Je pense qu'elle est arrivée au bout de ce qu'elle pouvait faire militairement. La routine étant le plus grand poison des opérations des Nations Unies - qui n'en ont pas besoin -, nous devons réfléchir à son avenir. On ne peut pas continuer à entretenir la FINUL juste pour faire flotter la bannière des Nations Unies au Liban.
Le département des opérations de maintien de la paix (DOMP) en est conscient, qui travaille sur une réorganisation du dispositif militaire.
Je souhaite rappeler certains chiffres : La FINUL compte 11 000 hommes « à terre » déployés sur une zone de 1 200 kilomètres carrés, soit neuf hommes par kilomètre carré.
Si l'on ajoute à ce ratio les effectifs des Forces armées libanaises (FAL) déployés au sud du Litani (4 000 hommes… au lieu des 15 000 hommes auxquels le Gouvernement libanais s'était engagé), on arrive à douze hommes par kilomètre carré ; ce qui est à comparer aux 50 000 hommes déployés au Kosovo au plus fort de la crise (cinq hommes par kilomètre carré).
Par ailleurs, le déploiement de la FINUL coûte 392 millions d'euros par an à l'ONU ; nous en payons une quote-part de 7,56 %.
Nous adaptons notre dispositif pour prendre en compte les évolutions du théâtre. Progressivement, nous remplaçons nos engins chenillés AMX 10P par des VBCI et bientôt nos canons AUF1 par des CAESAR. Les chars Leclerc seront rapatriés après avoir joué leur rôle dissuasif.
Quatrième théâtre : ATALANTE, opération de l'Union européenne. Cette opération est un succès militaire, qui se traduit par une baisse de 20 % du nombre de navires piratés cette année. Mais c'est un succès relatif car 90 % des pirates interceptés sont relâchés. Le traitement juridique des pirates est dans l'impasse ; les accords régionaux, notamment avec le Kenya et Maurice, s'essoufflent et l'Union européenne peine à trouver des solutions.
La piraterie n'a pas de solution militaire. Nous sommes là pour faire baisser la pression. La solution est à terre. Elle est globale et avant tout politique, dans la sous région.
Autre théâtre, nouveau : le Sahel. Vous le savez, l'actualité des otages éclaire cette région, qui appartient à l'arc de crise parfaitement identifié dans les travaux du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.
En quarante-huit heures, nous avons déployé un dispositif de surveillance et de renseignement aérien basé pour l'essentiel au Niger, complété par un plot de soutien logistique basé au Sénégal.
La montée en puissance d'AQMI (Al–Qaida au Maghreb islamique) est une vraie menace dans une zone grande comme l'Europe, à cheval sur plusieurs pays dont la situation politique est difficile. Et ce, à la fois pour nos ressortissants, nos intérêts stratégiques et la stabilité de cette région du monde. Nous voulons éviter que cette menace ne s'étende géographiquement.
Au-delà des otages, il convient de bien réfléchir aux stratégies que nous souhaiterions mettre en oeuvre dans cette zone à hauts risques. Nous devons prendre garde de ne pas fournir à AQMI l'ennemi dont il a besoin pour exister et prospérer. Là encore, il n'y a pas de solution uniquement militaire. Mais nos bases en Afrique, notamment au Tchad, au sein du dispositif Épervier, nous permettent aujourd'hui d'être présents au-dessus du Sahel.
Dernier théâtre : l'Afghanistan. Il constitue aujourd'hui le coeur de notre engagement opérationnel : il requiert au quotidien toute mon attention. 4 000 hommes y sont déployés.
Après six mois d'une intense préparation opérationnelle sans équivalent, ceux-ci sont engagés six mois dans des opérations de guerre. Il s'agit d'une guerre de contre–insurrection, lente et longue, où nos soldats payent le prix du sang leur engagement au service de la France.
Vous le savez, la perception et l'évolution de cette guerre sont soumises à la pression des incidents quotidiens. Or, l'évaluation objective de la situation demande du temps et du recul.
Neuf mois après le début des grandes opérations de la Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS) (opérations Mostharak en Helmand et Hamkari à Kandahar), il est effectivement trop tôt pour tirer un bilan définitif, même si l'agenda politico-militaire impose un objectif de court terme.
Mais, n'en déplaise aux Cassandres ou autres défaitistes, nous remportons des succès en Afghanistan. Je ne dis pas que nous avons gagné, je dis simplement que la stratégie adoptée et mise en oeuvre avec nos alliés commence localement à porter des fruits. J'en donnerai trois exemples. Lors d'un séjour en Afghanistan en juillet dernier, j'ai survolé Kaboul et j'ai pu constater que les nombreux embouteillages n'étaient plus dus aux camions militaires mais plutôt aux camions civils, notamment ceux du bâtiment. Deuxième exemple, les cheminées de briqueterie se multiplient, on en construit partout. Enfin, je rappellerai qu'en Europe, pour 100 000 habitants, on compte un mort violent par an. Ce chiffre est de cinq aux États-Unis, de vingt-cinq en Amérique latine et de cent à Caracas. À Kaboul, en tenant compte des attentats, ce chiffre est de quatre et s'élève à huit pour l'ensemble de l'Afghanistan.
Il reste vrai que toute solution uniquement militaire est vouée à l'échec.
Nous avons commencé à créer les conditions d'une « afghanisation » crédible pour une transition possible selon un calendrier que nous construisons en concertation avec nos alliés.
Après deux ans en Kapisa Surobi, nous enregistrons des signaux positifs.
Même si l'insurrection reste active dans ses sanctuaires, les forces afghanes et françaises ont étendu leur emprise, notamment sur les vallées de Tagab, la plus difficile, et d'Uzbeen, tristement célèbre. Et l'État afghan rétablit progressivement son autorité. Par exemple, le gouverneur de la province de Kapisa nous posait des difficultés et en insistant auprès du président Karzaï, ce gouverneur a été relevé.
Tout récemment, les élections parlementaires ont pu se dérouler dans des conditions satisfaisantes : l'insurrection n'est pas parvenue à perturber sérieusement la journée électorale. En Kapisa Surobi, seuls quatre bureaux de vote sur une centaine n'ont pas ouvert !
Un autre indice est significatif : depuis le 1er août, moins d'engins explosifs improvisés (EEI) sont posés ; et plus de 50 % de ceux que nous avons relevés ont été dénoncés par la population : il y a un an, ce taux était de moins de 10 %. Cela est vrai aussi pour les caches d'armes ou de drogue.
La population qui n'a pas très envie des talibans nous indique aussi des caches d'armes.
La stratégie de contre-insurrection est une stratégie au long cours, qui réclame de la patience, de la constance, de la persévérance et une vraie solidarité entre alliés. Nous sommes sur cette ligne. La conférence de Lisbonne, le mois prochain, sera l'occasion de faire un point avec nos alliés.
Ces opérations, nous les conduisons en même temps que cette réforme de fond qui ébranle nos structures, bouscule nos organisations et remet en cause nos méthodes de travail. C'est un vrai défi ; un défi d'autant plus complexe qu'il est contraint par les compressions budgétaires que vous connaissez.
Le deuxième bilan dont je souhaitais vous faire part concerne justement la transformation et la mise en oeuvre des restructurations. Le Livre blanc et la révision générale des politiques publiques (RGPP) sont deux exercices structurants pour notre ministère et les armées.
Je vous en rappelle les principales lignes de force. L'effort financier à consentir par la nation pour son outil de défense était fixé à 377 milliards d'euros sur la période 2009-2020, hors prise en compte de la crise. Les grands équilibres des deux lois de programmation reposent sur la réduction programmée de 54 000 hommes du ministère avant 2015, c'est-à-dire une baisse de 17 % en sept ans, ce qui est considérable. Je précise que ces chiffres ne prennent pas en compte l'effet d'éventuelles externalisations.
Cette restructuration mobilise 37 groupes de travail pour la RGPP et plus de 80 dossiers de réforme sont en cours. C'est une somme de travail qui s'ajoute aux opérations et à la préparation des forces. J'insiste sur ce point car nous entrons dans les années les plus décisives pour la réforme. Si nous avons commencé la manoeuvre dès 2008, c'est bien entre 2010 et 2012 que l'essentiel se joue.
Le bilan des restructurations est significatif. La participation pleine et entière de la France aux structures militaires de l'OTAN se poursuit selon le calendrier prévu, notre montée en puissance devant s'achever d'ici 2012. Nous souhaitons peser dans la réforme de l'OTAN, pour en faire une structure plus compacte, plus souple, plus réactive. Nous avons déjà des premiers résultats en ce sens et j'espère que le prochain sommet de Lisbonne les confirmera.
Le schéma directeur de l'outre-mer est établi. Nous mobilisons actuellement environ 10 000 hommes pour ses missions. Le nouveau schéma va engendrer une réduction de 23 % des effectifs des forces de souveraineté à l'échéance 2020, à condition que tous les engagements interministériels soient respectés, notamment en ce qui concerne les hélicoptères.
Les structures de commandement opérationnel et de soutien ont été rationalisées, soit à un niveau ministériel pour le soutien général, soit à un niveau interarmées pour les fonctions opérationnelles pures et les soutiens spécialisés.
L'organisation ancienne a donc laissé la place à une organisation fusionnée avec des structures désormais interarmées, resserrées et donc moins nombreuses. Je pense notamment au commandement interarmées de l'espace (CIE), implanté à Balard et qui m'est directement rattaché, l'espace constituant en effet un théâtre à part entière. Nous avons également mis en place le commandement interarmées des hélicoptères (CIH), mettant un terme à la multiplication des procédures, le commandement interarmées du soutien (COMIAS) et le service du commissariat des armées (SCA) qui regroupe tous les anciens commissariats d'armée.
Pour le maintien en condition opérationnelle, nous avons généralisé les organismes spécifiques sur le modèle du service de soutien de la flotte (SSF) ou de la structure intégrée de maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques (SIMMAD). Sont ainsi nés la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT), le service de la maintenance industrielle terrestre (SMITer), le service interarmées des munitions (SIMU) ou la direction interarmées des réseaux d'infrastructure et des systèmes d'information de la défense (DIRISI).
Nous avons également installé la direction de la sécurité aérienne, en charge de la sécurité aéronautique des aéronefs d'État. Le fait que tout le monde n'utilise pas les mêmes procédures était en effet une perte de temps et de moyens et entretenait une certaine insécurité.
Naturellement, la réforme du soutien est articulée sur les principes de soutien de proximité et de mutualisation sur un périmètre ministériel. C'est la réforme emblématique des bases de défense (BdD) avec 27 fermetures ou transferts réalisés en 2009 et plus de 100 unités concernées cette année par des restructurations. Elles seront près de 120 en 2011.
Je suis avec la plus grande attention ce dossier sensible qui affecte considérablement les hommes et les femmes, civils et militaires, de la défense, en me rendant régulièrement sur le terrain. Les principes généraux de fonctionnement et d'organisation sont arrêtés. Ils sont encourageants avec des mises en oeuvre souples et pragmatiques qui tiennent compte des réalités locales et sociales, qu'elles soient géographiques ou économiques.
En 2011, 60 BdD seront opérationnelles, 51 en métropole, et 9 outre-mer et à l'étranger. En toute transparence, je voudrais vous détailler les difficultés qui restent à résoudre sur ce dossier. L'infrastructure est un point particulier de vigilance qui conditionne le respect du tempo de la réforme. Les ressources exceptionnelles, qui n'ont pas été au rendez-vous, ont contraint à des choix lourds sur l'entretien de certaines infrastructures, notamment opérationnelles.
L'infléchissement du moral des armées est aussi une réalité. Le cumul des réformes, qui ne sont d'ailleurs remises en cause ni dans l'idée ni dans la nécessité, et leur rythme, associés aux effets boomerang de la crise financière, sont un facteur d'inquiétude supplémentaire.
Mon objectif principal est la préservation de la capacité opérationnelle de nos forces tout en poursuivant les réformes engagées. Cette transformation ne peut pas se faire au détriment des forces. J'y veille d'autant plus que la crise économique et financière et les restrictions annoncées sur la planification budgétaire triennale (PBT) fragilisent un peu plus un édifice en transition, c'est-à-dire par définition instable.
Avant d'aborder le PLF 2011, je voudrais revenir sur le contexte de l'exercice 2009-2010 et celui de la PBT 2011-2013.
L'exécution budgétaire 2009-2010 est globalement conforme à la LPM. À ce jour, le bilan physico-financier est correct. L'effort sur la fonction « connaissance et anticipation » s'est concrétisé avec la création du coordonnateur national du renseignement (CNR), l'académie du renseignement et l'augmentation des effectifs et des moyens affectés à cette fonction. C'est aussi le renforcement de la fonction « espace » avec le lancement d'HELIOS, celui de Spirale, les nouvelles stations sol SYRACUSE et la création du commandement interarmées de l'espace que j'ai déjà évoqué.
L'effort sur les équipements se poursuit : depuis 2009, des équipements majeurs ont été livrés, qu'il s'agisse des véhicules blindés de combat d'infanterie (VBCI), des canons CAESAR, des hélicoptères Tigre – qui impressionnent beaucoup nos partenaires en Afghanistan –, des véhicules blindés légers (VBL), des 25 Rafale, d'une frégate anti–aérienne ou des quatre systèmes anti-aériens SAMPT.
Dans le même temps, le plan de relance a donné une certaine impulsion à la LPM en permettant d'anticiper l'acquisition de certains équipements comme les petits véhicules protégés (PVP) Aravis, les hélicoptères CARACAL ou le troisième bâtiment de projection et de commandement (BPC). Pour autant, vous le savez, ce plan a consisté pour l'essentiel en une avance de crédits pour 2009-2010 qu'il conviendra de rembourser. D'ailleurs, ce remboursement a été intégré en programmation entre 2011 et 2020.
En revanche, deux facteurs conjoncturels ont aujourd'hui des conséquences structurelles qui pèsent sur l'exécution budgétaire 2009-2010 et, par conséquent, sur le PLF 2011.
Il s'agit tout d'abord des recettes exceptionnelles qui n'ont pas été au rendez-vous. Elles ont dû être compensées par la mise à disposition de reports de crédits arrivés en quasi-extinction début 2010 et par une réelle compression sur les opérations d'infrastructure à hauteur de 350 millions d'euros. Cette situation explique les inquiétudes dont je faisais part concernant les infrastructures.
Le deuxième facteur de préoccupation vient du fait que des surcoûts ou des besoins non programmés lors de la construction de la LPM sont venus alourdir la facture. Ce sont par exemple les dépenses associées à notre implantation aux Émirats arabes unis (EAU), aux frais de démantèlement des équipements, à l'exportation des Rafale, aux mises aux normes environnementales ainsi qu'à la prise en compte sous enveloppe des achats en urgence opérationnelle. Concernant le Rafale, je n'ai aucune inquiétude sur la réalisation de contrats à l'export ; il ne s'agit que d'un décalage qu'il faut temporairement compenser.
J'en viens aux dispositions du PLF pour 2011 et à la PBT 2011-2013. La maîtrise des déficits publics est une priorité nationale, car, comme le soulignait le ministre de la défense, « elle touche à l'essentiel, c'est-à-dire à la souveraineté de notre pays ». La défense contribue donc, et c'est normal, à l'effort de redressement de nos finances publiques.
En juin dernier, notre participation s'est traduite dans la PBT par une baisse des ressources budgétaires, par rapport au niveau défini en LPM, de l'ordre de 3,6 milliards d'euros entre 2011 et 2013. Cette réduction devrait être – j'aimerais pouvoir être plus affirmatif – partiellement compensée par le décalage et la réévaluation de recettes exceptionnelles et ramènerait la réduction globale des crédits à 1,3 milliard d'euros.
Il faut noter, par ailleurs, la nécessité de redoter d'environ 1 milliard d'euros le titre 2 sous plafond de ressources, excluant de facto le recours à la clause de sauvegarde pourtant inscrite en LPM. Quand on additionne à cela les besoins non programmés en LPM que j'ai précédemment évoqués, la PBT impose, sur la période 2011-2013, une forte pression hors titre 2.
Cette pression se manifeste par une contrainte importante sur la fonction support au titre de la mesure interministérielle de baisse de 10 % des dépenses de fonctionnement courant. Le périmètre de cette fonction support préserve cependant les moyens nécessaires au support des opérations. Cette pression conduit également à une baisse progressive et annoncée de l'activité de préparation opérationnelle. Il faut faire attention à ne pas atteindre un niveau qui nous mettrait en danger faute d'un entraînement suffisant. Enfin, cette contrainte impose le décalage de nombreux programmes d'armement, sans toutefois remettre en cause, au moins pour le court terme, les principaux programmes en réalisation.
Le PLF 2011 ne traduit donc pas encore de manière sensible les problématiques concernant la PBT 2011-2013 ; il les annonce !
Le montant des crédits accordés à la mission « Défense » hors pension est de 31,2 milliards d'euros, en conformité globale avec la LPM, dont 30,2 milliards d'euros de crédits budgétaires et 1 milliard d'euros de ressources exceptionnelles. Le gel des crédits budgétaires entre 2010 et 2011 étant compensé par des recettes exceptionnelles réévaluées, il faut qu'elles soient au rendez-vous ! Or les exercices 2009 et 2010 nous ont montré les difficultés que cela pouvait engendrer. Cela conditionne pourtant le maintien de l'effort en matière d'équipements de nos forces.
Quatre tendances se dégagent de ce projet de loi de finances.
La première illustre l'effort globalement maintenu sur les équipements. S'inscrivant dans la logique de « recapitalisation » de notre outil de défense, les ressources totales consacrées aux équipements s'élèvent à 16 milliards d'euros, soit un niveau toujours supérieur à la moyenne de la LPM 2003-2008, qui était de 15 milliards d'euros.
Bien qu'en retrait par rapport à la programmation, ces crédits permettent de poursuivre la politique d'investissement au profit de la fonction « connaissance et anticipation » – au travers de l'achat d'équipements et du recrutement de quelque 700 spécialistes – et de la protection du combattant.
Ces crédits permettront de réaliser ou d'engager des commandes avec, notamment, la poursuite du renouvellement des deux composantes de la dissuasion, qu'il s'agisse des missiles ASMP-A, mis en service le 1er juillet dernier, ou des missiles M51, qui viennent d'être admis au service actif. Nous améliorons aussi les moyens du renseignement grâce à la rénovation d'un C160 Gabriel pour l'écoute électronique, à la rénovation de nos AWACS, à des stations sol de satellite type SYRACUSE ou aux satellites MUSIS qui succèdent à HELIOS et nous donneront des capacités bien plus importantes. Je tiens à préciser que tous nos partenaires ne font pas des efforts aussi substantiels.
Nous faisons également un effort au profit des moyens de protection et de combat pour nos forces engagées avec les véhicules de haute mobilité (VHM), les VBCI, les VBL, les PVP ou le système FELIN. Pour les systèmes d'armes, il s'agit en particulier des sous-marins Barracuda, des avions Rafale, des hélicoptères Tigre, des premières livraisons d'hélicoptères NH90, des canons CAESAR et des torpilles Mu 90.
La deuxième tendance qui se dégage met en lumière la poursuite des réformes. Les réductions d'effectifs atteindront 8 415 postes au ministère de la défense, dont 7 742 pour la mission « Défense ». Corrélativement, le resserrement des dispositifs sera accentué en atteignant, avec deux ans d'avance, l'organisation cible à 60 BdD que j'ai évoquée tout à l'heure.
En revanche, les mesures d'économie sur le fonctionnement font peser des risques de nature à dégrader la qualité des services et le moral de nos armées. Il ne faut pas ignorer ce genre de risque. Les objectifs d'économie sur les dépenses de fonctionnement concerneront principalement le budget des bases de défense, avec une réduction forfaitaire d'environ 130 millions d'euros sur trois ans de leurs crédits de fonctionnement. Comme nous considérons qu'il faut responsabiliser les acteurs locaux, nous ne donnons aux responsables de base de défense que des objectifs globaux, charge à eux de les mettre en oeuvre au vu de la situation locale. Il est hors de question de dire à chaque base comment atteindre ses objectifs.
Pour les armées, les deux enjeux de rationalisation des soutiens et de continuité du service restent majeurs, alors que le soutien aux opérations avec le même niveau de qualité est un impératif. L'équation est donc particulièrement difficile, mais nous saurons relever le défi.
Troisième tendance : nous sommes contraints à la stricte suffisance en matière d'activité. Le PLF 2011 permet de satisfaire au plus juste l'activité opérationnelle dictée par les engagements en cours. Toutefois, entre 2011 et 2013, la pression budgétaire se traduira par la baisse des potentiels disponibles en raison de la dégradation des contrats de maintenance et de la réduction de certains stocks, déjà en dessous du niveau souhaitable.
Une telle tendance sur le long terme conduirait à une différenciation de plus en plus importante de la préparation opérationnelle des unités déployées et de celles qui ne le sont pas. C'est un pis-aller ! Il est hors de question d'avoir une armée à deux vitesses.
Cela interdirait aussi la préservation de savoir-faire individuels et collectifs essentiels pour nos opérations : c'est, par exemple pour nos pilotes, le vol sous jumelles de vision nocturne (JVN) ou le ravitaillement en vol. Ce sont encore nos capacités de manoeuvre aéro-terrestres ou même nos capacités de sauvegarde maritime, honorées en Méditerranée à hauteur de seulement 20 % depuis le déclenchement de la crise au Sahel, qui mobilise nos avions de surveillance maritime.
Cette baisse d'activité se reflète déjà dans la plupart des indicateurs définis dans le plan annuel de performance.
Enfin, le PLF pour 2011 maintient le provisionnement pour les opérations extérieures (OPEX), qui atteint 70 % des surcoûts constatés ces deux dernières années, la provision passant de 570 à 630 millions d'euros.
Le durcissement de nos opérations et la nécessité d'engager nos meilleurs équipements ont un impact fort sur les budgets malgré nos déflations régulières d'effectifs sur les théâtres en cours de stabilisation comme au Kosovo ou en Côte d'Ivoire.
Ainsi, le surcoût moyen total annuel d'un homme déployé en Afghanistan est de 103 200 euros alors qu'il est de 61 700 euros pour un soldat de l'opération Licorne en Côte d'Ivoire. La comparaison avec les coûts de nos principaux partenaires montre que, à périmètre égal, les armées françaises sont plutôt « bon marché ».
Au-delà de cette provision, il sera cette année encore nécessaire d'avoir recours à un décret d'avance ; dans un premier temps, gagé sur les crédits du ministère de la défense, dans un deuxième temps, remboursé en loi de finances rectificative (LFR), comme le prévoit la loi de programmation. Cela doit permettre de couvrir le financement des OPEX, in fine, avec la réserve interministérielle. Il ne faut cependant pas que la LFR arrive trop tardivement si nous voulons éviter de reporter trop de crédits, faute de temps pour les dépenser avant la fin de l'année.
Il me semble qu'il faut bien identifier le véritable enjeu. La PBT introduit mécaniquement une divergence avec la trajectoire des crédits budgétaires inscrits en LPM : il s'agit des 3,6 milliards d'euros dont je parlais.
Il est de ma responsabilité de planifier et d'anticiper les conséquences de cette nouvelle trajectoire sur le long terme, c'est-à-dire après 2013. Le pays fait le choix d'un outil de défense complet et polyvalent. La diversité et la complémentarité de nos moyens nous accordent encore aujourd'hui une véritable liberté d'action, à la mesure de nos ambitions et de notre place sur la scène internationale.
Demain, c'est notre modèle de force et donc nos ambitions qui seront en jeu, c'est-à-dire nos choix d'un outil de défense complet garant de notre autonomie d'appréciation, de décision et d'action. C'est une question française, mais qui concerne aussi tous les pays européens. Elle est éminemment politique.
L'Europe désarme alors que le monde réarme avec une augmentation moyenne de 6 % des crédits de défense. L'Europe baisse la garde dans un contexte de crise économique et financière, où les équilibres sont fragilisés, où les risques cumulés sont sources de tensions régionales et internationales. Les choix que nous faisons aujourd'hui engagent notre responsabilité pour l'avenir de nos enfants.
En conclusion, je voudrais rendre hommage à tous nos soldats engagés en opérations.
Je rends hommage aux dix-neuf soldats qui, cette année, ont payé de leur vie leur engagement au service de la France ; je rends hommage aux soldats qui ont été blessés, dont certains très grièvement. Je rends hommage à leurs camarades de combat, à leurs familles, à leurs amis et à toutes les associations qui les soutiennent dans l'épreuve.
Je salue aussi l'action des armées, des directions et des services qui se sont engagées sans état d'âme dans cette réforme de fond alors même qu'elle a un impact parfois important sur la situation personnelle de nombreux militaires ou de civils de la défense ! Cette abnégation n'est pas si fréquente aujourd'hui : elle mérite d'être soulignée !
Nous espérons bien évidemment que les recettes exceptionnelles viendront amoindrir le difficile effort de 3,6 milliards d'euros qui est demandé à la défense, pour le ramener à 1,3 milliard d'euros. Mais il faut également envisager l'hypothèse où ces recettes ne seraient pas au rendez-vous. Dans ce cas, quels équipements seraient touchés ?
Amiral Édouard Guillaud. Je l'ignore. Deux options se présenteront à nous : retarder certains programmes d'équipements, ce qui n'est pas souhaitable, ou bien créer une nouvelle bosse. Mais il s'agit là d'une décision de nature politique. Dans tous les cas, nous disposons de peu de marges de manoeuvre.
Les projets de cessions immobilières nous ont réservé des surprises. Celles-ci ont été mauvaises jusqu'à présent, y compris dans leurs évaluations, revues à la baisse. On escompte en revanche le phénomène inverse en ce qui concerne les fréquences. L'ARCEP estime que le marché est porteur et leur cession compenserait les moins-values immobilières. Cela dit, nous demeurons pour le moment dans une situation d'attente, sous forte contrainte. Ainsi, par exemple, le programme de renouvellement de la flotte des ravitailleurs a été repoussé. Aussi discutons-nous avec nos partenaires allemands et britanniques sur les possibilités de mutualiser nos moyens, mais aussi nos opérations et nos concepts. Cette recherche implique que chacun remette en cause toutes ses certitudes et nous sentons que les Britanniques y sont disposés.
Amiral, je tiens à vous témoigner de la grande satisfaction de la population du Var et de ses élus à la suite de l'intervention de l'armée pour sauver les sinistrés. Nous avons déploré vingt-sept morts, mais sans votre intervention, nous en aurions compté plusieurs centaines.
Le retour de la France dans les structures du commandement intégré de l'OTAN nous a permis d'obtenir les commandements de Norfolk et Lisbonne. Mais nous devions également obtenir d'autres postes, correspondant à un certain nombre d'étoiles, dans les différents états-majors. Par ailleurs, la contribution de la France est passée de 160 à 230 millions d'euros. Or, nous avions demandé qu'un plan d'économie soit mis en oeuvre. Pourriez-vous faire le point sur l'avancement de ces deux questions ?
Vous avez décrit les différents théâtres sur lesquels nos soldats sont déployés, qui donnent une impression d'éparpillement, tout en rappelant la baisse de format de nos armées actuellement à l'oeuvre. Dans ce contexte, pourrions-nous encore faire face à une crise majeure ?
Amiral Édouard Guillaud. Outre les commandements de Lisbonne et Norfolk, ce sont 26 « étoiles OTAN » qui devaient être attribuées à la France. Ces officiers doivent être mis en place progressivement, jusqu'en 2013.
La bonne nouvelle est que la réforme de l'Alliance progresse. C'est notamment le cas s'agissant de ses structures de commandement, dont les effectifs devraient en théorie passer de 12 000 à 8 500 personnels à l'horizon 2010-2013. Cette diminution devrait être confirmée au prochain sommet de Lisbonne. En ce qui concerne les effectifs envoyés par la France, je dois dire que, comme d'autres nations, telles que le Royaume-Uni, nous nous sommes limités à un déploiement d'environ 85 % de notre effectif théorique, fixé à 1 100 militaires, soit environ 900 personnels. Compte tenu de la réduction annoncée du format des structures de commandement, nous pouvons considérer que nous atteignons déjà ce plafond. En outre, avec les États-Unis, l'Allemagne et le Royaume-Uni, nous nous efforçons de diminuer le poids des agences de l'OTAN. La France attend des économies précises en personnel. Enfin, le chantier plus difficile de la diminution du secrétariat international du secrétaire général doit être abordé. Là encore, la pression exercée par le Royaume-Uni, les États-Unis et la France semble porter ses fruits.
En ce qui concerne notre contribution au fonctionnement de l'OTAN, je rappellerai que la clé de répartition n'a pas changé, notre part demeurant à 11,62 %. Pour 2011, cela représentera 220 millions d'euros, dont les trois quarts financent le budget de l'Alliance et un quart les rémunérations et charges sociales.
L'OTAN accuse actuellement un déficit d'un peu plus d'un milliard d'euros, et des engagements sont annoncés pour l'équivalent de dix années de budget. De plus, la mutualisation de certains coûts peut conduire à une déresponsabilisation. Certains projets peuvent, dans leur état actuel, paraître extrêmement ambitieux, comme la défense antimissile balistique (DAMB). On essaie de faire en sorte qu'ils soient raisonnables, c'est-à-dire accessibles sur le plan technologique et budgétaire et acceptables diplomatiquement.
S'agissant de l'éparpillement de nos forces, il faut tenir compte du fait que certains déploiements ne comportent que quelques personnels. Pour autant, le désengagement est un processus difficile : il nous a fallu deux ans pour quitter le Sinaï, où nous mobilisions un CASA.
Aujourd'hui, nous ne sommes pas en surchauffe. Nous pourrions accroître encore nettement nos engagements.
Si demain notre pays était confronté à la nécessité d'un engagement majeur – tel celui de 30 000 hommes sur six mois évoqué par le Livre blanc –, il y ferait face bien évidemment, mais en procédant à des choix. Cela nous invite à continuer la réflexion engagée voici maintenant deux ans sur le nombre et la durée de nos engagements extérieurs. Mais j'ai bien conscience que ces décisions dépassent le seul cadre militaire : il existe des raisons diplomatiques évidentes nous poussant à maintenir une présence, comme en Palestine ou au Sahara occidental.
Amiral, vous avez dit qu'il n'y aurait pas, à court terme, de remise en cause de nos grands programmes d'équipement. N'est-il pas pourtant l'heure de revoir a minima la loi de programmation militaire et le Livre blanc, qui est un document vivant et doit tenir compte des évolutions stratégiques mais aussi structurelles et financières ?
Je prends pour exemples le MRTT, qui est reporté depuis plusieurs années, SCCOA, repoussé également, le Mirage 2000-D, dont la rénovation à mi-vie est aussi reportée et qui devait devenir un avion multi-rôle et non seulement de défense anti-aérienne : c'est donc la cible même de notre aviation de combat qui va être durablement impactée. Ces révisions de dernière minute, qui pourraient influer sur notre capacité à demeurer une puissance aérienne de premier rang, ne devraient-elles pas nécessiter une révision de notre Livre blanc ?
Bientôt aura lieu le sommet de Lisbonne, au cours duquel sera discuté le concept stratégique de dissuasion nucléaire de l'OTAN. La France dispose de son propre concept : celui-ci doit-il évoluer ?
Amiral Édouard Guillaud. Nous avons reçu récemment la version du nouveau concept stratégique de l'OTAN qui sera proposée aux chefs d'État et de gouvernement à Lisbonne. Celui-ci respecte nos deux lignes rouges : l'OTAN est une alliance militaire, qui ne va pas se transformer en ONU bis ; elle est également une alliance nucléaire tant qu'il restera des armes nucléaires et, à l'intérieur de cette composante, l'apport de la dissuasion française, de même que la britannique, est souligné. Cela ne change donc rien à notre posture. C'était d'ailleurs une des conditions de notre retour au sein du commandement intégré.
S'agissant du Livre blanc, il y est écrit qu'un rythme quinquennal est judicieux : donc, j'attends ! Le Livre blanc comprend deux parties : une première sur l'état du monde, qui n'a pas beaucoup changé, mais doit intégrer le phénomène nouveau du cyberespace ; une deuxième sur nos ambitions et leur déclinaison. Même si l'on peut se poser certaines questions, compte tenu de la crise économique, le Livre blanc doit rester pour nous une référence.
Je voudrais ainsi dire deux choses sur les MRTT et le ravitaillement en vol. Nous en avons besoin, pour partie sous une forme patrimoniale, au titre de la composante aéroportée, pour partie en partenariat public–privé, y compris en collaboration avec le Royaume-Uni, qui a fait le choix de tout traiter par le biais de ce type de partenariat.
S'agissant de la rénovation du Mirage 2000-D, la faute est qu'il y a quinze ans on avait conçu un avion pour faire la guerre à l'URSS et pas pour répondre aux temps de crise. Qu'en adviendra-t-il ? On sera peut-être appelé à faire des choix déchirants. Le retard à l'exportation des Rafale permettra au moins de monter en puissance plus vite, ce qui, sans compenser, atténuera la douleur.
Ensuite, tout dépendra de la révision du Livre blanc et de l'ambition politique en 2012.
J'aimerais savoir si on a une idée de ce que coûte la recherche de nos otages. Le Premier ministre nous a informés que la France avait été obligée d'acheter des drones aux Américains pour effectuer nos recherches. J'aimerais également que vous nous parliez de la DAMB.
Amiral, selon la presse, la situation en Afghanistan n'est pas brillante. Pouvez-vous nous apporter des éléments concrets sur l'une des missions de l'OTAN qui consiste à former l'armée afghane ?
Amiral Édouard Guillaud. Monsieur Guilloteau, il faut bien distinguer les choses : sur la problématique des drones en général, un grand groupe multinational européen nous propose des drones à un prix qui dépasse largement les crédits budgétés dans la LPM : nous allons donc voir ailleurs, y compris aux États-Unis.
Ensuite, au sujet de la recherche des otages, il y a des endroits où les drones peuvent voler, comme en Afghanistan, et d'autres où leur utilisation est restreinte. Cela est le cas au Sahel, où il y a peu de satellites de télécommunication qui survolent cette région. Cela entraîne donc des difficultés de manoeuvre des drones.
Sur la défense anti-missiles, il y a plusieurs aspects. En 2002, la France a accepté d'examiner la défense anti-missiles de théâtre, c'est-à-dire la protection des forces. Nous avons ainsi un programme avec une composante spatiale, pour la détection des départs, et une composante terrestre, pour la trajectoire des missiles.
La deuxième chose, c'est le système de commandement et de contrôle (C2). La chaîne de commandement doit être évidemment très courte : c'est ce à quoi l'OTAN travaille, mais ce n'est pas facile.
Le troisième aspect, enfin, est : avec quoi tire-t-on ? Je suis assez dubitatif car seuls les missiles balistiques sont concernés. Or, nous ne sommes pas le seul pays disposant de l'arme nucléaire sur des missiles de croisière. Cela veut dire que théoriquement ce bouclier ne peut être totalement étanche.
Sur la formation de l'armée nationale afghane, la presse dit effectivement que ça va mal. C'est pourquoi je vous ai cité trois exemples tout à l'heure. Ce que je vous ai dit est partagé par l'ensemble des chefs militaires de la coalition. Nous sommes prudents mais la courbe commence à s'arrondir. L'âge moyen des combattants talibans baisse. Un groupe de 195 d'entre eux s'est ainsi rallié la semaine dernière.
Est-ce que les désertions au sein de l'armée nationale afghane baissent ?
Amiral Édouard Guillaud. Oui, les désertions reculent, l'écart entre les rémunérations des talibans et au sein de l'armée s'est réduit. Militairement, les talibans savent qu'ils ne peuvent plus gagner. Ils n'ont pas réussi à empêcher l'organisation des élections législatives. Kaboul est aujourd'hui beaucoup plus sûre que Bagdad, ou que New York. La coalition a mis en place un planning « d'afghanisation » de l'armée. Nous avons maintenant trois mois d'avance sur ce planning, au sein de l'armée comme des forces de police. La France participe à cet effort, à hauteur de 600 formateurs au travers des OMLT (Operational Mentoring and Liaison Team) et des POLMT (Police Operational Liaison and Mentoring Team) composés de gendarmes ; et ce, pas seulement en Afghanistan, mais aussi bientôt aux Émirats arabes unis. Ce dispositif monte bien en puissance.
Il en est de même des aspects relatifs au développement, grâce à une cellule « stabilisation ». Cette cellule est civile, dirigée par un diplomate, Pierre Seillan, et composée d'une dizaine de personnes, avec des spécialistes du micro-crédit ou de l'agriculture, par exemple. Cela fonctionne dans beaucoup de zones, pas seulement dans la zone française.
Reste évidemment la question de la gouvernance, sur laquelle je n'ai pas la main…
Je voudrais revenir, en ma qualité de rapporteur pour avis de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation », sur la restructuration de nos armées au regard de l'organisation de la Journée défense et citoyenneté (JDC). Chaque année, la direction du service national a besoin de 40 000 jours militaires pour l'encadrement et les témoignages de nos soldats vis-à-vis des jeunes de France. Il y a, vous l'avez évoqué, une interarmisation en cours avec la création des bases de soutien. Comment l'équilibre entre les trois armées et la gendarmerie va-t-il être trouvé pour l'organisation de cette journée ? À qui la direction du service national va-t-elle s'adresser pour que les quatre forces puissent y participer ?
Dans le cadre du redéploiement territorial de nos armées, certaines villes, dont la mienne, perdent des régiments. Ainsi, Laval perd 1 000 emplois. Nous sommes invités à signer avec l'État des contrats de restructuration des sites de défense (CRSD) et l'État alloue à ce titre des concours aux collectivités. D'un CRSD à l'autre, ces concours sont extrêmement différents : quels critères ont présidé aux arbitrages de l'État en la matière ?
Amiral Édouard Guillaud. Ce sujet est en dehors de mon champ de compétence et même, malheureusement, de connaissance : il relève du secrétaire général pour l'administration (SGA), qui vous fournira toutes les précisions souhaitées. En ce qui concerne les critères, ce ne sont évidemment pas les armées qui les ont définis, encore moins l'état-major des armées. À ma connaissance, ils ont été déterminés en 2008 et tenaient compte des spécificités locales. Il m'est impossible d'être plus précis.
S'agissant de la JDC, qui succède à la Journée d'appel de préparation à la défense (JAPD), la création des bases de défense a changé le type de contrat mais elle ne change pas le but final : un certain nombre de réunions ont eu lieu avec le directeur du service national et un protocole a été signé entre celui-ci et les armées. Je ne m'engage à ce sujet que pour les trois armées, non pour la gendarmerie. Les bases de défense accordent un soutien à l'ensemble de la structure, y compris en fournissant l'eau, le gaz et l'électricité, et les interventions continueront à être assurées armée par armée dans les conditions actuelles. Évidemment, beaucoup tenteront de profiter du changement de structure : nous garderons sur ce point un oeil vigilant, ne serait-ce que pour la diffusion de l'esprit de défense. La DSN s'adressera d'abord à l'état-major des armées pour les trois armées et à la direction générale de la gendarmerie nationale pour la gendarmerie. Des groupes de travail se réunissent toutes les semaines en ce moment sur cette question. Je n'ai pas d'inquiétude à ce sujet.
Vous avez dit que les armées arriveront au bout en serrant les dents : j'espère qu'elles ne vont pas les perdre ! Vous êtes optimiste et rationnel, mais pas magicien. Les personnels civils et militaires pensent tous que le budget de la défense comportera des coupes importantes, qui auront des répercussions sur les capacités opérationnelles. Le grand écart pourra-t-il tenir longtemps sans atteindre un point de non-retour ?
Vous avez rappelé que nos armées intervenaient dans la formation des armées amies. La fonction de formation est donc stratégique. Je suis par conséquent étonnée qu'on puisse externaliser cette fonction auprès d'acteurs privés. Je n'ai rien contre les partenariats public-privé quand il s'agit de la fourniture d'essence ou de denrées alimentaires par exemple. Mais pour la formation, cela me paraît extrêmement grave. C'est le cas notamment pour l'école des troupes aéroportées (ETAP), où la formation des parachutistes pourrait être externalisée auprès d'une société privée. On touche là au coeur des missions de l'armée : je ne comprends pas cette approche.
Vous disiez, au sujet du Livre blanc, qu'allait se poser la question de sa révision. Comment la commission peut-elle anticiper cette future révision ?
S'agissant des mutualisations, vous avez évoqué à la fois des perspectives et des difficultés avec la Grande-Bretagne. Mais vous n'avez pas parlé de l'Allemagne : que peut-on envisager en la matière avec ce pays ? Les discussions pourraient-elles être plus dures qu'avec la Grande-Bretagne ?
Le ministre de la défense a évoqué hier devant la commission un sondage effectué auprès des principaux cadres de l'armée sur les réformes en cours : qu'en pensez-vous ?
Amiral Édouard Guillaud. Sur votre question du grand écart, monsieur Wojciechowski, je suis en effet optimiste tout en cherchant à être lucide. Les réductions budgétaires nous conduisent à nous poser des questions : c'est à la représentation nationale et au Gouvernement qu'il appartiendra de faire les choix essentiels. Trois critères principaux devront être pris en compte : la réversibilité des décisions prises, leur aspect plus ou moins douloureux, la sensibilité à l'occurrence d'une crise. J'observe que depuis trente-sept ans que je suis au sein des armées, j'ai toujours entendu dire que nous étions au creux de la vague… Sachez en tout cas que je suis conscient et préoccupé des effets des réductions budgétaires sur le moral des armées. Mais je ne peux me permettre de faire des promesses : je dois être crédible envers nos soldats. C'est pourquoi, dans mes interventions, y compris dans les unités, je préfère parler d'un chemin semé de larmes plutôt que de pétales de roses.
Sur l'externalisation de la formation, je suis beaucoup moins inquiet que sur celle touchant certaines fonctions régaliennes. J'en veux pour preuve l'exemple de la formation au tir des cibles supersoniques : pendant des années on a eu recours à des Rafale ; or, on peut pour ce faire utiliser de simples vecteurs, qui sont aussi efficaces et moins onéreux. L'externalisation de la formation, lorsqu'elle coûte moins cher, ne me choque pas. En revanche, je suis gêné lorsqu'elle porte sur des fonctions de combat. Ainsi, alors que la France a fait le choix de fournir des équipes de protection embarquées de thoniers dans l'océan indien, l'Espagne a demandé à ses armateurs de faire appel à des sociétés militaires privées. Concernant l'ETAP, aucune décision n'a été prise. Il s'agit d'une offre dite non sollicitée. Je ne sais pas ce qu'il en adviendra : je rappelle toutefois qu'elle ne concerne pas une formation au combat, mais à la technique parachutiste. On recourt bien à des simulateurs : pourquoi pas aussi à des entreprises privées ? La formation initiale des pilotes d'hélicoptères a d'ailleurs déjà fait l'objet d'une externalisation.
Le problème tient au fait que le processus de formation tend à devenir civil, et non plus militaire. Il est important pour un jeune parachutiste – j'en ai fait l'expérience dans le passé – d'avoir un moniteur qu'il respecte et admire et qui, par ses faits d'armes, constitue pour lui une sorte de mythe, de modèle à suivre. Cela fait partie intégrante de la formation. En externalisant trop la formation, on risque de perdre cela.
Amiral Édouard Guillaud. Je rappelle que nous devons être formés et entraînés pour faire des opérations. On ne formera pas les parachutistes dans des clubs civils, mais selon des normes militaires pour un métier bien précis. Cela n'empêche pas d'acheter des simulateurs de vol à des entreprises privées. Je n'ai pas d'inquiétude à ce sujet : la partie proprement militaire de la formation restera évidemment militaire.
S'agissant de la révision du Livre blanc, elle commencera avec une lettre de mission du Président de la République en 2012.
En matière de mutualisation, une cinquantaine de dossiers sont en cours avec le Royaume-Uni, qui s'attelle parallèlement à l'élaboration de sa doctrine stratégique. Quant à l'Allemagne, elle subit de fortes réductions d'effectifs, qui atteignent 45 % de ses forces, 35 % dans l'armée de terre, 45 % dans la marine et 55 % dans l'armée de l'air. Ses objectifs restent à préciser.
Le sondage que vous évoquez, monsieur Hillmeyer, est un sondage de Français. Il ne m'étonne pas. Tout le monde a des inquiétudes : c'est normal. Mais quasiment personne ne met en cause la pertinence des réformes. On n'a pas fait des bases de défense pour faire une réforme, mais parce que c'était le seul moyen de générer des économies qu'on pouvait utiliser ailleurs.
La séance est levée à onze heures trente.