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Intervention de Alain Fuchs

Réunion du 19 janvier 2010 à 18h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Alain Fuchs :

Monsieur Jardé, monsieur Reiss, c'est vrai, de nombreux chercheurs du CNRS ont fait part de leurs inquiétudes. Toutefois, Catherine Bréchignac et Arnold Migus, qui ont fait un très bon travail et auxquels vous avez, comme moi, rendu hommage, ont pu achever leur mandat de quatre ans, ce qui n'était pas arrivé depuis longtemps. C'est sans doute la raison pour laquelle le nouveau décret organique du CNRS simplifie la gouvernance en instaurant un président-directeur général qui soit vraiment responsable devant le Gouvernement : la cohérence est au rendez-vous puisque c'est le Président qui proposera à la nomination les directeurs généraux délégués.

Monsieur Jardé, vous rappelez dans votre rapport que, par le passé, chaque changement de majorité ouvrait une période d'incertitude quant à l'avenir du CNRS : il est inévitable qu'un organisme national fort de 30 000 agents, dont 26 000 fonctionnaires permanents et 12 000 chercheurs, se pose des questions. Les chercheurs et les remarquables personnels qui les accompagnent ont d'autant plus besoin de stabilité institutionnelle que la recherche scientifique, pratiquée au plus haut niveau international, est anxiogène : les chercheurs sont chaque jour présents sur le front instable de la connaissance. Il convient de les rassurer. J'ai du reste aujourd'hui la conviction que la question de la pérennité du CNRS ne se pose plus et c'est en ce sens que je travaillerai et que je mobiliserai les chercheurs et les enseignants-chercheurs – j'insiste de nouveau sur l'importance de la mixité au sein des UMR. Je le ferai naturellement en concertation avec les présidents d'université, d'autant que l'inquiétude a également porté sur les conséquences de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités – LRU. Il est donc important d'insister sur la pérennité du système, tout en ne cachant pas les évolutions lourdes, comme la mise en place de l'Agence nationale de la recherche – ANR – et de l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur – AERES –, qui commencent, notamment l'ANR, d'être bien acceptées. Nous sommes aujourd'hui dans une conjonction favorable : le tout, je le répète, est de replacer la science au coeur du débat.

En ce qui concerne les contrats à durée indéterminée, je tiens tout d'abord à rappeler que l'amendement auquel vous avez fait référence étend aux établissements publics à caractère scientifique et technologique une disposition adoptée dans le cadre de la loi LRU. Je ne connais pas encore de façon suffisamment détaillée les structures du CNRS en matière de ressources humaines pour vous répondre de façon précise : aussi le ferai-je avec une grande prudence. Il en sera de même à propos des CDD État.

En revanche, en tant que directeur d'établissement, j'ai déjà été confronté à ce dispositif. J'ai toujours dit à mes collaborateurs que toute marge de manoeuvre était bonne à prendre, d'autant que les chercheurs ont trop longtemps souffert d'un système qu'ils jugeaient infantilisant pour mépriser cette nouvelle liberté. Toutefois, liberté et responsabilité vont de pair et il convient de ne pas faire n'importe quoi avec les outils qu'on vous donne : en disposer n'entraîne pas l'obligation de les utiliser et, en tout état de cause, on ne saurait le faire qu'avec beaucoup de discernement. Comme la ministre l'a souligné devant l'Assemblée, il s'agira notamment d'attirer un chercheur très renommé en lui offrant des conditions de rémunération pouvant rivaliser avec les très riches universités étrangères privées. Des universités ont déjà recouru à cet outil : il convient de le faire dans la plus grande transparence et à l'issue d'un débat ayant permis de dégager, sinon un consensus, du moins une convergence de vues de la plupart des acteurs.

Ne soyons pas hypocrites : par le passé, dans un cadre législatif plus contraint, on a su attirer des chercheurs avec le soutien des équipes locales – simplement, on bricolait des arrangements ! La loi permet aujourd'hui de gagner en transparence : ne nous en plaignons pas.

En ce qui concerne les CDD État, d'une durée de six ans, il faut être tout aussi prudent, afin d'éviter d'agiter le spectre de la précarisation et du dynamitage du statut de fonctionnaire, alors qu'il n'en est absolument pas question. Ce type de dispositif est intéressant en cas de marché du travail tendu en personnels techniques très pointus – je pense aux plateformes technologiques de très haut niveau ou, par le passé, lors du boom informatique, au recrutement dans les universités d'ingénieurs réseaux.

Sur la question des alliances, je rappellerai l'importance des instituts disciplinaires dont l'existence permet d'éviter tout risque de confusion en clarifiant la situation de recherche. Ces instituts verticaux doivent toutefois être capables de travailler entre eux – j'agirai en ce sens si je suis nommé : le CNRS devra apprendre à parler d'une seule voix, en évitant – mais c'est le poids de l'histoire – de continuer de travailler institut par institut, discipline par discipline au sein des grands pôles de recherche – Lyon, Strasbourg, demain Saclay. Ma stratégie consistera donc à instaurer une véritable coopération entre les organismes, afin de renforcer la cohérence de la recherche non pas aux dépens des universités mais en collaboration avec elles.

Les alliances n'ont pas vocation à être généralisées : il convient de recourir à ces outils dans des cas précis. La stratégie nationale de recherche et d'innovation, telle que la ministre l'a annoncée, se décline selon trois axes programmatiques – santé, bien-être, alimentation, biotechnologie ; urgence environnementale et écotechnologies ; information, communication et nanotechnologies. Le Gouvernement attend de nous que le CNRS s'investisse dans ces questions, ce qui ne lui interdira pas de poursuivre de libres recherches conceptuelles. Sur chacun de ces trois axes prioritaires, dans un cadre programmatique, il existe déjà une alliance : l'Alliance des sciences de la vie avec l'INSERM ; l'Alliance nationale de coordination de la recherche pour l'énergie – ANCRE – pour l'urgence environnementale et les écotechnologies ; et, pour l'information et les nanotechnologies, ALLISTENE, l'alliance des sciences et technologies du numérique. Ces actions programmatiques sont nécessaires du fait que la nation attend de nous que nous nous emparions de ces questions sociétales très importantes, mais la tendance n'est pas aujourd'hui à leur multiplication, sous peine de prendre le risque d'une nouvelle complexification du système.

En ce qui concerne l'attrait des étudiants pour les sciences, je me félicite, en tant que directeur de l'ENSCP, qu'aucun de mes élèves ne se dirige vers la banque. C'est peut-être dû au fait que cette école a toujours eu la volonté d'enseigner la science et de produire des scientifiques pour l'entreprise et pour la recherche. Il n'y a donc aucune fatalité, et si je partage votre inquiétude, je suis moins pessimiste que d'autres aujourd'hui, car je sens un timide retour de balancier. La science a encore un bel avenir devant elle, d'autant que depuis un ou deux ans, les événements sont venus nous rappeler que la vraie création de richesse est issue de la science et de l'ingénierie. La prise de conscience est réelle.

Des actions sont à mener en direction des femmes : il y a 50 % de jeunes filles dans l'école que je dirige, ce qui signifie bien que, là encore, il n'y a pas de fatalité et qu'il faut agir. Les carrières au CNRS sont relativement attractives pour les jeunes femmes à l'entrée. Elles se heurtent toutefois, par la suite, à un plafond de verre, qui est lié, entre trente et quarante ans, à leurs maternités, lesquelles entraînent le plus souvent une diminution du nombre de leurs publications, alors qu'elles sont évidemment aussi compétentes que leurs collègues masculins. En tant que président d'une section du comité national consacré aux promotions des chercheurs, je demandais toujours au rapporteur d'un dossier féminin à combien de publications il évaluait une maternité – question provocante mais qui avait pour mérite de rappeler les difficultés rencontrées par les femmes dans l'évolution de leur carrière. Je serai donc attentif à traiter la question du plafond de verre non seulement sur le plan de l'équité de l'évaluation entre les hommes et les femmes, mais également sous la forme d'un travail mené en concertation avec les jeunes femmes au moment de leur recrutement, du fait que, malheureusement, elles-mêmes finissent trop souvent pas intégrer le plafond de verre.

En matière de copropriété des brevets, il est naturel que chaque organisme qui a contribué à une découverte souhaite obtenir un retour sur investissement. Dans un monde où la rapidité de gestion de la propriété intellectuelle n'était pas aussi cruciale qu'aujourd'hui, la copropriété des brevets ne posait pas de problème majeur. Aujourd'hui, il convient de trouver une solution, même si cela n'est pas facile. Des réflexions en la matière sont engagées, notamment au CNRS, dont l'étendue disciplinaire est très vaste, ce qui représente pour lui une difficulté supplémentaire, contrairement à l'INSERM, au champ disciplinaire plus réduit, qui est très en avance sur la question avec sa filiale Inserm Transfert.

En ce qui concerne les revues scientifiques, dans le domaine des sciences de la nature, le mouvement vers les revues européennes existe. Je suis moi-même éditeur associé d'une revue européenne, très compétitive par rapport aux revues américaines, et qui est pilotée, en Grande-Bretagne, par la Royal Society of Chemistry. Le CNRS a donc tout intérêt à encourager toujours davantage les chercheurs à publier dans des revues européennes de bon niveau et à contribuer ainsi à l'augmentation du facteur d'impact de ces revues. La question se pose de manière différente pour les sciences humaines et sociales, pour des raisons de structures. L'institut de sciences humaines et sociales regroupe en effet un nombre considérable de disciplines, allant de l'archéologie à la linguistique en passant par la philosophie. De plus, les travaux afférant à ces sciences sont, pour des raisons tout à fait compréhensibles, d'abord écrits en français. L'AERES s'est emparée de la question car on ne saurait évaluer un travail en sciences humaines ou sociales de la même façon qu'on évalue des travaux publiés en anglais dans les revues standard des sociétés savantes américaines. La visibilité des travaux en sciences humaines et sociales pourrait être grandement améliorée si nos partenaires européens acceptaient l'idée, assez nouvelle, de revues européennes de sciences humaines et sociales, ce qui suppose un travail de traduction de haut niveau en anglais, à l'instar de ce qui se fait en Allemagne. Il n'y a aucune fatalité à ce que le français disparaisse : on fait de la science dans sa langue maternelle. Les travaux pourraient donc continuer d'être publiés en français avant de bénéficier d'une traduction de haut niveau.

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