La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à dix heures.)
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, que j'ai déposée avec M. Michel Destot, modifiant la loi n° 99-418 du 26 mai 1999 créant le Conseil national des communes « Compagnon de la Libération » (nos 2157 et 2564).
La parole est à M. Jean-Pierre Dupont, rapporteur de la commission de la défense nationale et des forces armées.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, alors que l'année 2010 ouvre un cycle commémoratif exceptionnel, avec principalement le soixante-dixième anniversaire de l'Appel du 18 juin, le président Bernard Accoyer et M. Michel Destot ont déposé une proposition de loi visant à modifier la loi du 26 mai 1999 relative au Conseil national des communes « Compagnon de la Libération ».
Deuxième ordre national après celui de la Légion d'honneur, l'ordre de la Libération, créé le 16 novembre 1940 à Brazzaville sur décision du général de Gaulle a pour particularité de ne plus avoir été décerné depuis 1946, exception faite en 1956 et 1960 pour Winston Churchill et le roi George VI.
Les Compagnons disparaissent progressivement. Je rappelle qu'il en reste aujourd'hui 41 vivants, le général René Lesecq étant décédé dimanche dernier. L'Ordre comptait au départ 1 036 titulaires, dont 271 à titre posthume et 65 qui avaient été tués avant le 8 mai 1945, de sorte que seuls 700 d'entre eux étaient vivants au 8 mai 1945. Il convient d'ajouter à ce nombre dix-huit unités combattantes ou bâtiments de marine.
Cette disparition progressive faisant peser un risque sur la pérennité de l'Ordre, la loi du 26 mai 1999 a prévu la création à venir d'un organisme successeur du Conseil de l'Ordre, s'appuyant sur les cinq communes « Compagnon de la Libération » : Nantes, Paris, Grenoble, Vassieux-en-Vercors et l'île de Sein. Il s'agit du Conseil national des communes « Compagnon de la Libération », établissement public national à caractère administratif chargé de poursuivre l'action entreprise par l'Ordre au service de la mémoire.
Adoptée à l'unanimité au terme d'un processus engagé en 1996 par le président Jacques Chirac, la loi de 1999 présente la particularité d'avoir été déposée deux fois à l'Assemblée nationale dans les mêmes termes : en avril 1997 par le gouvernement d'Alain Juppé et en juin 1997 par celui de Lionel Jospin, ce qui témoigne d'un consensus politique tout à fait exceptionnel. Je suis heureux de constater qu'il est toujours d'actualité : cela montre bien que la défense et la préservation de la mémoire combattante sont des préoccupations communes qui dépassent les clivages politiques.
La mise en oeuvre de la loi de 1999 semble toutefois se heurter à des difficultés que la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui se propose justement de résoudre.
Il s'agit d'abord de tirer toutes les conséquences du décret du 16 mai 2008, qui a intégré à l'Ordre le musée de l'ordre de la Libération. Géré par une association depuis sa création en 1970, ce musée est la vitrine de l'Ordre ; installé aux Invalides, il assure la conservation, la présentation et la mise en valeur d'une collection où l'on trouve des pièces uniques telles que le manuscrit de l'Appel à tous les Français et certains vêtements personnels de Jean Moulin. Il dispose également d'une importante collection de photographies et d'archives, sans oublier une médiathèque rassemblant près de quatre mille documents.
À la suite d'un contrôle de la Cour des comptes, il est apparu que le musée ne disposait d'aucune existence juridique stable. Le décret du 16 mai 2008 a comblé ce vide en l'intégrant à l'ordre de la Libération. Celui-ci peut désormais recruter du personnel et le mettre à disposition du musée sans enfreindre le droit existant. Le chancelier en fixe le règlement intérieur et les conditions d'accès ; les recettes du musée sont reversées à l'Ordre.
La loi de 1999 ne traitait pas du musée, puisque, à cette date, il ne relevait pas de l'Ordre. Il convient donc de tirer les conséquences du décret de 2008, ce que fait l'article 1er de la proposition de loi, qui précise que le futur Conseil national devra « gérer » le musée, et non plus simplement « veiller » à son bon fonctionnement.
L'article 2 vise à permettre au futur Conseil national de recruter directement des agents contractuels. D'ailleurs, cette faculté est aujourd'hui utilisée par l'Ordre, qui en a recruté six, mais elle n'était pas prévue pour le futur Conseil national par la loi de 1999, qui évoquait seulement la mise à disposition ou le détachement de fonctionnaires de l'État ou de fonctionnaires territoriaux. Il est essentiel que le futur établissement public, qui reprendra l'ensemble des attributions actuellement exercées par la chancellerie, puisse continuer d'employer des contractuels.
L'article 3 complète l'article 8 de la loi de 1999 en introduisant de nouvelles sources de financement, en complément de la subvention versée par l'État – un peu plus d'un million d'euros par an – et des dons et legs. Il s'agit des recettes tirées du musée – qui représentent 1 % de celles du musée des armées, soit 45 000 euros – à travers les droits d'entrée, les visites-conférences, la location de salles ou d'espaces, et du placement des fonds du futur Conseil national. Cette précision est indispensable : sans elle, le futur Conseil national ne pourrait ni diversifier ses offres, ni optimiser sa trésorerie. Il s'agit de donner à l'établissement plus de souplesse, mais aussi plus de liberté et de responsabilité sur le plan financier.
Enfin, l'article 4 de la proposition de loi supprime la référence au nombre de quinze Compagnons pour l'entrée en vigueur du futur Conseil national et précise que la date de création du Conseil national est désormais fixée par la voie réglementaire. C'est un gage de souplesse, qui répond pleinement aux besoins de l'Ordre, comme ont pu me le préciser son chancelier et son secrétaire général.
Sans remettre en cause les objectifs et les solutions retenues par le législateur en 1999, la proposition de loi procède donc à quelques modifications pour que le futur Conseil national des communes « Compagnon de la Libération » puisse faire vivre et respecter les traditions dont l'Ordre est porteur depuis sa création. Il sera présidé par un délégué national nommé par le Président de la République, la date butoir fixée pour sa création étant le 16 novembre 2012, ce qui correspond au soixante-douzième anniversaire de l'Ordre.
La présente proposition de loi s'inscrit pleinement dans la continuité des modifications apportées en 1999 et je ne peux que rendre hommage au travail accompli par leurs auteurs. Le consensus qui entoure cette proposition doit être relevé, car il montre l'attachement de toute la représentation nationale à l'avenir de l'Ordre.
Ainsi, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, une page de l'ordre de la Libération se tourne, mais le symbole de cette croix se trouve résumé dans sa devise : Patriam servando victoriam tulit, c'est-à-dire : « En servant la patrie, il a remporté la victoire » – victoire sur l'occupation de notre pays, victoire sur la barbarie et le nazisme.
Pour tous les Compagnons – auxquels le général de Gaulle remettait la Croix en disant : « Nous vous reconnaissons comme notre compagnon pour la libération de la France dans l'honneur et par la victoire » –, pour ceux qui sont aujourd'hui disparus et ceux qui sont encore en vie, il y a dans la décision que nous prenons aujourd'hui la certitude que notre pays continuera à les honorer, à transmettre la mémoire de leur courage et de leur glorieuse épopée.
Je vous invite donc, mes chers collègues, à adopter sans réserve cette proposition de loi que la commission de la défense nationale et des forces armées a adoptée à l'unanimité et sans modification. (Applaudissements sur tous les bancs.)
La parole est à M. le secrétaire d'État à la défense et aux anciens combattants.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, le mot « compagnon » est l'un des plus beaux de la langue française. Il incarne à lui seul l'une des valeurs les plus fondamentales de notre République : la fraternité ; une fraternité qui s'est nouée dans les armes, lorsqu'il s'agissait de libérer le pays de l'oppression nazie ; une fraternité, mesdames, messieurs les députés, qu'il appartient à chaque élu de la nation comme à chaque citoyen de faire vivre par temps de paix.
En créant, dès 1940, l'ordre national des Compagnons de la Libération, le deuxième après celui de la Légion d'honneur, c'est très certainement cette fraternité de combat que le général de Gaulle a voulu distinguer : une fraternité qui lie entre elles les Forces françaises libres et la résistance intérieure ; une fraternité qui unit dans un même combat le cheminot anonyme de la banlieue de Paris au tirailleur sénégalais marchant depuis Koufra aux hommes de Leclerc, ou encore le pilote héroïque de Normandie-Niemen au préfet Jean Moulin.
L'ordre national des Compagnons de la Libération incarne et synthétise ce qu'est la France, sa diversité, sa générosité, son courage et sa grandeur. Aujourd'hui, soixante-dix ans ont passé depuis sa création par le général de Gaulle en 1940. Malheureusement, le temps a fait son oeuvre : les Compagnons de la Libération s'en vont les uns après les autres. Il y a quelques jours, le 30 mai, disparaissait ainsi le général René Lesecq, dont l'épopée a été racontée par Joseph Kessel.
Il s'agit ici non pas simplement de tourner nos regards vers le passé, mais de ne jamais oublier ce qu'exige le fait d'être Français, c'est-à-dire l'amour de son pays et un combat sans cesse recommencé pour la liberté et la dignité humaine. Telle est, mesdames, messieurs les députés, la mémoire des Compagnons de la Libération ; telles sont leurs valeurs. C'est une mémoire pour l'avenir ; ce sont des valeurs que nous partageons toutes et tous sur les bancs de cette assemblée.
Puisque la vie est ainsi faite que les hommes s'en vont tandis que les villes et les collectivités qu'ils ont construites leur survivent, c'est une disposition de bon sens, mais également d'une très grande noblesse, que la représentation nationale a prise en 1999 en confiant la pérennité de l'Ordre aux cinq communes « Compagnon de la Libération », c'est-à-dire Paris, Nantes, Grenoble, Vassieux-en-Vercors et enfin l'île de Sein, qui le méritait tant.
La présente proposition de loi, portée par vous-même, monsieur le président, et par M. Michel Destot, député-maire de Grenoble, apporte des améliorations et des garanties indispensables à la pleine réussite du passage de témoin entre le Conseil de l'Ordre et le Conseil national des communes « Compagnon de la Libération ». Nous sommes en accord complet avec les avancées de ce texte. Deux retiennent tout particulièrement mon attention : la souplesse et la pérennité.
Le texte est en effet assez souple pour donner au pouvoir exécutif une certaine marge de manoeuvre afin de déterminer, avec le Conseil de l'Ordre et les villes « Compagnon de la Libération », l'entrée en vigueur du nouveau dispositif, avec un horizon clair fixé au 16 novembre 2012 ; il assure en même temps la pérennité du musée de l'Ordre, dont la gestion sera confiée à l'établissement public administratif que sera le Conseil national des communes « Compagnon de la Libération ».
Je souhaite ici rendre hommage à l'engagement des cinq villes Compagnons, Paris, Nantes, Grenoble, l'île de Sein et Vassieux-en-Vercors. Je veux les assurer que l'État sera à leurs côtés et apportera son plein concours au Conseil national des communes « Compagnon de la Libération ».
C'est pourquoi, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je formule le voeu que la représentation nationale sache, à quelques jours du soixante-dixième anniversaire de l'Appel du 18 juin, se rassembler et parler d'une seule voix pour défendre la mémoire de ces femmes et de ces hommes qui, aux pires moments de notre histoire, ont tout donné pour la République et pour la France. (Applaudissements sur tous les bancs.)
« Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ?
« Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu'on enchaîne ?
« Ohé, partisans, ouvriers et paysans, c'est l'alarme.
« Ce soir l'ennemi connaîtra le prix du sang et les larmes. »
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, j'ai choisi de commencer mon propos par la lecture de la première strophe du Chant des partisans. J'ai passé, cette nuit, quelques moments à réfléchir à ce que je pouvais dire, devant vous, à cette tribune. Je vais laisser de côté mon discours bien préparé, bien formaté ; je choisis de parler avec le coeur, et je vais vous lire quelques phrases extraites d'un ouvrage majeur. Pour mesurer, ensemble, l'importance et l'actualité de cette proposition de loi, rien ne sera mieux, je le crois, que ces mots que je vous propose de partager.
« Ils venaient un à un, individuellement – et je souligne ce mot, car c'est peut-être ce qui caractérisait le plus fortement ces hommes libres. Vous étiez, camarades, si différents les uns des autres, mais tous marqués par ce qu'il y a de plus français dans notre vocabulaire – individuellement, personnellement – et tout ce qui depuis le début de son histoire caractérisait ce pays fait à la main se retrouvait dans notre esprit d'artisans de la dignité humaine. […]
« Il est difficile de comprendre aujourd'hui ce que signifiaient en 1940-1941 les mots “Français libres”, en termes de déchirement, de rupture et de fidélité. Nous vivons une époque de cocasse facilité, où les “révolutionnaires” refusent le risque et réclament le droit de détruire sans être menacés eux-mêmes. Pour nous, il fallait rompre avec la France du moment pour demeurer fidèles à la France historique, celle de Montaigne, de Gambetta et de Jaurès, ou, comme devait écrire de Gaulle, pour demeurer fidèles “à une certaine idée de la France”. Pour assumer cette fidélité, il fallait que nous acceptions d'être déserteurs, condamnés à mort par contumace, abandonner nos familles, se joindre aux troupes britanniques au moment même où la flotte française venait de couler la flotte française à Mers el-Kébir. Tout cela alors que plus de quatre-vingt pour cent de Français étaient fermement derrière Pétain. Il fallait avoir une foi singulièrement sourde et aveugle pour être sûr d'être fidèle. Je ne prétends point que chacun de nous s'était livré à ses douloureux examens de conscience avant de “déserter”. Ce ne fut pas mon cas, en tout cas. Ma décision fut organique. Elle avait été prise pour moi, bien avant ma naissance, alors que mes ancêtres campaient dans la steppe de l'Asie centrale, par les encyclopédistes, les poètes, les cathédrales, la Révolution et par tout ce que j'avais appris au lycée de Nice des hommes tels que le professeur Louis Oriol. J'avais “déserté” de mon escadre de l'École de l'Air pour passer en Angleterre “dans le mouvement”, en quelque sorte, et j'entends par là le mouvement historique, le brassage des siècles. »
Ainsi s'exprime Romain Gary dans Les Français libres, que l'on peut lire au sein du recueil Ode à l'homme qui fut la France.
Mes chers collègues, nous sommes à un moment important : peu à peu, les derniers témoins de cette page particulièrement tragique et douloureuse de l'histoire de France nous quittent. Cette proposition de loi permet au devoir de mémoire qui nous est si cher de continuer d'être rempli, afin que les générations futures se souviennent de ce que fut cette page si triste de notre histoire, mais également – par la volonté d'hommes et de femmes qui furent autant de pionniers – si glorieuse.
Au moment où le pays s'enfonçait dans l'abîme de la collaboration, des hommes libres se sont levés pour reprendre l'étendard de la France éternelle et poursuivre le combat pour la liberté et l'indépendance.
Cette proposition de loi assure une continuité, par le biais des cinq communes du Conseil national des communes « Compagnon de la Libération » : Nantes, Grenoble, Paris, Vassieux-en-Vercors, l'île de Sein. Kentoc'h Mervel, « plutôt mourir » : ces mots sont inscrits sur un monument érigé sur l'île pour rappeler le départ héroïque de ses pêcheurs : comme l'a rappelé lui-même le général de Gaulle, ils composaient en 1940 le quart de la France Libre.
Ils nous ont donné l'exemple, comme beaucoup d'autres de nos concitoyens un peu partout dans notre pays – vous l'avez rappelé, monsieur le secrétaire d'État. Ce qui a fait la force de la France Libre, c'est la diversité des engagements : de l'ouvrier qui a participé à des actions de sabotage et de l'engagé du maquis de Vabre, près de chez moi, dans les corps francs de la Montagne noire, à ceux qui, à Koufra, firent le serment de ne pas se séparer avant que le drapeau tricolore ne flotte sur la cathédrale de Strasbourg.
C'est là la différence entre une nation libre et une nation asservie. Il est essentiel, il est fondamental que le travail de mémoire se poursuive. Je ne puis donc que féliciter le président Accoyer et notre collègue Michel Destot de cette initiative consensuelle, à laquelle tous les républicains, sur tous les bancs, ne peuvent manquer d'adhérer.
Je ne reviens pas sur les dispositions particulières du texte, que nous, centristes, approuvons. L'essentiel, c'est de poursuivre ce mouvement, c'est de permettre à cet effort de mémoire de se perpétuer. Nous le rendons ici possible juridiquement et financièrement.
Dans de tels moments, notre pays à l'histoire tourmentée et au devenir incertain ne peut que se retrouver pour puiser dans le passé l'inspiration qui lui permettra d'affronter l'avenir avec plus de sérénité.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous approuverons bien entendu ce texte. Chacune et chacun d'entre nous ne peut que saluer la mémoire du général de Gaulle et de l'ensemble des Compagnons de la Libération, qu'ils soient morts au combat, morts depuis ou encore en vie. Le sens du sacrifice et de l'honneur dont ils ont fait preuve dans ces moments si difficiles de notre histoire n'aura pas été vain. Des communes, comme des unités de notre armée, continueront à perpétuer cette mémoire.
Ne vont loin que les peuples qui ont de la mémoire ; en votant cette loi, nous montrerons que les Français en font partie. (Applaudissements sur tous les bancs.)
(Mme Catherine Vautrin remplace M. Bernard Accoyer au fauteuil de la présidence.)
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l'action politique passe par une réflexion rigoureuse sur le sens et l'usage du devoir, ou du travail, de mémoire. Je crois qu'à quelques jours du soixante-dixième anniversaire de l'Appel du 18 juin, de ce premier discours prononcé par le général de Gaulle à la radio de Londres, dans lequel il appelait à ne pas cesser le combat contre l'Allemagne nazie, ce texte relatif à l'ordre de la Libération tombe à point nommé dans notre calendrier parlementaire.
Mes chers collègues, je ne vais pas revenir sur les dispositions techniques du texte, très bien décrites par notre rapporteur Jean-Pierre Dupont. Je préfère m'attacher à l'importance, pour nous politiques qui sommes aussi des citoyens héritiers de l'histoire riche et douloureuse de la construction de notre pays, de porter ce devoir moral qu'a l'État d'entretenir le souvenir non seulement des souffrances et des humiliations, mais aussi des joies de la victoire.
Il faut perpétuer le souvenir des expériences et honorer la mémoire des Français assassinés. Tous les Français et Françaises doivent garder présents à l'esprit les actes de barbarie, mais aussi de courage, de persévérance, d'espoir et de don de soi pour notre nation. C'est en ce sens que l'ordre de la Libération fut créé en 1940 par le général de Gaulle, afin de récompenser d'une manière particulière et originale le dévouement de ceux qui, dès ce moment, ont accepté de tout risquer pour libérer la France et son empire de la barbarie nazie.
Le chef des Français libres ne pouvait pas alors décerner la Légion d'honneur : il décida de créer une décoration pour récompenser les mérites exceptionnels manifestés dans une conjoncture elle-même exceptionnelle.
Ainsi 1 038 personnes, cinq communes – Nantes, Grenoble, Paris, Vassieux-en-Vercors et l'île de Sein – mais aussi dix-huit unités combattantes comptent au nombre des Compagnons de la Libération. Parmi les 1 038 personnes, 260 ont été nommées à titre posthume.
L'admission dans l'Ordre n'est soumise à aucun critère d'âge, de sexe, de grade, d'origine ou de nationalité. Il est également intéressant de noter que quarante-quatre étrangers de dix-huit nationalités différentes ont été faits Compagnons. Parmi les plus célèbres, on peut citer Winston Churchill ou encore Dwight David Eisenhower. C'est en effet la valeur qui compte, ainsi que la qualité exceptionnelle des services rendus, qui ne sont d'ailleurs pas exclusivement des services combattants.
Le 30 mai dernier, dimanche, après la mort du général René Lesecq, quarante et un Compagnons de la Libération étaient encore en vie. Le dernier sera inhumé dans la crypte du mont Valérien.
À l'avenir, lorsque les Compagnons de la Libération auront presque tous disparu, les cinq communes joueront un rôle prépondérant dans la pérennité de l'Ordre grâce à l'instauration, prévue par la loi du 26 mai 1999, du Conseil national des communes « Compagnon de la Libération ».
Madame la présidente, mes chers collègues, j'en profite pour vous rappeler que trente-six ministres, soixante et onze députés dont Jacques Chaban-Delmas, ancien président de l'Assemblée nationale, et treize sénateurs, ont figuré dans les rangs de l'ordre de la Libération. Le fait que ce texte soit présenté par l'actuel président de notre assemblée trouve ici tout son sens.
En conclusion, je me réjouis de l'aspect consensuel de cette proposition de loi. Le groupe UMP la votera et j'invite l'ensemble de mes collègues à en faire autant, pour l'histoire et pour la mémoire. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, c'est bien entendu en tant que député, mais aussi, vous le comprendrez, en tant que maire de Grenoble, ville faite Compagnon de la Libération par le général de Gaulle le 4 mai 1944, que je m'exprime devant vous aujourd'hui pour défendre cette proposition de loi que j'ai l'honneur de présenter avec notre président Bernard Accoyer, que je veux ici remercier de tout coeur pour sa disponibilité et son engagement.
Cette Croix de la Libération, remise par le général de Gaulle à Frédéric Lafleur, maire de Grenoble, récompensait plusieurs années de lutte de notre ville pour la liberté. Liberté qui, depuis la Révolution française, constitue, avec l'égalité et la fraternité, l'une des trois composantes inaliénables de notre pacte républicain.
Selon le chef de la France libre : « Grenoble a consacré par des faits héroïques sa volonté de libération et, dès qu'elle l'a pu, Grenoble, par ses propres moyens, s'est libérée pour se rendre à elle-même, à la France, comme la France voulait qu'elle fût, c'est-à-dire fière et lavée de l'ennemi. »
C'est un immense honneur qui fut alors fait à la ville dont je suis aujourd'hui le maire. Songez que seules 1 061 Croix furent attribuées : 1 038 à des personnes physiques, dix-huit à des unités militaires et seulement cinq à des villes !
Oui, Grenoble a payé un lourd tribut à la lutte pour la liberté. Mais les Grenoblois ont su trouver, dans leur amour de la France et dans leur dignité, les moyens de lutter contre l'oppression.
Ce combat des Grenoblois contre l'idéologie nazie fut aussi celui pour la restauration de l'indépendance nationale et pour la patrie, tant ils étaient convaincus qu'il ne pouvait y avoir de peuple libre dans une nation asservie.
À cet instant, j'ai à l'esprit cette très belle phrase de Jean Jaurès : « La patrie est le bien de ceux qui n'en ont pas d'autre. » Qu'ils soient riches ou pauvres, quelles que soient leurs croyances, quelles que soient leurs opinions, les Français partagent ainsi tous un héritage que nous ont laissé, parfois au prix de lourds sacrifices, nos devanciers, au premier rang desquels les anciens combattants et résistants.
Or il n'y a pas de patriotisme sans devoir de mémoire, j'ai même envie de dire : sans devoir d'histoire. Ce devoir est bien entendu guidé par le droit qu'ont ces anciens combattants et résistants de voir rappelés leurs sacrifices et leurs souffrances. Leur oubli serait un manquement grave. Nous devons donc collectivement être fiers de ce qui a été accompli par nos prédécesseurs. Une fierté qui doit nous inciter à la fidélité, pour que le message de la Résistance demeure. Il est en effet le message de l'espérance et de l'honneur.
Il appartient à l'ordre de la Libération de le faire vivre. Et, au sein de cet ordre, les communes « Compagnon de la Libération » ont une responsabilité toute particulière.
Nantes, première ville distinguée par le général de Gaulle, pour son magnifique exemple de courage et de fidélité aux valeurs de la République.
Paris, qui se libéra elle-même quelques heures avant l'arrivée des blindés de la 2e DB du général Leclerc.
Vassieux, symbole et martyr de la République libre du Vercors.
L'île de Sein, qui donna un formidable signal à l'ensemble de la France en envoyant tous ses hommes, dès le premier jour, s'engager dans les forces de la France libre en rejoignant le général de Gaulle, à Londres.
Enfin Grenoble, avec sa manifestation patriotique du 11 novembre 1943, qui vit sa population affirmer son refus de l'occupation, sa croyance dans la victoire et sa volonté farouche d'y prendre part activement, payant là aussi par des centaines d'arrestations et de déportations le prix de son engagement.
Des villes qui, dans l'esprit du pacte d'amitié qu'elles ont signé en 1981, se préparent, dans le cadre du futur Conseil national des Communes « Compagnon de la Libération », à assumer le souvenir et la pérennité de l'ordre, au plus tard le 16 novembre 2010, sans spéculer, donc, sur l'espérance de vie des derniers Compagnons. Elles ne le feront pas seules, bien entendu, et peuvent compter sur les conseils éclairés de son chancelier, le professeur François Jacob, sur l'ensemble de ses membres encore en vie et sur l'implication indéfectible de son secrétaire général, le colonel Loïc Le Bastard, à qui je veux rendre un hommage appuyé.
Je suis bien sûr confiant, monsieur le secrétaire d'État, dans le concours actif de l'État : quels que soient les gouvernements et les ministères, ils apporteront, j'en suis certain, leur contribution en plein accord avec les villes concernées.
Mes chers collègues, je profite de l'occasion qui m'est donnée aujourd'hui pour saluer solennellement, devant la représentation nationale, toutes ces personnalités, et pour les remercier de leurs actions passées, actuelles et futures. Je ne doute pas que, grâce à elles, nous saurons gérer au mieux cette transition. Nous serons alors les dépositaires d'un héritage qui puise ses racines dans tous les combats qui, pour meurtriers qu'ils aient été, ont construit la France dans laquelle nous vivons aujourd'hui.
Cette proposition de loi, comme l'a indiqué notre rapporteur, doit permettre aux villes faites « Compagnon de la Libération » d'assurer la pérennité de cet ordre au travers de l'établissement public administratif qu'est le Conseil national des communes « Compagnon de la Libération ». Elle vise à répondre, par anticipation, aux éventuels problèmes juridiques qui pourraient se poser lors de la mise en oeuvre de la loi du 26 mai 1999 – je ne reviendrai pas sur les différents articles, qui ont été exposés excellemment par notre rapporteur.
Je veux aussi m'arrêter un instant sur l'ordre de la Libération et sur ses spécificités, car l'idée est partagée par tous que cet ordre puisse organiser sa perpétuation au-delà de l'horizon limité de la longévité humaine.
L'ordre national de la Légion d'honneur récompense les « mérites éminents » acquis au service de la nation, soit à titre civil soit à titre militaire, et ce sous une forme ou sous une autre, depuis 1803. L'ordre national du Mérite récompense les « mérites distingués » depuis 1964 et rien ne limite l'existence de cet ordre dans le temps.
Il en va tout autrement de l'ordre de la Libération. Sans revenir sur les éléments du contexte donnés par notre rapporteur, il est indispensable de souligner en quoi il diffère de ceux que je viens de citer.
D'abord, il répond à une circonstance historique particulière. Il s'inscrit tout entier dans cette Seconde Guerre mondiale qui aura été si néfaste, si dramatique, pour les pays protagonistes. Certes, la Croix de la Libération n'est pas la seule décoration spécifique à ce conflit : je pense notamment à la médaille de la Résistance ou aux médailles de la déportation. Mais, à la différence d'autres décorations, il s'agit d'un ordre national, le deuxième en dignité.
Ensuite, parmi d'autres décorations spécifiquement liées à ce second conflit mondial, l'ordre de la Libération combine plusieurs critères de mérite dont le premier est l'attachement précoce à la France libre. C'est cette dernière caractéristique qui lui confère son originalité et son universalité. L'Ordre matérialise encore aujourd'hui en ses membres, et demain à travers les villes « Compagnon de la Libération », l'esprit de résistance. Et, dans cet esprit de résistance, il continuera de transmettre l'idée que le courage de quelques-uns peut avoir raison contre l'abattement de tous, que la voie périlleuse de l'exil peut être le chemin le plus sûr vers le rétablissement de la souveraineté nationale, que l'opprobre des procès truqués faits par ceux qui se couchent à ceux qui se lèvent honore les condamnés de Riom – leur insoumission les a menés au pinacle de l'histoire nationale.
Toute guerre produit ses héros et l'héroïsme est intemporel. Mais on ne peut passer sous silence ces hommes et femmes exceptionnels que furent les Compagnons. Je veux juste en citer quatre pour mémoire, pour l'histoire.
Berty Albrecht, incarnation du courage des femmes de la Résistance, incarnation du destin glorieux et tragique de la Résistance à Lyon. Berty Albrecht qu'admirait si fort notre regretté collègue Jacques Baumel, résistant lui-même : il la considérait comme la résistante parfaite. Berty Albrecht qui choisit le moment de sa mort en détention plutôt que de subir.
Le prince Dimitri Amilakvari, né géorgien, chef de corps de la 13e demi-brigade de Légion étrangère, tué en Égypte deux mois après avoir reçu sa Croix de Compagnon des mains du général de Gaulle, Il avait fait le choix de la France de Londres, contrairement à la grande majorité de ses camarades officiers de l'armée d'Afrique. Avant cela, il avait été cité deux fois à Narvik. Il est l'une des plus belles figures militaires de la France libre.
René Cassin, blessé de la guerre de 1914, immense juriste, homme de paix qui fit le choix de la rupture avec l'ordre établi pour prêter son concours sans faille au général de Gaulle. Il est le rédacteur des statuts de l'ordre de la Libération.
Enfin, car je ne peux égrener 1 038 noms, je citerai Jean Moulin. Je ne reviendrai pas sur l'homme qu'il fut, nous le connaissons tous. Je rappellerai simplement qu'il fut fait Compagnon de la Libération le 17 octobre 1942. Il mourut le 8 juillet 1943 des suites de la torture. Il n'avait pas parlé. L'impulsion qu'il sut donner à l'unification des mouvements de résistance lui survécut avec le succès qu'on sait. Il fut sans doute le plus grand des plus grands.
Au-delà des hommes, des lieux et des époques, c'est bien cet esprit-là qu'il conviendra demain de continuer à faire vivre avec l'ordre de la Libération, c'est-à-dire pour la mémoire et pour l'histoire, pour nos enfants, pour leurs enfants et tant que la France demeurera.
En discutant de ce texte, c'est donc à l'ensemble des décorés de la Croix de la Libération que nous rendons hommage aujourd'hui. Par notre vote, que j'espère unanime, nous permettrons d'assurer la pérennité de cet ordre d'exception, créé au moment le plus grave de l'histoire de la France, cette France fidèle à elle-même, solidaire dans le sacrifice et dans la lutte.
C'est pourquoi, mes chers collègues, au nom du groupe socialiste, radical, citoyen, divers gauche et apparentés, et au-delà de tout clivage politique ou partisan, je vous invite à adopter ce texte. (Applaudissements sur tous les bancs.)
J'appelle maintenant les articles de la proposition de loi dans le texte de la commission.
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
(L'ensemble de la proposition de loi est adopté.)
Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, je remercie la représentation nationale de s'être rassemblée ce matin, d'avoir parlé d'une seule voix à quelques jours du soixante-dixième anniversaire de l'appel du général de Gaulle. C'est le plus bel hommage que nous puissions rendre à toutes celles et à tous ceux qui, aux pires moments de notre histoire, ont tout donné pour la République et pour la France. (Applaudissements sur tous les bancs.)
Prochaine séance, mardi 8 juin à neuf heures trente :
Questions orales sans débat.
La séance est levée.
(La séance est levée à dix heures quarante-cinq.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma