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Intervention de Michel Destot

Réunion du 3 juin 2010 à 10h00
Conseil national des communes compagnon de la libération — Discussion d'une proposition de loi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Destot :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, c'est bien entendu en tant que député, mais aussi, vous le comprendrez, en tant que maire de Grenoble, ville faite Compagnon de la Libération par le général de Gaulle le 4 mai 1944, que je m'exprime devant vous aujourd'hui pour défendre cette proposition de loi que j'ai l'honneur de présenter avec notre président Bernard Accoyer, que je veux ici remercier de tout coeur pour sa disponibilité et son engagement.

Cette Croix de la Libération, remise par le général de Gaulle à Frédéric Lafleur, maire de Grenoble, récompensait plusieurs années de lutte de notre ville pour la liberté. Liberté qui, depuis la Révolution française, constitue, avec l'égalité et la fraternité, l'une des trois composantes inaliénables de notre pacte républicain.

Selon le chef de la France libre : « Grenoble a consacré par des faits héroïques sa volonté de libération et, dès qu'elle l'a pu, Grenoble, par ses propres moyens, s'est libérée pour se rendre à elle-même, à la France, comme la France voulait qu'elle fût, c'est-à-dire fière et lavée de l'ennemi. »

C'est un immense honneur qui fut alors fait à la ville dont je suis aujourd'hui le maire. Songez que seules 1 061 Croix furent attribuées : 1 038 à des personnes physiques, dix-huit à des unités militaires et seulement cinq à des villes !

Oui, Grenoble a payé un lourd tribut à la lutte pour la liberté. Mais les Grenoblois ont su trouver, dans leur amour de la France et dans leur dignité, les moyens de lutter contre l'oppression.

Ce combat des Grenoblois contre l'idéologie nazie fut aussi celui pour la restauration de l'indépendance nationale et pour la patrie, tant ils étaient convaincus qu'il ne pouvait y avoir de peuple libre dans une nation asservie.

À cet instant, j'ai à l'esprit cette très belle phrase de Jean Jaurès : « La patrie est le bien de ceux qui n'en ont pas d'autre. » Qu'ils soient riches ou pauvres, quelles que soient leurs croyances, quelles que soient leurs opinions, les Français partagent ainsi tous un héritage que nous ont laissé, parfois au prix de lourds sacrifices, nos devanciers, au premier rang desquels les anciens combattants et résistants.

Or il n'y a pas de patriotisme sans devoir de mémoire, j'ai même envie de dire : sans devoir d'histoire. Ce devoir est bien entendu guidé par le droit qu'ont ces anciens combattants et résistants de voir rappelés leurs sacrifices et leurs souffrances. Leur oubli serait un manquement grave. Nous devons donc collectivement être fiers de ce qui a été accompli par nos prédécesseurs. Une fierté qui doit nous inciter à la fidélité, pour que le message de la Résistance demeure. Il est en effet le message de l'espérance et de l'honneur.

Il appartient à l'ordre de la Libération de le faire vivre. Et, au sein de cet ordre, les communes « Compagnon de la Libération » ont une responsabilité toute particulière.

Nantes, première ville distinguée par le général de Gaulle, pour son magnifique exemple de courage et de fidélité aux valeurs de la République.

Paris, qui se libéra elle-même quelques heures avant l'arrivée des blindés de la 2e DB du général Leclerc.

Vassieux, symbole et martyr de la République libre du Vercors.

L'île de Sein, qui donna un formidable signal à l'ensemble de la France en envoyant tous ses hommes, dès le premier jour, s'engager dans les forces de la France libre en rejoignant le général de Gaulle, à Londres.

Enfin Grenoble, avec sa manifestation patriotique du 11 novembre 1943, qui vit sa population affirmer son refus de l'occupation, sa croyance dans la victoire et sa volonté farouche d'y prendre part activement, payant là aussi par des centaines d'arrestations et de déportations le prix de son engagement.

Des villes qui, dans l'esprit du pacte d'amitié qu'elles ont signé en 1981, se préparent, dans le cadre du futur Conseil national des Communes « Compagnon de la Libération », à assumer le souvenir et la pérennité de l'ordre, au plus tard le 16 novembre 2010, sans spéculer, donc, sur l'espérance de vie des derniers Compagnons. Elles ne le feront pas seules, bien entendu, et peuvent compter sur les conseils éclairés de son chancelier, le professeur François Jacob, sur l'ensemble de ses membres encore en vie et sur l'implication indéfectible de son secrétaire général, le colonel Loïc Le Bastard, à qui je veux rendre un hommage appuyé.

Je suis bien sûr confiant, monsieur le secrétaire d'État, dans le concours actif de l'État : quels que soient les gouvernements et les ministères, ils apporteront, j'en suis certain, leur contribution en plein accord avec les villes concernées.

Mes chers collègues, je profite de l'occasion qui m'est donnée aujourd'hui pour saluer solennellement, devant la représentation nationale, toutes ces personnalités, et pour les remercier de leurs actions passées, actuelles et futures. Je ne doute pas que, grâce à elles, nous saurons gérer au mieux cette transition. Nous serons alors les dépositaires d'un héritage qui puise ses racines dans tous les combats qui, pour meurtriers qu'ils aient été, ont construit la France dans laquelle nous vivons aujourd'hui.

Cette proposition de loi, comme l'a indiqué notre rapporteur, doit permettre aux villes faites « Compagnon de la Libération » d'assurer la pérennité de cet ordre au travers de l'établissement public administratif qu'est le Conseil national des communes « Compagnon de la Libération ». Elle vise à répondre, par anticipation, aux éventuels problèmes juridiques qui pourraient se poser lors de la mise en oeuvre de la loi du 26 mai 1999 – je ne reviendrai pas sur les différents articles, qui ont été exposés excellemment par notre rapporteur.

Je veux aussi m'arrêter un instant sur l'ordre de la Libération et sur ses spécificités, car l'idée est partagée par tous que cet ordre puisse organiser sa perpétuation au-delà de l'horizon limité de la longévité humaine.

L'ordre national de la Légion d'honneur récompense les « mérites éminents » acquis au service de la nation, soit à titre civil soit à titre militaire, et ce sous une forme ou sous une autre, depuis 1803. L'ordre national du Mérite récompense les « mérites distingués » depuis 1964 et rien ne limite l'existence de cet ordre dans le temps.

Il en va tout autrement de l'ordre de la Libération. Sans revenir sur les éléments du contexte donnés par notre rapporteur, il est indispensable de souligner en quoi il diffère de ceux que je viens de citer.

D'abord, il répond à une circonstance historique particulière. Il s'inscrit tout entier dans cette Seconde Guerre mondiale qui aura été si néfaste, si dramatique, pour les pays protagonistes. Certes, la Croix de la Libération n'est pas la seule décoration spécifique à ce conflit : je pense notamment à la médaille de la Résistance ou aux médailles de la déportation. Mais, à la différence d'autres décorations, il s'agit d'un ordre national, le deuxième en dignité.

Ensuite, parmi d'autres décorations spécifiquement liées à ce second conflit mondial, l'ordre de la Libération combine plusieurs critères de mérite dont le premier est l'attachement précoce à la France libre. C'est cette dernière caractéristique qui lui confère son originalité et son universalité. L'Ordre matérialise encore aujourd'hui en ses membres, et demain à travers les villes « Compagnon de la Libération », l'esprit de résistance. Et, dans cet esprit de résistance, il continuera de transmettre l'idée que le courage de quelques-uns peut avoir raison contre l'abattement de tous, que la voie périlleuse de l'exil peut être le chemin le plus sûr vers le rétablissement de la souveraineté nationale, que l'opprobre des procès truqués faits par ceux qui se couchent à ceux qui se lèvent honore les condamnés de Riom – leur insoumission les a menés au pinacle de l'histoire nationale.

Toute guerre produit ses héros et l'héroïsme est intemporel. Mais on ne peut passer sous silence ces hommes et femmes exceptionnels que furent les Compagnons. Je veux juste en citer quatre pour mémoire, pour l'histoire.

Berty Albrecht, incarnation du courage des femmes de la Résistance, incarnation du destin glorieux et tragique de la Résistance à Lyon. Berty Albrecht qu'admirait si fort notre regretté collègue Jacques Baumel, résistant lui-même : il la considérait comme la résistante parfaite. Berty Albrecht qui choisit le moment de sa mort en détention plutôt que de subir.

Le prince Dimitri Amilakvari, né géorgien, chef de corps de la 13e demi-brigade de Légion étrangère, tué en Égypte deux mois après avoir reçu sa Croix de Compagnon des mains du général de Gaulle, Il avait fait le choix de la France de Londres, contrairement à la grande majorité de ses camarades officiers de l'armée d'Afrique. Avant cela, il avait été cité deux fois à Narvik. Il est l'une des plus belles figures militaires de la France libre.

René Cassin, blessé de la guerre de 1914, immense juriste, homme de paix qui fit le choix de la rupture avec l'ordre établi pour prêter son concours sans faille au général de Gaulle. Il est le rédacteur des statuts de l'ordre de la Libération.

Enfin, car je ne peux égrener 1 038 noms, je citerai Jean Moulin. Je ne reviendrai pas sur l'homme qu'il fut, nous le connaissons tous. Je rappellerai simplement qu'il fut fait Compagnon de la Libération le 17 octobre 1942. Il mourut le 8 juillet 1943 des suites de la torture. Il n'avait pas parlé. L'impulsion qu'il sut donner à l'unification des mouvements de résistance lui survécut avec le succès qu'on sait. Il fut sans doute le plus grand des plus grands.

Au-delà des hommes, des lieux et des époques, c'est bien cet esprit-là qu'il conviendra demain de continuer à faire vivre avec l'ordre de la Libération, c'est-à-dire pour la mémoire et pour l'histoire, pour nos enfants, pour leurs enfants et tant que la France demeurera.

En discutant de ce texte, c'est donc à l'ensemble des décorés de la Croix de la Libération que nous rendons hommage aujourd'hui. Par notre vote, que j'espère unanime, nous permettrons d'assurer la pérennité de cet ordre d'exception, créé au moment le plus grave de l'histoire de la France, cette France fidèle à elle-même, solidaire dans le sacrifice et dans la lutte.

C'est pourquoi, mes chers collègues, au nom du groupe socialiste, radical, citoyen, divers gauche et apparentés, et au-delà de tout clivage politique ou partisan, je vous invite à adopter ce texte. (Applaudissements sur tous les bancs.)

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