Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Augustin de Romanet

Réunion du 1er juin 2010 à 17h00
Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Augustin de Romanet, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations :

Monsieur le Président, je vous remercie de l'opportunité que vous m'offrez de dresser un tableau des activités du groupe que j'ai l'honneur de présider. Le développement durable n'est pas seulement une préoccupation, citoyenne ou économique, il fait partie des missions confiées par la loi à la CDC, non seulement au travers de l'article L. 518-2 du code monétaire et financier, qui prévoit que la Caisse des dépôts « contribue au développement économique local et national particulièrement dans le domaine (…) du développement durable », mais également par la loi de modernisation de l'économie de 2008. Cette mission trouve son origine dans l'engagement du groupe dans la lutte contre les effets du changement climatique, depuis la conférence de Rio, et correspond à l'horizon temporel de son action, qui est celui du long terme. Aujourd'hui, elle irrigue les quatre axes majeurs de notre développement stratégique, qui a été formalisé dans le plan stratégique à l'horizon 2020 : l'action envers les petites et moyennes entreprises, l'appui aux universités, le logement, et bien sûr le développement durable.

Toutes ces activités ne s'exercent qu'en appui aux politiques publiques, sous l'oeil vigilant du Parlement, dont j'ai coutume de dire qu'il constitue notre actionnaire principal. Tous les quinze jours, la commission de surveillance, dont cinq des treize membres sont des parlementaires, se réunit sous l'autorité de son président M. Michel Bouvard, afin d'examiner la pertinence de nos actions : celles-ci doivent suivre non pas une logique de gain de parts de marché, car nous ne sommes pas une entreprise privée, mais une logique d'utilité ; notre intervention de base sur les instruments financiers spécifiques que nous maîtrisons au service de la biodiversité et du climat. Ces principes irriguent les trois prismes de notre action que je vais aborder.

La Caisse des dépôts a tout d'abord un positionnement clair : celui d'un apporteur de financements et de solutions économiques de long terme, au service du développement durable. Notre échelle d'intervention fait de nous un acteur de premier plan, puisque notre groupe dispose en permanence de 45 milliards d'euros de fonds stables, dont 19 milliards d'euros de fonds propres, et 25 milliards d'euros issus des dépôts des professions juridiques réglementées. L'activité de gestion de fonds d'épargne pour le compte de l'État permet de surcroît de disposer d'une ressource supplémentaire de l'ordre de 200 milliards d'euros, bien que les projections sur les années 2012-2013 laissent entrevoir une baisse à hauteur de 150 milliards d'euros, compte tenu de la part grandissante prise par les banques dans la distribution du livret A et du livret du développement durable.

La valeur ajoutée du groupe réside dans la mobilisation des bonnes ressources, au bon moment : les financements peuvent prendre la forme de prêts sur fonds d'épargne pour le logement ou les grandes infrastructures, voire de prêts fonciers à très long terme – jusqu'à 60 ans -, ou d'investissements en fonds propres, d'un financement direct dans les entreprises - comme lorsque nous participons aux côtés de Renault à une joint-venture visant au financement d'un projet de batteries électriques -, ou de la constitution de fonds spécialisés, comme Emertec énergie environnement.

Au-delà de ces interventions directes, la Caisse oeuvre également pour une politique financière intégrant les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance dans l'ensemble de ses décisions d'investissement. De fait, elle s'est associée depuis près de dix ans à de multiples initiatives internationales visant au respect de ces critères, qu'il s'agisse de « l'initiative finance » des Nations unies en 2001, qui regroupe 200 grandes institutions financières dont les principales grandes entreprises françaises et qui a débouché sur la mise en place de principes de l'investissement responsable (PRI), de la signature de l'accord dit « Global compact », ou de la charte de la diversité portée elle par M. Henri Lachmann. De plus, elle a créé une filiale à 100 %, Novethic, chargée de diffuser les principes d'investissement socialement responsable. Ces critères sont évidemment appliqués dans nos propres activités, et tous nos investissements importants font l'objet d'une analyse « développement durable » dans tous les comités d'engagements que je préside. Cela peut nous amener à arbitrer par exemple entre la participation d'une filiale au financement d'une grande infrastructure de transport autoroutier, et la volonté du groupe de prendre en compte globalement le « coût carbone » et les externalités négatives à long terme d'un tel investissement.

Nous avons fait du développement durable une composante essentielle de nos axes stratégiques de développement, et c'est le second point que je voulais développer devant vous. Ces axes, formalisés en décembre 2007 dans le plan stratégique « Élan 2020 » que j'évoquais en introduction, visent le soutien aux PME, le logement et la ville durable, les universités et les grandes infrastructures.

L'action en faveur des entreprises ne repose pas sur une sélection par secteur d'activité mais sur le développement de fonds de soutien comme Emertec ou Demeter en faveur des PME innovantes afin de faciliter l'émergence de nouveaux acteurs. Le fonds stratégique d'investissement (FSI), qui est intervenu dans des entreprises importantes comme Limagrain, n'est pas en pénurie de capitaux mais d'équipes de gestion de projets.

L'action de la caisse dans le domaine du logement est ancienne, puisque dès 1955, pour répondre à l'urgence de la situation en région parisienne, l'un de mes prédécesseurs, François Bloch-Lainé, finançait des logements construits en 18 mois pour accueillir 40 000 personnes… Mais ses moyens et ses méthodes sont aujourd'hui radicalement différents, car je suis persuadé que c'est en milieu urbain que la lutte est la plus efficace contre le réchauffement climatique : les villes sont responsables de 70 % des émissions de gaz à effet de serre (GES), et la population urbaine va doubler dans les trente prochaines années. C'est dans ce réseau complexe, mêlant patrimoine immobilier, d'infrastructures et de réseaux, que se joue la « croissance verte » dans lequel réside un potentiel considérable d'activités et d'emplois non délocalisables.

Pour répondre au défi du logement, la CDC agit dans trois directions. Elle a d'abord réorienté les bonifications des prêts sur fonds d'épargne en faveur de la politique du développement durable. L'éco-prêt dédié au logement social en constitue la meilleure illustration : avec un encours de prêts de 442 millions d'euros au 30 avril 2010, il représente sur 30 ans une économie de 11 300 gigawattsheure, soit 2 millions de tonnes équivalent CO2. Les prêts bonifiés visant à financer la construction de bâtiments répondant aux normes « haute qualité environnementale » (HQE) – ce qui représente 30 000 logements financés pour 270 millions d'euros, et une économie de 100 000 tonnes équivalent CO2 - ou « bâtiments basse consommation » (BBC) – soit 6 000 logements neufs pour 500 millions d'euros de prêts et 72 000 tonnes équivalent CO2 économisées - dans le domaine du logement social et des bâtiments hospitaliers en constituent une autre.

Dans la perspective d'une « croissance verte » alliant bâtiments et infrastructures innovants, nous avons lancé un appel à projets, qui a permis de sélectionner 15 sites, pour les « éco-quartiers » de demain, initiative qui s'ajoute à celle de l'État qui a permis d'identifier un même nombre de sites-pilote, les deux étant financées par un instrument identique, les prêts fonciers bonifiés des fonds d'épargne. Dans le cadre des investissements financés par l'emprunt national, l'État nous a par ailleurs confié le mandat « Villes de demain ». Enfin, persuadés que l'évolution de l'offre de transport constituera jouera un rôle central dans le « verdissement » du tissu urbain en France et dans le monde, nous avons noué, via notre filiale Transdev, une alliance avec Veolia Transport afin de proposer une offre exemplaire de transports collectifs.

Pour évoquer notre action, qui va dans le même sens, dans le domaine du parc universitaire, je citerai une de nos initiatives qui consiste à mettre gratuitement à la disposition des gestionnaires un logiciel libre de simulation de travaux thermiques afin d'optimiser la consommation.

Les investissements de la CDC dans les projets de développement des énergies renouvelables ne visent pas à concurrencer le secteur privé dans des domaines stratégiques pour le développement durable : ils représentent une puissance installée de 500 mégawatts – soit l'équivalent de la puissance d'une centrale nucléaire des années soixante – d'ici à la fin de cette année, pour une puissance de 433 mégawatts fin 2009.

La répartition par source d'énergie correspond aux objectifs définis par la puissance publique : l'énergie éolienne représente 40 %, l'énergie solaire photovoltaïque 36 %, la biomasse 19 % et l'énergie micro-hydraulique 5 %. En matière d'énergie renouvelable, le domaine dont je suis le plus fier est celui de la biomasse. La Caisse intervient notamment à Compiègne à travers la société Fertigaz. Je citerai aussi, dans le secteur de l'énergie solaire, les parcs solaires dans lesquels nous avons investi dans la vallée de la Durance.

L'axe correspondant spécifiquement au développement durable dans nos activités est évidemment intégré dans la stratégie de toutes les filiales. La SNI, premier bailleur social qui gère 280 000 logements, a vendu à EDF des crédits carbone pour des sommes assez significatives. En ce qui concerne le champ de l'ingénierie, le rapprochement opéré entre Egis et le spécialiste des bâtiments Iosis permet de renforcer le soin attaché aux préoccupations environnementales.

La Caisse a mis en place trois types d'instruments de financement, spécifiques et adaptés, propres à faciliter les investissements dans les secteurs du développement durable. En premier lieu, notre activité d'investisseur infra née de la vente d'Ixis et des sept milliards d'euros de liquidités qui en ont découlé, est concentrée dans la société CDC Infrastructures que préside Alain Quinet. En second lieu, nous avons imaginé dans le cadre de l'Union pour la Méditerranée un fonds d'investissement destiné à des activités de réseau dans tous les pays de la rive sud ; il dispose de 375 millions d'euros apportés en partenariat avec notamment les caisses des dépôts italienne et marocaine. Enfin, un fonds d'infrastructure comparable destiné aux 27 membres de l'Union européenne – Marguerite est doté de 750 millions d'euros – rassemble autour de la Caisse des banques polonaise et allemande ainsi que la Commission européenne. J'attire votre attention sur le fait que ces trois fonds auront leur siège à Paris. Nous nous inscrivons dans une perspective d'émergence d'une grappe de dimension européenne dans notre pays. Nous l'avons obtenu, pour le fonds Marguerite, à l'issue d'une négociation délicate.

Nous disposons d'une enveloppe de sept milliards d'euros, dont le premier a déjà été consommé, pour financer les lignes ferroviaires à grande vitesse. Notre intervention s'est concentrée jusqu'à présent sur la LGV Bretagne et nous sommes désormais sollicités sur la ligne sud-est Atlantique en sus de nombreux projets de tramway.

La Caisse s'engage également en faveur de la biodiversité et du climat. La société forestière de la Caisse gère pour compte de tiers 250 000 hectares de forêts – c'est le premier gestionnaire de France. Depuis dix ans, nous avons investi dans la problématique de la compensation de la biodiversité. C'est exigé de tout aménageur public par une loi des années 1990, qui pose une obligation dépourvue de sanction et qui n'a donc pas été appliquée. La création de la filiale CDC Biodiversité en 2008, dotée de 15 millions de capital, a permis de mutualiser les compensations et de concrétiser cette obligation en dehors des démarches internes aux entreprises. Nous avons par exemple acquis dans la plaine de la Crau une steppe unique en Europe par les espèces qu'elle abrite : en nous engageant à l'entretenir pendant trente ans, nous permettons à des industriels qui détruisent le milieu naturel à proximité d'en acheter une partie correspondante dans cette réserve. De même, un contrat passé avec l'aménageur de l'autoroute A65 nous engage par ailleurs sur cinquante-cinq ans à réaliser les passages et les cours d'eau pour préserver la faune et la flore locales.

Certes, on peut débattre de la logique même de la compensation, qui aboutit in fine à se donner la liberté d'attaquer la biodiversité. Il vaut mieux compenser que se borner à la lamentation. France Nature Environnement a d'ailleurs estimé que notre méthode était bénéfique.

S'agissant de la lutte contre le réchauffement climatique, mon prédécesseur avait décidé dès 1999 la création d'une mission de recherche sur le climat. Nous avons utilisé ses réflexions pour instituer une filiale dédiée à la finance carbone, dotée de plus de 100 millions d'euros de fonds propres, qui reprend les 40% de Bluenext que nous contrôlons et qui développera une gamme de services aux Etats pour développer le marché de la finance carbone. Elle sera par exemple candidate pour tenir le registre des émissions européennes de dioxyde de carbone. En outre, nous faisons la promotion de fonds d'investissement au Maroc et en Tunisie. Nous avons aussi lancé avec la Banque européenne d'investissement le Fonds carbone européen dont le taux de rentabilité interne dépasse 25% : on peut faire de la finance carbone sans être un mécène.

Je suis convaincu que donner un signal prix pour le marché du CO2 est crucial pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, malgré l'échec de la négociation de Copenhague que le Prix Nobel Amartya Sen a estimé logique en l'absence de débat public préalable au sommet. Les parties prenantes ont des intérêts tout à fait opposés. Mais la nécessité d'un signal prix demeure. Je rappelle que les Etats-Unis sont parvenus, par des mécanismes de marché, à presque supprimer leurs émissions de SO2. Les Américains ne sont en rien fermés à cette idée : une équipe de CDC Climat est en ce moment en train de travailler pour instituer un opérateur de marché du CO2 aux Etats-Unis.

J'ai été sans doute assez prolixe au cours de mon exposé. C'est la conséquence de notre engagement dans le domaine du développement durable. Je conclus en signalant que le prochain défi de la Caisse sera de gérer utilement les fonds confiés par l'Etat dans le cadre du grand emprunt.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion