Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire
La commission du développement durable et de l'aménagement du territoire a entendu M. Augustin de Romanet, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), sur le financement du développement durable et de la croissance verte.
Je suis heureux d'accueillir pour la première fois M. Augustin de Romanet, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Nous souhaitions vous auditionner depuis longtemps, mais l'agenda de la commission ne nous a pas permis de le faire plus tôt au cours de cette session, notamment en raison de l'examen du projet de loi portant engagement national pour l'environnement qui s'achèvera bientôt, puisque la commission mixte paritaire se réunira le 16 juin prochain. Cependant, il est vrai que vous avez déjà eu l'occasion de présenter l'action de la CDC en matière de développement durable dans le cadre d'auditions précédentes, soit sur le projet devenu la loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement « Grenelle I », soit sur le « Grenelle II » que je viens d'évoquer.
Je me réjouis que vous puissiez dresser aujourd'hui un tableau exhaustif de vos actions. Je souhaite que vous détailliez les compétences et les moyens financiers relatifs aux prêts accordés dans le cadre du plan de relance, ainsi que l'action de la CDC en matière de financement des entreprises dans le domaine du développement durable, en particulier dans les domaines clefs que sont l'efficacité énergétique et la biodiversité. Par ailleurs, nous aimerions connaître votre appréciation de l'objectif visant à créer 600 000 emplois liés à la « croissance verte » d'ici 2020.
Monsieur le Président, je vous remercie de l'opportunité que vous m'offrez de dresser un tableau des activités du groupe que j'ai l'honneur de présider. Le développement durable n'est pas seulement une préoccupation, citoyenne ou économique, il fait partie des missions confiées par la loi à la CDC, non seulement au travers de l'article L. 518-2 du code monétaire et financier, qui prévoit que la Caisse des dépôts « contribue au développement économique local et national particulièrement dans le domaine (…) du développement durable », mais également par la loi de modernisation de l'économie de 2008. Cette mission trouve son origine dans l'engagement du groupe dans la lutte contre les effets du changement climatique, depuis la conférence de Rio, et correspond à l'horizon temporel de son action, qui est celui du long terme. Aujourd'hui, elle irrigue les quatre axes majeurs de notre développement stratégique, qui a été formalisé dans le plan stratégique à l'horizon 2020 : l'action envers les petites et moyennes entreprises, l'appui aux universités, le logement, et bien sûr le développement durable.
Toutes ces activités ne s'exercent qu'en appui aux politiques publiques, sous l'oeil vigilant du Parlement, dont j'ai coutume de dire qu'il constitue notre actionnaire principal. Tous les quinze jours, la commission de surveillance, dont cinq des treize membres sont des parlementaires, se réunit sous l'autorité de son président M. Michel Bouvard, afin d'examiner la pertinence de nos actions : celles-ci doivent suivre non pas une logique de gain de parts de marché, car nous ne sommes pas une entreprise privée, mais une logique d'utilité ; notre intervention de base sur les instruments financiers spécifiques que nous maîtrisons au service de la biodiversité et du climat. Ces principes irriguent les trois prismes de notre action que je vais aborder.
La Caisse des dépôts a tout d'abord un positionnement clair : celui d'un apporteur de financements et de solutions économiques de long terme, au service du développement durable. Notre échelle d'intervention fait de nous un acteur de premier plan, puisque notre groupe dispose en permanence de 45 milliards d'euros de fonds stables, dont 19 milliards d'euros de fonds propres, et 25 milliards d'euros issus des dépôts des professions juridiques réglementées. L'activité de gestion de fonds d'épargne pour le compte de l'État permet de surcroît de disposer d'une ressource supplémentaire de l'ordre de 200 milliards d'euros, bien que les projections sur les années 2012-2013 laissent entrevoir une baisse à hauteur de 150 milliards d'euros, compte tenu de la part grandissante prise par les banques dans la distribution du livret A et du livret du développement durable.
La valeur ajoutée du groupe réside dans la mobilisation des bonnes ressources, au bon moment : les financements peuvent prendre la forme de prêts sur fonds d'épargne pour le logement ou les grandes infrastructures, voire de prêts fonciers à très long terme – jusqu'à 60 ans -, ou d'investissements en fonds propres, d'un financement direct dans les entreprises - comme lorsque nous participons aux côtés de Renault à une joint-venture visant au financement d'un projet de batteries électriques -, ou de la constitution de fonds spécialisés, comme Emertec énergie environnement.
Au-delà de ces interventions directes, la Caisse oeuvre également pour une politique financière intégrant les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance dans l'ensemble de ses décisions d'investissement. De fait, elle s'est associée depuis près de dix ans à de multiples initiatives internationales visant au respect de ces critères, qu'il s'agisse de « l'initiative finance » des Nations unies en 2001, qui regroupe 200 grandes institutions financières dont les principales grandes entreprises françaises et qui a débouché sur la mise en place de principes de l'investissement responsable (PRI), de la signature de l'accord dit « Global compact », ou de la charte de la diversité portée elle par M. Henri Lachmann. De plus, elle a créé une filiale à 100 %, Novethic, chargée de diffuser les principes d'investissement socialement responsable. Ces critères sont évidemment appliqués dans nos propres activités, et tous nos investissements importants font l'objet d'une analyse « développement durable » dans tous les comités d'engagements que je préside. Cela peut nous amener à arbitrer par exemple entre la participation d'une filiale au financement d'une grande infrastructure de transport autoroutier, et la volonté du groupe de prendre en compte globalement le « coût carbone » et les externalités négatives à long terme d'un tel investissement.
Nous avons fait du développement durable une composante essentielle de nos axes stratégiques de développement, et c'est le second point que je voulais développer devant vous. Ces axes, formalisés en décembre 2007 dans le plan stratégique « Élan 2020 » que j'évoquais en introduction, visent le soutien aux PME, le logement et la ville durable, les universités et les grandes infrastructures.
L'action en faveur des entreprises ne repose pas sur une sélection par secteur d'activité mais sur le développement de fonds de soutien comme Emertec ou Demeter en faveur des PME innovantes afin de faciliter l'émergence de nouveaux acteurs. Le fonds stratégique d'investissement (FSI), qui est intervenu dans des entreprises importantes comme Limagrain, n'est pas en pénurie de capitaux mais d'équipes de gestion de projets.
L'action de la caisse dans le domaine du logement est ancienne, puisque dès 1955, pour répondre à l'urgence de la situation en région parisienne, l'un de mes prédécesseurs, François Bloch-Lainé, finançait des logements construits en 18 mois pour accueillir 40 000 personnes… Mais ses moyens et ses méthodes sont aujourd'hui radicalement différents, car je suis persuadé que c'est en milieu urbain que la lutte est la plus efficace contre le réchauffement climatique : les villes sont responsables de 70 % des émissions de gaz à effet de serre (GES), et la population urbaine va doubler dans les trente prochaines années. C'est dans ce réseau complexe, mêlant patrimoine immobilier, d'infrastructures et de réseaux, que se joue la « croissance verte » dans lequel réside un potentiel considérable d'activités et d'emplois non délocalisables.
Pour répondre au défi du logement, la CDC agit dans trois directions. Elle a d'abord réorienté les bonifications des prêts sur fonds d'épargne en faveur de la politique du développement durable. L'éco-prêt dédié au logement social en constitue la meilleure illustration : avec un encours de prêts de 442 millions d'euros au 30 avril 2010, il représente sur 30 ans une économie de 11 300 gigawattsheure, soit 2 millions de tonnes équivalent CO2. Les prêts bonifiés visant à financer la construction de bâtiments répondant aux normes « haute qualité environnementale » (HQE) – ce qui représente 30 000 logements financés pour 270 millions d'euros, et une économie de 100 000 tonnes équivalent CO2 - ou « bâtiments basse consommation » (BBC) – soit 6 000 logements neufs pour 500 millions d'euros de prêts et 72 000 tonnes équivalent CO2 économisées - dans le domaine du logement social et des bâtiments hospitaliers en constituent une autre.
Dans la perspective d'une « croissance verte » alliant bâtiments et infrastructures innovants, nous avons lancé un appel à projets, qui a permis de sélectionner 15 sites, pour les « éco-quartiers » de demain, initiative qui s'ajoute à celle de l'État qui a permis d'identifier un même nombre de sites-pilote, les deux étant financées par un instrument identique, les prêts fonciers bonifiés des fonds d'épargne. Dans le cadre des investissements financés par l'emprunt national, l'État nous a par ailleurs confié le mandat « Villes de demain ». Enfin, persuadés que l'évolution de l'offre de transport constituera jouera un rôle central dans le « verdissement » du tissu urbain en France et dans le monde, nous avons noué, via notre filiale Transdev, une alliance avec Veolia Transport afin de proposer une offre exemplaire de transports collectifs.
Pour évoquer notre action, qui va dans le même sens, dans le domaine du parc universitaire, je citerai une de nos initiatives qui consiste à mettre gratuitement à la disposition des gestionnaires un logiciel libre de simulation de travaux thermiques afin d'optimiser la consommation.
Les investissements de la CDC dans les projets de développement des énergies renouvelables ne visent pas à concurrencer le secteur privé dans des domaines stratégiques pour le développement durable : ils représentent une puissance installée de 500 mégawatts – soit l'équivalent de la puissance d'une centrale nucléaire des années soixante – d'ici à la fin de cette année, pour une puissance de 433 mégawatts fin 2009.
La répartition par source d'énergie correspond aux objectifs définis par la puissance publique : l'énergie éolienne représente 40 %, l'énergie solaire photovoltaïque 36 %, la biomasse 19 % et l'énergie micro-hydraulique 5 %. En matière d'énergie renouvelable, le domaine dont je suis le plus fier est celui de la biomasse. La Caisse intervient notamment à Compiègne à travers la société Fertigaz. Je citerai aussi, dans le secteur de l'énergie solaire, les parcs solaires dans lesquels nous avons investi dans la vallée de la Durance.
L'axe correspondant spécifiquement au développement durable dans nos activités est évidemment intégré dans la stratégie de toutes les filiales. La SNI, premier bailleur social qui gère 280 000 logements, a vendu à EDF des crédits carbone pour des sommes assez significatives. En ce qui concerne le champ de l'ingénierie, le rapprochement opéré entre Egis et le spécialiste des bâtiments Iosis permet de renforcer le soin attaché aux préoccupations environnementales.
La Caisse a mis en place trois types d'instruments de financement, spécifiques et adaptés, propres à faciliter les investissements dans les secteurs du développement durable. En premier lieu, notre activité d'investisseur infra née de la vente d'Ixis et des sept milliards d'euros de liquidités qui en ont découlé, est concentrée dans la société CDC Infrastructures que préside Alain Quinet. En second lieu, nous avons imaginé dans le cadre de l'Union pour la Méditerranée un fonds d'investissement destiné à des activités de réseau dans tous les pays de la rive sud ; il dispose de 375 millions d'euros apportés en partenariat avec notamment les caisses des dépôts italienne et marocaine. Enfin, un fonds d'infrastructure comparable destiné aux 27 membres de l'Union européenne – Marguerite est doté de 750 millions d'euros – rassemble autour de la Caisse des banques polonaise et allemande ainsi que la Commission européenne. J'attire votre attention sur le fait que ces trois fonds auront leur siège à Paris. Nous nous inscrivons dans une perspective d'émergence d'une grappe de dimension européenne dans notre pays. Nous l'avons obtenu, pour le fonds Marguerite, à l'issue d'une négociation délicate.
Nous disposons d'une enveloppe de sept milliards d'euros, dont le premier a déjà été consommé, pour financer les lignes ferroviaires à grande vitesse. Notre intervention s'est concentrée jusqu'à présent sur la LGV Bretagne et nous sommes désormais sollicités sur la ligne sud-est Atlantique en sus de nombreux projets de tramway.
La Caisse s'engage également en faveur de la biodiversité et du climat. La société forestière de la Caisse gère pour compte de tiers 250 000 hectares de forêts – c'est le premier gestionnaire de France. Depuis dix ans, nous avons investi dans la problématique de la compensation de la biodiversité. C'est exigé de tout aménageur public par une loi des années 1990, qui pose une obligation dépourvue de sanction et qui n'a donc pas été appliquée. La création de la filiale CDC Biodiversité en 2008, dotée de 15 millions de capital, a permis de mutualiser les compensations et de concrétiser cette obligation en dehors des démarches internes aux entreprises. Nous avons par exemple acquis dans la plaine de la Crau une steppe unique en Europe par les espèces qu'elle abrite : en nous engageant à l'entretenir pendant trente ans, nous permettons à des industriels qui détruisent le milieu naturel à proximité d'en acheter une partie correspondante dans cette réserve. De même, un contrat passé avec l'aménageur de l'autoroute A65 nous engage par ailleurs sur cinquante-cinq ans à réaliser les passages et les cours d'eau pour préserver la faune et la flore locales.
Certes, on peut débattre de la logique même de la compensation, qui aboutit in fine à se donner la liberté d'attaquer la biodiversité. Il vaut mieux compenser que se borner à la lamentation. France Nature Environnement a d'ailleurs estimé que notre méthode était bénéfique.
S'agissant de la lutte contre le réchauffement climatique, mon prédécesseur avait décidé dès 1999 la création d'une mission de recherche sur le climat. Nous avons utilisé ses réflexions pour instituer une filiale dédiée à la finance carbone, dotée de plus de 100 millions d'euros de fonds propres, qui reprend les 40% de Bluenext que nous contrôlons et qui développera une gamme de services aux Etats pour développer le marché de la finance carbone. Elle sera par exemple candidate pour tenir le registre des émissions européennes de dioxyde de carbone. En outre, nous faisons la promotion de fonds d'investissement au Maroc et en Tunisie. Nous avons aussi lancé avec la Banque européenne d'investissement le Fonds carbone européen dont le taux de rentabilité interne dépasse 25% : on peut faire de la finance carbone sans être un mécène.
Je suis convaincu que donner un signal prix pour le marché du CO2 est crucial pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, malgré l'échec de la négociation de Copenhague que le Prix Nobel Amartya Sen a estimé logique en l'absence de débat public préalable au sommet. Les parties prenantes ont des intérêts tout à fait opposés. Mais la nécessité d'un signal prix demeure. Je rappelle que les Etats-Unis sont parvenus, par des mécanismes de marché, à presque supprimer leurs émissions de SO2. Les Américains ne sont en rien fermés à cette idée : une équipe de CDC Climat est en ce moment en train de travailler pour instituer un opérateur de marché du CO2 aux Etats-Unis.
J'ai été sans doute assez prolixe au cours de mon exposé. C'est la conséquence de notre engagement dans le domaine du développement durable. Je conclus en signalant que le prochain défi de la Caisse sera de gérer utilement les fonds confiés par l'Etat dans le cadre du grand emprunt.
J'ai consulté le plan stratégique en matière de développement durable établi par la Caisse des Dépôts – Elan 2001 : sa lecture m'a conduit à m'interroger sur quatre points.
Ma première question concerne le monde rural. J'ai le sentiment que vous avez fait du secteur urbain la cible prioritaire de votre action dans les domaines de l'habitat et du transport. Ne négligez-vous pas ainsi les campagnes et les zones moins peuplées qui sont, elles aussi, confrontées à un certain nombre de défis en matière de développement durable ?
En ce qui concerne les marchés de carbone dont Bluenext et Sagacarbon, nous avons entendu Michel Rocard exprimer ses doutes sur l'efficacité des mécanismes actuels. Partagez-vous son analyse et, le cas échéant, quelles réponses pouvez-vous apporter ?
Avez-vous un sentiment quantitatif et qualitatif sur l'avenir des emplois verts ? Vous êtes particulièrement impliqué dans le soutien apporté aux entreprises vertes, ce qui vous donne une expertise appréciable en la matière.
Enfin, vous avez évoqué la valorisation de la biomasse. Votre filiale Biomélec répond à des appels d'offres de la Commission de régulation de l'énergie. Comment se passe cette concurrence ? Conduisez-vous d'autres projets en dehors de celui de Compiègne que vous avez mentionné ?
Je vous remercie d'avoir détaillé avec précision les moyens mis en oeuvre par la Caisse dans le domaine du développement durable. Pourriez-vous nous préciser de la même façon si vous avez identifié des freins qui nuisent à l'efficacité des politiques engagées ?
Pourriez-vous également expliciter les liens tissés entre le Protocole de Kyoto et ce que vous avez dénommé la finance carbone ? Quels instruments sont particulièrement remarquables ?
En ce qui concerne les énergies renouvelables, pouvez-vous nous fournir des exemples d'actions entreprises par la Caisse ? J'aimerais connaître les critères de sélection qui vous permettent de retenir certains projets plutôt que d'autres.
Enfin, j'ai noté avec intérêt votre place dans le secteur forestier. Comment se déroulent les transactions de maîtrise foncière ? Est-ce sous l'impulsion des collectivités territoriales ? Quelle est la politique de gestion de ces massifs forestiers ?
Je suis favorablement impressionné par l'ampleur des activités conduites par la Caisse dans le secteur du développement durable.
Les marchés de quotas de gaz à effet de serre font l'objet d'une mission d'information de notre commission. Son rapport nous sera présenté sous quinzaine. Nous avons l'impression que les mécanismes fonctionnent mal et sont l'objet de critiques. Quelle est votre appréciation de ces marchés ?
Le paquet énergie climat a posé l'objectif du Triple 20. La France a encore augmenté cette ambition en portant à 23% la part que devront représenter les énergies renouvelables. Qu'est-ce que cela représente en termes d'investissement ?
Je suis favorable au principe de la compensation pour les sociétés qui ont un impact sur la biodiversité et donc aux actions de CDC Biodiversité. A combien se montent les crédits affectés à ces opérations ? Je connais dans ma circonscription un territoire qui pourrait être éligible, toutefois je m'interroge sur le prix à donner à la nature.
Enfin, j'aimerais que vous éclaircissiez les missions assignées aux fonds d'infrastructure.
Pour réduire les émissions de CO2, deux écoles existent : la première prône le marché des quotas d'émission et la seconde privilégie un signal prix permettant de détourner l'industrie ou les consommateurs privés des énergies fossiles. Quelle est votre analyse sur l'efficacité respective de ces deux instruments ?
La CDC a historiquement un tropisme certain pour les zones urbaines. Les 25 directions régionales de la CDC se limitaient à faire des prêts aux collectivités locales ou en faveur du logement social.
L'investissement de la CDC en faveur des territoires ruraux coïncide avec de la vente d'Ixis. Dans les années 50, la CDC s'est particulièrement investie dans le logement puis, dans les années 80, en faveur de la gestion des déficits publics : elle est devenue, pendant cette dernière période, une banque d'investissement pour monétiser la dette publique. Ultérieurement, on lui a reproché d'utiliser la garantie de l'Etat pour faire une concurrence déloyale aux banques d'investissement privées : la CDC a donc vendu sa filiale active dans ce domaine.
Depuis, elle s'investit d'avantage dans les territoires, à travers notamment un fonds pour le tourisme social, un fonds pour la réhabilitation de l'hôtellerie en zone rurale doté de 25 millions d'euros et des partenariats avec les villes moyennes. Elle mène aussi des interventions spécifiques dans le domaine des infrastructures de tourisme social dégradées – à hauteur de 80 millions d'euros sur 10 années – ainsi qu'une action particulière dans le domaine du micro-crédit. Le « tropisme urbain » de la CDC est donc en train d'évoluer en faveur des zones rurales.
S'agissant des outils permettant de diminuer nos émissions de CO2, il me semble que l'exemple du marché du SO2 aux Etats-Unis a démontré son efficacité. En outre, la faible prise en compte du développement durable par la société et les entreprises résulte, à mon sens, d'un signal prix trop faible en l'absence d'un accord international.
Dans le domaine des énergies renouvelables, notre doctrine consiste à ne pas investir au-delà de la moitié dans un projet, en accompagnement d'un investisseur privé. Les projets sont donc avant tout portés par les acteurs locaux pour s'insérer au mieux dans les territoires ; dans le domaine de l'éolien en particulier, nous n'avons jamais investi dans des entreprises nationales comme la Compagnie du vent. La rentabilité recherchée est établie sur un horizon de 20 ans, ce qui permet de provisionner les fonds nécessaires au démantèlement des installations et de prendre en compte une évolution éventuelle des tarifs de rachat.
Si elle est active dans le domaine de l'éolien (49% de ses investissements), la CDC est moins investie dans le domaine du photovoltaïque – du fait de la moindre rentabilité de cette énergie renouvelable ; elle s'est pour l'instant limitée à apporter son soutien à un démonstrateur. Dans le domaine de la biomasse, le modèle allemand est particulièrement impressionnant.
En ce qui concerne la forêt, la CDC est pour l'essentiel un gestionnaire et non un propriétaire (la plus grande forêt possédée par la CDC est de 40 000 ha dans les Landes) ; la tempête Klaus – après laquelle les grumes ont dû être séchées de manière industrielle pour pouvoir être exportées dans les pays de la Baltique– a mis en évidence notre faiblesse dans le domaine de la transformation du bois et a donc renforcé la nécessité de développer le bois comme source d'énergie. La Société forestière, filiale de la CDC dans le domaine forestier, a donc évolué en créant une filiale spécifique en faveur du bois énergie. Dans ce domaine, la CDC mène une gestion « colbertiste », c'est-à-dire que les temps de rotation sont particulièrement longs (60 ans pour les chênes, 50 ans pour les hêtres et 30 ans pour les pins). Le fonds bois bénéficie pour sa part d'un montant de 20 millions d'euros, les investissements étant réalisés avec le Crédit agricole et Eiffage ; ce fonds devrait aussi être mobilisé en faveur des industries de transformation du bois.
S'agissant du coût des engagements du Grenelle en matière d'énergies renouvelables, nous avons déjà investi 118 millions d'euros pour 433 MW : cela donne une idée du coût global de cette politique. Sur la question du prix à donner à la biodiversité, nous avons mis en oeuvre un principe de compensation des atteintes à l'environnement pour un montant de 30 millions d'euros.
Le fonds relatif aux infrastructures permet de financer des projets dont la rentabilité est longue ; de ce fait, il est difficile voire impossible de mobiliser des capitaux privés dans le contexte actuel de crise économique. Un axe de travail vise à mobiliser, dans le cadre de l'Union pour la Méditerranée, les fonds souverains du Golfe au profit de projets méditerranéens dont la rentabilité est élevée – parfois plus de 10% sur certains projets au Maroc. A cet effet, un fonds spécifique va être créé avec une banque égyptienne, la Banque européenne d'investissement, la CDC et son équivalent italien : il devrait permettre d'attirer ces fonds souverains avec une gouvernance claire.
De manière plus générale, les besoins dans le domaine des infrastructures sont importants dans de nombreux pays voisins, si l'on pense par exemple à l'état du réseau routier polonais, mais aussi en France comme le montre le projet Lyon-Turin.
Les emplois « verts » qui pourraient être créés par le Grenelle de l'environnement sont évalués entre 300 et 600 000 selon les études. Plus que le chiffre exact, l'important me semble être que la croissance verte est plus riche en emplois que les autres secteurs économiques, que ces emplois ne sont pas délocalisables et qu'ils touchent toutes les gammes de qualification. Toutefois, on ne pourra pourvoir ces emplois qu'au prix d'un effort important de formation et de reconversion.
S'agissant de la maîtrise de nos émissions de gaz à effet de serre, il existe effectivement deux écoles et les deux mécanismes (taxes et systèmes de quotas) sont équivalents, mais je constate que seul le marché a pu être mis en place pour l'instant. Certes, le marché implique un prix fluctuant pour le carbone, mais il est rassurant de constater que ce prix est bas en période de mauvaise conjoncture. Plus le marché du carbone sera large, moins le prix du carbone lié à ce marché sera élevé. Pour le reste, nous sommes d'accord avec les conclusions du rapport d'avril 2010 de Michel Prada sur la régulation du marché du carbone, faisant suite aux incidents qui ont eu lieu dernièrement sur ce marché.
Dans le domaine des énergies renouvelables, les investissements de la CDC sont cadrés par la programmation pluriannuelle des investissements (PPI) ; celle-ci amène la CDC à se concentrer sur le développement du capital risque et des PME. Dans le domaine de la protection de la biodiversité, il est vrai que nous manquons d'un signal prix et d'un instrument fiscal permettant de valoriser la nature : dans ce cadre la CDC s'en tient à sa politique actuelle de compensation des atteintes à l'environnement.
La Caisse des dépôts est engagée dans une politique d'investissements dans la biomasse ; elle a longtemps soutenu un projet de valorisation de résidus de raisins de la distillerie de Marcillac en Gironde. Or, ce projet a échoué au bout de trois ans.
Comment envisagez-vous l'avenir des éoliennes dans le contexte restrictif créé par le Grenelle II contrairement aux engagements ?
Quelle place la Caisse des dépôts et consignations accorde-t-elle aux zones rurales ? Dans celles-ci se posent, en effet, des problèmes de logement, de soutien à l'économie, de haut débit. Etant député d'une circonscription rurale de 155 communes dont la plus grande a moins de 5 000 habitants, je me demande comment la Caisse peut être utile dans ces zones, où le haut débit s'avère complexe à financer, où 40 % de la population active travaille dans des usines, où les difficultés de logement sont patentes. Y a-t-il eu un projet récemment financé par la Caisse des dépôts ?
Deux propos dans votre intervention ont été très éclairants : la diversité des initiatives de la Caisse des dépôts et consignations dans le financement du développement durable, et la crise actuelle des fonds propres des entreprises. Partons du postulat, par ailleurs, que le marché carbone est perçu comme la création d'un droit à polluer ; or, sur la planète, le capital écologique est fini.
En termes de financement, ne devrait-on pas réfléchir à de nouveaux outils de lutte contre la pollution et, notamment, à la substitution à une taxation à la valeur ajoutée d'une taxation à la valeur soustraite. Ne faut-il pas réfléchir aussi à une diversification des initiatives, à des expériences de forte décentralisation des fonds mis à la disposition des initiateurs de projets du développement durable ? Et comment articuler l'action de la Caisse des dépôts avec l'action des collectivités locales ?
Vous avez rappelé que la Caisse des dépôts est le premier financeur du logement social en France. Vous proposez des prêts d'amélioration des performances énergétiques à des taux très attractifs, ce qui permet de financer la rénovation thermique des 100 000 logements sociaux les plus énergivores. Cette volonté reçoit-elle un engagement fort des bailleurs sociaux ? Il ne faut pas oublier l'habitat individuel en zone rurale. La Caisse des dépôts peut-elle accompagner les acteurs locaux sur ce point ? Un soutien résolu est accordé aux PME et aux « éco industries » ; qu'en est-il exactement ?
Quelles stratégies mener pour la valorisation de la filière bois ? Comment la Caisse des dépôts conduit-elle enfin sa politique de communication ?
S'agissant des éoliennes, je rappelle qu'en 2020, la production d'électricité sera assurée à hauteur de 10 % par des énergies renouvelables. Je suis conscient des problèmes des zones rurales, ayant été conseiller municipal d'une commune de 1 800 habitants pendant dix-neuf ans.
C'est sa préoccupation de l'intérêt général qui fonde l'action de la Caisse des dépôts et consignations, qui a conduit d'ailleurs à la placer sous le contrôle du Parlement. Dans les années 1850, elle a accordé la priorité aux campagnes et au financement des chemins de fer, puis à celui de écoles en 1880. Dans les années 1950, elle a fait des prêts aux collectivités territoriales une priorité, la résorption des déficits publics étant essentielle autour de 1980.
Depuis 2007, sont au coeur de son action, la politique des universités, du logement, le développement durable, celui du monde rural et celui des PME ; la Caisse a rappelé ainsi au Fonds stratégique d'investissement (FSI) qu'il importait d'investir en fonds propres dans toutes les entreprises françaises. La Caisse des Dépôts et Consignations a une action multiforme ; elle sait pratiquer le microcrédit, alloue 26 000 prêts d'honneur via les réseaux de proximité ; elle soutient le petit capital développement ou d'amorçage ayant 65 fonds en régions ; elle encourage la transmission des entreprises familiales. S'agissant des entreprises en difficulté, elle dispose d'un fonds de consolidation et de développement des entreprises doté de 200 millions d'euros.
La Caisse s'efforce d'être une plateforme qui répond à toutes les petites et moyennes entreprises sur l'ensemble du territoire. Certes, les investissements de développement de l'activité économique s'opèrent plutôt en ville, mais elle investit aussi dans les campagnes dans les énergies renouvelables, le tourisme ou les villages-vacances. La logique profonde de son action n'est pas de vendre des produits, mais de répondre à des besoins. Ses directeurs régionaux doivent informer sur cette action. Elle a longtemps constitué un guichet de prêt aux organismes d'HLM et aux collectivités locales ; depuis quatre ou cinq ans, la Caisse fait de plus en plus de l'activité économique. Dans 32 départements, elle investit aujourd'hui dans le haut débit, par exemple dans la Sarthe. Les responsables de la Caisse sont des militants de la décentralisation ayant, comme dans la crise récente, des relations constantes avec les acteurs locaux, les trésoriers-payeurs généraux, directeurs régionaux d'OSEO, préfets, directeurs de la Banque de France ; la Caisse est attachée également à la subsidiarité, considérant que les investissements relèvent de la responsabilité des acteurs locaux.
Les bailleurs sociaux sont prudents pour les prêts « énergie performance ». Mais la Caisse accorde des prêts pour 120 000 logements chaque année. En matière d'« éco-industries », on note diverses réalisations en matière, par exemple, d'éoliennes, de véhicules électriques, de construction de stations d'épuration. Pour la filière bois, on a créé le « fonds bois » doté de 20 millions d'euros mais il n'y a pas de doctrine d'investissement et surtout peu d'interlocuteurs en la matière.
La méthanisation ne pose pas de problèmes techniques, c'est le prix de l'électricité rachetée qui gêne son développement alors qu'elle pourrait être intéressante pour le monde rural.
Les tarifications de rachat et l'obligation de raccordement prévues toutes deux dans le projet de loi « Grenelle II » devraient « débloquer » de nombreux projets en la matière.
En ce qui concerne l'idée de remplacer la taxe à la valeur ajoutée (TVA) par une taxation à la valeur soustraite (TVS), je souhaiterais souligner la difficulté technique d'établir un bilan de pollution et de le mettre régulièrement à jour.
Pourtant, on a réussi à le faire pour le marché du SO2, pourquoi ne peut-on aussi le faire pour celui du CO2.?
Je vous remercie pour la qualité de votre intervention et pour toutes les pistes de réflexion que vous avez lancées.
Membres présents ou excusés
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire
Réunion du mardi 1er juin 2010 à 17 heures
Présents. - M. Jérôme Bignon, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Stéphane Demilly, M. Philippe Duron, M. Jacques Houssin, M. Christian Jacob, M. Jacques Le Nay, M. Bernard Lesterlin, M. Jean-Luc Pérat, M. Philippe Plisson, Mme Marie-Line Reynaud
Excusés. - M. Yves Albarello, M. Michel Havard, Mme Conchita Lacuey, M. Christian Patria, M. Christophe Priou, M. Martial Saddier