COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L'ÉDUCATION
Mardi 19 janvier 2010
La séance est ouverte à dix-huit heures trente.
(Présidence de M. Christian Kert, vice-président de la Commission)
La Commission des affaires culturelles et de l'éducation entend M. Alain Fuchs, directeur de l'École nationale supérieure de chimie de Paris, pressenti pour prendre les fonctions de président du Centre national de la recherche scientifique (CNRS).
Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui M. Alain Fuchs, directeur de l'École nationale supérieure de chimie de Paris, qui est pressenti pour occuper les fonctions de président du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), le mandat de Mme Catherine Bréchignac arrivant à son terme. M. Fuchs devrait être nommé demain matin, par décret en Conseil des ministres.
Le Gouvernement a émis le souhait que les commissions compétentes du Parlement procèdent à son audition, préalablement à sa nomination, dans l'esprit des nouvelles dispositions de l'article 13 de la Constitution. Ces dispositions, qui prévoient que les commissions parlementaires peuvent s'opposer à la majorité qualifiée des trois-cinquièmes des suffrages exprimés à certaines nominations du Président de la République, ne peuvent pas être appliquées à la lettre puisque la loi organique et la loi ordinaire qui s'y rapportent n'ont pas encore été adoptées définitivement par le Parlement : il ne peut notamment pas être procédé à un vote sur la nomination.
En revanche, à l'instar de la pratique qui a été suivie pour d'autres nominations, une audition peut être organisée afin d'anticiper en partie sur la mise en oeuvre de l'article 13 de la Constitution.
Dans cet esprit, je vous propose donc, monsieur le directeur, de nous exposer les grandes lignes de votre vision de la réorganisation du CNRS et de nous présenter tous les éléments que vous jugeriez nécessaires afin que nous puissions mieux apprécier vos objectifs en tant que futur président du CNRS.
Je suis très honoré d'être auditionné par votre commission aujourd'hui : ce sera pour moi l'occasion à la fois de répondre aux questions que vous vous posez sur le CNRS et, à travers elles, d'enrichir mon projet.
Le CNRS, qui a fêté l'année dernière ses soixante-dix ans, a été fondé en 1939 par un très grand scientifique, le prix Nobel de physique Jean Perrin. Il a, depuis cette date, connu de grands changements qui concernaient notamment les systèmes d'enseignement supérieur et de recherche. Le CNRS n'est donc plus le même aujourd'hui qu'en 1939 : si sa mission principale est demeurée identique – faire de la recherche –, le contexte n'a cessé d'évoluer.
En effet, à sa création, il accompagne la professionnalisation de la recherche, puis, après-guerre, la reconstruction ; dans les années 1970, le contexte a encore changé, la préoccupation des universités étant alors assez éloignée de la recherche scientifique, tandis que, dans les années 1990, on assiste à l'émergence de la mondialisation au sein de la recherche elle-même, notamment à travers internet. Le CNRS s'est toujours adapté, en étant même souvent à la pointe de l'évolution. Aujourd'hui, le contexte est celui d'une mondialisation accrue des systèmes d'enseignement supérieur et de recherche, des pays développés comme des pays émergents – je pense notamment à la Chine et l'Inde. Parallèlement, la France vit un mouvement très important, à travers la mise en oeuvre de l'autonomie des universités, que je considère comme totalement irréversible. En effet, si elle ne fait qu'émerger en France, elle est déjà pratiquée partout dans le monde. Aussi le CNRS doit-il, notamment à travers la réforme qu'il vient de vivre, y prendre toute sa part.
J'aborderai quatre points : le rapport entre le CNRS et les universités ; sa réorganisation, qui a été menée à bien et qui constitue le nouveau contexte dans lequel nous devons travailler ; le dispositif des alliances ; la simplification des procédures.
Toutefois, je désire auparavant rappeler une évidence : le projet de fond du CNRS est la recherche, et il est avant tout constitué de chercheurs. Aussi la science doit-elle demeurer au coeur du débat. C'est pourquoi, si je suis nommé à la tête du CNRS, je sais que je serai jugé en particulier sur ma capacité à écouter les chercheurs. Il est donc nécessaire d'assurer les conditions qui permettront à tous les personnels du Centre, qui sont de très grande qualité, de travailler en toute confiance, qu'il s'agisse des chercheurs ou des personnels techniques et administratifs.
En ce qui concerne son partenariat avec les universités, le Centre doit accompagner sans réserve, à l'heure de leur autonomie, l'ensemble des universités et des établissements d'enseignement supérieur et de recherches, écoles comprises, qui se dotent d'une véritable politique scientifique. Il doit mener une politique de coopération active et établir un véritable partenariat avec tous ces établissements alors que, lorsqu'il était le vaisseau amiral de la recherche française, il avait plutôt tendance à distribuer des labels de qualité et à piloter la recherche elle-même. En effet, s'il n'est pas le seul institut de recherche, il est le plus important puisqu'il couvre l'ensemble des disciplines. Le CNRS devra désormais aider et accompagner les universités dans leur démarche d'accession à l'autonomie et à une véritable politique scientifique, dans le cadre d'un partenariat stratégique sur les sites universitaires, je pense notamment aux campus d'excellence dans le cadre du grand emprunt.
La réforme du CNRS, quant à elle, est faite et personne ne souhaite de nouvelles modifications. Je salue l'action de Catherine Bréchignac et d'Arnold Migus, qui ont mis en place la nouvelle structure – dix instituts et trois pôles interdisciplinaires –, engagé la politique d'alliances, organisé le contrat d'objectifs et préparé le renforcement de la direction, qui sera désormais constituée d'un président-directeur général et de deux directeurs généraux délégués. Il convient maintenant de passer à l'action en mettant en oeuvre la réforme.
S'agissant des alliances avec d'autres organismes, le CNRS doit s'y engager avec confiance et s'y montrer très actif, l'objectif étant de lutter contre le fractionnement du système de recherche lorsque des organismes différents peuvent conduire ensemble des actions programmatiques. On cite souvent comme exemple de ces actions l'alliance sur les sciences de la vie qui se constitue actuellement, celles-ci pouvant porter sur des épidémies ou certaines pathologies. Une impression de flou s'est parfois installée en matière de structuration de la recherche ou de recoupements entre les actions de différents organismes. C'est oublier qu'on ne sait jamais, par définition, où peut conduire la recherche. Le tout est de permettre la réflexion, voire la confrontation programmatiques, entre les différents organismes sans prééminence de l'un sur l'autre. Le CNRS a les capacités nécessaires pour faire progresser la recherche du pays dans son ensemble, en dehors de toute relation conflictuelle stérile : on ne travaille pas pour le CNRS contre l'INRA, l'INSERM ou le CEA. Chaque organisme travaille pour le pays.
Quant à la simplification des procédures, elle vise à lutter contre ce péché mignon, qu'est l'empilement des structures, ce qui n'est d'ailleurs pas propre au secteur de la recherche. Si on n'y prend pas garde, une complexité inutile s'installe très vite. Aussi ai-je pour principe de simplifier chaque fois que c'est possible. Ce sera ma préoccupation, notamment en matière de gestion des unités mixtes de recherche – les UMR. S'il convient de renforcer le caractère stratégique du partenariat entre le Centre et les universités, n'oublions pas que près de 90 % des laboratoires du CNRS sont implantés dans les universités : les UMR sont donc le coeur de la recherche partenariale. Il faut, dans le cadre du co-pilotage, s'orienter vers une délégation de gestion pour arriver à un système de gestion unique, avec un seul compte. Peut-on, par exemple, continuer d'utiliser, à l'intérieur d'une UMR, deux logiciels incompatibles pour gérer deux types de crédits d'État, les premiers, affectés au titre du contrat quadriennal signé avec le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, et les seconds en provenance du CNRS ? Les chercheurs doivent pouvoir se consacrer à leur vrai travail qu'est la recherche, la simplification n'ôtant à aucun des partenaires ses prérogatives en matière de pilotage scientifique.
Il faut également poursuivre la simplification en matière de valorisation des découvertes – brevets et propriété industrielle. Lors d'une découverte dans un laboratoire soumis à plusieurs tutelles, laquelle déposera le brevet ou gérera la propriété industrielle ? Ce problème technique est important parce que, en raison de la concurrence scientifique internationale, le temps est compté entre la découverte, le dépôt du brevet et une éventuelle mise sur le marché. Le mot d'ordre me semble, en la matière, « plus vite, plus proche, plus simple ». L'adoption du principe selon lequel le mandat de gestion de la propriété industrielle passe entièrement à l'hébergeur de l'unité me paraît une excellente initiative du ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Le CNRS, pièce maîtresse du dispositif d'enseignement supérieur et de recherche français, doit s'emparer de la dynamique de réforme qui se met en place en en devenant un acteur majeur. Il lui faudra pour cela s'engager dans la durée auprès des établissements d'enseignement supérieur et de recherche sur des projets ambitieux, en fondant sa collaboration sur les unités mixtes de recherche, et coordonner les efforts dans les secteurs couverts par les alliances, afin de répondre aux défis de notre temps et rendre service à notre pays.
Je vous remercie, monsieur le directeur, de votre souci de clarté et de brièveté.
M. Olivier Jardé, rapporteur de notre Commission pour les crédits de la recherche, a consacré son avis budgétaire pour 2010 à la réforme du CNRS : c'est pourquoi je lui passe en premier la parole.
Le CNRS, qui est un ancien et très bel institut, continue de montrer toute sa valeur au service de la recherche française.
Il n'en reste pas moins vrai que si la réforme était nécessaire, elle s'est accompagnée de débats nombreux, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du Centre : quelles conclusions en tirez-vous en matière de dialogue et de concertation avec les laboratoires et les équipes scientifiques du CNRS ?
Un amendement au projet de loi de finances pour 2010 permet de recruter des contractuels à durée indéterminée : c'est une nouveauté pour la recherche publique. Aurez-vous fréquemment recours à ce dispositif ou simplement à titre exceptionnel ?
Le fonctionnement du Centre n'allait pas sans une certaine confusion : aussi ai-je approuvé sa réorganisation verticale. Cependant la recherche ne se mène efficacement qu'aux interfaces : ainsi, la découverte de l'IRM ne répondait pas à l'origine à un souci d'ordre médical – il en est de même du laser. Les alliances sont donc nécessaires. Ne risque-t-on pas toutefois d'assister à leur multiplication par un effet de mode, ce qui pourrait à terme supprimer les avantages de la réorganisation du CNRS en remettant en cause la cohérence de l'ensemble du dispositif.
Vous ne l'ignorez pas, les jeunes Français se dirigent peu vers les carrières scientifiques. Comment comptez-vous renforcer l'attractivité de celles-ci, alors même que les meilleurs élèves des écoles entament, de préférence à des carrières scientifiques, des carrières bancaires bien mieux rémunérées ?
La copropriété des brevets est un réel obstacle à la valorisation de la recherche publique. J'observe, non sans une certaine satisfaction, que vous avez réfléchi à ce problème.
Je conclurai en rappelant que j'avais d'excellents contacts avec Mme Bréchignac et M. Migus : je souhaite poursuivre ces échanges avec vous dans les mêmes conditions de confiance réciproque.
Chacun connaît l'importance des revues scientifiques dans les classements internationaux des travaux de recherche en matière de légitimation des laboratoires et des chercheurs. Alors que les revues les plus importantes sont aujourd'hui presque toutes américaines, ne serait-il pas important de développer des revues européennes permettant aux chercheurs européens d'avoir accès à ces modes de légitimation ? Quelle politique mènerez-vous pour faciliter l'émergence de telles revues ?
Comme M. Olivier Jardé, je tiens à revenir sur l'attrait des carrières scientifiques aux yeux des jeunes, notamment des femmes. Plusieurs opérations ont été conduites, dans le cadre de politiques volontaristes, visant à inciter les filles à s'orienter vers des carrières scientifiques. Quel rôle le CNRS pourrait-il jouer en la matière, notamment pour éviter la captation des cerveaux par les filières financières ? Thomas Philippon a montré à quel point aujourd'hui les écoles d'ingénieurs en France, en Europe et même aux États-Unis voient les élèves qu'ils forment partir vers la banque et le trading. C'est ainsi que moins de 10 % des élèves de nos grandes écoles d'ingénieurs s'orientent vers des thèses et la recherche. Le CNRS a sans doute un rôle exemplaire à jouer en ce domaine.
Vous souhaitez, pour le CNRS, être à la pointe du changement, ce qui est primordial pour notre pays dans le contexte de mondialisation de l'économie et de la connaissance qui est le nôtre. Quelle est la position du CNRS au sein de l'Europe de la connaissance ?
L'autonomie des universités a occupé une bonne partie de l'année 2009, alors que nous nous trouvions dans une situation très difficile. Je partage votre sentiment selon lequel elle est irréversible. Toutefois, elle suscite des inquiétudes chez de nombreux chercheurs : comment comptez-vous les rassurer afin qu'ils puissent de nouveau travailler en toute sérénité ?
En tant qu'ancien professeur de mathématiques, je souhaite évidemment que la science demeure au coeur du débat. Vous avez également rappelé la politique volontariste du Président de la République dans le cadre du grand emprunt qui permettra de donner des moyens financiers importants à la recherche française pour qu'elle retrouve toute sa place. De plus, en matière de valorisation des découvertes, c'est avec raison que vous avez souligné qu'il fallait aller « plus vite, plus proche, plus simple » – j'ajouterai « plus efficace ». Le CNRS ne souffre-t-il pas actuellement d'une politique insuffisante en matière de communication, qui lui interdirait de susciter de nouvelles vocations de chercheurs ?
À l'occasion du débat sur l'audiovisuel français, un nombre important de députés s'est ému de ce que la science était mal traitée dans les médias audiovisuels. Ne faudrait-il pas créer une chaîne dédiée à la science ? Plusieurs projets nous ont déjà été présentés : seriez-vous prêt à devenir partenaire d'une chaîne présentant de façon aussi ludique qu'efficace l'intérêt de la science ?
Monsieur Jardé, monsieur Reiss, c'est vrai, de nombreux chercheurs du CNRS ont fait part de leurs inquiétudes. Toutefois, Catherine Bréchignac et Arnold Migus, qui ont fait un très bon travail et auxquels vous avez, comme moi, rendu hommage, ont pu achever leur mandat de quatre ans, ce qui n'était pas arrivé depuis longtemps. C'est sans doute la raison pour laquelle le nouveau décret organique du CNRS simplifie la gouvernance en instaurant un président-directeur général qui soit vraiment responsable devant le Gouvernement : la cohérence est au rendez-vous puisque c'est le Président qui proposera à la nomination les directeurs généraux délégués.
Monsieur Jardé, vous rappelez dans votre rapport que, par le passé, chaque changement de majorité ouvrait une période d'incertitude quant à l'avenir du CNRS : il est inévitable qu'un organisme national fort de 30 000 agents, dont 26 000 fonctionnaires permanents et 12 000 chercheurs, se pose des questions. Les chercheurs et les remarquables personnels qui les accompagnent ont d'autant plus besoin de stabilité institutionnelle que la recherche scientifique, pratiquée au plus haut niveau international, est anxiogène : les chercheurs sont chaque jour présents sur le front instable de la connaissance. Il convient de les rassurer. J'ai du reste aujourd'hui la conviction que la question de la pérennité du CNRS ne se pose plus et c'est en ce sens que je travaillerai et que je mobiliserai les chercheurs et les enseignants-chercheurs – j'insiste de nouveau sur l'importance de la mixité au sein des UMR. Je le ferai naturellement en concertation avec les présidents d'université, d'autant que l'inquiétude a également porté sur les conséquences de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités – LRU. Il est donc important d'insister sur la pérennité du système, tout en ne cachant pas les évolutions lourdes, comme la mise en place de l'Agence nationale de la recherche – ANR – et de l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur – AERES –, qui commencent, notamment l'ANR, d'être bien acceptées. Nous sommes aujourd'hui dans une conjonction favorable : le tout, je le répète, est de replacer la science au coeur du débat.
En ce qui concerne les contrats à durée indéterminée, je tiens tout d'abord à rappeler que l'amendement auquel vous avez fait référence étend aux établissements publics à caractère scientifique et technologique une disposition adoptée dans le cadre de la loi LRU. Je ne connais pas encore de façon suffisamment détaillée les structures du CNRS en matière de ressources humaines pour vous répondre de façon précise : aussi le ferai-je avec une grande prudence. Il en sera de même à propos des CDD État.
En revanche, en tant que directeur d'établissement, j'ai déjà été confronté à ce dispositif. J'ai toujours dit à mes collaborateurs que toute marge de manoeuvre était bonne à prendre, d'autant que les chercheurs ont trop longtemps souffert d'un système qu'ils jugeaient infantilisant pour mépriser cette nouvelle liberté. Toutefois, liberté et responsabilité vont de pair et il convient de ne pas faire n'importe quoi avec les outils qu'on vous donne : en disposer n'entraîne pas l'obligation de les utiliser et, en tout état de cause, on ne saurait le faire qu'avec beaucoup de discernement. Comme la ministre l'a souligné devant l'Assemblée, il s'agira notamment d'attirer un chercheur très renommé en lui offrant des conditions de rémunération pouvant rivaliser avec les très riches universités étrangères privées. Des universités ont déjà recouru à cet outil : il convient de le faire dans la plus grande transparence et à l'issue d'un débat ayant permis de dégager, sinon un consensus, du moins une convergence de vues de la plupart des acteurs.
Ne soyons pas hypocrites : par le passé, dans un cadre législatif plus contraint, on a su attirer des chercheurs avec le soutien des équipes locales – simplement, on bricolait des arrangements ! La loi permet aujourd'hui de gagner en transparence : ne nous en plaignons pas.
En ce qui concerne les CDD État, d'une durée de six ans, il faut être tout aussi prudent, afin d'éviter d'agiter le spectre de la précarisation et du dynamitage du statut de fonctionnaire, alors qu'il n'en est absolument pas question. Ce type de dispositif est intéressant en cas de marché du travail tendu en personnels techniques très pointus – je pense aux plateformes technologiques de très haut niveau ou, par le passé, lors du boom informatique, au recrutement dans les universités d'ingénieurs réseaux.
Sur la question des alliances, je rappellerai l'importance des instituts disciplinaires dont l'existence permet d'éviter tout risque de confusion en clarifiant la situation de recherche. Ces instituts verticaux doivent toutefois être capables de travailler entre eux – j'agirai en ce sens si je suis nommé : le CNRS devra apprendre à parler d'une seule voix, en évitant – mais c'est le poids de l'histoire – de continuer de travailler institut par institut, discipline par discipline au sein des grands pôles de recherche – Lyon, Strasbourg, demain Saclay. Ma stratégie consistera donc à instaurer une véritable coopération entre les organismes, afin de renforcer la cohérence de la recherche non pas aux dépens des universités mais en collaboration avec elles.
Les alliances n'ont pas vocation à être généralisées : il convient de recourir à ces outils dans des cas précis. La stratégie nationale de recherche et d'innovation, telle que la ministre l'a annoncée, se décline selon trois axes programmatiques – santé, bien-être, alimentation, biotechnologie ; urgence environnementale et écotechnologies ; information, communication et nanotechnologies. Le Gouvernement attend de nous que le CNRS s'investisse dans ces questions, ce qui ne lui interdira pas de poursuivre de libres recherches conceptuelles. Sur chacun de ces trois axes prioritaires, dans un cadre programmatique, il existe déjà une alliance : l'Alliance des sciences de la vie avec l'INSERM ; l'Alliance nationale de coordination de la recherche pour l'énergie – ANCRE – pour l'urgence environnementale et les écotechnologies ; et, pour l'information et les nanotechnologies, ALLISTENE, l'alliance des sciences et technologies du numérique. Ces actions programmatiques sont nécessaires du fait que la nation attend de nous que nous nous emparions de ces questions sociétales très importantes, mais la tendance n'est pas aujourd'hui à leur multiplication, sous peine de prendre le risque d'une nouvelle complexification du système.
En ce qui concerne l'attrait des étudiants pour les sciences, je me félicite, en tant que directeur de l'ENSCP, qu'aucun de mes élèves ne se dirige vers la banque. C'est peut-être dû au fait que cette école a toujours eu la volonté d'enseigner la science et de produire des scientifiques pour l'entreprise et pour la recherche. Il n'y a donc aucune fatalité, et si je partage votre inquiétude, je suis moins pessimiste que d'autres aujourd'hui, car je sens un timide retour de balancier. La science a encore un bel avenir devant elle, d'autant que depuis un ou deux ans, les événements sont venus nous rappeler que la vraie création de richesse est issue de la science et de l'ingénierie. La prise de conscience est réelle.
Des actions sont à mener en direction des femmes : il y a 50 % de jeunes filles dans l'école que je dirige, ce qui signifie bien que, là encore, il n'y a pas de fatalité et qu'il faut agir. Les carrières au CNRS sont relativement attractives pour les jeunes femmes à l'entrée. Elles se heurtent toutefois, par la suite, à un plafond de verre, qui est lié, entre trente et quarante ans, à leurs maternités, lesquelles entraînent le plus souvent une diminution du nombre de leurs publications, alors qu'elles sont évidemment aussi compétentes que leurs collègues masculins. En tant que président d'une section du comité national consacré aux promotions des chercheurs, je demandais toujours au rapporteur d'un dossier féminin à combien de publications il évaluait une maternité – question provocante mais qui avait pour mérite de rappeler les difficultés rencontrées par les femmes dans l'évolution de leur carrière. Je serai donc attentif à traiter la question du plafond de verre non seulement sur le plan de l'équité de l'évaluation entre les hommes et les femmes, mais également sous la forme d'un travail mené en concertation avec les jeunes femmes au moment de leur recrutement, du fait que, malheureusement, elles-mêmes finissent trop souvent pas intégrer le plafond de verre.
En matière de copropriété des brevets, il est naturel que chaque organisme qui a contribué à une découverte souhaite obtenir un retour sur investissement. Dans un monde où la rapidité de gestion de la propriété intellectuelle n'était pas aussi cruciale qu'aujourd'hui, la copropriété des brevets ne posait pas de problème majeur. Aujourd'hui, il convient de trouver une solution, même si cela n'est pas facile. Des réflexions en la matière sont engagées, notamment au CNRS, dont l'étendue disciplinaire est très vaste, ce qui représente pour lui une difficulté supplémentaire, contrairement à l'INSERM, au champ disciplinaire plus réduit, qui est très en avance sur la question avec sa filiale Inserm Transfert.
En ce qui concerne les revues scientifiques, dans le domaine des sciences de la nature, le mouvement vers les revues européennes existe. Je suis moi-même éditeur associé d'une revue européenne, très compétitive par rapport aux revues américaines, et qui est pilotée, en Grande-Bretagne, par la Royal Society of Chemistry. Le CNRS a donc tout intérêt à encourager toujours davantage les chercheurs à publier dans des revues européennes de bon niveau et à contribuer ainsi à l'augmentation du facteur d'impact de ces revues. La question se pose de manière différente pour les sciences humaines et sociales, pour des raisons de structures. L'institut de sciences humaines et sociales regroupe en effet un nombre considérable de disciplines, allant de l'archéologie à la linguistique en passant par la philosophie. De plus, les travaux afférant à ces sciences sont, pour des raisons tout à fait compréhensibles, d'abord écrits en français. L'AERES s'est emparée de la question car on ne saurait évaluer un travail en sciences humaines ou sociales de la même façon qu'on évalue des travaux publiés en anglais dans les revues standard des sociétés savantes américaines. La visibilité des travaux en sciences humaines et sociales pourrait être grandement améliorée si nos partenaires européens acceptaient l'idée, assez nouvelle, de revues européennes de sciences humaines et sociales, ce qui suppose un travail de traduction de haut niveau en anglais, à l'instar de ce qui se fait en Allemagne. Il n'y a aucune fatalité à ce que le français disparaisse : on fait de la science dans sa langue maternelle. Les travaux pourraient donc continuer d'être publiés en français avant de bénéficier d'une traduction de haut niveau.
Les Allemands ont supprimé une grande partie des revues en allemand pour publier en anglais. Un travail doit être lu : vaut-il la peine de continuer à publier dans sa langue maternelle ?
L'anglais étant une ancienne langue germanique, il est plus aisé à un Allemand ou à un Néerlandais qu'à un Français de publier directement dans cette langue en raison de la proximité linguistique.
En ce qui concerne le défaut éventuel de communication du CNRS, je répondrai que le budget est convenable. J'ai participé à différentes actions, notamment au Futuroscope : j'ai constaté qu'il est toujours difficile de connaître avec exactitude le public qu'on veut viser. Toutes les suggestions sont les bienvenues. Je tiens à souligner que la fête de la science, qui est organisée en octobre, connaît un grand succès. Il faut faire flèche de tout bois. C'est pourquoi, monsieur le président, le fait de devenir partenaire d'une chaîne scientifique me paraît une excellente idée, même si sa mise en oeuvre sera sans aucun doute difficile.
Enfin, en ce qui concerne la dimension européenne et internationale du CNRS, je tiens à rappeler la grande visibilité de celui-ci au plan international : je peux le constater lorsque je participe à des conférences. De même, depuis qu'on parle de moi pour la présidence du CNRS, j'ai eu droit à un entrefilet dans la revue américaine Science et j'ai reçu de nombreux messages de la part de collègues étrangers. Le CNRS est donc connu, ce qui signifie que, dans le cadre des partenariats renforcés avec les universités tels que je les conçois, nous pourrons faire bénéficier les sites universitaires français de notre aura pour leur permettre de gagner des places dans le classement de Shangaï, ce qui, du reste, ne saurait constituer un objectif en soi. Toutefois, si les universités sont au centre des systèmes, c'est bien parce qu'elles sont le lieu où se rejoignent les activités de recherche, les étudiants, et les activités de valorisation – c'est le triangle de Bologne. Grâce à son aura internationale, le CNRS pourra faciliter l'émergence des meilleures universités françaises. Cet objectif devra constituer un des messages positifs que je pourrai transmettre aux personnels du Centre et qui sont de nature à améliorer le dialogue social, à calmer les inquiétudes et à restaurer la confiance.
La séance est levée à dix-neuf heures quarante.