Audition de Mme Karen Abu Zayd, Commissaire générale de l'UNRWA (United Nations Relief and Works Agency).
La séance est ouverte à dix heures.
Je vous remercie, Madame, d'avoir accepté l'invitation de la Commission. Vous avez travaillé pendant près de vingt ans pour le Haut-commissariat aux réfugiés, avant d'être nommée commissaire générale adjointe de l'UNRWA en 2000, puis commissaire générale le 1er avril 2005, fonction que vous exercerez jusqu'en décembre prochain.
Basée à Gaza, vous supervisez les programmes relatifs à l'éducation, la santé, les services sociaux et les programmes de financement de micro entreprises en faveur des 4,5 millions de réfugiés palestiniens qui se trouvent dans les Territoires palestiniens, au Liban, en Syrie et en Jordanie. Vous êtes ainsi l'une des personnes les mieux placées pour témoigner de la situation de ces populations, certainement très différente selon qu'elles vivent dans un pays ou dans un autre, à Gaza ou en Cisjordanie.
Lors d'un déplacement à Gaza en février dernier, j'ai pu mesurer le grand dénuement dans lequel se trouvaient les Gazaouis, dans une bande de terre dont l'essentiel des infrastructures avaient été détruites par les récentes frappes israéliennes. Je souhaiterais donc que vous nous donniez votre opinion sur le travail de reconstruction de la bande de Gaza : est-il vraiment en cours ? Quelles sont les principales difficultés rencontrées ? Souhaiteriez-vous que l'Union européenne fasse plus qu'elle ne fait actuellement ?
Je vais vous donner la parole pour une dizaine de minutes afin que vous nous donniez votre analyse de la situation. Mes collègues vous poseront ensuite des questions.
Je vous remercie, monsieur le président. Vous avez donné une bonne introduction sur le travail de l'UNWRA qui s'occupe de quelque 4,6 millions de réfugiés. 29 000 personnes travaillent à leur venir en aide, enseignants, travailleurs sociaux, etc. Nous avons trois types de budgets. Le budget régulier, qui couvre les services de base, l'éducation, la santé, le développement des infrastructures ; les budgets d'urgence, pour des actions sur Gaza, la Cisjordanie ou le Liban ; enfin, des budgets pour les projets que nous mettons en oeuvre au sein des camps de réfugiés. En tout, cela représente un total d'environ 1 milliard de dollar par an.
Je voudrais vous exposer les problèmes que nous rencontrons dans les Territoires palestiniens. En ce qui concerne Gaza, tout d'abord, la situation est toujours la même ; il y a toujours des barrages, l'aide ne parvient pas à ses destinataires et les projets n'avancent pas. Tout ce qui est considéré comme inutile par Israël est bloqué. Nous avons pu faire passer de quoi réparer quelques uns des bâtiments, endommagés, mais il reste énormément à faire. L'économie de Gaza est une économie de tunnels, en ce sens que l'essentiel de l'approvisionnement arrive par cette voie. On ne peut pas mener des travaux de reconstruction d'envergure dans ces conditions. Les effets sur la population sont terribles, il y a une grande frustration ; les habitants essaient malgré tout d'avoir une vie normale, d'envoyer leurs enfants à l'école, etc. Pour notre part, nous tentons de les aider comme nous pouvons, sur le plan de l'éducation par exemple, ou de traiter des questions relatives au handicap ou autres, mais il n'y aucune attente quant à l'avenir, sinon un grand désespoir de la part d'une population qui essaie de survivre, désabusée, en colère face aux négociations qui s'éternisent sans avancer ni déboucher.
Pour la Cisjordanie, il y a quelques signes plus positifs au niveau économique, en ce qui concerne les villes principales, en termes de sécurité aussi, mais cela n'a pas d'effets sur la situation des réfugiés dans les camps, qui ne peuvent se déplacer à cause des barrages routiers et sont bloqués du mauvais côté de la barrière. C'est une population qui ne profite pas de nos efforts. Nous avons toujours des problèmes à Jérusalem Est, avec des démolitions et d'autres contraintes. On se demande toujours quels sont les espoirs pour ces populations.
Au Liban, notre souci principal porte sur le camp de Nahr El Bared qui a été détruit lors du conflit il y a deux ans : le camp est en cours de déblaiement et une section est prête a la reconstruction. Un problème a récemment surgi avec la découverte d'antiquités et des négociations sont en cours avec le ministère chargé des antiquités, pour pouvoir construire au-dessus. L'affaire a été portée devant les tribunaux mais des responsables politiques s'opposent à la reconstruction du camp. Nous espérons une solution à brève échéance pour pouvoir enfin reloger des populations qui vivent sous la tente depuis deux ans.
Enfin, dans les pays voisins, on ne parle pas autant de la question des réfugiés car ils sont bien traités par les gouvernements hôtes, comme les citoyens du pays. Ils ont les mêmes opportunités, mais ce sont des gens, qui pour un tiers d'entre eux, vivent néanmoins dans des conditions précaires, dans des camps vétustes, qui ont besoin d'être améliorés et pour lesquels on a pas de moyens suffisants.
Je voudrais souligner notre difficulté à lever des fonds : notre budget général pour l'essentiel sert à payer nos 29 000 employés qui fournissent les services sociaux. Malgré un travail important depuis trois ans vis-à-vis des donateurs, dans le cadre de la réforme du système des Nations unies, nous rencontrons des difficultés, compte tenu à la fois du nombre croissant de réfugiés et de la baisse générale des dons. Nous avons besoin de plus de fonds.
Je voudrais également mentionner deux autres problèmes, même s'ils sont hors de notre mandat, car ils nous concernent et ont un effet sur les services que l'on fournit aux réfugiés, ou en matière de droits de l'Homme. C'est tout d'abord le manque d'unité des Palestiniens, entre le Hamas et le Fatah, entre la Cisjordanie et Gaza, qui rend les choses très difficiles, notamment à Gaza. Les négociations en cours n'avancent pas aussi vite qu'on le souhaiterait. D'autre part, le rapport Goldstone, qui sera discuté demain au Conseil de sécurité, suscite, on le voit, beaucoup de réactions sur place.
Je crois que l'UNRWA est un élément important de la stabilité sur le terrain, qu'elle contribue à la paix et peut pousser à la négociation. La situation des réfugiés est une question importante dans ce cadre.
Je vous remercie pour cet exposé très intéressant. Vous indiquez que la situation a très peu évolué à Gaza, un peu plus en Cisjordanie. Qu'en est-il de la situation des Palestiniens qui se trouvent dans les autres pays, notamment en Jordanie, en Syrie. Quel est leur niveau d'intégration dans ces pays d'accueil ? Dans la perspective d'un futur Etat palestinien, quelle pourrait être la proportion de ceux qui viendraient s'y installer et de ceux qui resteraient où ils sont actuellement ?
Je vous remercie pour cette présentation très intéressante sur ce sujet douloureux. Constatez-vous des différences entre les Etats qui hébergent des camps de réfugiés palestiniens et avez-vous les mains libres pour mener vos différentes actions, compte tenu des statuts différents de ces camps selon les territoires ? Ensuite, en ce qui concerne la situation de ces réfugiés, temporairement hébergés depuis 1948 : vous employez de nombreux Palestiniens et l'on a l'impression que l'UNWRA, peut-être à son corps défendant, structure la société palestinienne. Quelle est votre appréciation de cette situation de fait ? Enfin, estimez-vous avoir les moyens budgétaires de remplir votre mission ?
Je participais également avec le Président Poniatowski à la mission qui s'est rendue à Gaza au début de l'année. Je dirais qu'heureusement il y a l'économie des tunnels dont vous nous avez à juste titre parlé, pour permettre la survie du peuple gazaoui, suite à l'écrasement de la bande de Gaza. Le paradoxe est que lorsque la reconstruction de Gaza sera enfin décidée et entreprise, cela relancera l'économie et les entreprises israéliennes profiteront elles aussi de la manne internationale, ce qui sera la marque d'un certain cynisme. On sent de plus que la population n'a pas d'autre espoir que de rester en vie et d'avoir un Etat, qu'elle vit une grande humiliation. Cette situation suscite une volonté de résistance et de révolte, qualifiée de terrorisme, mais n'est-ce pas leur seul moyen d'exister ?
On ne peut pas vraiment parler d'intégration puisque même en Jordanie où les Palestiniens sont traités comme des citoyens, les réfugiés restent des réfugiés en attendant les négociations sur le statut final à la fin du processus de paix. Mais cela donne aux réfugiés le choix de rester là où ils sont, d'aller ailleurs ou de revenir un jour dans le futur Etat palestinien. Quoi qu'il en soit, ils demandent à bénéficier du droit au retour. C'est d'ailleurs une donnée commune aux réfugiés dans le monde entier. 6 % des réfugiés dépendent de nos services sociaux ; les autres ont un emploi et un tiers seulement vit dans les camps. Ils sont intégrés au niveau économique mais ils ne se sentent pas à égalité avec les autres citoyens et, d'une certaine manière, ils restent des citoyens de seconde classe, ce que vient leur rappeler la mention figurant sur leur passeport.
Concernant le nombre de réfugiés qui pourraient revenir si un Etat palestinien venait à être créé, il n'est pas facile à évaluer. Pour ceux qui se trouvent en Jordanie et y ont une maison, un travail, des enfants voire des petits-enfants nés dans ce pays, vont-ils rester en Jordanie ou revenir en Palestine où ils n'auraient pas nécessairement de possibilité d'emploi, de logement ? Ce sont des éléments dont ils vont tenir compte. Pour ceux qui sont au Liban, la question est différente puisque le gouvernement libanais leur a signifié clairement qu'ils n'ont pas le droit de rester au Liban et qu'ils sont de ce fait voués à retourner en Palestine ou à aller ailleurs, où il existe des possibilités d'établissement, ce que le Président Mahmoud Abbas leur a expliqué publiquement lors de son déplacement au Liban.
Concernant la différence entre Etats, on entend peu parler des réfugiés dans les autres Etats parce qu'ils sont dans des situations stables et traités comme des citoyens, par exemple en Jordanie, et l'agence est tout à fait heureuse de travailler avec ces gouvernements pour compléter ce qu'ils offrent aux réfugiés. La situation est différente au Liban. Jusqu'en 2005, il y avait soixante-douze emplois interdits aux réfugiés et, si l'UNRWA apportait aux réfugiés les services de base (éducation, santé, aide sociale et alimentaire etc..), nous ne pouvions pas par contre améliorer les infrastructures dans les camps (habitations, voirie, élargissement des écoles, etc.). Depuis, la rhétorique du gouvernement libanais a évolué, certains emplois leur ont été autorisés, ce qui a changé les choses et nous avons obtenu le droit d'améliorer la situation dans les camps, sous la forme de projets en coopération étroite avec les gouvernements. Nous avons reçu 26 millions de dollars de la communauté des donateurs suite à la destruction du camp de NBC pour répondre aux besoins humanitaires de la population du camp (entre septembre 2008 et octobre 2009). Après s'être attelée aux situations les plus urgentes, l'agence s'est consacrée au cours des trois dernières années à la situation dans les camps. A Gaza et en Cisjordanie, les réfugiés se trouvent déjà dans ce qui devrait être leur futur Etat. Nous travaillons en étroite collaboration avec tous les gouvernements hôtes en matière de services fournis (éducation, santé, etc.) pour que cela soit conforme à leurs spécifications techniques. Il faut que ce qui est donné aux Palestiniens par les gouvernements hôtes soit identique à ce qu'ils accordent aux réfugiés d'autres origines d'une part et à leurs citoyens d'autre part, ce qui implique un travail avec chacun d'entre eux et avec les réfugiés dans chaque pays.
Une question est fréquemment posée de savoir si le gouvernement du Hamas est un problème pour l'agence. La réponse est non. Il s'est engagé à ne pas s'ingérer dans nos affaires et il n'y a pas de difficulté à travailler avec lui même si quelquefois, il peut y avoir matière à discussion, comme par exemple, lorsque nous avons affecté une enseignante dans une école de garçons, mais nous avons traité cette difficulté. L'agence est en contact avec le Hamas de manière discrète et reste à distance.
Concernant la restructuration de fait de la société palestinienne autour de la présence de l'agence : il n'est pas sûr que cela soit le cas et ce n'est pas un objectif recherché. Il est cependant certain qu'avoir un emploi permanent et garanti donne à ses employés un statut particulier mais ils restent des réfugiés. Bien sûr, beaucoup de Palestiniens aimeraient travailler avec l'UNWRA. Beaucoup de personnes se sont retrouvées sans emploi depuis la deuxième Intifada parce qu'ils travaillaient en Israël. Ces travaux, souvent journaliers, ont cessé à ce moment là.
Concernant les ressources, le budget de l'agence est largement insuffisant. Depuis la conférence de Genève en 2004, il y a eu des modifications de fonctionnement et l'élaboration d'un plan à moyen terme fondé sur les besoins des réfugiés. Cela a permis d'affecter 100 millions de dollars pour améliorer la situation des réfugiés dans les camps. Mais beaucoup de besoins ne sont pas financés ; les services fournis sont des services de base et même cela est désormais menacé. Mi octobre 2009, le déficit atteignait 7 millions de dollars. L'objectif est de réussir à payer les salaires jusqu'à la fin décembre 2009. Le déficit était auparavant de 17 millions mais l'agence a depuis reçu des dons pour le réduire. L'année prochaine, la situation sera beaucoup plus tendue encore. En 2009, il y avait des engagements garantis. Par contre, comme les budgets nationaux de beaucoup de pays sont en baisse, notamment chez la plupart des meilleurs donateurs, nous prévoyons un manque à combler de 84 millions de dollars pour les activités de base en 2010. C'est un véritable problème.
Le terme d'« écrasement » utilisé par M. Lecoq est tout à fait approprié pour décrire la situation. En janvier, c'était bien de cela qu'il s'agissait. Il y avait des décombres partout, les usines, les magasins, la plupart des grands bâtiments de Gaza ont été détruits. L'objectif annoncé de la guerre était de lutter contre le Hamas mais ce sont les piliers économiques de la bande de Gaza qui ont été détruits et notamment les intérêts de la classe moyenne.
Concernant l'économie des tunnels, l'agence ne fait parvenir aux réfugiés que des médicaments et de la nourriture : cela n'est pas suffisant. Il y a un nombre considérable de besoins qui ne sont pas couverts. Les enfants ont besoin de chaussures, de cahiers, de crayons. Les fenêtres des maisons, des écoles ont été détruites. Des produits de base dont les gens ont besoin pour vivre manquent. Heureusement, cette économie de tunnels peut venir pallier cela et permet de fournir certains de ces biens. Mais beaucoup de personnes à Gaza n'ont même plus d'argent. A la question de savoir à qui la reconstruction va profiter, il est certain que l'économie israélienne en profite en partie puisqu'une part des produits vient de là mais les entreprises présentes à Gaza, notamment celle du BTP, vont également en bénéficier. Ainsi, on assistera finalement à un partage des bénéfices de la reconstruction. Il y a bien une humiliation vécue par les Palestiniens et qui s'est encore accentuée depuis le retrait d'Israël de la bande de Gaza. Par exemple, les enfants ne cessent de voir leurs parents humiliés, plusieurs fois par jour, aux check points. Depuis la seconde Intifada, les enfants n'ont pu dormir correctement du fait des incursions incessantes sur le terrain. Il y avait du bruit en permanence, la peur régnait. Au cours de la deuxième Intifada, ce sont les enfants de la première Intifada qui se sont rebellés.
Je suis allé trois fois à Gaza et je voudrais dire à M. Lecoq, qu'il faut éviter les positions binaires. Yasser Arafat, que j'ai rencontré, parlait de résistance palestinienne, ce qui est différent du terrorisme. Mis à part cette remarque, j'ai plusieurs questions à poser à Mme Abu Zayd.
Tout d'abord concernant la répartition des aides, on dit que, du côté israélien, les critères d'attribution ne sont pas toujours humanitaires mais politiques. L'avez-vous constaté ?
Ensuite concernant les atteintes aux droits de l'Homme, on parle de différents règlements de comptes entre l'Autorité palestinienne et le Hamas depuis l'intervention militaire à Gaza. Que faut-il en penser ?
Troisièmement, avez-vous fait passer des messages en faveur de la libération du soldat franco-israélien Shalit ?
Enfin, une grande organisation comme la vôtre ne doit-elle pas se réformer après 60 ans d'existence et trouver de nouveaux interlocuteurs ?
Je reconnais bien volontiers que mes propos sont francs voire un peu provocateurs.
Tout d'abord permettez-moi une remarque générale. Votre agence semble un peu fâchée avec le français. Sur votre site, les documents sont toujours en anglais semble t-il. Quand on pense au rôle de l'Union européenne dans le financement de l'agence, c'est un peu préoccupant. Mais j'en viens à ma question.
Concernant le Liban, vous avez évoqué les difficultés de reconstruction d'un camp de réfugiés. Plus généralement, pourriez-vous dresser un panorama de vos actions au Liban : nombre de camps, personnels engagés, degré d'intégration dans la société libanaise. Et quelle part de ces réfugiés pourrait éventuellement intégrer un Etat palestinien indépendant ?
Vous avez évoqué le chiffre de 29 000 employés pour votre agence mais pour combien de réfugiés ? D'autre part, Gaza est certainement une bombe à retardement politique et humanitaire. Ne devriez-vous pas essayer de faire comprendre aux Israéliens que le seul moyen d'éviter son explosion est de nourrir ces populations et de leur permettre de vivre normalement et de s'intégrer à l'économie régionale ?
Je suis allée en Jordanie avant l'été pour rencontrer des femmes parlementaires palestiniennes. L'une de ces femmes a apporté ce témoignage : son fils de 10 ans lui a demandé s'il devrait tuer des juifs quand il sera plus grand…
Plus généralement, la Jordanie est un carrefour mais n'est-elle pas arrivée en quelque sorte à satiété en matière d'immigration et d'accueil, avec les conséquences que cela peut comporter ?
Notre aide est humanitaire et pas politique, elle se fait en fonction des besoins. Nos employés sont déterminés à faire parvenir l'aide régulièrement, c'est leur objectif.
Nous rencontrons naturellement les Palestiniens et les Israéliens qui nous font confiance. Ce sont d'ailleurs souvent les missions israéliennes qui nous demandent quels sont nos besoins.
Concernant les droits de l'Homme et les règlements de comptes, il est vrai qu'il y a des raids toutes les nuits et parfois ce sont des forces de police palestiniennes qui agissent contre d'autres Palestiniens.
Concernant les messages sur le soldat Shalit, ce n'est pas de notre responsabilité, mais nous disons qu'il doit être libéré. Nous subissons beaucoup de pressions. L'Autorité palestinienne demande aussi sa libération. Mais encore une fois, notre mandat n'est pas politique. Nous ne sommes pas politisés même si nous menons bien sûr des campagnes d'information et de communication. Nous restons au niveau des droits de l'Homme et de l'humanitaire. Nous avons des contacts discrets avec le Hamas et des interlocuteurs dans la société civile palestinienne.
Je ne parle pas le français et j'en suis désolée. Mais beaucoup de nos employés de haut niveau parlent le français et ce sera le cas normalement de mon successeur. Sur notre site nous avons des documents en français, mais aussi en hébreu et en japonais.
Concernant le Liban, il y a pour 422 000 réfugiés officiels, 2179 enseignants et 513 personnes pour le médical. C'est au Liban que l'insertion des réfugiés est la moins bonne. Je ne saurais dire combien de personnes seraient susceptibles de revenir dans un Etat palestinien indépendant.
Nous avons de bons rapports avec les autorités libanaises. Le futur premier ministre m'a assuré que les relations allaient se poursuivre de la même manière et qu'il se préoccupait beaucoup du sort des réfugiés.
4,6 millions de réfugiés sont recensés en Cisjordanie, à Gaza, au Liban et en Syrie, auxquels s'ajoutent la diaspora du Liban. Beaucoup de chefs de famille sont en effet à l'extérieur. Peut-être 300 000 vivent au Liban hors des camps. Mais tous ces gens restent des réfugiés.
Gaza est en effet une bombe à retardement. Il faut apprendre aux gens les droits de l'Homme pour parvenir à une évolution pacifique. Notre rôle est important sur ce point.
Comme à Gaza, l'accent est mis en Jordanie sur la sensibilisation aux droits de l'Homme dans l'éducation, notamment à travers un programme sur la tolérance et les droits de l'Homme, pour lesquels les enseignants reçoivent une formation spécifique. La présence d'un grand nombre de réfugiés irakiens en Jordanie n'a pas de conséquence sur la situation des Palestiniens. En revanche, alors que beaucoup souhaiteraient conserver dans tous les cas leur nationalité jordanienne, l'actuel roi de Jordanie insiste, comme son père avant lui, sur le fait que, une fois l'Etat palestinien créé, les réfugiés palestiniens devront obligatoirement opter entre la nationalité palestinienne et la nationalité jordanienne.
Quels sont les interlocuteurs de votre agence : les Etats ou des organisations de réfugiés ? Comment envisagez-vous la reconstruction de la bande de Gaza ? Après la première Intifada, la reconstruction était déjà rendue très difficile par le contingentement de tout ce qui était nécessaire à la reconstruction (matériaux de construction, mais aussi eau). Ces difficultés conjuguées aux humiliations régulièrement infligées aux populations devaient conduire à une explosion. A l'époque déjà, les enfants jouaient à l'Intifada ! Les choses en sont à nouveau à ce stade aujourd'hui. Pour ce qui est de la diminution de vos ressources financières, y voyez-vous un lien avec l'application par certains Etats de critères de conditionnalité de l'aide au développement ?
Quels sont vos interlocuteurs quotidiens au sein des autorités israéliennes ? On ne peut qu'être choqué par le fonctionnement de l'économie des tunnels qui revient à autoriser dans les faits la circulation souterraine de certains produits, alors qu'elle est interdite à la surface. Qu'en pensez-vous ? La chute des dons vous semble-t-elle plus liée à la conjoncture économique ou à la conjoncture politique ? Comme vous l'avez dit, l'UNRWA est en charge de l'aide humanitaire et ne mène pas d'action politique. Mais est-il vraiment possible de conduire des actions humanitaires dans cette région, sans empiéter sur le terrain politique ? L'agence n'exerce-t-elle pas une forme de souveraineté parallèle à celle des Etats dans lesquels elle intervient ? Aide-t-elle la réalisation d'investissements permettant à la population palestinienne d'assurer sa propre subsistance ?
Je suis très admiratif du travail accompli par votre agence dans des conditions très difficiles. La situation de Gilad Shalit est certes inacceptable, mais il ne faut pas oublier les 1 400 personnes qui ont été tuées à Gaza, parmi lesquelles figurait un grand nombre de jeunes gens qui ne supportaient plus leurs conditions de vie. Dans le cadre de votre assistance aux personnes réfugiées au Liban, entretenez-vous des relations avec l'association Handicap international qui lutte contre les mines antipersonnel ? Il me semble en effet très urgent de déminer le Sud-Liban, mais aussi la bande de Gaza. J'ai entendu dire que certains dirigeants libanais envisageaient de pousser les réfugiés palestiniens à demander la nationalité libanaise, afin de modifier la composition de la population au détriment de la minorité chrétienne. Etes-vous au courant de cette situation ?
Il me semble évident que le conflit au Proche-Orient et la menace représentée par Al Qaïda sont aujourd'hui les principales questions qui empoisonnent les relations internationales. Pour moi, la qualité de l'information sur la situation au Proche-Orient dépend bien moins du nombre de visites qu'on y a effectuées que de l'état d'esprit dans lequel on se place : l'approche doit en effet être fondée sur l'humanisme et sur le souci de rencontrer toutes les parties. Sur place, on ne peut qu'être frappé par le décalage qui existe entre le discours tenu par les responsables israéliens, teinté d'humanisme, et les réalités du terrain. L'omniprésence des barrages israéliens est une source d'humiliation pour les Palestiniens et attise quotidiennement leur colère. Cette situation donne l'impression que l'armée israélienne constitue un Etat dans l'Etat, à moins que les responsables israéliens ne tiennent un double discours.
Je me joins aux remerciements et aux félicitations formulés par mes collègues. Je me suis rendu en Israël et dans les Territoires palestiniens à quatre reprises, deux fois à l'invitation d'Israéliens et deux fois dans un cadre plus pro-palestinien. Il me semble que l'on ne peut pas en revenir sans en être profondément marqué, tant les problèmes économiques, politiques mais surtout humains sont profonds. L'humiliation des Palestiniens est en effet quotidienne. J'ai pu observer, quelques jours avant le déclenchement de la deuxième Intifada, des dizaines de camions chargés de fruits et légumes frais bloqués par les Israéliens pendant plusieurs jours à la frontière. L'aéroport de Gaza est aujourd'hui totalement saccagé, tandis que les pêcheurs gazaouis ne peuvent plus travailler. Pourriez-vous nous confirmer le ralentissement relatif de la colonisation depuis quelques mois ? Plus généralement, quelles en sont les conséquences pour les Palestiniens ?
Dans la mesure où le mandat de l'agence est limité à des actions destinées aux réfugiés, elle a pour interlocuteurs les Etats d'accueil des réfugiés, avec lesquels elle conduit un travail technique – par exemple, sur l'enseignement secondaire qui est de la compétence des Etats alors que l'agence veille à l'organisation de l'enseignement primaire –, et des organisations internationales qui mènent des actions complémentaires à la sienne. La division du travail entre les différents intervenants est très claire et il n'y a pas de chevauchement.
La reconstruction de Gaza est en effet rendue très difficile par la nécessité de négocier l'entrée du moindre matériau nécessaire, bien que beaucoup d'entreprises offrent leurs services. L'agence dispose de 30 ingénieurs, mais la rareté des chantiers en cours a conduit à ce que 15 d'entre eux quittent temporairement la région pour travailler au Tchad.
Afin de combattre le comportement guerrier que les enfants adoptent spontanément, l'agence organise des camps d'été où les jeux sont pacifiques, afin d'amorcer un changement dans leur mentalité.
La baisse des dons enregistrée en 2008 ne me semble pas liée à la mise en place de critères de conditionnalité, mais plutôt à la crise financière qui a conduit certains donateurs à se montrer moins généreux. Un seul d'entre eux n'a versé aucune aide cette année, à la suite d'un changement de gouvernement. Les Etats-Unis ont, en revanche, augmenté leur contribution de 80 millions d'euros. Il faut aussi tenir compte de la hausse continue des besoins de l'agence qui, pour faire face aux urgences, est bien souvent obligée de ponctionner le fonds général.
Le changement à la tête de l'Etat israélien n'a pas eu d'effet sur les interlocuteurs israéliens de l'agence, avec lesquels elle a des contacts très réguliers.
Il est certain que sans les tunnels et le ravitaillement qui les emprunte ne seraient possible ni la vie à Gaza, ni le travail de l'agence qui fournit exclusivement des produits alimentaires et des médicaments, ce qui ne suffit pas pour vivre.
C'est justement parce que tout est politique dans cette région que l'agence fait très attention à éviter les confusions, notamment quand elle mène des campagnes de promotion des droits de l'Homme. Sa seule préoccupation est d'apporter un secours humanitaire aux Palestiniens et de leur permettre de se forger un avenir, notamment grâce à l'éducation. Elle a aussi prêté 150 millions de dollars à des entrepreneurs indépendants palestiniens au cours des dix dernières années. Il s'agit d'une aide à l'autonomie que les bénéficiaires remboursent. Elle fonctionne très bien, notamment auprès des femmes. Nous l'avons d'abord mise en place dans les territoires palestiniens avant de l'étendre aux réfugiés de Syrie et de Jordanie.
L'agence coopère avec Handicap international, dont l'action est complémentaire à la sienne. Ensemble, ils ont mené à bien le déminage d'un camp au Nord du Liban. A Gaza, l'agence collabore avec l'association Action Mines, qui veille notamment à mettre en garde les populations, dans la mesure où toutes les mines n'ont pas été localisées.
Je n'ai pas d'information sur la tentation éventuelle de certains hommes politiques libanais de modifier les équilibres religieux au Liban par l'accession à la nationalité de réfugiés palestiniens.
Depuis 2006, l'agence milite pour qu'aucun groupe ne soit exclu de la table des négociations car ce type d'exclusion pousse vers l'extrémisme. Au sein même du Hamas, les extrémistes deviennent de plus en plus puissants, en particulier à Gaza. Il est urgent de leur permettre de participer aux discussions.
Le discours officiel israélien est effectivement différent de la réalité du terrain. Par exemple, avant la deuxième Intifada, l'agence pouvait faire entrer 1 200 camions par jour dans la bande de Gaza. Ce nombre a été réduit à 500 pendant la deuxième Intifada et il est aujourd'hui limité à 70 à 100 camions par jour. Sans porter de jugement, je rappellerai seulement cette formule fameuse : « Les Etats ont une armée ; en Israël, l'armée a un Etat ».
Les activités économiques à Gaza sont considérablement entravées. Les bonnes terres sont le plus souvent situées près de la frontière et on empêche les agriculteurs d'y accéder. Quant aux pêcheurs, ils ne peuvent s'éloigner de plus de deux kilomètres des côtes.
Pour ce qui est de la colonisation, nous n'avons pas constaté de changement à Jérusalem-Est où 150 maisons palestiniennes seront bientôt détruites, conformément à ce qui était prévu. Il me semble que les deux questions à traiter en priorité dans le règlement final doivent être la situation des réfugiés et la colonisation.
Je vous remercie beaucoup madame d'avoir répondu à toutes nos questions et je vous félicite chaleureusement pour l'ensemble de votre carrière consacrée à l'action humanitaire tout autour de la planète.
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