Communication de Mme Nicole Ameline et de M. Gaëtan Gorce sur le service européen d'action extérieure
La séance est ouverte à dix-huit heures.
Mes chers collègues, nous entendons cet après-midi une communication de nos collègues Nicole Ameline et Gaëtan Gorce, sur le service européen d'action extérieure (SEAE). Tous deux ont été nommés co-rapporteurs le 20 janvier dernier, et je dois souligner l'insistance avec laquelle Nicole Ameline avait plaidé pour que la Commission des affaires étrangères ne soit pas absente de ce débat.
La création de ce « service diplomatique européen » est en effet l'une des avancées institutionnelles majeures du Traité de Lisbonne. Au-delà de la nomination d'une Haute représentante de l'Union européenne pour les affaires étrangère et la politique de sécurité, qui est aussi Vice-présidente de la commission chargée des relations extérieures – Mme Catherine Ashton –, c'est toute une « culture diplomatique commune » qu'il s'agit de bâtir à 27, ainsi qu'avec la Commission européenne.
L'oeuvre est ambitieuse et elle est de longue haleine. Notre commission se devait de se pencher sur le berceau de ce service, car il y va, si l'opération réussit, du futur de la diplomatie française dans un cadre européen. Il y va également de la place de l'Europe dans le monde, à l'heure où les candidats à l'exercice d'une influence sur la scène internationale n'ont jamais été aussi nombreux.
Madame et Monsieur les Rapporteurs, vous allez donc retracer pour nous l'historique de ce service européen d'action extérieure, faire le point sur les dernières divergences à aplanir entre les États membres et la Commission d'une part, et le Parlement européen d'autre part, et nous dire ce que l'on peut attendre de cette création institutionnelle, en précisant le rôle que la France peut jouer à cet égard.
Je précise que si vous n'avez pas avec vos deux homologues de la commission des affaires européennes, travaillant sur le même sujet, établi de rapport commun, vous avez pu néanmoins vous rendre tous les quatre ensemble à Bruxelles pour une série d'entretiens, au mois d'avril.
Mes chers collègues, nous nous prononcerons ensuite sur la proposition de résolution qu'adoptera la commission des affaires européennes sur le service européen d'action extérieure et qu'elle nous transmettra.
Pour la bonne fin de nos travaux, je propose, si vous en êtes d'accord, de désigner co-rapporteurs Mme Nicole Ameline et M. Gaëtan Gorce sur la proposition de résolution qui nous sera transmise par la commission des affaires européennes.
Il en est ainsi décidé.
Je me propose de retracer la genèse de ce service, après quoi Mme Ameline fera le point des négociations en cours sur ce sujet et des difficultés résiduelles, tout en traçant les perspectives qui s'ouvrent. L'idée de départ est issue du constat maintes fois réitéré, depuis des années, sur la place de l'Union européenne dans le monde, qui ne reflète ni son poids économique ni la somme du poids politique des États membres qui la composent. Cela est dû au fait que la politique commune, en la matière, est embryonnaire, que les seuls outils réellement structurés et financés étaient jusqu'à présent dans les mains de plusieurs commissaires, et que la responsabilité de l'action extérieure était partagée entre un Haut représentant créé avec le Traité d'Amsterdam, une série de commissaires et enfin la présidence tournante du Conseil de l'Union européenne.
Voilà qui rendait une clarification nécessaire, mais difficile également. Car si l'on n'en était pas, comme jadis Henry Kissinger, à demander quel était le numéro de téléphone de l'Europe, on constatait bien qu'il y en avait plusieurs ! C'est la raison pour laquelle a été recherché un dispositif institutionnel différent. Dans le cadre de la Convention européenne de 2002-2003, présidée par M. Valéry Giscard d'Estaing, c'est le groupe de travail n° VII qui, sous la houlette de M. Jean-Luc Dehaene, a recensé les options possibles. Regrouper toute l'action extérieure entre les mains d'un seul commissaire européen était, sinon idéaliste, du moins irréaliste. À l'opposé, s'en remettre à une pure logique intergouvernementale sous l'égide du Conseil ne répondait pas aux objectifs recherchés. C'est ainsi une solution hybride qui a prévalu, avec un Haut représentant chargé de conduire la politique étrangère et de sécurité commune qui soit aussi vice-président de la Commission afin de coordonner l'action extérieure de celle-ci.
C'est cette solution qui a in fine, moyennant les aléas qu'ont connus le projet de Traité établissant une Constitution pour l'Europe et le Traité de Lisbonne, été inscrite dans le corpus juridique de l'Union. L'actuel article 18 du Traité sur l'Union européenne est très clair sur ce point : la fonction créée est hybride, se situant à mi-chemin entre la Commission et le Conseil.
Sur ce fondement, un outil a été imaginé pour doter de services le Haut représentant Vice-président. C'est ce que prévoit l'article 27, paragraphe 3 du Traité sur l'Union européenne issu du Traité de Lisbonne. Ce service européen pour l'action extérieure sera constitué avec des fonctionnaires de la Commission, des délégations de l'Union européenne de par le monde et du Secrétariat général du Conseil, ainsi que de fonctionnaires des États membres, qui à notre sens ne devraient pas nécessairement être tous diplomates. Le Traité prévoit que l'organisation et le fonctionnement de ce service fassent l'objet d'une décision du Conseil proposée par le Haut représentant – en l'occurrence Mme Catherine Ashton –, avec consultation du Parlement européen et accord de la Commission. Mme Ashton a rendu publique sa proposition initiale le 25 mars dernier.
C'est alors que le Parlement européen, représenté par ses rapporteurs, M. Elmar Brok et M. Guy Verhofstadt, s'est saisi de l'occasion de sa consultation pour faire valoir ses propres préoccupations, assez éloignées de celles des États membres approuvées par la Commission, en cherchant à peser sur les aspects financiers du dossier, à exercer une influence sur les orientations de la politique étrangère et à imposer son propre organigramme. Sur ce dernier point, le Parlement européen souhaite que la Haute représentante soit secondée par des adjoints politiques, alors que Mme Ashton a proposé un secrétaire général fort.
Le moment est donc venu de faire savoir ce qu'en tant que Parlement français nous voulons, quant à l'organisation et au fonctionnement du SEAE.
Mes chers collègues, je veux souligner l'actualité et l'importance de ce dossier. La décision est près d'être prise par le Conseil. Les enjeux sont clairs : il y va de la place de l'Europe dans le monde. Je me permets à cet égard de vous renvoyer à la récente déclaration commune du Brésil et de la Turquie à propos de l'Iran : les pays émergents ne nous attendent pas, y compris en matière de politique étrangère ! L'Europe veut-elle devenir un sous-continent, ou comme le disent deux analystes que nous citons dans notre document écrit, « une ONG charitable » ?
Le service européen pour l'action extérieure est aujourd'hui un enjeu de pouvoir entre le Parlement européen et les États membres. La France soutient pour sa part l'existence d'un service équidistant de la Commission et du Conseil, un service véritablement sui generis. La définition de la politique étrangère était et demeure pour autant pour chaque État membre une compétence régalienne mais d'évidence, il est nécessaire de mieux coordonner l'existant. C'est tout l'objet de la création de ce poste à « double casquette », qui combine la fonction de Vice-présidente de la Commission, et à ce titre responsable devant le Parlement européen, et celui de Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, présidente du Conseil « Affaires étrangères ». L'autorité, les compétences et les pouvoirs de chacun sont l'enjeu d'une bataille en cours, nous l'avons bien senti lorsque nous nous sommes rendus au Parlement européen.
Mais soyons clairs : le Parlement européen ne doit pas ici se sentir investi de prérogatives supplémentaires. Deuxièmement, nous devons affirmer notre souhait de voir l'organigramme du SEAE se structurer autour d'un secrétaire général fort ; c'est nécessaire compte tenu de l'ampleur du service et du besoin de coordination qui en découle. Troisièmement, nous souhaitons que le périmètre des compétences du service soit fixé de manière ambitieuse et englobe les structures politico-militaires tout en respectant leur autonomie.
À ce stade, le Parlement européen dispose de la quasi-totalité des éléments du « paquet » devant lui permettre de se prononcer, et qui comprend, outre le projet de décision du Conseil, les modifications du règlement financier, du statut du personnel et du budget. Il est temps de conclure, afin de permettre une mise en place du service à l'automne, soit environ un an après l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne. Manquer ce rendez-vous signifierait, pour l'Union, une perte de crédibilité.
La France est très engagée sur ce dossier. Le SEAE devrait, à terme, compter plusieurs milliers de personnels, dont, dans un premier temps, 6 à 700 fonctionnaires nationaux détachés ; nous souhaitons d'ailleurs qu'il ne s'agisse pas exclusivement de diplomates. Mêler tous ces personnels créera une « culture diplomatique commune » et permettra à l'Europe de peser davantage sur les affaires du monde, d'être plus présente dans les enceintes internationales. Cela vaut pour des thèmes aussi variés que le développement, l'environnement, les relations avec l'Iran, etc. Nous disposerons ainsi d'un moyen d'expression en politique étrangère qui évite autant que possible, à l'avenir, que l'Europe ne parvienne qu'à se taire d'une seule voix…
Les négociations interinstitutionnelles sont donc en cours et leur dénouement est proche. Dans ce contexte, nous déposerons en notre nom, avec Gaëtan Gorce, une proposition de résolution européenne pour plaider en faveur d'un SEAE efficace, compétent, qui ne soit l'otage d'aucune institution et qui permette à la France d'amplifier sa voix en Europe et dans le monde.
Quels seront les domaines de compétence et d'intervention du nouveau service européen d'action extérieure par rapport à celui des Etats souverains ?
J'ai bien compris qu'un débat large avait eu lieu, et qu'il se terminait ces temps-ci. Je dois avouer que j'ai du mal à m'y intéresser. Ce débat me semble plus technique que politique. En réalité, nous avons deux traditions diplomatiques en Europe. L'une, anglo-saxonne, privilégie une stricte séparation entre le politique et les services administratifs. L'autre, qui existe notamment en France, et qui ne me paraît pas toujours la plus adaptée, voit la soumission absolue des diplomates aux responsables politiques. Sur ces sujets, et pour défendre nos intérêts, nous disposons du meilleur responsable qui soit en la personne de Monsieur Pierre Vimont, et tant que son mandat triennal courra, je ne nourris aucune inquiétude.
En revanche, je suis très surpris par les chiffres avancés. Doter ce nouveau service de 8000 personnels alors que tous nos ministères rencontrent des difficultés pour conserver leurs effectifs me paraît étonnant. Le ministère français des affaires étrangères compte entre 12 et 13000 personnels tout compris : avons-nous besoin d'en créer un second sans compétence bien définie ?
Par ailleurs, contrairement aux rapporteurs, je ne me satisfais pas de l'équidistance du nouveau service entre la Commission et le Conseil. La seule voie pour progresser vers une authentique diplomatie européenne est de donner au Parlement européen la compétence pour décider de positions en matière de politique étrangère, et d'imposer à l'exécutif de s'y conformer. Toute l'histoire du projet européen montre que les grandes avancées se sont toujours accompagnées d'un renforcement du rôle du Parlement européen, ou qu'elles reposaient sur ce dernier. Cela peut agacer les fonctionnaires, mais, en tant que parlementaires, nous pourrions défendre une autre vision.
En conclusion, ce débat indique que le traité de Lisbonne montre ses limites car le vrai problème, comme le soulignait le président Poniatowski, est celui des compétences. On a créé une institution, d'ailleurs sans adopter les choix les plus clairs quant à sa définition juridique, mais on n'a pas modifié les compétences. De ce fait, je crains que nous n'allions vers plus de désordre, et pas vers plus de clarté.
Il n'y a effectivement aucune compétence nouvelle pour l'Union européenne car les Etats membres ne se sont pas mis d'accord sur ce point. La responsable du service d'action extérieure, Mme Catherine Ashton, ne pourra donc pas, dans le cadre intergouvernemental, faire beaucoup plus que son prédécesseur au poste presque équivalent, Javier Solana, qui essayait de mettre un peu de cohérence dans les politiques étrangères des 27. Toutefois, Mme Ashton pourra également coordonner les positions des commissaires dont les domaines de compétences concernent l'action internationale de l'Union, comme l'humanitaire, l'aide au développement ou l'élargissement. Elle disposera également des compétences extérieures liées aux politiques communautaires internes.
Ce rappel permet de résoudre la question des personnels. En réalité, les postes ouverts dans le nouveau service correspondent exactement au nombre de postes actuellement concernés par les missions désormais dévolues au Haut représentant. Le seul changement, c'est donc l'unicité de la direction politique.
Concernant le rôle du Parlement européen, on ne peut que souhaiter, en tant que responsable politique et démocrate, un renforcement. Mais est-il réaliste d'imaginer qu'une position adoptée par des parlementaires pas toujours d'accord entre eux puisse s'imposer aux Etats membres ? Cela serait aller à marche forcée.
Ce serait en tout cas un mouvement en avant, certes très séduisant et auquel je pourrais souscrire, mais qui me paraît très difficile à réaliser aujourd'hui.
La spécificité de la construction européenne, depuis l'origine, est de reposer sur un pilier intergouvernemental et un pilier communautaire. Nous avons donc veillé à donner sa place au Parlement européen, notamment en matière d'information et de contrôle, et nous plaidons pour la participation des parlements nationaux à ces travaux. Toutefois, le choix a été fait de ne subordonner le nouveau service ni à la Commission, ni au Parlement.
Concernant les effectifs, je tiens à rappeler qu'il ne s'agit que de redéploiements. Aucun poste n'a été créé. D'ailleurs, la mise en place du service européen d'action extérieure permettra sans doute des regroupements et une rationalisation de la représentation de l'Union européenne à l'étranger.
Certes, le nombre de fonctionnaires attribués au nouveau service n'est pas en augmentation, mais il est à mettre en parallèle avec les suppressions de postes dans les Etats. Il y a un choix qui est fait dans ce domaine, les chiffres ne mentent pas.
Sur le fond, il est à craindre, pour les Etats, une difficulté accrue pour l'exercice de leurs compétences diplomatiques, mais aussi une accélération des regroupements consulaires et des conflits entre les positions du service européen d'action extérieure et nos propres positions internationales. Je vois mal quel mécanisme permettrait de dépasser ces antagonismes.
Je comprends la nécessité pour l'Europe d'exister face aux grands émergents. Nous devons nous doter d'une taille et d'une voix qui permettent d'intervenir sur les grands sujets de la politique internationale.
Mais, à la description de ce qui va se faire concrètement, j'ai le sentiment d'une anémie graisseuse : on fait du volume, on voit large et lourd, mais on ne résout pas la question des compétences. Je vois mal comment, dans un domaine éminemment régalien, un service « chauve-souris », c'est-à-dire ni politique, ni administratif…
Les deux, donc aucun. Ce service n'aura pas de légitimité claire. Les représentants de l'Union européenne que j'ai rencontrés à l'étranger se contentaient de distribuer des crédits et de faire un peu de coordination. Le nouveau service ne change rien à cela : c'est l'Europe quantitative au lieu de l'Europe qualitative.
On est dans l'absurdité de l'application du traité de Lisbonne : on veut garantir l'Europe des Etats et, en même temps, sans le dire aux peuples et sans demander leur avis aux Etats, on commence à structurer un Etat européen. Il faudrait l'assumer ! Je vois bien que l'on va dans ce sens, et la diminution des effectifs du ministère des affaires étrangères français montre que l'on délègue de plus en plus dans ce domaine. Je ne sais pas comment cela se passe dans les autres Etats membres, mais on constate que l'on cherche à structurer quelque chose, l'Europe, qui n'existe pas, comme le montrent les crises actuelles.
J'entends bien le souhait, notamment exprimé par la jeunesse, qui veut l'avènement de cet Etat européen mais aujourd'hui, les jeunes sont déçus, et constatent, par contre, les effets négatifs de la dérégulation, des privatisations, de la libéralisation à outrance. L'Europe, pour l'instant, ne fonctionne bien que quand elle casse, jamais quand elle construit.
En tant qu'Européens, l'on ne peut qu'être séduit par l'idée d'une Europe plus forte dans le monde. Mais quand on voit ce que cela cache, on se dit : à quoi bon 8000 diplomates européens quand on manque de moyens nationaux ? Je souhaiterais d'autres arguments que ceux présentés aujourd'hui pour nourrir l'ambition du projet européen !
Je voudrais afficher un peu plus d'optimisme, bien que je partage les craintes exprimées jusque là. Lors de la crise de Gaza, j'ai pu m'entretenir avec des Palestiniens qui, tous, souhaitaient une prise de position de la France et, dans le même temps, de l'Europe. Puisque les temps sont à la célébration de l'appel du 18 juin 1940, je me demande bien ce que le général De Gaulle aurait fait dans notre situation.
En tout cas, je me demande si le nouveau service européen ne renforcera pas, finalement, la voix des Etats européens dans le monde.
Je suis convaincu de la nécessité de parler d'une voix, celle-ci est évidente quand on se penche sur les discussions au sein du G20 par exemple. Mais je m'interroge. Crée-t-on les conditions de l'émergence d'un service diplomatique européen ?
Je m'interroge aussi sur les redéploiements : s'il n'y a pas création de postes, cela signifiera-t-il que l'on va prélever le complément des personnels actuels pour atteindre le chiffre de 8000 en partie sur le contingent des diplomates français ?
Nous sommes au coeur d'un débat important et intéressant. Une fois encore, la construction européenne est victime de précipitation. On cherche à construire un étage supplémentaire de la maison alors que les fondations ne sont pas terminées. Il est évident que cette méthode ne peut pas fonctionner puisque les Etats ne s'accordent déjà pas sur les grandes options de politique étrangère.
Personne ne souhaite réellement que ce projet aboutisse. Aucun Etat n'est prêt à se dessaisir de sa politique étrangère et c'est heureux. L'idée d'en confier la responsabilité au Parlement européen dont la légitimité n'est pas reconnue par les citoyens est saugrenue. Il faut d'abord consolider l'Europe dans d'autres domaines, social, fiscal, etc… Quand nous parviendrons à l'Europe fédérale, ce que nous souhaitons, ce projet pourra réussir. Aujourd'hui il intervient trop en amont.
Il me semble que l'Europe construit des cathédrales baroques tandis que notre diplomatie nationale doit se contenter de chapelles confidentielles. Je souhaite poser deux questions : en cas de divergences entre la politique nationale et la politique européenne, comment s'opérera l'arbitrage ; un mode règlement des conflits et éventuellement des sanctions sont-ils prévus ?
Je partage la perplexité de mes collègues. Je m'interroge notamment sur le décalage entre l'organigramme foisonnant de ce futur service et les compétences inchangées de l'Union européenne en matière de politique étrangère. Par ailleurs, pour quelle raison cette question n'a t-elle pas fait l'objet d'un rapport commun avec la commission chargée des affaires européennes ?
La définition des missions de ce service pose la question de l'Europe que nous voulons. Il est logique de ne pas transférer des compétences tant que l'Europe n'a pas clairement défini les conditions dans lesquelles elle les exercera.
L'échec en matière de gouvernance économique européenne n'est pas un signe encourageant. Comment ce SEAE va-t-il s'articuler avec la politique de sécurité et de défense commune ?
Je serai moins sévère que les intervenants précédents. L'Europe est depuis l'origine une construction baroque, il serait prétentieux d'en faire un jardin à la française. Tous mes collègues ont estimé que l'Europe n'est pas mûre pour effacer les diplomaties nationales. C'est précisément la raison pour laquelle ce service est placé sous une double tutelle : intergouvernementale, parce qu'il ne peut en être autrement aujourd'hui, et communautaire pour assurer une contrôle relatif de la Commission et du Parlement. Ce schéma est sage. Il ne permet certes pas que l'Europe devienne soudainement un acteur mondial capable de parler d'une seule voix. Or nous avons commis de multiples rapports pour nous plaindre d'une part de la faible visibilité de l'Union dans les pays dans lesquels elle agit et d'autre part des doubles représentations – Etat membre et UE – dans d'autres pays. Nous avons très souvent regretté que l'Europe, pourtant principal bailleur de fonds en matière d'aide au développement, souffre d'un déficit de visibilité. Dans l'état actuel de l'Europe, la mise en place d'un contrôle politique sur la coopération constitue un point positif.
Je suis, en revanche, gêné par le contenu de la résolution que souhaitent déposer nos collègues qui me paraît très technique, très détaillé. Certains points abordés ne me semblent pas relever de ce type d'exercice. Je souhaite néanmoins bonne chance au SEAE. Sur l'origine des personnels de ce nouveau service, il me semble très raisonnable et souhaitable que les pays européens nourrissent les effectifs. Je souscris aux choix du rapport qui est raisonnable et crédible.
Pour résumer, toutes les interventions portent sur les compétences ou sur les effectifs du futur service. Sur le premier point, on ne peut pas changer le traité de Lisbonne qui prévoit la mise en place du SEAE sans modifier les compétences de l'Union en la matière. En revanche, un éclairage sur les effectifs est nécessaire car les chiffres annoncés peuvent paraître choquants même s'il s'agit seulement de redéploiements. A quoi servaient ces personnels avant et à quoi serviront-ils demain ?
Je remercie Henri Plagnol d'avoir recadré ce débat en en rappelant les éléments objectifs : il existe aujourd'hui un traité qui fixe les compétences de l'Union. Nous ne pouvons pas aller au-delà de ce que les gouvernements ont décidé. Ce traité prévoit la reprise par le SEAE des compétences de la Commission et de Javier Solana avec un progrès néanmoins : les compétences seront exercées sous une autorité politique unique et sous le contrôle du Conseil. Si la capacité politique n'est pas renforcée, elle est moins fragmentée et la capacité de mise en cohérence est améliorée.
Il faut souligner la volonté constante du Parlement européen et de la Commission d'affaiblir Catherine Ashton. Il semble donc utile de rappeler le souhait, découlant du traité, que le Haut représentant ait la capacité d'exercer les missions qui lui sont confiées. Nous devrions également être attentifs à cette idée dont l'origine est française : la France plaidait pour un ministre des affaires étrangères à même de peser face aux Etats.
La création du SEAE permet de franchir une étape. Elle peut tourner au ridicule s'il en résulte une paralysie de l'action européenne mais elle peut aussi être l'amorce d'une politique commune qui permettrait de surmonter la contradiction entre intergouvernemental et communautaire. Ce n'est pas un hasard si la responsabilité d'une approche nécessairement pragmatique a été confiée à une Britannique. Le petit pas que constitue ce projet serait réduit à néant si nous ne le soutenons pas.
Si la France a remisé son ambition d'un ministre des affaires étrangères européen, c'est parce qu'elle espérait qu'une personnalité de poids, capable de conquérir l'influence que les Etats lui refusaient, se verrait confier le poste. Or les dirigeants européens ont torpillé le projet en choisissant l'ombre d'un Haut Représentant qui ne peu que mener l'ombre d'une politique. On ne peut pas nous demander de soutenir cette politique. On pouvait espérer une dynamique créatrice voire la naissance d'une culture diplomatique européenne. Finalement, la seule présence tangible sera celle des fonctionnaires qui seront un poids.
Il est normal, face à une innovation institutionnelle ou politique, de voir surgir les peurs et les résistances. Je voudrais en revenir aux principes, qui sont contenus dans le traité que nous avons voté. La France ne soutiendrait pas ce projet si celui-ci menaçait sa souveraineté. Or, au contraire, notre pays est une force d'impulsion majeure car c'est indispensable pour nous permettre de rester au coeur du projet européen.
Nous voyons bien, aujourd'hui, que, sur de nombreux sujets internationaux, l'Europe ne pèse pas assez. Il suffit de s'entretenir avec le G77, qui regroupe maintenant plus de cent pays, sur les questions environnementales, pour le comprendre. La réponse à la question que soulève le service européen d'action extérieure permettra de définir la place et le rôle de l'Union européenne dans le monde. Je veux également répondre à notre collègue Marie-Louise Fort que la participation, et le rôle prééminent joué par notre pays dans le projet de service européen d'action extérieure renforcent considérablement notre place en Europe.
Les critiques à l'égard de la politique européenne du Gouvernement me paraissent très dures.
Je souhaiterais rappeler quelques éléments. L'Europe a toujours été unie sur les grands sujets internationaux qui la concernaient très directement, mais la politique étrangère reste un domaine de souveraineté éminent. Toutefois, autant la définition de la politique étrangère est une compétence souveraine, autant les questions consulaires pourraient peut-être faire l'objet d'un plus grand dynamisme. Cependant, cet aspect n'est guère pris en compte par nos rapporteurs. C'est dommage.
Les questions consulaires sont principalement d'ordre administratif, et leur traitement coûte extrêmement cher. L'Union européenne pourrait contribuer à améliorer l'efficacité par rapport à l'existant, tout en améliorant la couverture consulaire dont bénéficient actuellement les citoyens européens.
Je voudrais revenir sur un point concernant les compétences extérieures de la haute représentante. Celle-ci est désormais chargée de coordonner tous les aspects administratifs et financiers des actions internationales de l'Union européenne, par exemple la gestion de crises et l'aide au développement, éléments très liés mais traités, à l'heure actuelle, de manière verticale et cloisonnée.
En renforçant la logique transversale, nous pourrons à la fois économiser nos moyens, et peser plus en tant qu'Européens. Je rappelle que la Banque européenne pour la reconstruction et le développement dispose de plus de fonds que la Banque mondiale : nous pouvons donc compter aussi sur le service européen d'action extérieure et les progrès institutionnels qui l'accompagnent pour renforcer le poids et la visibilité de l'Europe dans le monde.
La séance est levée à dix-neuf heures.