La commission a auditionné des syndicats agricoles sur le projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche (n° 2559) (MM. Michel Raison et Louis Guédon, rapporteurs).
La commission a d'abord entendu M. Jean-Michel Lemétayer, président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA).
Nous accueillons M. Jean-Michel Lemétayer, président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA).
Le projet de loi, monsieur le président, témoigne de la volonté du Gouvernement de dégager des solutions d'avenir en faveur de la compétitivité et de la pérennité de notre agriculture. Il existe une très forte attente vis-à-vis de ce texte, destiné à s'inscrire dans le temps. Nous avons l'intention d'en renforcer certaines dispositions. Pour votre part, que souhaitez-vous améliorer ?
Le projet de loi est en effet très attendu. Il ne s'agit pas d'une énième loi sur l'agriculture, mais d'un texte destiné à donner à l'agriculture française des atouts supplémentaires dans le cadre d'une politique agricole avant tout européenne. C'est bien la raison pour laquelle il faut replacer le débat dans le contexte européen, et saisir l'opportunité qui nous est donnée de valoriser notre agriculture.
Tout l'enjeu est de renforcer l'organisation économique des producteurs afin que les filières, insuffisamment structurées, ne soient pas prises au dépourvu lors des crises. Par ailleurs, la question du revenu des agriculteurs est fortement liée à celle de l'allégement des charges, lesquelles créent des distorsions de concurrence en augmentant notamment le coût du travail.
Le contexte économique n'est pas sans influence sur nos réflexions. L'extrême volatilité des marchés est un fait nouveau pour certaines productions, qui bénéficiaient jusqu'à présent de la régulation européenne. Les producteurs de lait n'imaginaient pas en 2003 que le filet de sécurité serait abaissé de 20 %, et la volatilité accrue d'autant. Aujourd'hui, la conjoncture s'améliore au point que les prix s'emballent, avec, je l'espère, une traduction réelle pour les producteurs qui en ont bien besoin. Mais ce secteur, habitué à une certaine régularité, est entré dans une spirale identique à celle que connaissent ceux de la viande porcine ou des fruits et légumes.
L'intérêt du titre Ier du projet de loi est de rappeler que les agriculteurs ne sont pas seulement des producteurs de matières premières, mais aussi les premiers responsables de la politique de l'alimentation, qu'elle soit considérée à un niveau local, national, européen ou mondial. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous sommes très attachés à la mention d'origine et à la traçabilité des produits. Plus nous apporterons d'informations sur la qualité de nos productions et sur la mise en valeur de nos terroirs, mieux nous défendrons l'intérêt des consommateurs face à la banalisation des denrées. La mention d'origine et la traçabilité sont aussi un rempart contre les importations de produits de qualité sanitaire douteuse. À cet égard, nous craignons que les négociations à l'OMC ne débouchent sur une réouverture des échanges avec le Mercosur, et des importations supplémentaires de viande sans traçabilité. La dimension sanitaire est un élément important d'une politique alimentaire de qualité.
S'agissant du titre II et du débat sur les interprofessions, il faut exiger des filières qu'elles prennent leurs responsabilités. Dans un pays comme le nôtre, où existe une telle diversité, tous les acteurs d'un secteur doivent pouvoir s'asseoir autour de la même table pour gérer le marché, les crises éventuelles et prendre les décisions qui s'imposent à tous. Il est nécessaire que les interprofessions fassent évoluer le droit de la concurrence et qu'elles soient responsabilisées en matière d'indicateurs de marché.
À cet égard, je veux insister sur l'importance de la politique contractuelle que votre vote devrait conforter. Un engagement important de modération des marges a été signé récemment à l'Élysée, mais il ne concerne que la relation distributeurs-consommateurs. Si, dans les mois qui viennent, la contractualisation n'apporte pas d'éléments nouveaux en matière de sécurisation des revenus des producteurs, nous aurons échoué.
Je connais la détermination du Gouvernement sur ce sujet. Nous devons aller de l'avant : les interprofessions doivent s'organiser et faire en sorte que les producteurs ne soient plus à la merci des marchés, seuls face à leurs interlocuteurs en aval. Je pense notamment au secteur des fruits et légumes, où la contractualisation existe entre producteurs et industries de conserves, mais est absente ailleurs. Cessons de toujours en vouloir à l'Europe et prenons nos responsabilités !
Nous avons eu gain de cause pour ce qui est de la suppression des remises, rabais et ristournes dont les distributeurs pouvaient bénéficier pour l'achat de fruits et légumes frais : le Sénat a considérablement amélioré le dispositif.
Dans le cadre de la loi de modernisation de l'économie (LME), nous nous sommes beaucoup battus pour que soit créé un outil de suivi des prix : l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, installé en 2008, nous a donné raison en démontrant son utilité.
En revanche, les conditions de négociabilité, telles que prévues par la LME, ne sont pas acceptables. C'est un point sur lequel nous aimerions vous convaincre, malgré la position tranchée du Gouvernement. Je veux d'ailleurs avoir ici une pensée pour Jean-Paul Charié, qui nous a beaucoup aidés. Il est tout à fait anormal que ce soit l'acheteur qui fixe les prix, et non le fournisseur. La situation actuelle est intenable et nous entendons bien, avec Jean-René Buisson, président de l'Association nationale des industries alimentaires (ANIA), reprendre ce combat.
Nous ne sommes pas opposés à la nouvelle taxe sur le foncier, à condition qu'elle soit affectée à l'installation de jeunes agriculteurs. C'est ce que nous avons expliqué aux sénateurs, et, parmi eux, aux élus locaux qui souhaitaient que leurs collectivités puissent en disposer. De la même manière que l'on aide l'installation de jeunes artisans ou de jeunes commerçants dans les zones rurales, il est juste que le produit de cette taxe bénéficie aux jeunes agriculteurs, et non aux projets d'urbanisation de nature commerciale ou industrielle.
Il a été choisi, à l'article 11 quinquies, de permettre aux chefs d'exploitation ou d'entreprise agricole de verser, en complément des cotisations appelées au titre de l'année en cours, un à-valoir sur le montant des cotisations exigibles l'année suivante. Pour lisser d'une année sur l'autre les versements et rendre le paiement des cotisations de l'année « n-1 » plus aisé en cas d'année « n » difficile, nous étions davantage favorables à une solution plus concrète, revenant à prendre en compte l'année « n », sur la base de l'année « n-1 », avec une mise à jour à « n+1 », soit un paiement en temps réel.
Par ailleurs, la suppression de l'assiette minimale en assurance maladie, que nous demandons depuis longtemps, est plus que jamais d'actualité : subissant la crise, nombre d'agriculteurs se trouvent obligés de payer des cotisations alors même que leurs revenus sont nuls. Notons que cette assiette minimale n'existe pas dans d'autres secteurs.
Enfin, nous sommes favorables à la réforme du dispositif de soutien à l'assurance-récolte et à l'indemnisation des calamités agricoles, ainsi qu'à la création du dispositif de gestion des aléas sanitaires, phytosanitaires et environnementaux.
Telles sont les remarques que je voulais faire sur le projet de loi, considérablement amendé au Sénat. Nous ne doutons pas que vous saurez à votre tour l'enrichir.
La majorité comme l'opposition seront soucieuses de vous apporter un soutien constructif.
Un premier rapport sur la mise en application de la loi LME, préparé par notre regretté collègue Jean-Paul Charié et par Jean Gaubert, a été publié en février. Je demanderai l'année prochaine un nouveau contrôle d'exécution de la loi, plus précisément sur ses dispositions concernant la négociabilité. Je considère en effet que l'objectif que nous poursuivions, celui de restaurer la confiance dans les relations entre fournisseurs et grande distribution, a été dévoyé. Nous ne resterons pas les bras croisés devant cette situation inacceptable.
Nous ne sommes pas les seuls à nous en plaindre : il suffit d'entendre les mots très durs dont l'ANIA use à l'encontre de la grande distribution pour s'en convaincre. Lors de la réunion à l'Élysée, les dirigeants de la grande distribution ont voulu montrer leur bonne disposition ; ils n'ont trompé personne : leur politique de bas prix n'a pas changé depuis. Au moins aurons-nous obtenu l'interdiction des remises, rabais et ristournes sur les fruits et légumes lors de l'examen du texte au Sénat !
La LMA s'inscrit dans un contexte de négociations importantes, à la fois au sein de l'OMC et de l'Union européenne. Elle ne fonctionnera que si les règles européennes de concurrence sont assouplies – pour avoir une idée de ce qu'en pensent nos voisins Outre-Rhin, je vous conseille la lecture édifiante du rapport de notre collègue Michel Piron sur l'urbanisme commercial en Allemagne. Nous ne pouvons plus admettre que quatre paysans ayant fixé ensemble un prix soient condamnés pour entente illicite, quand, dans le même temps, une centrale d'achat est autorisée à acheter 25 % de la production française dans son secteur. Il faut donc que nous parvenions à faire bouger les curseurs européens.
Voilà des décennies que nous évoquons les distorsions de concurrence dues aux charges élevées et aux contraintes administratives que subissent les agriculteurs français. Il nous faut aujourd'hui saisir ce problème à bras-le-corps. Je bloquerai d'ailleurs avec énergie tous les amendements qui, parce qu'ils obéissent à une certaine idéologie, comme la protection de l'environnement, auront pour effet d'imposer de nouvelles contraintes. Les Allemands, qui mettaient autrefois l'écologie en avant, sont revenus à un pragmatisme très économique !
Les interprofessions, en France, sont nombreuses et de nature très diverse. Leur implication varie d'un secteur à l'autre : le Centre national interprofessionnel de l'économie laitière (CNIEL) ne fonctionne pas comme l'Association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes (Interbev) par exemple. Il convient de développer ces interprofessions et de leur donner de nouvelles missions.
Lors de l'examen de la loi Châtel, dont j'étais le rapporteur, nous avions réussi à bloquer un amendement du gouvernement sur la négociabilité. Nous avions alors permis une avancée considérable en permettant au distributeur d'intégrer la totalité des marges arrières dans le seuil de revente à perte (SRP), selon le mécanisme du triple net. Puis la LME a été votée, introduisant de nouvelles conditions de négociabilité. Il aurait été plutôt souhaitable d'évaluer l'effet du triple net et de veiller à la bonne application des dispositions de la LME ! Cessons de changer tous les deux ans la législation ! Même l'ANIA ne souhaite pas une réforme fondamentale de la LME !
Avez-vous des propositions pour améliorer les performances de la Mutualité sociale agricole (MSA), qui devrait subir des fluctuations de plus en plus importantes ? Que pensez-vous de la dotation pour investissement (DPI) qui est, avec la déduction pour aléas (DPA) l'un des deux leviers fiscaux dont bénéficie le monde agricole ? Ne pensez-vous pas qu'elle incite trop fortement les agriculteurs à investir, à un moment où ils ne disposent pas forcément de la trésorerie nécessaire ? Enfin, en complément du dispositif de contractualisation, que proposez-vous pour alléger les charges et simplifier les règlements auxquels sont soumis les agriculteurs ?
Monsieur le président, je regrette que les conditions dans lesquelles nous examinons ce texte, qui vient juste de nous parvenir du Sénat, ne nous permettent pas de légiférer en toute connaissance de cause.
Monsieur Lemétayer, êtes-vous prêts à nous rejoindre dans notre condamnation du libéralisme ? Ce n'est pas la première fois que je vous entends, vous et vos délégués départementaux, dénoncer l'orientation toute libérale des politiques conduites par l'Union européenne et l'OMC… Celle-ci mène l'agriculture à la catastrophe, en démantelant les outils de régulation mis en place par les pères fondateurs.
Ne pensez-vous pas que les distorsions de concurrence s'expliquent moins par le niveau élevé de cotisations sociales que par la non-harmonisation fiscale en Europe ? Tout est tiré vers le bas, comme le prouve le statut d'auto-entrepreneur, qui vient démanteler le système social de protection tout en créant une nouvelle forme de concurrence ! Si l'Allemagne imposait les mêmes charges sur la main-d'oeuvre, elle ne pourrait produire ses fraises en masse, faisant, au passage, disparaître un millier de producteurs dans le Périgord.
S'agissant du paiement des cotisations sociales, je doute qu'il soit encore possible d'améliorer le système actuel de lissage, qui permet d'étaler le paiement sur trois ans, tout en maintenant le système social à l'équilibre.
Enfin, les dispositions visant à renforcer les interprofessions ne seront pas efficaces si le Gouvernement poursuit sa visée libérale. Ainsi, la crise du secteur laitier est née de ce que la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a interdit à la profession de se mettre d'accord sur un prix du lait !
« Une bonne loi n'est pas une belle loi, c'est une loi applicable et efficace » : c'est vous, monsieur Lemétayer, qui avez fait cette déclaration à la presse. Pour notre part, nous travaillons tous ici à l'élaboration d'une bonne loi, car chacun sait que les agriculteurs doivent avoir une vision économique et disposer d'un revenu digne et stable. Il y va de leur avenir.
L'agriculture est le moteur économique des communes rurales : le couple commune-agriculture doit sortir gagnant gagnant, d'autant que ce couple est lié par le foncier.
J'ai bien noté que la contractualisation est un atout majeur pour l'agriculture et une mesure phare permettant de lutter contre la volatilité des prix et d'améliorer l'organisation des filières. Vous avez également évoqué la préservation des terres et la qualité de l'alimentation.
En revanche, vous n'avez pas évoqué l'assurance fourrage : ne vous paraît-elle pas un sujet majeur pour les éleveurs ? De même, quel est votre avis sur le volet « forêt » ?
Le Sénat envisage la restructuration des chambres d'agriculture en direction de la région : qu'en pensez-vous ?
Sur le terrain, on évoque également les problèmes posés par le bail précaire : cet outil ne répondrait-il plus à sa mission première, qui était de favoriser l'installation des jeunes ?
Monsieur Lemétayer, vous êtes, me semble-t-il, désormais acquis à l'idée de combattre le libéralisme puisqu'on la retrouve régulièrement dans vos textes. La question fondamentale est donc celle de la priorité à accorder au prix garanti.
Vous avez également évoqué une autre priorité à propos de l'Observatoire des prix et des marges : la transparence. Êtes-vous prêt à faire pratiquer la transparence complète sur les marges par l'ensemble des adhérents de votre syndicat ?
La Fédération régionale des syndicats d'exploitants agricoles du Massif Central a proposé l'instauration d'une gestion différenciée des volumes et des prix : êtes-vous favorable à une telle disposition, qui vise à différencier les prix en fonction de la nature, du lieu et des conditions spécifiques de production ?
Selon vous, la formalisation écrite de la relation contractuelle est une exigence, et vous avez raison. Cela signifie-t-il que la LME est mal ou insuffisamment appliquée ou qu'il convient de la modifier en revenant sur la nature des négociations commerciales pour y introduire des contraintes plus fortes ?
Je dois reconnaître que j'emploie, à l'encontre de la grande distribution, les mêmes noms d'oiseaux que l'industrie alimentaire. Toutefois, celle-ci n'est pas le chevalier blanc pour lequel elle voudrait se faire passer, puisqu'elle n'a pas respecté, notamment en Auvergne, les accords qu'elle avait signés avec les producteurs laitiers sur la cotisation volontaire obligatoire portant sur le prix des fromages vendus, cotisation qui devait profiter à l'ensemble de la filière tout en permettant d'augmenter le prix du lait servant à la production de produits AOC et AOP. Dans ces conditions, quelles mesures la loi devrait-elle prévoir pour contraindre la grande distribution ou l'industrie agroalimentaire à respecter leurs engagements en la matière ? « Le libéralisme, c'est le renard libre dans le poulailler libre ». Si nous voulons garantir les prix afin que les agriculteurs puissent vivre de leur activité, il convient de limiter cette liberté par des contraintes.
Le Nouveau Centre considère que la loi contient des points positifs tels que le programme national pour l'alimentation, la promotion du contrat ou la gestion des risques climatiques. Nous sommes en revanche sceptiques sur l'interprofession, qui risque de rendre plus difficiles encore les rapports entre la grande distribution et les producteurs.
Nous sommes également déçus s'agissant de la question des allégements des charges : alors qu'une grande avancée a été réalisée en matière de travail saisonnier, le texte n'en prévoit aucune sur le travail permanent. En outre, il est faible concernant la question des rapports de force entre l'aval et l'amont.
Il a, de plus, exclu tous les enjeux environnementaux, au profit du Grenelle de l'environnement, notamment les questions relatives à l'eau. Or celle-ci, dans le sud de la France en particulier, est un facteur de compétitivité majeur. Une loi de modernisation agricole doit contenir un volet sur l'eau, au moins pour le sud de la France. Cantonner la politique en la matière à la loi sur l'eau de 2006 nous paraît insuffisant : c'est pourquoi nous déposerons des amendements en ce sens.
Monsieur Lemétayer, la FNSEA est-elle favorable à l'exonération des charges patronales sur le travail permanent ? Dans ce cas, a-t-elle des propositions à faire pour financer le dispositif ? Je pense notamment à la taxe sur les surfaces commerciales – TASCOM –, qui existe déjà.
Nous savons que vous avez débattu, au sein de la FNSEA, du caractère obligatoire ou facultatif de l'assurance climatique. Nous pensons, quant à nous, que tant qu'elle ne sera pas rendue obligatoire, cette assurance restera marginale. Quelle est la position officielle de la FNSEA sur le sujet ?
Il n'y a pas d'argent pour ce texte, le Premier ministre l'a souligné le premier : cela signifie que les baisses de charges ne seront pas compensées. Or la Mutualité sociale agricole n'a pas beaucoup d'excédents !
De plus, le texte manque de volonté. N'en déplaise à la FNSEA, la représentativité syndicale est un vrai problème. Que dirait-on si, en France, la CGT était le seul syndicat ouvrier reconnu pour la négociation des conventions collectives sous prétexte qu'il est majoritaire sur le plan national ?
Par ailleurs, l'idéologie du libre marché, qui est celle du Gouvernement, bloque toute avancée en matière agricole comme sur la question de l'urbanisme commercial – nous avons bataillé hier soir avec le ministre sur cette question.
Le texte ne paraîtra intéressant qu'à ceux qui acceptent d'être de nouveau piégés. Alors que la réforme de la PAC se profile à l'horizon 2013, j'aurais préféré débattre d'une résolution portant sur nos ambitions pour l'agriculture française intégrée à l'agriculture européenne. Il aurait fallu, pour cela, trier ce qui relèvera, d'une part, de la responsabilité française et, d'autre part, du mandat de négociation à Bruxelles du ministre chargé de l'agriculture. Le projet de loi aurait dû se présenter comme un texte d'adaptation à la politique agricole européenne après la réforme de 2013.
Ne nous contentons pas de faire de l'animation alors même que les Français devraient, entre eux, faire des choix pour l'agriculture française de demain dans un contexte européen.
Je suis demandeur d'un texte qui anticipe 2013 afin de permettre à l'agriculture française d'améliorer sa compétitivité dans le cadre de la politique agricole européenne. Nos filières doivent mieux s'organiser. Nous ne pouvons pas toujours nous plaindre !
Nous devons renforcer par une loi la politique agricole française et travailler à la rendre aussi unanime que possible, afin de contrer les tendances les plus libérales de l'Union européenne. Je n'ai, à ce sujet, jamais changé d'avis depuis 2002, lorsque je suis devenu président de la FNSEA. Vous pouvez relire le rapport de cette année-là, intitulé : « Notre métier a un prix ». J'ai toujours été favorable à la régulation des marchés. Je compte sur le monde politique français et sur le Gouvernement pour ne pas affronter en ordre dispersé ceux qui, sur le plan européen, veulent encore plus de libéralisme.
Je compte sur l'ensemble de la majorité et de l'opposition pour soutenir la détermination du Président de la République qui, au niveau européen, fait un travail exceptionnel en vue d'instaurer de nouveaux moyens de régulation des marchés.
Monsieur Lemétayer, nul ne méconnaît le rôle majeur que l'Europe doit jouer dans le désastre que subissent aujourd'hui toutes les filières agricoles. La baisse des revenus atteint 32 % en moyenne – elle est encore plus élevée en Eure-et-Loir où elle a atteint les 100 millions d'euros.
En ce qui concerne le secteur céréalier, sur quel type d'indicateur, comme il en existe pour le lait ou les fruits et légumes, l'interprofession pourrait-elle s'appuyer pour déterminer le prix du marché ? Quelle doit être l'évolution du rôle des coopératives, notamment céréalières, qui sont très puissantes ? Elles pourraient, en raison de leur taille, jouer un rôle d'amortisseur.
Le prix du foncier est, quant à lui, toujours très tendu. En Eure-et-Loir, il est même en hausse, et cela en dehors des zones limitrophes avec l'Ile-de-France qui connaissent un fort développement de population. Sans qu'on en connaisse la raison, le foncier a augmenté de 30 % dans le Perche, qui est un territoire d'élevage.
Monsieur le président de la Commission, il est vrai que le Président de la République s'est montré très actif pour faire adopter la LME, laquelle a entraîné une dérégulation générale de la négociabilité – Michel-Édouard Leclerc nous avait expliqué à l'époque que le Président avait insisté pour que le Parlement fasse sauter tous les verrous en la matière. Il convient donc de moduler les hommages qui sont rendus au Président de la République, car chacun peut aujourd'hui mesurer les effets dévastateurs de cette politique qui a consisté à renoncer au contrôle des structures, aux contrats territoriaux d'exploitation et au double affichage des prix, ce qui nous prive de tout repère. Certains exploitants ont cru qu'ils pourraient s'en sortir tout seuls au sein des filières : tous les agriculteurs français, à quelque filière qu'ils appartiennent, ont pris conscience aujourd'hui qu'ils ne pourront s'en sortir que dans le cadre d'une démarche collective – M. Lemétayer a été très clair sur ce point.
Pour ce qui est du projet de loi, que devrai-je répondre aux agriculteurs qui m'interrogeront sur ses apports lors d'un prochain comice agricole, sinon qu'il donne l'impression de relever de la calinothérapie et de ne proférer que quelques menaces de l'État à propos des interprofessions ? Comme Jean Gaubert l'a rappelé, nous avons bataillé en vain avec le Gouvernement pour essayer d'introduire concurrence et diversité de l'offre en matière d'urbanisme commercial. Nous devons sans cesse chercher à colmater de nouvelles brèches !
La FNSEA est très impliquée dans la gestion des chambres d'agriculture : quel est, monsieur Lemétayer, votre sentiment sur la création, souhaitée par le Sénat, de chambres d'agriculture interdépartementales, interrégionales ou de région, sachant que la nouvelle chambre d'agriculture se « substitue » – selon l'article 17 bis nouveau – aux chambres d'agriculture ainsi réunies ? Ne craignez-vous pas que de telles fusions éloignent, sur le plan de l'organisation et de la décision, les chambres du terrain, ce qui serait inquiétant, voire aberrant dans le domaine agricole ?
Partout en France, les agriculteurs se plaignent des dérives de la LME. Je rappelle que les sénateurs UMP et socialistes ont déposé des amendements pour corriger certaines dispositions de cette loi : les premiers ont été priés de les retirer, ce qu'ils ont fait, contrairement aux seconds qui les ont maintenus. Toutefois, ces amendements n'ont pas été adoptés et M. Michel Raison, co-rapporteur, a plaidé à l'instant pour une simple action sur les pratiques. Ne pensez-vous pas qu'une modification législative serait nécessaire ?
Par ailleurs, l'exposé des motifs initial du projet de loi précisait que « les métiers de l'agriculture et de la pêche doivent être dotés des moyens permettant aux hommes qui les pratiquent et à leur famille de vivre décemment de leur activité ». Selon vous, les dispositions du texte satisfont-elles à ces exigences ? Apporte-t-il aux agriculteurs la garantie qu'ils pourront vivre de leurs productions ? Répond-il à la gravité de la crise agricole et au désarroi des agriculteurs ?
Enfin, prévoit-il des outils suffisants pour permettre l'installation des jeunes ?
Il n'en prévoit aucun.
Alors que le texte initial ne prévoyait, il est vrai, aucune mesure favorisant l'installation des jeunes agriculteurs, le Sénat a introduit, à cette fin, un titre II bis, qui est toutefois insuffisant pour pallier les effets de la crise en la matière. Du reste, les jeunes qui fréquentent les lycées agricoles sont toujours moins nombreux à s'installer.
Vous avez abordé la diversité territoriale, à peine évoquée par le texte : qu'en est-il des agricultures de montagne ?
Que pensez-vous enfin des circuits courts, qui se développent et qui ont le mérite de ne pas obéir aux mêmes règles d'affrontement que celles qui existent entre les producteurs et la grande distribution ?
Le ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche, M. Bruno Le Maire s'est ému de ce que le secteur sylvicole soit le seul à ne pas bénéficier d'un système assuranciel. Or, rien n'était prévu en la matière dans le texte initial. Le Sénat, par le biais d'un amendement, a proposé la mise en place d'un dispositif de compte épargne d'assurance pour la forêt, mais par un autre amendement, le Gouvernement a restreint la portée du dispositif en refusant la possibilité d'utiliser une partie du compte épargne pour l'investissement. C'est une erreur que condamne la profession. Aussi suis-je étonnée de vous entendre affirmer que le texte réalise des avancées sur le système assuranciel : cautionnez-vous l'approche restrictive du Gouvernement, au détriment d'un soutien à l'investissement dans un secteur qui emploie 400 000 personnes ?
La grande distribution n'a pas rempli ses deux missions historiques : tirer les prix vers le bas – le panier de la ménagère française est plus cher que celui de la ménagère allemande – et écouler des volumes. En recourant de manière excessive aux marges, elle a provoqué une embolie de la production agricole.
Monsieur Lemétayer, nous n'avons qu'une confiance très relative dans la grande distribution : ne pensez-vous pas qu'il serait pertinent de faire, dans les six mois, un bilan de l'évaluation du dispositif de l'encadrement des marges de la grande distribution ?
Par ailleurs, alors que le travail saisonnier a été soulagé de ses charges, ne conviendrait-il pas, de manière plus générale, de réfléchir à un financement alternatif du coût du travail à la fois en diminuant les charges patronales et en taxant le produit, ce qui permettrait de dégager des marges pour les producteurs ? En effet, si les marges de la grande distribution ont été encadrées, celles des producteurs demeurent insuffisantes.
Durant les six derniers mois, 40 000 agriculteurs ont demandé à bénéficier du RSA et, aujourd'hui, 22 % de la profession se situent au-dessous du seuil de la pauvreté : la situation de l'agriculture n'a jamais été aussi grave.
Les interprofessions continueront de n'avoir, à mes yeux, que peu de poids face aux négociants de la grande distribution. Alors que des normes qualitatives et géographiques protègent la production viticole, et que, dans certaines régions, les interprofessions se sont regroupées, aucun coopérateur n'ose demander un contrat ou le versement d'arrhes, car il est déjà content que son vin soit retiré à la date prévue et au prix convenu. Le nouveau contrat améliorera-t-il le sort des producteurs ?
Par ailleurs, le projet de loi prévoit la création d'un Fonds national de gestion des risques en agriculture, qui remplacera le Fonds national de garantie des calamités agricoles. Ce fonds sera abondé par une cotisation sur les conventions d'assurance et par une subvention de l'État en fonction des besoins de financement : ne pensez-vous pas que l'État se désengagera tôt ou tard, d'autant que les amendements des sénateurs socialistes, visant à engager l'État, ont été rejetés ? Ne craignez-vous pas à terme une augmentation de la cotisation des agriculteurs ?
Ne conviendrait-il pas également de conduire une politique publique plus volontariste dans le domaine des productions locales et de saison, ce qui serait du reste conforme à l'esprit du Grenelle de l'Environnement, et dans celui des circuits courts, qui sont en plein essor ? Or, le texte évoque à peine l'agriculture biologique, alors qu'elle se développe dans de nombreuses régions.
Selon vous, le projet de loi est-il cohérent avec la réforme de l'OMC dans le cadre du cycle de Doha et avec celle de la PAC en 2013 ?
Alors que le texte tend à instaurer une nouvelle régulation en vue de rendre les producteurs plus forts face aux distributeurs, vous vous heurtez aux droits français et européen de la concurrence. Le droit européen a toujours établi des règles particulières pour l'agriculture, qui n'est pas un marché comme les autres. Avez-vous des contacts avec des représentants agricoles européens envoyant le même message que vous à Bruxelles ? Comment ce message est-il reçu par le commissaire à l'agriculture ? Est-il votre allié en face du commissaire à la concurrence ? Un débat sur l'évolution du droit européen à la concurrence s'est-il engagé à Bruxelles ?
S'agissant des ententes, le droit français est déconnecté du droit européen : le texte ne pourrait-il pas aller jusqu'à permettre des ententes propres au secteur agricole ?
Le Sénat n'a évoqué l'installation des jeunes qu'à la marge. Par ailleurs, les agriculteurs rencontrent aujourd'hui des difficultés en termes de transmission, de structuration financière des exploitations, d'accès au crédit, de trésorerie, de surendettement et de relation avec les banques. Or, le texte fait une impasse, majeure, sur tous ces sujets.
La FNSEA considère-t-elle que la concentration des moyens de production des exploitations agricoles est inéluctable ? Existe-t-il des solutions pour alléger la pression financière qui pèse sur les agriculteurs ?
On n'évoque jamais les marges en amont de la distribution ! Or, pour ne prendre qu'un exemple, les prix payés aux éleveurs connaissent des différences considérables alors que tous les abattoirs paient les animaux d'une manière linéaire, qu'ils proviennent de coopératives, de groupements privés de producteurs ou directement des éleveurs.
D'aucuns sont favorables au regroupement de l'offre, pensant que contrats et OPC résoudront tous les problèmes. Or, le fait que toute la production soit intégrée et que tous les producteurs se soient regroupés n'empêche pas la filière porcine d'aller très mal. Mme Laure de La Raudière a évoqué les grosses coopératives céréalières, qui sont puissantes : le blé se vend-il mieux parce que l'offre est regroupée ? Il y a le risque de supprimer, notamment pour la filière bovine, toute forme de concurrence. Les OPC deviendront la structure unique, le texte préparant, de fait, le transfert de propriété. Or, le jour où toute forme de concurrence aura disparu, les producteurs n'auront plus d'autre ressource que de se tourner vers l'État.
Si tous les éleveurs trouvaient un avantage à se regrouper en coopératives, pourquoi seulement 25 % d'entre eux l'ont-ils fait jusqu'à présent ? De plus, un contrat doit être incitatif et non répressif. Prévoir une amende pouvant aller jusqu'à 75 000 euros pour non-respect du contrat me paraît scandaleux.
En l'état, le texte ne peut être voté que par les députés de la gauche. Personnellement, je ne le voterai pas.
Que personne ne préjuge notre vote ! Je crains du reste qu'il ne soit négatif.
Monsieur Lemétayer, vous êtes venu dans le département de la Loire en mars dernier et nous avons débattu du foncier agricole. Aussitôt que vous êtes parti, des élus de la majorité ont décidé la construction d'une zone d'activité de plus de 6 000 hectares. Ce double langage est inadmissible, puisque nous nous étions tous mis d'accord pour limiter le mitage du foncier agricole et contenir l'extension des zones commerciales et des zones industrielles, surtout lorsqu'elle ne répond à aucun besoin. Considérez-vous que les dispositions prévues en la matière à l'article 12 sont suffisantes, alors même que les élus sont parties prenantes dans la définition des SCOT ? On peut enrayer, par le biais de taxes, la spéculation sur le foncier agricole. En revanche, la création de grandes zones d'activité pose des problèmes spécifiques : c'est ensemble que nous devons lutter pour les résoudre.
Quant au morcellement du foncier forestier, il pénalise à tel point le développement de la filière bois en France que certaines régions ou certains départements tels que l'Auvergne ou la Loire importent l'intégralité de leur bois de construction. Le projet de loi, selon vous, prend-il en compte cette préoccupation ?
Toutes les filières agricoles sont confrontées à des problèmes de production, de débouchés, de coûts de revient, de prix de vente et de marges. Le texte permettra-t-il de répondre à la question des rapports des interprofessions avec les coopératives ? Quelle action peut-être menée en matière de respect des terroirs et de développement des filières courtes ?
La maîtrise de la production a permis de maintenir des prix rémunérateurs durant de nombreuses années. Or, les quotas sont progressivement supprimés. Ne serait-il pas nécessaire de mettre en place un système de régulation de la production afin de stabiliser les prix ?
Pensez-vous que la contractualisation permettra la négociation d'égal à égal entre tous les acteurs ou ne risque-t-elle pas au contraire d'accroître les contraintes qui pèsent sur les agriculteurs sans pour autant les protéger ?
Vouloir régler la question du pouvoir d'achat des Français par la baisse des prix a eu pour effet d'étouffer non pas les distributeurs, mais les producteurs, qui connaissent les plus grandes difficultés.
Lorsque le temps sera venu de voter sur le projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, nous nous déterminerons en fonction de ce que le texte apportera aux agriculteurs. J'adhère aux propos de M. Lemétayer lorsqu'il évoque la nécessité de restructurer la filière et rappelle que les agriculteurs doivent s'organiser face aux industriels et à la grande distribution : nous devons travailler à rééquilibrer le rapport de forces entre ces trois acteurs.
Aujourd'hui les quotas existent toujours et les producteurs de lait bénéficient de droits à produire. Que deviendront ces droits lors de la réalisation du contrat, notamment lorsque les quotas auront disparu ? Seront-ils la propriété du groupement de producteurs ou celle des industriels ? Il ne faudrait pas que l'adoption du texte – comme, du reste, la réforme de la PAC – rende nos agriculteurs plus dépendants. Nous avons besoin de toute la liberté possible et de toute la régulation nécessaire.
M. Lemétayer a répondu à M. Gaubert qu'il était demandeur d'un texte qui anticipe la réforme de 2013, qu'il souhaitait l'organisation et la dynamisation des filières et qu'il convenait d'imaginer de nouveaux moyens de régulation. Or, comme M. Auclair, je ne trouve, sur ces trois points, aucune avancée significative dans le texte.
Par ailleurs, le ratio au niveau mondial, est, dans la filière bovine, de 1 animal pour 1 867 : autant dire que nous ne pesons rien ! Il faut en prendre conscience.
Il faut également savoir que, selon une enquête menée par la FDSEA, la superficie des prairies a été multipliée par trois en Saône-et-Loire depuis quarante ans et qu'il en sera de même d'ici quarante ans. Cela signifie que l'exploitation familiale est en passe de devenir un mythe : elle est appelée à disparaître. Que deviendront les salariés, alors que les éleveurs ont déjà atteint les limites de leurs capacités ? Or, le texte est muet sur la question des charges et sur celle de la formation.
Enfin, en matière de pluriactivité – autre mythe –, ne pourrait-on pas conduire une réflexion, au plan national, sur ce que l'agriculture française peut apporter au développement des énergies nouvelles – je pense notamment au photovoltaïque ? Les politiques sont actuellement conduites aux plans départemental ou régional sans cohérence aucune. La piste est à creuser.
Monsieur Lemétayer, conviendrait-il de jouer sur le levier du contrôle des structures, dans la perspective de la réforme de la PAC ?
Monsieur le président de la Commission, j'ai rapidement pris connaissance du texte amendé par le Sénat : plusieurs des points qui ont été évoqués ce matin y ont trouvé une première réponse grâce aux amendements adoptés.
Je répondrai globalement à vos questions, dont la variété témoigne de l'intérêt que vous portez à ce débat.
C'est selon ce que nous en ferons, que le texte apportera beaucoup ou, au contraire, n'apportera rien.
Chacun sait que les producteurs n'ont pas toute leur place dans les filières agricoles, qui ne sont pas bien organisées. Si le projet de loi permet de redonner le pouvoir aux producteurs dans la filière, alors il aura permis de faire un grand pas.
La politique de contractualisation existe déjà, mais c'est l'industriel, et non pas le producteur, qui décide du contrat. Avec ce texte, ce dernier sera défini par la filière dans le cadre de l'interprofession. C'est une mesure essentielle, car elle permet de redonner sa place au producteur.
Quant aux rapports entre le privé et les coopératives, monsieur Auclair, les contre-exemples sont aussi nombreux que les exemples. Il y a ainsi trop de concurrence dans la filière porcine, puisque, en contradiction avec l'esprit coopératif, les coopératives luttent entre elles pour ravir les parts de marché. Au Danemark, il existe une seule structure. Conviendrait-il de réunir les quatre grandes coopératives restantes ? Les producteurs protesteraient. Exemple inverse : il y a trois ans, les prix du marché des céréales flambaient. Un représentant du secteur de la conserve de légumes est venu me trouver en vue d'imposer des droits à paiement unique (DPU) aux producteurs de légumes de plein champ, ce qui aurait accentué la baisse des prix. J'ai au contraire demandé à ce qu'il augmente le prix d'achat au producteur, et le contrat a été revalorisé.
Quant à la politique des structures menée au début des années soixante, on s'aperçoit, si on en fait le bilan, que tous les départements n'ont pas joué le jeu. Vous pouvez voter toutes les lois que vous voulez, si les hommes sur le terrain ne souhaitent pas les appliquer, c'est le laisser-faire généralisé. Le texte n'améliorera l'organisation des filières que si les acteurs, de la production à la transformation, voire à la distribution pour le secteur des fruits et légumes et du vin, le veulent bien. J'ai signé, il y a trois ans, une convention pour le secteur viticole avec la grande distribution, du fait que 70 % de la production de vin passe par celle-ci : je ne suis pas certain que cette convention ait servi à grand-chose. Je le répète : si, en France, les acteurs, du producteur au distributeur en passant par le transformateur, acceptent de se mettre autour d'une table pour défendre leurs intérêts communs, alors, ils seront gagnants gagnants. La loi n'est qu'un cadre de travail.
Je suis opposé au règne du tout marché. Toutefois, ne nous faisons pas d'illusion : en Europe et dans le reste du monde, la règle, c'est le libre marché. J'ai participé aux deux cycles de l'OMC, Seattle et Doha, et j'ai été à tous les rendez-vous, notamment à ceux de Hongkong, de Cancun et de Genève : l'objectif est que l'agriculture et l'alimentaire servent à la libéralisation des services et de l'industrie. Or, il y a un consensus en France pour considérer que l'agriculture est un élément stratégique. Tous les dirigeants européens, à l'exemple des Américains, devraient considérer l'agriculture comme une priorité.
De plus, les Français devraient présenter un front uni, ce qu'ils ne font pas toujours : l'interprofession viticole s'est présentée en ordre dispersé à Vinexpo, qui s'est tenu cette année à Hongkong, contrairement aux viticulteurs argentins, chiliens, italiens ou espagnols, qui présentaient un front uni. Chaque filière devrait les imiter. Si le débat, qui ne peut avoir lieu qu'au sein de l'interprofession, n'aboutit pas, alors, dans quelques années, les multinationales prendront la place, en France même, d'une multitude de PME agricoles et agroalimentaires qui irriguent le territoire national.
C'est toute la difficulté de la LME : une grande multinationale peut se défendre face à la grande distribution, contrairement à une PME. Or, les mêmes règles commerciales s'appliquent aux deux. Il conviendrait d'en instaurer qui permettent aux PME de se défendre, elles aussi, face à la grande distribution.
La FNSEA a adopté, voilà deux ans, lors de son congrès, une résolution appelant tous les acteurs des filières à mieux s'organiser. Il convient toutefois de rester réaliste : chaque marché a ses spécificités et le cadre législatif, tout en étant incitatif, ne peut être que général. Il doit inviter les acteurs à mieux s'organiser et à faire preuve de responsabilité, par un respect mutuel au sein de chaque filière. Chacune d'entre elles devra alors s'efforcer de déterminer de manière consensuelle une valeur ajoutée. Les distributeurs eux-mêmes le savent – c'est pourquoi il conviendrait de développer le partenariat avec eux : tous les acteurs ont intérêt à ce que l'agriculture française se porte bien, ou du moins se porte mieux et fasse vivre les exploitants. Il y va des investissements de chaque maillon de la filière. À quoi cela servira-t-il à la grande distribution d'être toujours capable d'investir si l'industrie agroalimentaire ou les producteurs n'en ont plus la capacité ?
La contractualisation est un des grands volets du projet de loi et on ne saurait en réduire la portée à la sortie des quotas laitiers. Toutefois, lorsque celle-ci se produira, voulons-nous que ce soient Lactalis, Danone ou la coopérative Sodiaal qui décident pour les producteurs ? Ne conviendra-t-il pas au contraire que tous les acteurs se mettent autour de la table pour décider des contrats, notamment en termes de volume de production ?
Dans toutes les filières, les producteurs pourront ainsi prendre part à la décision, tous les acteurs devant se rappeler que nous sommes loin d'être les seuls en Europe, que les choix effectués ont une répercussion au-delà de nos frontières et qu'on ne saurait accepter de se laisser marcher sur les pieds en permanence, comme aujourd'hui par les Allemands, qui ont décidé de développer à grande vitesse leur agriculture et leur industrie agroalimentaire, notamment dans le secteur des fruits et légumes, où ils nous prennent des parts de marché. Pour redresser la tête, les producteurs et les industriels français doivent s'organiser afin d'affronter ensemble le marché européen.
En ce qui concerne les mesures de déduction fiscale, la FNSEA a pris position l'année dernière : pour elle, il est nécessaire, tout en allant vers la DPA, de maintenir une part de dotation pour investissement. Même s'il convient d'éviter les dérapages, la suppression de la DPI serait une erreur.
S'agissant des chambres d'agriculture, la mesure a été prise à la demande de deux régions – le Nord-Pas-de-Calais et l'Alsace – qui comptent seulement deux chambres souhaitant se regrouper. Une telle faculté, qui va dans le sens de la régionalisation des politiques publiques, reposerait sur le volontariat. J'invite le rapporteur à étudier la question avec M. Guy Vasseur, le président des chambres d'agriculture. Toutefois, n'interdisons pas aux chambres qui le souhaitent de travailler sur le plan régional. La mise en commun des moyens, notamment en recherche expérimentale, me paraît être une source intelligente d'économies – du reste, elle se pratique déjà.
Quant aux forêts, je n'ai pas la réponse. Je sais que ce dossier pose des problèmes à certaines chambres d'agriculture qui recouvrent des territoires très boisés. Il serait souhaitable que le rapporteur étudie la question avec les intéressés.
Pour ce qui est des interprofessions, je n'ai pas changé d'avis depuis l'époque où j'ai convaincu Jean Glavany, alors ministre de l'agriculture, de ne pas les ouvrir. Je n'imagine pas demander une place au nom de la FNSEA dans 21 interprofessions relevant de la viticulture ! Et surtout, il ne faudrait pas oublier que ces interprofessions sont des organismes de droit privé. Il me paraît difficile de revenir sur ce statut alors que la France a exercé un recours au niveau européen pour défendre non seulement le caractère de droit privé des interprofessions en tant que telles, mais aussi celui de leurs ressources. Je rappelle que la France a été attaquée par Bruxelles au motif que les cotisations volontaires obligatoires (CVO) seraient de nature publique.
Je ne reviendrai pas sur l'histoire des interprofessions, car chacun la connaît. Certaines d'entre elles datent de la « guerre du lait » de 1972, avant même l'adoption de la loi de 1975. Elles correspondent à une démarche volontaire lancée par les acteurs concernés. C'est pourquoi il n'existe pas de modèle commun : certaines interprofessions sont organisées sous forme de « familles », d'autres de collèges rassemblant différents types d'acteurs, y compris les distributeurs et les consommateurs dans certains cas. Les interprofessions doivent prendre leurs responsabilités et assurer leurs missions d'intérêt général.
Comme les autres syndicats, la FNSEA désigne des représentants au sein des différentes sections des offices et au sein de FranceAgriMer, mais elle ne le fait pas pour les interprofessions. Cela ne signifie pas que ces dernières n'ont pas de comptes à rendre. Elles bénéficient de cotisations qui étaient à l'origine volontaires, mais qui ont été rendues obligatoires en considération de leur intérêt général. Cela étant, il faut reconnaître que les interprofessions n'ont rien à voir avec les offices et les autres instances paritaires.
J'ajoute qu'il existe une sorte d'interprofession à laquelle nous ne participons pas, alors que nous sommes un des grands employeurs de main-d'oeuvre dans ce pays : c'est l'interprofession de la politique sociale. Le MEDEF, la CGPME et l'UPA y participent, ainsi que les cinq syndicats de salariés, et non l'UNAPL et la FNSEA, alors que les décisions prises s'appliquent à tous.
Vous aurez compris que je ne défends pas la position de la FNSEA sur ce point, car elle n'est pas concernée. C'est le statut de droit privé des interprofessions que je défends. Si nous l'abandonnons, les politiques qui sont menées devront changer.
Je vous remercie pour toutes les réponses que vous nous avez apportées, ainsi que pour votre passion. Comme à l'accoutumée, nous resterons en étroit contact avec vous.
Je pourrai répondre par écrit à d'autres questions si vous le souhaitez.
Puis la commission a entendu M. Jean-Michel Schaeffer et de M. Gilles Amat, vice-présidents des Jeunes agriculteurs.
Nous accueillons maintenant M. Jean-Michel Schaeffer et M. Gilles Amat, vice-présidents des Jeunes agriculteurs, accompagnés de Mme Milène Cerantola et de M. Régis Rivailler.
Monsieur le président, mesdames, messieurs, nous avons, concernant le projet de loi, plus particulièrement travaillé sur les dispositions destinées à favoriser l'installation des jeunes agriculteurs.
Le Sénat a ajouté un titre II bis, qui tend notamment à favoriser l'installation des agriculteurs sous forme sociétaire avec l'introduction d'une période d'essai. Nous reviendrons sur les conditions de reconnaissance des associés, car la réflexion ne nous semble pas tout à fait aboutie pour le moment. Nous sommes, en revanche, très attachés à l'article du projet de loi qui est relatif à la protection sociale du porteur de projet, de la période où il commence à mûrir son projet jusqu'à l'agrément du plan de professionnalisation personnalisé (PPP).
S'agissant du foncier, l'instauration d'une taxe sur le changement de destination des terres agricoles, dont le produit serait affecté à l'installation des jeunes par l'intermédiaire d'un fonds, nous paraît essentielle.
Il y aurait beaucoup à dire sur la contractualisation et sur l'organisation économique, comme en témoignent les différentes auditions que vous avez conduites. Je dirai seulement que la politique d'installation ne doit pas se résumer à une accumulation d'actions marginales ; elle doit être un cadre économique général permettant d'accompagner les jeunes qui embrassent le métier d'agriculteurs et dont un certain nombre – entre un tiers et un quart – n'est pas issu du milieu agricole. Le contexte économique doit être favorable à l'épanouissement de ces vocations. Il faut permettre une rémunération du travail, en particulier grâce aux prix.
En matière de gestion des risques, nous prenons acte de la suppression du statut d'agriculteur entrepreneur. Le développement des mécanismes de gestion des risques dépend de l'existence d'une réassurance publique, en dépit du caractère privé de ces mécanismes. C'est l'absence de réassurance qui explique aujourd'hui l'inexistence des politiques assurancielles contre les aléas.
La question de la relocalisation de la consommation, abordée au titre VI, nous paraît tout aussi essentielle. Il s'agit de favoriser la consommation locale au sein des établissements relevant des collectivités territoriales. On peut en effet s'étonner que les gestionnaires des collèges, des lycées et des maisons de retraite ne prennent en considération que le coût des repas, et non la provenance des produits ainsi que les emplois qu'ils génèrent. Ce sujet délicat ne relève pas nécessairement de ce texte, mais il doit faire l'objet d'un débat dans la perspective d'une révision du cadre des marchés publics.
La contractualisation est, à nos yeux, l'aspect le plus important du texte.
Sans revenir sur tous les points évoqués par le président de la FNSEA, avec lequel nos vues convergent bien souvent, je voudrais rappeler que nous devons nous efforcer d'instaurer un cadre législatif permettant aux acteurs de s'organiser pour répartir correctement la valeur ajoutée entre eux. Il faut être conscient, dans le même temps, que tout dépendra de l'appropriation de ce cadre par les parties concernées.
Nous avons fait un certain nombre de propositions que l'on peut décliner selon les phases de l'installation des jeunes : l'entrée dans le métier, tout d'abord, qui fait l'objet d'un dispositif d'accompagnement rénové l'an dernier par Michel Barnier. Pour que les projets soient couronnés de succès, il convient d'apporter le plus grand soin à leur élaboration ; il faut ensuite faire en sorte, d'un point de vue juridique et fiscal, que la phase d'entrée dans le métier se passe au mieux ; en dernier lieu, il faut s'attaquer au problème de la fragilité des jeunes, qui doivent faire face à des investissements très importants lorsqu'ils s'installent.
Nous avons réussi à obtenir un certain nombre d'avancées, dont nous espérons qu'elles vont se concrétiser, notamment en ce qui concerne la première phase. Un statut harmonisé devrait être ainsi créé en faveur des jeunes qui entrent dans le métier. Il ne faut pas oublier qu'un tiers des bénéficiaires du dispositif d'accompagnement ne sont pas agriculteurs au moment où ils entrent dans le métier. Certains sont certes fils d'agriculteurs, mais ils ont fait un détour professionnel avant de revenir dans l'exploitation familiale. Je rappelle, en outre, que les jeunes butent souvent sur des problèmes pratiques qui les empêchent de bénéficier de l'accompagnement à l'installation, ce qui est fort dommage, car c'est un gage de réussite pour leurs projets. Le taux de réussite de l'installation est beaucoup plus élevé dans le secteur agricole que dans le secteur de l'artisanat et dans celui du commerce. Le dispositif d'accompagnement n'est pas la seule raison de ce succès, mais il y contribue, car il permet aux jeunes d'être bien encadrés.
Compte tenu de la proportion de jeunes qui ne sont pas issus du monde agricole, l'instauration d'une période d'essai nous paraît une avancée importante dans le cadre de l'installation sous forme sociétaire. Les jeunes qui s'installent doivent travailler avec le cédant, qui part à la retraite, ce qui peut permettre d'aplanir entre les deux des difficultés en matière d'obligations financières. Nous sommes satisfaits d'avoir obtenu des avancées pratiques dans ce cadre.
Il semble plus difficile d'avancer, en revanche, sur d'autres propositions que nous avions formulées, comme la suppression du critère de la demi-SMI – la surface minimale d'installation. Lorsque des jeunes intègrent des sociétés existant déjà, nous préférerions que l'on fasse référence à l'unité économique, plutôt qu'à un simple critère de surface. En effet, quand un associé quitte une exploitation et qu'un jeune la rejoint, la viabilité économique de l'exploitation permet souvent au jeune de s'installer. Il paraît aberrant d'exiger qu'il apporte des surfaces supplémentaires.
En matière foncière, nous souhaitions en outre que l'on aligne le crédit d'impôt applicable aux groupements fonciers agricoles (GFA) sur les dispositions en vigueur dans le domaine sylvicole. Cette mesure inciterait les propriétaires à s'inscrire davantage dans cette démarche en rendant le système fiscalement plus intéressant, tout en permettant aux jeunes de stabiliser leur foncier sur plusieurs années.
S'agissant de la taxe sur le changement de destination des terres agricoles, l'essentiel est, pour nous, que son produit bénéficie aux jeunes agriculteurs, dont je soulignais la fragilité. En cas de perte de foncier, il faudrait que les agriculteurs puissent bénéficier d'un retour financier ou d'un dispositif de portage leur permettant de réadapter les exploitations.
Les besoins de renouvellement sont considérables, près de la moitié des agriculteurs devant partir à la retraite au cours des quinze prochaines années. L'accompagnement des jeunes est donc un enjeu essentiel : il faut préserver le potentiel de la « ferme France » et la diversité de sa production. Nous avons besoin d'entretenir le capital humain.
La stabilisation du foncier devrait nous permettre de nous rapprocher du taux de consommation par habitant constaté chez nos voisins. Il est presque deux fois plus élevé en France. Or, le foncier est un capital qui ne peut être utilisé qu'une fois, et c'est aussi une question d'emploi, en particulier pour les jeunes.
Êtes-vous d'accord avec l'idée que la « ferme France » doit conserver des capacités exportatrices, au lieu de viser l'autosuffisance et de se replier sur elle-même ?
Êtes-vous satisfaits des avancées réalisées au Sénat sur la question de l'installation des jeunes agriculteurs ? Avez-vous d'autres propositions précises à faire pour aller plus loin dans ce domaine ?
S'agissant de la contractualisation, que pensez-vous de l'introduction du contrat dans le fonds cessible ? Que faire dans l'hypothèse où un jeune agriculteur reprendrait une ferme faisant l'objet d'un contrat de cinq ans au bout de la deuxième année d'application dudit contrat ?
Je travaille sur la suppression de la référence à la SMI lorsque les données économiques de la société permettent la participation d'un jeune exploitant. Cela éviterait d'augmenter inutilement la taille des exploitations et cela simplifierait la vie de ceux qui s'installent dans le cadre d'une société disposant déjà de droits à produire.
Le Sénat a adopté un article 12 B, dont vous êtes probablement les instigateurs, imposant au « porteur de projet d'installation » de faire enregistrer son projet auprès des services de l'État, cet enregistrement entraînant une inscription automatique au répertoire à l'installation du département. À ma connaissance, de tels répertoires sont tenus, dans la quasi-totalité des départements, par les responsables agricoles eux-mêmes, notamment dans le cadre des associations départementales pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles (ADASEA). Pourquoi souhaitez-vous confier à l'État cette mission, avec les lourdeurs administratives que cela implique ? J'avoue que je ne suis pas très favorable à cette proposition.
Pourquoi toujours opposer les possibilités d'exportation et le maintien d'autres types d'agricultures ? Ceux qui se sont vantés d'être des exportateurs hors pair et qui ont donné des leçons de compétitivité aux autres dépendaient des aides publiques. Ils bénéficiaient de 80 % des financements versés. Je ne veux pas lancer le débat maintenant, mais je m'étonne que le rapporteur cherche la caution des jeunes pour un modèle qui n'a vécu que grâce aux aides publiques. Dans le même temps, de nombreux secteurs agricoles n'ont jamais bénéficié de ces aides alors qu'ils créaient, eux aussi, de l'emploi et des produits destinés à être transformés par l'industrie agroalimentaire, tout en contribuant à l'aménagement du territoire.
Chacun sait que si l'installation s'est dramatiquement réduite en 2009, c'est en raison des conditions économiques actuelles : il est très difficile pour des jeunes de s'installer dans des exploitations qui ne parviennent plus à dégager des bénéfices. On est passé, dans mon département, de 200 à 40 installations par an, et le nombre d'installations s'est réduit de moitié dans l'ensemble du pays.
Quelles seraient les mesures les plus efficaces, selon vous, pour favoriser l'installation des jeunes. Ne pensez-vous pas qu'il est nécessaire de supprimer la référence à la SMI et de prendre en considération les conditions économiques ? Un tiers des agriculteurs s'installent en dehors du cadre familial, et les besoins en surface sont très différents d'une installation à l'autre : les deux personnes qui se sont installées, dans ma circonscription, pour faire de l'élevage d'escargots n'ont pas besoin de cent hectares. La même observation vaut pour le maraîchage. Il ne faut pas non plus oublier que certains exploitants n'exercent pas que des activités agricoles : ils font aussi de l'accueil, de la transformation et de la vente directe. Le maintien de la SMI peut donc être un frein.
Quelles sont, d'après vous, les mesures qu'il faudrait absolument adopter pour favoriser l'installation des jeunes ? On voit bien qu'il y a un manque d'engouement pour l'agriculture. Comment inverser la tendance ?
Quid, par ailleurs, du volet environnemental ? Je pense en particulier aux énergies renouvelables, à la méthanisation et au développement du photovoltaïque.
J'aimerais également revenir sur la gestion assurancielle des risques. L'assurance-grêle et l'assurance-récolte ne sont pas obligatoires, mais elles se développent. L'assurance-fourrage, en revanche, ne progresse pas. Comment l'expliquez-vous ?
Comme je l'ai dit tout à l'heure au président de la FNSEA, ce texte n'aborde pas assez la question des forêts. Qu'en pensez-vous ?
Dans notre pays, le foncier était historiquement entre les mains d'un réseau de propriétaires terriens et d'exploitants agricoles. Au fil du temps, les exploitants se sont porté acquéreurs des terres afin d'assurer la pérennité des exploitations, mais aussi de s'agrandir. Nous avons alors constaté l'apparition d'exploitations de type familial, qui ont été transmises à la génération suivante. Puis, des formes sociétaires d'exploitation ont vu le jour aussi pour des raisons économiques que pour des raisons tenant à l'attractivité des professions agricoles. Le problème est de savoir comment les nouveaux agriculteurs peuvent désormais se porter acquérir de leur principal outil de travail, à savoir le foncier.
J'en viens à la question du droit à produire, qui constitue un titre de propriété dans certains secteurs et qui présente une véritable valeur. Comment se dessine, selon vous, l'avenir du droit à produire pour les éleveurs dans le cadre de la contractualisation ?
Vous nous faites part des ajustements du texte que vous jugez nécessaires, ce qui est tout à fait votre rôle ; cela étant, il ne faudrait pas se limiter à des ajustements et à de la calinothérapie : ce texte doit être une loi d'avenir. Vous représentez précisément cet avenir de l'agriculture. Alors que les mutations sont terriblement difficiles, voire impossibles, pour certains exploitants, vous ne subissez pas, de votre côté, le poids du passé. C'est donc à vous de nous dire quelle législation vous souhaiteriez. Lâchez-vous !
Nous sommes conscients que nous devons vous aider. Nous savons bien que l'agriculture de demain ne pourra pas ressembler à celle d'hier : on constate l'apparition d'approches collectives, coopératives et environnementales nouvelles ; l'argent public ne peut plus, par ailleurs, couler à flots comme dans le passé. Ne restez donc pas dans les rails de vos pères !
J'aimerais savoir ce que les Jeunes agriculteurs pensent de l'article 11 septies nouveau, qui instaure le statut d'entrepreneur agricole individuel à responsabilité limitée. J'imagine que vous n'êtes pas indifférents à cette question compte tenu du choix que les jeunes doivent réaliser entre les différents statuts existants pour concrétiser leur projet d'installation.
L'article 14 prévoit le rattachement de la commercialisation d'énergie aux revenus agricoles. Cette disposition vous semble-t-elle aller dans le bon sens ?
J'en viens à l'article 15, relatif à la politique forestière. La contractualisation, qui est au coeur de ce texte, consiste à identifier les débouchés avant de produire, et à les sécuriser par l'intermédiaire d'un contrat passé avec l'ensemble des acteurs de la filière. Ne pourrait-on pas poser un autre principe qui serait la nécessité de diversifier les activités ? Ce texte comporte des dispositions tendant à valoriser les forêts et le bois, domaines dans lesquels nous manquons de bras. N'est-ce pas là un débouché considérable pour l'agriculture française ?
Vous nous avez appris qu'un quart, voire un tiers des jeunes qui s'installent n'est pas issu des milieux agricoles. L'installation était plus facile autrefois lorsque le foncier appartenait au père ou au grand-père. S'agissant des difficultés de mutation, je vous demande donc, comme François Brottes, de vous « lâcher ».
Mon département s'est chargé de la remise des terres par l'intermédiaire de la SAFER à la suite des inondations. Ne pensez-vous pas que les SAFER ont un rôle à jouer compte tenu des problèmes fonciers qui se posent aujourd'hui en matière d'installation ? On pourrait très bien instaurer un système de garanties pour l'achat des terres par l'intermédiaire de la Caisse des dépôts et consignations. Les emprunts fonciers grèvent les budgets, surtout pendant les périodes difficiles comme celle que nous traversons. Ils empêchent les revenus d'atteindre des niveaux satisfaisants.
Il semblerait que la SAFER contribue assez massivement à l'augmentation des prix du foncier dans le département de la Seine maritime et, de façon plus générale, que les agents des sociétés d'aménagement foncier aient souvent un intérêt dans les affaires qu'ils traitent. Qu'en pensez-vous ?
En second lieu, trouvez-vous normal que l'Observatoire des prix et des marges soit exclusivement composé de fonctionnaires issus de différentes administrations et ne compte aucun élu ?
Vous avez évoqué l'idée de supprimer de la demi-SMI, mesure évoquée depuis longtemps et laquelle je suis absolument favorable. C'est un frein à l'installation des jeunes.
Vous estimez qu'il serait préférable de prendre en compte la viabilité économique des exploitations. Quels seraient les critères pour en juger ? Ne craignez-vous que ce soit un frein encore plus important dans le contexte actuel ?
On ne peut pas séparer le niveau national, le niveau local, le niveau européen et le niveau mondial. Il faut parvenir à combiner ces différents niveaux grâce à un fil directeur. C'est à cette condition que l'on peut envisager un avenir favorable pour notre agriculture.
Le commissaire européen en charge de l'agriculture a lancé les consultations sur la programmation post 2013 et nous en sommes au stade des discussions préparatoires pour le budget européen. Il nous paraît dommage et peu respectueux de la chronologie normale de discuter du budget avant d'aborder les objectifs. On risque une diminution d'une des seules véritables politiques communes sur le plan européen, la politique agricole commune – ce terme n'étant pas tout à fait exact, au demeurant, car il s'agit avant tout d'une politique alimentaire. Il faut lui redonner ce sens premier.
La France doit-elle conserver une vocation exportatrice ? Tout dépend des produits concernés. C'est à l'évidence le cas pour certains produits à forte valeur ajoutée, dont l'exportation permet de dégager des excédents de balance commerciale. C'est l'une des grandes forces de la « ferme France ». Pour des secteurs où il y a moins de produits élaborés et plus de matières premières, il faut raisonner au niveau européen, et non pas seulement niveau français. Le marché est déjà largement mondialisé. C'est à l'approvisionnement des 500 millions de consommateurs européens que nous devons nous intéresser.
J'en viens aux questions portant sur le fonds agricole et sur le bail cessible. Ces deux dispositifs, qui ont été instaurés par la loi de 2005, devaient faciliter la transmission. Or, ils ne présentent pas une grande utilité aujourd'hui, faute de liaison entre eux. En l'absence de lien avec le processus de transmission, le fonds agricole ne peut servir qu'à dédommager l'exploitant en place lorsqu'il ne détient pas le foncier. Ce n'est donc pas une mesure favorable à l'installation. Du fait de la cessibilité du bail, le propriétaire peut, au contraire, être conduit à s'interroger sur la maîtrise de son patrimoine foncier. Pour que ces deux dispositifs soient efficaces, il conviendrait de mieux les agencer l'un à l'autre. Dans un contexte où les retraites agricoles ne sont pas très favorables, on pourrait, en outre, envisager de faire payer une partie de la sortie du cédant pour revaloriser les retraites. Vous comprendrez que nous soyons très prudents sur la question du fonds agricole.
Nous sommes favorables à la suppression de la demi-SMI. Ce n'est pas en imposant que l'installation s'accompagne d'un agrandissement des exploitations de 20 ou 25 hectares que l'on garantira des revenus suffisants. Il faut une adéquation entre le projet, la production, le territoire et le marché. Quel niveau doit-on retenir ? Il existe déjà un revenu de référence pour apprécier la viabilité des projets d'installation. C'est ce seuil qu'il conviendrait de retenir.
Nous sommes plutôt en retard par rapport à d'autres pays en matière d'énergies renouvelables. Elles peuvent être une source de diversification et un complément de revenus à condition que l'on veille à leur bon agencement sur le territoire. Or, nous ne sommes pas certains que les évolutions actuelles dans le domaine de l'énergie photovoltaïque soient optimales. On peut même penser qu'il y a une contradiction avec l'objectif de préservation du foncier. Nous sommes favorables au développement de l'énergie photovoltaïque, mais il nous semble que l'on pourrait se contenter, au moins dans un premier temps, d'installations sur les toits, et non sur le sol.
Il existe déjà un certain nombre de dispositifs dans le domaine assuranciel, et une nouvelle dotation pour aléas (DPA) vient d'entrer en application. Cette mesure nous semble problématique, car elle pourrait jouer au détriment de la dotation pour investissement (DPI). Il existe d'importantes différences entre ces deux dotations : la DPA impose de bloquer les fonds concernés sous forme de provisions, ce qui n'est pas le cas de la DPI, plus favorable en matière de trésorerie. Disposant de peu de trésorerie, les jeunes qui s'installent risquent de ne pas pouvoir bénéficier de la DPA. Celle-ci étant assortie d'une exonération fiscale, on pourrait imaginer qu'une fraction des provisions alimente un fonds chargé de financer des prêts de trésorerie à taux zéro destinés, en cas de crise, aux jeunes qui n'auraient pas eu la possibilité de passer des provisions.
Nous sommes favorables à l'instauration un système assuranciel obligatoire, organisé différemment selon les régions et selon les productions afin de prendre en compte les nuances qui existent aujourd'hui, mais nous souhaitons également le maintien du fonds « calamités », lequel nous paraît indispensable. Si l'assurance-récolte ne s'est pas généralisée pour le moment, notamment dans l'élevage où il n'existe pas d'assurance-fourrage, c'est à cause de difficultés techniques et surtout faute de réassurance. Nous ne parviendrons pas à avancer tant que nous n'aurons pas réglé ces difficultés. La puissance publique doit intervenir dans ce domaine.
Certains fonds permettent de stocker du foncier en attendant que les jeunes aient obtenu la capacité professionnelle agricole ou qu'ils aient réalisé des stages et des formations nécessaires pour réaliser leurs projets. On peut envisager d'étendre ces fonds de stockage, généralement mis en place à l'initiative des collectivités territoriales, sous la forme d'ateliers relais ou d'exploitations relais, destinés à favoriser la maturation des projets dans le temps.
En ce qui concerne les prix et l'influence des SAFER, je rappelle que ces dernières n'ont accès qu'à un quart du foncier. Par conséquent, son renchérissement ne résulte pas seulement de l'action des SAFER, même si cela ne signifie pas qu'il n'y ait pas des problèmes à certains endroits. Le renchérissement du foncier est, avant tout, la conséquence des comportements individuels et de la spéculation.
J'en viens aux droits à produire et à la contractualisation. Puisqu'on parle d'avenir, faisons abstraction des références historiques : ce ne sont pas les nôtres, et ce ne sont pas non plus celles de demain. Nous devons faire en sorte que les nouveaux arrivants puissent s'exonérer de l'historique d'activité des cédants.
Permettez-moi de revenir sur la question de la vocation exportatrice de la France. Le marché est désormais européen avant d'être national. La PAC est bien la seule réalité partagée au plan européen. La vocation exportatrice de la France est essentiellement européenne. Avec la libre circulation des personnes et des marchandises, nous sommes en concurrence. C'est une réalité avec laquelle nous devons composer. La contractualisation peut être un élément de stabilité dans ce contexte.
La création du RDI peut se comprendre dans le cadre de la couverture sociale universalisée que nous demandons pour faciliter l'installation des jeunes. Il faut essayer de mieux recenser et de mieux connaître, sur le plan national, les jeunes concernés, mais on pourrait sans doute se contenter d'utiliser des outils qui existent déjà, comme le logiciel Sphinx.
Quelles sont les mesures qui permettraient de faciliter l'installation des jeunes ? Le cumul emploi-retraite est une piste à suivre : pourquoi ne pas permettre à un jeune d'embaucher pendant un an, grâce à des exonérations fiscales, le cédant qui part à la retraite ? Ce serait une mesure simple et très efficace.
Nous sommes heureux de constater que vous souhaitez le remplacement de la demi-SMI par un critère de viabilité économique. Le plan de développement d'exploitation est un outil intéressant à cet égard, car un tel « business plan », élaboré avec l'aide de conseillers, a notamment pour objet d'évaluer le revenu.
Nous sommes d'accord avec ce qui a été dit sur le risque assuranciel. Il faut apporter des éléments de stabilité aux jeunes qui s'installent. Les assurances et la contractualisation en font partie. La contractualisation devra se faire selon les filières, en fonction des marchés existants, et il faudra laisser les acteurs exercer leurs responsabilités. Il faut également aider financièrement les jeunes à s'installer. J'espère que le resserrement budgétaire actuel n'empêchera pas de conserver les lignes budgétaires actuelles pour les prêts « jeunes agriculteurs » et pour la dotation « jeune agriculteur ». Ce sont, en effet, des coups de pouce utiles. La bonification des prêts permet d'exercer un effet de levier important à un coût réduit.
On constate dans certains pays que le développement des énergies renouvelables constitue une véritable opportunité. On pourrait, au demeurant, échapper à certaines contraintes de la réglementation européenne en aidant au développement des énergies renouvelables, mais il faudrait veiller à construire une politique cohérente et au service de la production agricole. Nous avons besoin de schémas intelligents répondant aux besoins. La méthanisation pourrait être, par exemple, une solution aux problèmes de valorisation des farines animales, et on pourrait très bien aider les jeunes à réaliser leurs projets en finançant des programmes liés aux énergies renouvelables.
Je ne reviens pas sur les difficultés à acquérir le foncier, mais je voudrais tout de même dire un mot de la taxe sur le changement de destination. Nous souhaitons que son instauration ne se fasse pas au détriment des financements à l'installation. Nous comptons sur vous pour que l'on continue à aider les jeunes qui sont confrontés aux difficultés provoquées par l'urbanisation et par les emprises foncières.
Compte tenu de la réorientation prévisible des aides apportées au titre de la PAC, nous élaborons un projet mettant en avant l'actif. Il y a un travail considérable à réaliser sur ce sujet. Même si ce n'est pas un point de vue partagé par la majorité des autres pays européens, nous souhaitons une régulation des prix, et non pas seulement une régulation des crises de prix. C'est une nécessité si nous voulons qu'il y ait une véritable ambition politique pour l'agriculture.
Pour résumer, nous souhaitons que l'on accompagne autant que possible les jeunes dans leur projet d'installation – c'est toute la question des financements à l'installation ; le développement des énergies renouvelables, pourvu qu'il soit intelligemment pensé, offre également des opportunités pour l'accompagnement des jeunes ; la contractualisation peut constituer un élément de stabilité, de même qu'une bonne organisation des filières, mais il faudra raisonner filière par filière ; le développement des dispositifs assurantiels est un autre élément susceptible d'apporter plus de stabilité.
Cela étant, il faut être conscient que l'on ne pourra pas se passer des aides européennes et que nous avons besoin d'un environnement administratif aidant les agriculteurs à aller de l'avant. Il faut se soucier davantage de l'application des lois, notamment en ce qui concerne le principe de précaution et les politiques environnementales en général. Même si ce n'est pas directement l'objet de cette loi de modernisation de l'agriculture, il faut ouvrir le débat et essayer de lutter contre certaines rigidités.
Merci pour la précision de vos propos. Nous sommes très sensibles à la passion dont vous témoignez pour votre profession, car nous la partageons. Nous voulons vous aider à assurer son avenir dans notre pays. Sachez que nous ferons tout ce que nous pourrons pour cela, opposition et majorité confondues.
Membres présents ou excusés
Commission des affaires économiques
Réunion du mercredi 2 juin 2010 à 9 h 30
Présents. - M. Jean-Paul Anciaux, M. Jean Auclair, M. Thierry Benoit, M. Gabriel Biancheri, M. Bernard Brochand, M. François Brottes, M. Jean-Michel Clément, M. Louis Cosyns, Mme Catherine Coutelle, M. Jean Dionis du Séjour, M. Marc Dolez, M. William Dumas, Mme Corinne Erhel, M. Daniel Fasquelle, Mme Geneviève Fioraso, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Jean Gaubert, M. Bernard Gérard, Mme Pascale Got, M. Jean-Pierre Grand, M. Jean Grellier, M. Gérard Hamel, M. Antoine Herth, M. Henri Jibrayel, Mme Laure de La Raudière, M. Pierre Lasbordes, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, M. Michel Lefait, M. Michel Lejeune, Mme Annick Le Loch, M. Jean-Claude Lenoir, M. Jean-Louis Léonard, M. Louis-Joseph Manscour, Mme Jacqueline Maquet, Mme Marie-Lou Marcel, M. Jean-René Marsac, M. Philippe Armand Martin, Mme Frédérique Massat, M. Kléber Mesquida, M. Jean-Pierre Nicolas, M. Patrick Ollier, M. Germinal Peiro, M. Michel Piron, M. Serge Poignant, Mme Josette Pons, M. Jean Proriol, M. Michel Raison, M. Bernard Reynès, M. Franck Reynier, Mme Chantal Robin-Rodrigo, M. Francis Saint-Léger, M. Alfred Trassy-Paillogues, M. René-Paul Victoria, M. Jean-Michel Villaumé
Excusés. - M. Jean-Michel Couve, M. Jean-Pierre Decool, M. Jacques Le Guen, M. Jean-Marie Morisset, M. Alain Suguenot, M. Jean-Charles Taugourdeau
Assistaient également à la réunion. - M. André Chassaigne, M. Pierre Gosnat, M. Maurice Leroy, M. Philippe Martin, M. Michel Ménard, M. Michel Zumkeller