Je suis très honoré d'être auditionné par votre commission aujourd'hui : ce sera pour moi l'occasion à la fois de répondre aux questions que vous vous posez sur le CNRS et, à travers elles, d'enrichir mon projet.
Le CNRS, qui a fêté l'année dernière ses soixante-dix ans, a été fondé en 1939 par un très grand scientifique, le prix Nobel de physique Jean Perrin. Il a, depuis cette date, connu de grands changements qui concernaient notamment les systèmes d'enseignement supérieur et de recherche. Le CNRS n'est donc plus le même aujourd'hui qu'en 1939 : si sa mission principale est demeurée identique – faire de la recherche –, le contexte n'a cessé d'évoluer.
En effet, à sa création, il accompagne la professionnalisation de la recherche, puis, après-guerre, la reconstruction ; dans les années 1970, le contexte a encore changé, la préoccupation des universités étant alors assez éloignée de la recherche scientifique, tandis que, dans les années 1990, on assiste à l'émergence de la mondialisation au sein de la recherche elle-même, notamment à travers internet. Le CNRS s'est toujours adapté, en étant même souvent à la pointe de l'évolution. Aujourd'hui, le contexte est celui d'une mondialisation accrue des systèmes d'enseignement supérieur et de recherche, des pays développés comme des pays émergents – je pense notamment à la Chine et l'Inde. Parallèlement, la France vit un mouvement très important, à travers la mise en oeuvre de l'autonomie des universités, que je considère comme totalement irréversible. En effet, si elle ne fait qu'émerger en France, elle est déjà pratiquée partout dans le monde. Aussi le CNRS doit-il, notamment à travers la réforme qu'il vient de vivre, y prendre toute sa part.
J'aborderai quatre points : le rapport entre le CNRS et les universités ; sa réorganisation, qui a été menée à bien et qui constitue le nouveau contexte dans lequel nous devons travailler ; le dispositif des alliances ; la simplification des procédures.
Toutefois, je désire auparavant rappeler une évidence : le projet de fond du CNRS est la recherche, et il est avant tout constitué de chercheurs. Aussi la science doit-elle demeurer au coeur du débat. C'est pourquoi, si je suis nommé à la tête du CNRS, je sais que je serai jugé en particulier sur ma capacité à écouter les chercheurs. Il est donc nécessaire d'assurer les conditions qui permettront à tous les personnels du Centre, qui sont de très grande qualité, de travailler en toute confiance, qu'il s'agisse des chercheurs ou des personnels techniques et administratifs.
En ce qui concerne son partenariat avec les universités, le Centre doit accompagner sans réserve, à l'heure de leur autonomie, l'ensemble des universités et des établissements d'enseignement supérieur et de recherches, écoles comprises, qui se dotent d'une véritable politique scientifique. Il doit mener une politique de coopération active et établir un véritable partenariat avec tous ces établissements alors que, lorsqu'il était le vaisseau amiral de la recherche française, il avait plutôt tendance à distribuer des labels de qualité et à piloter la recherche elle-même. En effet, s'il n'est pas le seul institut de recherche, il est le plus important puisqu'il couvre l'ensemble des disciplines. Le CNRS devra désormais aider et accompagner les universités dans leur démarche d'accession à l'autonomie et à une véritable politique scientifique, dans le cadre d'un partenariat stratégique sur les sites universitaires, je pense notamment aux campus d'excellence dans le cadre du grand emprunt.
La réforme du CNRS, quant à elle, est faite et personne ne souhaite de nouvelles modifications. Je salue l'action de Catherine Bréchignac et d'Arnold Migus, qui ont mis en place la nouvelle structure – dix instituts et trois pôles interdisciplinaires –, engagé la politique d'alliances, organisé le contrat d'objectifs et préparé le renforcement de la direction, qui sera désormais constituée d'un président-directeur général et de deux directeurs généraux délégués. Il convient maintenant de passer à l'action en mettant en oeuvre la réforme.
S'agissant des alliances avec d'autres organismes, le CNRS doit s'y engager avec confiance et s'y montrer très actif, l'objectif étant de lutter contre le fractionnement du système de recherche lorsque des organismes différents peuvent conduire ensemble des actions programmatiques. On cite souvent comme exemple de ces actions l'alliance sur les sciences de la vie qui se constitue actuellement, celles-ci pouvant porter sur des épidémies ou certaines pathologies. Une impression de flou s'est parfois installée en matière de structuration de la recherche ou de recoupements entre les actions de différents organismes. C'est oublier qu'on ne sait jamais, par définition, où peut conduire la recherche. Le tout est de permettre la réflexion, voire la confrontation programmatiques, entre les différents organismes sans prééminence de l'un sur l'autre. Le CNRS a les capacités nécessaires pour faire progresser la recherche du pays dans son ensemble, en dehors de toute relation conflictuelle stérile : on ne travaille pas pour le CNRS contre l'INRA, l'INSERM ou le CEA. Chaque organisme travaille pour le pays.
Quant à la simplification des procédures, elle vise à lutter contre ce péché mignon, qu'est l'empilement des structures, ce qui n'est d'ailleurs pas propre au secteur de la recherche. Si on n'y prend pas garde, une complexité inutile s'installe très vite. Aussi ai-je pour principe de simplifier chaque fois que c'est possible. Ce sera ma préoccupation, notamment en matière de gestion des unités mixtes de recherche – les UMR. S'il convient de renforcer le caractère stratégique du partenariat entre le Centre et les universités, n'oublions pas que près de 90 % des laboratoires du CNRS sont implantés dans les universités : les UMR sont donc le coeur de la recherche partenariale. Il faut, dans le cadre du co-pilotage, s'orienter vers une délégation de gestion pour arriver à un système de gestion unique, avec un seul compte. Peut-on, par exemple, continuer d'utiliser, à l'intérieur d'une UMR, deux logiciels incompatibles pour gérer deux types de crédits d'État, les premiers, affectés au titre du contrat quadriennal signé avec le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, et les seconds en provenance du CNRS ? Les chercheurs doivent pouvoir se consacrer à leur vrai travail qu'est la recherche, la simplification n'ôtant à aucun des partenaires ses prérogatives en matière de pilotage scientifique.
Il faut également poursuivre la simplification en matière de valorisation des découvertes – brevets et propriété industrielle. Lors d'une découverte dans un laboratoire soumis à plusieurs tutelles, laquelle déposera le brevet ou gérera la propriété industrielle ? Ce problème technique est important parce que, en raison de la concurrence scientifique internationale, le temps est compté entre la découverte, le dépôt du brevet et une éventuelle mise sur le marché. Le mot d'ordre me semble, en la matière, « plus vite, plus proche, plus simple ». L'adoption du principe selon lequel le mandat de gestion de la propriété industrielle passe entièrement à l'hébergeur de l'unité me paraît une excellente initiative du ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Le CNRS, pièce maîtresse du dispositif d'enseignement supérieur et de recherche français, doit s'emparer de la dynamique de réforme qui se met en place en en devenant un acteur majeur. Il lui faudra pour cela s'engager dans la durée auprès des établissements d'enseignement supérieur et de recherche sur des projets ambitieux, en fondant sa collaboration sur les unités mixtes de recherche, et coordonner les efforts dans les secteurs couverts par les alliances, afin de répondre aux défis de notre temps et rendre service à notre pays.