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Mission d’évaluation et de contrôle de la commission des finances

Séance du 15 avril 2009 à 16h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • ANR
  • INRA
  • PME
  • compétitivité
  • industriel
  • pôles de compétitivité

La séance

Source

PermalienPhoto de David Habib

Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Marion Guillou, présidente de l'Institut national de la recherche agronomique, accompagnée de M. Gérard Jacquin, directeur de la valorisation.

PermalienPhoto de Alain Claeys

Comment l'INRA participe-t-il aux pôles de compétitivité ? Selon vous, quelle est leur efficacité et, surtout, quel est leur objectif principal ?

PermalienMarion Guillou, présidente de l'Institut national de la recherche agronomique

L'INRA est très impliqué dans les pôles de compétitivité, dans la mesure où il en existe un grand nombre dans le secteur éco-agro-alimentaire. Il participe à dix-sept pôles, directement ou indirectement liés au secteur agricole ou alimentaire.

PermalienGérard Jacquin, directeur de la valorisation à l'Institut national de la recherche agronomique

Nous avons d'emblée décidé que l'INRA serait membre adhérent des associations porteuses d'un pôle. La création des pôles n'a pas répondu à une demande formalisée des organismes de recherche ; l'initiative est venue des politiques, elle a été relayée par l'ensemble de l'appareil d'État, notamment territorial, et ensuite la dynamique impulsée a entraîné les organismes de recherche ainsi que les entreprises. Ayant d'emblée accompagné le mouvement, nous sommes en général actifs dans la gouvernance des pôles dont nous faisons partie.

PermalienPhoto de Alain Claeys

Quel doit être, pour vous, l'objectif premier d'un pôle de compétitivité ? Quel premier bilan dressez-vous de l'action de ceux auxquels vous participez ? Êtes-vous ou non d'accord avec les conclusions de l'audit commandé par le Gouvernement ?

PermalienMarion Guillou, présidente de l'Institut national de la recherche agronomique

L'objectif premier dépend des pôles. Le pôle Industries et Agro-ressources de Champagne-ArdennesPicardie, dédié aux valorisations non alimentaires des agro-ressources, nous a donné l'occasion de développer un grand projet de recherche et développement, Futurol, visant à produire des biocarburants de deuxième génération compétitifs. Cela nous a permis d'attirer autour de nous des industriels qui souhaitaient développer une activité nouvelle. Compétents, pour notre part, en matière de transformation biologique des matériaux bruts, en l'espèce de la cellulose, nous avons été des artisans de la création de ce projet, désormais porté par une structure industrielle dont nous faisons partie.

L'exemple de Végépolys en Anjou est totalement différent. L'objectif des collectivités locales était de faire d'Angers un lieu de recherche sur les végétaux spécialisés. Le Groupe d'étude et de contrôle des variétés et des semences, GIP dont le personnel relève pour les trois quarts de l'INRA, est en train de s'y délocaliser, afin de profiter de la dynamique locale. Le Maine-et-Loire compte en effet de nombreux horticulteurs, et l'Office communautaire des variétés végétales est déjà présent dans le département.

Autre exemple encore, totalement différent : à Toulouse, où la filière agricole est très active et où l'on trouve beaucoup de semenciers, l'INRA a participé au lancement de la filière oléagineuse à base de tournesol, avec l'idée que l'utilisation non-alimentaire d'huiles d'origine agricole pouvait diversifier les débouchés.

Dans d'autres endroits, l'Institut a été plus suiveur et moins proactif ; ce sont les acteurs locaux qui l'ont sollicité. C'est le cas par exemple pour le pôle Nutrition Santé Longévité, créé dans le Nord à l'initiative d'industriels, et qui donne à l'INRA l'opportunité de s'associer aux projets de ces derniers.

Bref, l'INRA s'est adapté aux dynamiques locales, assez diverses, et son implication est donc multiforme.

PermalienGérard Jacquin, directeur de la valorisation à l'Institut national de la recherche agronomique

Il se trouve qu'il y a trois ans, concomitamment à la mise en place des pôles de compétitivité, Marion Guillou avait lancé à l'INRA un vaste chantier, intitulé « Partenariat d'orientation », visant à mettre l'excellence scientifique de notre recherche finalisée au service de projets utiles au monde économique. D'emblée, nous avons saisi l'intérêt d'utiliser autant que possible ces nouveaux clusters pour les partenariats que nous recherchions. Nous faisions le pari que des entreprises travaillant en réseau nous feraient remonter des questions de recherche, et nous y avons vu l'opportunité de monter des projets intéressants.

Nous sommes maintenant à la croisée des chemins. Nous pensons que dans la phase 2 des pôles, il faudra d'une part améliorer la remontée des problématiques de recherche et des demandes sociales, et d'autre part dégager quelques grandes priorités nationales pour structurer un foisonnement certes sympathique mais duquel ont du mal à émerger de grands projets porteurs visibles à l'international.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Gorges

Percevez-vous les pôles de compétitivité comme un accélérateur, ou comme une source de contraintes supplémentaires ? Votre activité a-t-elle augmenté, a-t-elle été simplement répartie de manière différente ?

PermalienMarion Guillou, présidente de l'Institut national de la recherche agronomique

Le nombre de nos contrats industriels a augmenté de 30 % en sept ans. Il est difficile de dire quel rôle ont joué les pôles dans cette augmentation. Nous évoluons vers des projets plus importants, tant par leur montant que par l'activité induite, et plus souvent multi-partenaires. Nous avons moins de contrats bilatéraux. On peut penser que la mise en place des pôles n'y est pas étrangère, mais l'intervention de l'ANR a également contribué à regrouper les partenaires.

PermalienMarion Guillou, présidente de l'Institut national de la recherche agronomique

Bon an mal an, notre budget repose sur 80 % de subventions de l'État et 20 % de ressources propres, ce qui n'a rien d'anormal dans notre secteur, notre homologue américain étant à 8515.

PermalienPhoto de Alain Claeys

L'ANR a-t-elle, selon vous, contribué à regrouper les partenaires ?

PermalienMarion Guillou, présidente de l'Institut national de la recherche agronomique

Je le pense.

Concernant nos 20 % de ressources propres, nous avons une politique volontariste de diversification : nous ne voudrions pas dépendre uniquement de l'ANR, ou de l'Union européenne, ou de nos partenaires agricoles et industriels, ou des collectivités territoriales.

PermalienGérard Jacquin, directeur de la valorisation à l'Institut national de la recherche agronomique

Les pôles de compétitivité ont eu une première vertu, qui est de faire travailler en réseau dans un territoire donné, espace à taille humaine, des acteurs différents. Il est important de conserver cet acquis sur la durée !

PermalienPhoto de Alain Claeys

La notion de territoire a-t-elle un sens pour les pôles de compétitivité ?

PermalienGérard Jacquin, directeur de la valorisation à l'Institut national de la recherche agronomique

Dans certains, oui ; dans d'autres, pas du tout. Les pôles ont permis que dans certains territoires, des acteurs se mettent à dialoguer, même si l'on peut regretter le caractère un peu foisonnant des quinze à vingt pôles du secteur agro-alimentaire.

Un pôle de compétitivité labellise des projets pour lesquels peuvent ensuite être sollicités des financements auprès du FUI pour les projets industriels d'aval, de l'ANR pour les projets tournés davantage vers l'amont, ou qui peuvent éventuellement répondre aux appels d'offres européens. Il existe donc trois guichets, auxquels il faut ajouter les aides d'Oséo. En ce qui nous concerne, nous avons une montée en puissance des financements ANR, avec laquelle nous avons eu de très beaux succès.

PermalienPhoto de Alain Claeys

Les responsables du CNRS nous ont dit que les crédits européens s'étaient effondrés. En a-t-il été de même pour l'INRA ?

PermalienMarion Guillou, présidente de l'Institut national de la recherche agronomique

L'INRA a fait des efforts considérables pour aider les équipes à obtenir des financements européens, notamment en mettant à leur disposition des spécialistes très efficients et très professionnels chargés spécifiquement de monter les dossiers de candidature, tâche particulièrement lourde et délicate. Une fois que le projet est éligible, c'est notre filiale qui en assure la gestion, elle aussi extrêmement lourde. Il faut en effet savoir « parler bruxellois » ! Sans cela, nous aurions sûrement, nous aussi, constaté une diminution de nos crédits européens. Il est plus facile de solliciter un financement de l'ANR avec des partenaires académiques hexagonaux que de construire un réseau complexe et diversifié européen !

PermalienGérard Jacquin, directeur de la valorisation à l'Institut national de la recherche agronomique

Vis-à-vis de l'Europe, notre organisation est très performante pour les grands projets scientifiques sur lesquels nos équipes peuvent travailler. Notre performance est nettement moindre sur les appels à projets qui impliquent des entreprises. Notre filiale INRA Transfert, malgré ses efforts, notamment la mise en place d'une école de l'innovation avec l'ANRT, n'a pas eu depuis deux ans les succès qu'elle aurait souhaités pour tirer vers l'Europe des PME françaises qui seraient prêtes à tenter l'aventure.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Gorges

L'INRA est-il représenté dans les instances de pilotage de tous les pôles auxquels il participe ?

PermalienMarion Guillou, présidente de l'Institut national de la recherche agronomique

En général, ce sont nos présidents de centres ou des chercheurs de nos centres régionaux qui font partie des structures de gouvernance, mais nous ne sommes jamais pilotes. C'est la mission et le rôle des industriels.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Gorges

Le fait que 80 % des aides se concentrent sur quinze pôles se vérifie-t-il aussi dans votre domaine de compétence ?

PermalienGérard Jacquin, directeur de la valorisation à l'Institut national de la recherche agronomique

Le secteur agricole et agro-alimentaire recouvre des situations très diverses. Certains semenciers investissent 12 % à 15 % de leur chiffre d'affaires en recherche-développement. La taille de leurs projets et leur appétence pour la recherche n'ont rien à voir avec celles des quelque 10 000 petites entreprises agro-alimentaires qui irriguent le tissu économique local mais ont les plus grandes difficultés à franchir le cap de l'innovation et des projets de recherche collaboratifs. À de rares exceptions près, ces petites entreprises ont du mal à monter de bons projets, notamment auprès de l'ANR. Les pôles de compétitivité devraient apporter à ces PME des services et de l'innovation, sans chercher à les faire accéder à la recherche. Pôle de compétitivité ou pas, crédit d'impôt recherche ou pas, il est très difficile de déclencher une appétence à la recherche dans des PME, habituées à n'investir qu'un montant infime de leur chiffre d'affaires en recherche-développement.

PermalienMarion Guillou, présidente de l'Institut national de la recherche agronomique

L'INRA cherche à être facilement repérable et accessible dans des domaines où il pense qu'il peut contribuer à l'innovation au niveau national. Nous sommes en train de mettre en place ce que l'on pourrait appeler des « Instituts Carnot internes », financés sur ressources propres, l'un dans le domaine alimentaire, l'autre dans celui de la chimie du végétal, deux secteurs où il y a une forte demande d'innovation industrielle. Les PME pourront ainsi savoir facilement à quel laboratoire s'adresser avec un point d'entrée unique, un contrat-type et une garantie de suivi.

PermalienPhoto de Alain Claeys

Comment expliquez-vous ce problème particulier des PME ? Ont-elles peur de se confronter aux grands groupes ? Ont-elles des difficultés particulières avec les organismes de recherche ?

PermalienMarion Guillou, présidente de l'Institut national de la recherche agronomique

Le secteur agroalimentaire, c'est vrai partout dans le monde, dépense peu en recherche-développement. L'une des raisons de la faiblesse de la dépense en recherche industrielle en France est d'ailleurs que les secteurs industriels qui y sont les plus développés n'investissent pas beaucoup en recherche-développement. Cela ne veut pas dire qu'ils n'innovent pas ; on peut très bien innover en matière de services ou d'emballages par exemple, sans innover dans des technologies ou des produits nouveaux. Les petites entreprises du secteur alimentaire sont souvent très innovantes. C'est ainsi qu'un grand groupe agroalimentaire français nourrit son innovation en rachetant des petites entreprises fabriquant des produits innovants, contrairement à ses concurrents étrangers qui consacrent davantage à la recherche-développement interne.

PermalienGérard Jacquin, directeur de la valorisation à l'Institut national de la recherche agronomique

L'analyse à laquelle nous sommes parvenus à l'issue du séminaire organisé le 24 mars dernier par le ministre de l'Agriculture pour tenter de dégager quelques priorités nationales est que les grands groupes agro-industriels français s'impliquent moins dans les pôles de compétitivité que les entreprises d'autres secteurs.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Gorges

À votre avis, pourquoi ? Pour des raisons de confidentialité ?

PermalienGérard Jacquin, directeur de la valorisation à l'Institut national de la recherche agronomique

Pas uniquement, mais c'est à eux qu'il faudrait poser la question. Le secteur agroalimentaire est beaucoup moins organisé que d'autres secteurs industriels. Les grands groupes de ce secteur n'irriguent pas, par des contrats, un grand nombre de PME, contrairement par exemple aux grands groupes du secteur automobile qui entraînent dans leur sillage quantité de PME innovantes. Ils cherchent plutôt pour l'heure à développer des blockbusters internationaux et leur priorité n'est pas de nouer des relations plus étroites avec des PME.

PermalienMarion Guillou, présidente de l'Institut national de la recherche agronomique

L'une des difficultés tient à l'absence de système efficace de protection intellectuelle. Ce qui est vrai dans le secteur alimentaire ne l'est pas dans celui de l'agro-fourniture – semences, engrais, machines agricoles… –, où les produits sont protégés par des brevets, ou des certificats d'obtention végétale pour les variétés végétales.

Dans le domaine des semences, l'acteur stratégique est le créateur de semences qui détermine, en même temps qu'il la met au point, l'écosystème dans lequel elle exprime son potentiel maximal. Celui qui détient le « secret » de la variété a entre ses mains le sort de tout l'aval. Les semenciers se classent aujourd'hui en deux grandes catégories. Ceux issus du secteur des semences ont l'habitude de protéger leurs innovations par des certificats d'obtention végétale – COV. Les autres utilisateurs ont accès au matériel génétique, moyennant paiement bien sûr, mais n'ont pas besoin d'une autorisation préalable d'utilisation de la part du détenteur du COV. Les semenciers issus du secteur de l'agro-chimie, par exemple les fabricants de produits phytosanitaires qui se sont mis à vendre également des semences, notamment avec des semences couplées à un produit de traitement ou traitées pour y résister, sont, eux, plus habitués à protéger leurs innovations par des brevets. Ce n'est pas un hasard si la cartographie du mode de protection des innovations se superpose à peu près avec celle des types d'acteurs industriels. Les semenciers américains viennent majoritairement de l'agro-chimie et ont recours aux brevets, alors que les semenciers européens se situent davantage dans la tradition du COV. Le retour sur investissement de celui qui investit en recherche-développement est mieux verrouillé quand il existe un brevet plutôt qu'un COV.

Dans le secteur alimentaire, les choses sont encore différentes. Si les procédés se protègent bien – mais il y a peu de grandes innovations de procédés, sachant que de simples adaptations dans la chaîne de fabrication se protègent mal –, les recettes, elles, ne se protègent pas du tout. La seule protection réside dans le secret. Songeons au Coca-Cola ou à certaines pâtes à tartiner, dont la recette n'est connue que de quelques personnes dans le monde. Le seul moyen de préserver la différence de goût est de garder secrète la recette de fabrication. D'où nécessairement des modes de collaboration et de développement particuliers.

PermalienGérard Jacquin, directeur de la valorisation à l'Institut national de la recherche agronomique

Les PME du secteur de la transformation alimentaire, qui résistent pour l'instant bien à la crise, se battent sur le front de la qualité, en mettant en place des procédures d'assurance-qualité, en développant des marques et en innovant fortement en matière de savoir-faire et de procédés. Les acteurs du secteur des ingrédients se battent, eux, sur le front de la protection par des brevets. Certains producteurs de ferments lactiques investissent entre 5 % et 8 % de leur chiffre d'affaires en recherche-développement.

Un autre secteur est en train d'émerger, celui des aliments à allégations nutritionnelles et de santé. Pour y tenir une place, il faudra être capable de faire de la recherche-développement car des études cliniques seront nécessaires sur l'homme. Les rapports de force seront différents et des pôles de compétitivité qui ne figurent pas aujourd'hui parmi nos partenaires privilégiés vont peut-être le devenir. Je pense ainsi au pôle Nutrition Santé Longévité, avec lequel nous collaborons mais dont nous ne faisons pas partie, et qui paraît un partenaire idéal pour la nutrition des personnes du troisième âge. Dans ce cas, les pôles de compétitivité, en créant les infrastructures nécessaires avec les partenaires publics, peuvent permettre à des entreprises d'accéder à l'univers très compétitif des aliments à allégation nutritionnelle.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Gorges

En tant que sous-traitant des pôles, que pensez-vous du processus de sélection et d'évaluation scientifique des projets ?

PermalienGérard Jacquin, directeur de la valorisation à l'Institut national de la recherche agronomique

J'étais très critique au début sur la labellisation par les pôles, sachant que, de toute façon, ce sont les financeurs comme l'ANR ou le FUI qui sélectionnent in fine les projets. Les labels me semblaient accordés trop vite et j'avais l'impression d'un certain laxisme, d'un manque de rigueur scientifique. En réalité, 30 % à 40 % des projets sont rejetés, ce qui est un ratio convenable. Mon opinion a donc évolué.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Gorges

Que pensez-vous de la taille des pôles auxquels vous participez ? Pensez-vous qu'il faudrait en regrouper afin qu'ils atteignent une masse critique, les rendant plus efficaces et plus visibles sur le plan international ?

PermalienMarion Guillou, présidente de l'Institut national de la recherche agronomique

Si nous avions le choix, nous diminuerions le nombre de pôles. Dans nos métiers, c'est un hasard si une entreprise et le laboratoire de recherche dont elle a besoin se trouvent dans la même région, surtout s'il s'agit d'un sujet pointu – à moins que les entreprises ne se soient à dessein implantées près de nos centres, comme à Avignon où des semenciers, y compris étrangers, se sont installés parce que l'INRA était présent. Ainsi, seul notre centre de Bordeaux est compétent pour traiter de la maladie de l'esca qui atteint la vigne et même si celle-ci se développe ailleurs, ce sont les chercheurs de Bordeaux qu'il faut mobiliser. Nous préférerions qu'il y ait pour chaque grand thème une porte d'entrée localisée, clairement identifiée, avec la possibilité d'apporter des réponses en réseau. Nous pensons qu'il serait plus efficace d'organiser des réseaux thématiques sur les grandes questions qui se posent dans le domaine agroalimentaire. Lors du séminaire de mars dernier, pour lequel M. Barnier avait réussi à réunir des représentants de presque tous les grands groupes mondiaux du secteur, ils s'étaient déclarés intéressés par de tels réseaux.

PermalienMarion Guillou, présidente de l'Institut national de la recherche agronomique

Dix thèmes prioritaires ont été retenus lors de ce séminaire du 24 mars dernier. Je ne sais pas s'il faut dix pôles, mais en tout état de cause, dix-sept, c'est trop.

PermalienPhoto de Alain Claeys

Une mise en réseau permet à la fois d'optimiser l'effort de recherche et industriel et de conserver sur le territoire des implantations historiques. Ce n'est peut-être pas possible pour tous les secteurs, mais dans le secteur agroalimentaire, l'idée est particulièrement intéressante.

PermalienGérard Jacquin, directeur de la valorisation à l'Institut national de la recherche agronomique

Qu'entend-on exactement aujourd'hui par « réseau » ? Le terme est si galvaudé ! Réseaux formels ou informels, dirigés ou contribuant à une diffusion sur le mode du mouvement brownien ? Nous préférons envisager des réseaux structurés, avec, pour chacune des grandes thématiques retenues, une tête de réseau et un leader industriel de dimension nationale, voire internationale, qui puisse la décliner à partir d'un pôle d'excellence et peut-être de pôles secondaires.

Nous essayons par exemple de travailler à la mise en place d'un réseau Viticulture où les viticulteurs de chacune des grandes régions viticoles de France, peu habitués à dialoguer et à collaborer, pourraient travailler sur une thématique de vins nouveaux, par exemple à teneur réduite en alcool. Malgré l'implantation très diffuse de la viticulture, tous les pôles de compétitivité « agricoles » n'ont pas vocation à s'y intéresser. Il faudra choisir, recentrer et éviter que se crée un nouveau pôle dans le Bordelais, dont les viticulteurs ont tout intérêt à dialoguer avec ceux d'autres régions. Nous pouvons nous appuyer sur Vitagora, pôle d'innovation agroalimentaire dédié au goût, à la nutrition et à la santé en BourgogneFranche-Comté et sur la thématique Goût, alimentation, sensorialités, développée par notre centre de Dijon, bien en phase avec l'image de la Bourgogne. Mais pour nous, le pôle de compétitivité leader devrait être Q@li-med à Montpellier, qui possède de belles infrastructures en viticulture et oenologie. Si Q@li-med ne prend pas en charge cette thématique au niveau national, il ne faudra pas le conserver dans le réseau, car c'est sa seule carte à jouer à ce niveau-là. Un travail en réseau devrait de même être possible entre Limagrain et le pôle Céréales Vallée ; et Blédina, à Dijon, pourrait être le leader industriel en matière de nutrition infantile. Je pourrais citer bien d'autres exemples.

PermalienGérard Jacquin, directeur de la valorisation à l'Institut national de la recherche agronomique

En matière de fournitures, par exemple.

Dans le domaine de l'alimentation animale, autre sujet important, il existe quelques grands groupes coopératifs, tel Sanders et Erialis, qui actuellement ne sont pas des leaders actifs de pôles de compétitivité. Il paraîtrait judicieux de dégager des thématiques et de choisir des têtes de réseau. Cela suppose des arbitrages, mais pas nécessairement la disparition de certains petits pôles, dont l'effet d'entraînement sur le plan régional n'est pas négligeable. La dynamique des pôles du secteur agroalimentaire a été jusqu'à présent essentiellement territoriale et tournée vers les PME ; en associant des grands groupes industriels, on pourra passer à un autre niveau.

PermalienPhoto de Alain Claeys

Avez-vous, dans le cadre des pôles, des laboratoires mixtes avec des universités ?

PermalienMarion Guillou, présidente de l'Institut national de la recherche agronomique

60 % de nos unités de recherche sont mixtes, pour moitié avec des universités, pour moitié avec des écoles agronomiques ou vétérinaires. Nous avons rendez-vous aujourd'hui même pour négocier nos contrats-cadres avec les universités. La situation est en pleine évolution, avec l'objectif de simplifier la gestion et le partenariat de ces unités.

PermalienPhoto de Alain Claeys

En ce qui concerne l'ANR, parvenez-vous à faire passer vos priorités dans les appels à projets ?

PermalienMarion Guillou, présidente de l'Institut national de la recherche agronomique

Le modèle économique des unités de recherche est en train de changer. Elles avaient auparavant un soutien de base assuré et ne passaient des contrats que marginalement. Il y a deux ans, hors salaires, elles recevaient 30 % de leurs ressources de fonctionnement de l'INRA et 70 % de financeurs extérieurs. Leurs responsables ont donc conscience qu'ils doivent aller chercher des ressources externes pour que leur unité fonctionne. De fait, les unités les plus dynamiques sont en général aussi celles qui, cherchant notamment à attirer des thésards et des « post-docs », ont le plus de ressources extérieures. Nous essayons de les inciter au maximum à solliciter des crédits européens car nous ne voudrions pas devenir « ANR-dépendants ». Nous faisons tout pour, à travers les unités, garder des partenariats diversifiés.

En nous inspirant de ce qu'a fait l'Alliance biomédicale dans le domaine des sciences de la vie et de la santé, nous allons procéder à une concertation informelle entre tous les acteurs du secteur éco-agro-alimentaire pour faire des propositions mieux coordonnées à l'ANR. Avec le CNRS, le CEMAGREF, la CIRAD, nous allons essayer d'organiser la demande afin de ne pas être passifs devant la programmation de l'Agence.

PermalienGérard Jacquin, directeur de la valorisation à l'Institut national de la recherche agronomique

Du point de vue des « guichets » de recherche partenariale, l'ANR semble avoir créé un appel d'air pour les organismes de recherche mais aussi les entreprises, 20 % à 25 % des crédits de l'Agence étant alloués directement à ces dernières – qui y ont vu un guichet nouveau. Cela a entraîné, par un effet de vases communicants, une stagnation de la recherche bilatérale INRAentreprises. Nous essayons, avec d'autres organismes, d'appeler l'attention des entreprises sur le fait qu'avec les projets ANR, pré-compétitifs et souvent multi-partenaires, elles ne peuvent pas aller au coeur de leur stratégie industrielle, comme avec un contrat bilatéral. Nous misons beaucoup, pour les trois ans à venir, sur le crédit d'impôt recherche et nous nous attendons à un regain de la recherche bilatérale, après avoir constaté ces dernières années la multiplication de projets de recherche multipartanariale de l'ANR et de l'Union européenne.

PermalienPhoto de Alain Claeys

Que pensez-vous de la demande faite aux pôles de franchir une seconde étape en nouant des partenariats, notamment avec les PRES ? Quels vous paraissent être les obstacles à surmonter ?

PermalienMarion Guillou, présidente de l'Institut national de la recherche agronomique

Nous ne faisons pas partie des PRES qui, même s'ils font de la recherche, restent organisés autour des établissements d'enseignement. Mais nous sommes en train de négocier des contrats avec certains d'entre eux. Nous examinons les moyens de nouer des partenariats avec certaines écoles doctorales, dont beaucoup ont rejoint un PRES. Depuis l'été 2006, il est en effet possible pour un organisme de recherche de s'associer à une école doctorale, afin de participer à l'élaboration de sa formation et d'accueillir dans ses propres laboratoires des doctorants inscrits dans cette école. Cela étant, la forme que prendra notre collaboration avec les PRES va être fonction du périmètre de chacun d'entre eux.

PermalienGérard Jacquin, directeur de la valorisation à l'Institut national de la recherche agronomique

Les PRES, qui sont par essence des acteurs académiques régionaux et sont d'ailleurs souvent déjà des interlocuteurs privilégiés des conseils régionaux, doivent bien entendu être associés de façon étroite à la gouvernance des pôles. Sur ce point, nous avons conçu une stratégie de valorisation qui s'appuie sur une offre de services centrale spécialisée, qui soutient des plateformes déconcentrées dédiées au « front office », c'est-à-dire des équipes proches des laboratoires, avec les services de valorisation des universités. C'est Agro Valo, dispositif décliné région par région avec Agro Valo Méditerranée, Auvergne, Bretagne, et bientôt Agro Valo Lorraine, Midi-Pyrénées et Bourgogne… Nous invitons les services de valorisation des universités à s'appuyer sur l'INRA pour les projets relevant de notre secteur.

PermalienMarion Guillou, présidente de l'Institut national de la recherche agronomique

Le dialogue direct avec les chercheurs est organisé en région, et l'INRA offre sa compétence sectorielle pour servir d'appui en matière de valorisation dans le secteur agriculture-alimentation-environnement.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Gorges

L'INRA participe-t-il à des pôles tournés vers les éco-technologies – même si le développement durable fait par définition partie de vos préoccupations ?

PermalienMarion Guillou, présidente de l'Institut national de la recherche agronomique

Tout dépend de ce que l'on entend par « éco-technologies ». Nous pourrions en effet soutenir qu'à l'INRA, nous ne faisons que cela. Nous travaillons sur beaucoup de technologies faisant appel à des procédés écologiques comme dans notre laboratoire de Narbonne, autour de la bio-épuration, ou en région parisienne sur la réduction des risques sanitaires et écologiques de l'épandage des boues. Nous concevons aussi des systèmes agricoles globaux depuis les intrants jusqu'aux déchets. Si l'on parle d'éco-technologies au sens industriel du terme, nous avons quelques laboratoires directement impliqués, comme celui de Versailles où travaillent des spécialistes du sol – milieu dont on parle moins mais qui est tout aussi important que l'air ou l'eau dans une optique de développement durable –, celui de Narbonne sur l'épuration, celui de Dijon qui est impliqué dans une plateforme d'agro-écologie.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Gorges

Peut-on dire, donc, que cette préoccupation est partout présente dans vos activités et que vous n'avez pas à vous spécialiser davantage sur ce thème ?

PermalienMarion Guillou, présidente de l'Institut national de la recherche agronomique

Comme M. Jourdain de la prose, l'INRA faisait depuis longtemps du « durable » sans le savoir. Nous pourrions a posteriori adjoindre le qualificatif durable à beaucoup de projets montés avant que ce concept ne soit devenu à la mode. Il y a cependant des projets nouveaux en cours de développement dans ce secteur. Je pourrais vous adresser la note présentée le mois dernier au conseil d'administration détaillant en quoi le Grenelle de l'environnement allait modifier les orientations de recherche de l'INRA – toxicologie, biodiversité, sols, forêts…

Le sujet le plus nouveau me semble la conception de systèmes alimentaires à faible bilan carbone, en passant d'une économie de produits à une économie de services, pour le même résultat. Aujourd'hui, le chiffre d'affaires de certaines coopératives vendant des produits phytosanitaires est directement fonction des volumes vendus, au risque de tous les dérapages. On pourrait réfléchir à la vente de conseils, ou de conseils couplés à un produit au lieu du produit seul. Même si l'opérateur doit conserver un intérêt économique à agir, l'approche est alors différente.

Nous réfléchissons également, dans l'alimentation, à une refonte des modes d'organisation actuels : on parle beaucoup du transport des fruits et légumes que l'on fait venir du monde entier, mais vraisemblablement, la circulation automobile des consommateurs finaux allant s'approvisionner au supermarché provoque des émissions de carbone beaucoup plus importantes. Nous réfléchissons donc aux moyens d'organiser autrement la transformation et la distribution afin, dès le départ, de réduire l'empreinte carbone et d'économiser l'énergie, et en utilisant d'autres critères que celui du prix, qui a longtemps prévalu. Il nous faut vraiment être innovants dans le secteur alimentaire, qui marche bien en France et dont les entreprises ont pour l'instant assez bien résisté à la crise – et peuvent difficilement être délocalisées. Notre pays a en outre moins à craindre que d'autres d'éventuelles modifications climatiques.

PermalienGérard Jacquin, directeur de la valorisation à l'Institut national de la recherche agronomique

Beaucoup de technologies peuvent se rattacher aux éco-technologies et concourir à la montée en puissance de nouvelles pratiques agricoles. Il y a là des niches pour des PME, y compris dans des pôles de compétitivité.

De façon plus visible et plus lourde, l'INRA collabore à deux projets d'envergure dans le domaine des éco-technologies. Le premier est Futurol, projet de fabrication de bioéthanol de deuxième génération, dans lequel nous investissons massivement en recherche-développement technologique à vocation industrielle. Nous travaillons d'autre part à un concept de bio-raffinerie, avec un projet de chimie verte sur les biomolécules et les bioprocédés issus du carbone renouvelable.

En matière d'éolien ou de photovoltaïque, les filières restent à organiser. Dans ce domaine, les pôles de compétitivité ne me semblent pas armés et structurés pour répondre à l'enjeu des énergies renouvelables.

Un dernier mot sur la mise en synergie des pôles avec les PRES, les RTRA et les Instituts Carnot. Un appel à projets a été lancé conjointement par le ministère de l'Économie et de l'industrie et la Caisse des dépôts et consignations pour des plateformes d'innovation adossées aux pôles les plus importants. L'association de plateformes de transfert national et d'Instituts Carnot, qui travaillent généralement plus en amont, pourrait être une bonne formule. Ce qui manque en effet actuellement, dans notre dispositif national, comparé aux instituts allemands Fraunhofer, ce sont des plateformes de technologie intégratrices allant du prototype et de la pré-série jusqu'au pré-industriel.

PermalienMarion Guillou, présidente de l'Institut national de la recherche agronomique

L'INRA serait très intéressé à ce que l'ANR lance à nouveau des appels d'offres d'Instituts Carnot car il n'y en a pas dans le secteur alimentaire ni dans le secteur de la chimie verte.