La Commission procède à l'examen du rapport d'information sur la sauvegarde maritime et l'action de l'État en mer (Mme Patricia Adam et M. Philippe Vitel, rapporteurs).
La séance est ouverte à dix-sept heures trente-cinq.
Nous sommes réunis cet après-midi pour entendre nos collègues Patricia Adam et Philippe Vitel nous présenter leur rapport d'information sur l'action de l'État en mer.
Vous savez que la Commission leur avait confié cette mission il y a plus de deux ans mais que leurs divers soucis de santé ont considérablement retardé leurs travaux.
Ce délai leur a permis d'assister à la naissance puis à la montée en puissance de la fonction « garde-côtes », qui mutualise les moyens matériels et humains de toutes les administrations qui participent à l'action de l'État en mer autour de priorités clairement identifiées.
J'aimerais donc que vous nous expliquiez ce que recouvre cette appellation et que vous nous présentiez, d'une manière plus générale, les enjeux de la sécurité maritime pour notre pays.
Comme vous venez de l'indiquer, monsieur le président, ces arrêts nous ont permis de prolonger notre mission et d'éviter de rendre un rapport qui serait aujourd'hui obsolète.
Au cours de ces mois, nous avons procédé à une dizaine d'auditions et effectué quatre déplacements, à Brest, Bruxelles, Toulon ainsi qu'à la Réunion et Mayotte.
Nous avons dressé un état des lieux des principaux enjeux de la sécurité maritime et de la façon dont l'État s'organisait pour y répondre. En décembre 2009, a été créée la fonction « garde-côtes », c'est-à-dire la coordination, sous la responsabilité du secrétaire général de la mer, de toutes les administrations participant à l'action de l'État en mer : la marine nationale, mais aussi les douanes, les affaires maritimes, la gendarmerie, la police et la sécurité civile. Nous avons pu assister à la montée en puissance de cette organisation et nous nous sommes efforcés d'en tirer les principaux enseignements et les perspectives pour l'avenir.
Avant toute autre chose, je voudrais rappeler le contexte de cette création : la fonction « garde-côtes » est une des composantes de la politique maritime de la France, définie par le Président de la République dans son discours du Havre du 16 juillet 2009, qui s'est traduite par la rédaction d'un Livre bleu portant sur une stratégie nationale pour la mer et les océans, dans les mois qui ont suivi.
Quels sont ces enjeux ? Notre politique maritime part d'un triple constat :
– la mer constitue, pour les années à venir, un réservoir de ressources et d'énergie considérable. Je pense, par exemple, aux ressources minérales des grands fonds marins et aux énergies marines renouvelables. Elle est également le vecteur principal de la mondialisation puisque les trois quarts, en volume, du commerce mondial transitent par elle ;
– l'économie maritime occupe une place très importante dans l'économie nationale : plus de 300 000 emplois directs – plus que l'automobile ou le secteur aéronautique – et comprend de nombreux secteurs d'excellence, dans le domaine de la construction navale, des transports ou de la recherche scientifique ;
– enfin, notre politique maritime est bâtie sur l'idée qu'il est indispensable de traiter les questions de la mer de façon transversale et non sectorielle – environnement, pêche, sécurité….
La mise en évidence de ces enjeux et la définition des priorités qui en découlent figurent dans le Livre bleu sur la stratégie nationale pour la mer et les océans de décembre 2009. On peut notamment y lire que « la crédibilité de la politique nationale repose avant tout sur la capacité de l'État français à exercer ses responsabilités en mer. » Les enjeux de sécurité maritime sont en revanche absents du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. Nous le regrettons et ferons des propositions pour qu'ils soient pris en compte dans le prochain.
Quelles sont les responsabilités de l'État français en mer ?
– la première est d'affirmer sa souveraineté sur les espaces maritimes qui sont sous sa juridiction : 97 % de notre espace maritime se situe outre-mer. Les richesses de nos fonds marins attirent les convoitises de nos voisins, Chine, Brésil ou Mexique, et nous devons, par notre présence et notre activité, leur rappeler en permanence que nous n'entendons pas renoncer à nos droits ;
– notre deuxième défi est de lutter contre les nombreuses menaces intentionnelles : les différents trafics, l'immigration clandestine – dont nous avons pu mesurer l'ampleur en nous rendant à Mayotte – mais aussi la piraterie. La piraterie dans l'océan Indien aurait généré, pour un armateur français, un surcoût de 40 millions d'euros en 2010, compte tenu de la nécessité de faire transiter les gros porte-conteneurs à vitesse maximum dans la zone considérée ;
– troisième type de menace : les catastrophes maritimes, d'autant plus préoccupantes qu'on doit faire face au gigantisme grandissant des flottes de commerce ou de croisière : il y avait plus de 4 000 personnes à bord du Costa Concordia ! Certains navires peuvent transporter jusqu'à 8 000 personnes et mesurer 350 mètres, soit presque 100 de plus que le Charles-de-Gaulle ! Cela rend naturellement les opérations de secours plus complexes et plus coûteuses. J'ai pu assister, en septembre dernier, au large de Brest, à un exercice de ce type, organisé par le forum européen des garde-côtes.
Les pouvoirs publics doivent être capables de mobiliser l'ensemble des moyens matériels et humains qui participent à l'action de l'État en mer.
Le comité interministériel de la mer du 8 décembre 2009 a créée à cette fin la fonction « garde-côtes ».
Qu'est-ce que la fonction « garde-côtes » ? Ce n'est pas un corps autonome, à l'image des garde-côtes américains, qui constituent en quelque sorte, un deuxième marine, mais la mise en place d'une mutualisation des moyens matériels et humains existants, au premier rang desquels on trouve ceux de la marine nationale, sous l'autorité d'un seul responsable, le secrétaire général de la mer, placé directement sous l'autorité du Premier ministre. Ce mode de fonctionnement est tout à fait original et pourrait servir de modèle à nos voisins européens.
Le secrétaire général de la mer peut s'appuyer sur deux nouveaux organes :
– le comité directeur de la fonction garde-côtes, qui élabore les politiques, et qui est composé des directeurs des administrations disposant de moyens aéromaritimes : marine nationale, douanes, gendarmerie, police, affaires maritimes et sécurité civile ;
– le centre opérationnel de la fonction garde-côtes, que nous avons visité en septembre dernier. Composé d'un représentant de chacun des administrations concernées, il constitue un centre de partage et d'analyse de l'information, chargé de la tenue à jour de la situation maritime mondiale. En temps de crise, il peut alimenter les centres nationaux interministériels de gestion de crise ainsi que les centres opérationnels de crise.
À l'échelon régional, la coordination des administrations intervenant en mer est assurée par le préfet maritime – ou par le délégué du Gouvernement en outre-mer, aidé dans cette tâche par une division action de l'État en mer composée des représentants des différentes administrations.
La nouveauté de la fonction « garde-côtes », et qui donne sa cohérence à l'ensemble du dispositif, c'est cette capacité de coordination au niveau national, assurée par le comité directeur sous l'autorité du secrétaire général de la mer. Avec cette porte d'entrée unique, l'ensemble de notre organisation dispose désormais d'une véritable cohérence et d'une réelle visibilité au niveau international.
Ce dispositif s'appuie sur les deux points forts de notre organisation maritime :
– les préfets maritimes, qui sont à la fois des chefs militaires et des responsables d'administration civile, répondant de leur action devant le Premier ministre ;
– le caractère dual de notre marine nationale. Depuis très longtemps, elle ne se contente pas d'intervenir dans des opérations strictement militaires mais participe à l'action de l'État en mer sous le concept de « sauvegarde maritime », qui comprend la lutte contre les différents trafics, la sauvegarde des biens et des personnes, la protection de l'environnement, et représente 28 % de son activité. Tous les bâtiments – y compris le Charles-de-Gaulle – participent à ces activités et c'est une grande chance pour nous car nous ne pourrions naturellement pas nous payer le luxe de disposer de deux marines, une pour les opérations militaires et une autre pour l'action de l'État en mer.
Deux ans après sa création, quel premier bilan peut-on tirer de la fonction « garde-côtes » ?
Avec le renforcement de l'autorité du secrétaire général de la mer, notre politique maritime dispose désormais d'une véritable « pilote », capable de développer les synergies entre les différents ministères et de définir les priorités. Le mode de fonctionnement demeure décentralisé mais la coordination est assurée par une équipe restreinte.
Les administrations impliquées alignent progressivement leurs modes de fonctionnement et d'organisation. Des formations communes ont déjà été mises en place, contribuant ainsi à une véritable « culture commune », indispensable en temps de crise.
L'enjeu des prochains mois est de se doter d'outils de contrôle de gestion communs afin de pouvoir visualiser à la fois les coûts et les performances de la fonction « garde-côtes ».
L'autre grand enjeu est celui de la mutualisation des matériels et de leur maintien en condition opérationnelle, indispensable dans le contexte budgétaire que nous connaissons.
Le défi des prochaines années est naturellement le partage de l'information avec nos partenaires européens. Or là, le chemin à parcourir reste encore long. La première difficulté tient aux différences d'organisation entre les pays européens. Si nous avons réussi, en France, à définir un interlocuteur unique en la personne du secrétaire général de la mer, cela est loin d'être le cas chez nos voisins – et beaucoup d'entre eux envient notre organisation ! Notre marine se retrouve ainsi souvent face à trois ou quatre interlocuteurs dans chacun des pays.
La deuxième difficulté vient de la multiplicité des acteurs au niveau européen où coexistent pas moins de trois agences dans le domaine maritime (Frontex, agence européenne de contrôle des pêches, agence européenne de sécurité maritime) et un grand nombre de directions générales. Faute de chef de file, la mise en place d'un espace commun de partage de l'information et ne sera pas disponible avant de nombreuses années.
Au terme de nos travaux, nous avons listé trois séries de propositions.
Nous voulons tout d'abord conforter l'autorité du secrétaire général de la mer. Les deux années qui viennent de s'écouler ont considérablement renforcé son poids dans la définition et la mise en oeuvre de notre politique maritime. Il convient de « muscler » encore sa fonction, en lui octroyant des moyens supplémentaires.
Nous nous sommes interrogés sur l'opportunité de créer un programme budgétaire spécialement dédié à l'action de l'État en mer afin de lui offrir un financement bien identifié et une visibilité renforcée. Nous avons abandonné cette idée car chaque administration a ses spécificités et il semble très difficile, notamment pour la marine, de faire la distinction entre ce qui relève de la sauvegarde maritime et ce qui relève des opérations militaires. Un programme unique serait donc trop contraignant.
En revanche, pourrait facilement être élaboré un document de politique transversale et se tenir, en commission ou en séance publique, un débat annuel sur notre politique maritime.
Notre deuxième série de propositions vise à encourager une meilleure prise en compte des enjeux de sécurité maritime dans notre doctrine stratégique et l'écriture du futur Livre blanc. Les questions liées à la sauvegarde maritime en sont aujourd'hui totalement absentes alors que, nous en sommes persuadés, ce sont des questions essentielles pour l'avenir de notre pays. Or comme vous le savez, du Livre blanc découle la loi de programmation militaire et les moyens qui sont affectés à nos forces dans les années qui suivent. Si ces enjeux ne sont pas clairement identifiés comme prioritaires dans le Livre blanc, la fonction « garde-côtes » n'aura jamais les moyens nécessaires à l'exercice de ses missions. C'est la difficulté à laquelle se heurte par exemple aujourd'hui la marine pour le renouvellement de sa flotte de patrouilleurs en outre-mer.
Enfin, dernière série de propositions, nous souhaitons que puisse émerger au niveau européen un coordinateur unique de la politique maritime. Il pourrait s'agir d'une autorité placée auprès du président de la commission, à l'image de notre secrétaire général de la mer placé auprès du Premier ministre. Seule une volonté politique forte pourrait l'imposer.
Pour conclure, on peut se réjouir que la France se soit dotée, avec la fonction « garde-côtes », d'un modèle d'organisation efficace. Nous sommes persuadés que la promotion de notre modèle auprès de nos partenaires européens serait à même de faciliter la mise en place d'une véritable politique maritime européenne.
Votre deuxième série de propositions me semble tout à fait pertinente.
Comment abordez-vous la question du déficit de moyens de secours dans le golfe de Gascogne ? La catastrophe du Costa Concordia a montré qu'il était indispensable de disposer de moyens conséquents pour pouvoir intervenir en cas d'incident sur un navire transportant des passagers. J'ai le sentiment que le risque est élevé mais que les moyens actuels ne sont pas à la hauteur sur toute la façade atlantique.
L'outre-mer concentre l'essentiel de la richesse maritime de notre pays. À ce titre, la chaîne opérationnelle est spécifique, les délégués du Gouvernement remplaçant les préfets maritimes. Ils s'appuient sur les COMSUP qui ont autorité sur les moyens militaires qui assurent l'essentiel des missions. J'ai le sentiment que les moyens dédiés aux forces de souveraineté sont hélas en baisse nette. Vous insistez sur les progrès interministériels, mais n'est-ce pas une façon de cacher la diminution des moyens des forces de souveraineté ? Plutôt que de développer les ressources civiles, ne faudrait-il pas renforcer nos moyens militaires et ainsi préserver la capacité de la marine à « entrer en premier » sur ce théâtre spécifique ?
Quel est l'état des partenariats avec nos principaux voisins, qu'il s'agisse du Royaume-Uni dans la Manche ou de l'Italie et de l'Espagne pour la Méditerranée ? Où en est le projet de coordinateur européen que vous avez évoqué ?
Au quotidien, comment répondons-nous à une urgence lorsqu'elle intervient à mi-chemin des côtes de deux pays ? Qui décide de l'intervention et avec quels moyens ?
La question de la sécurité en mer est effectivement centrale, notamment pour le golfe de Gascogne. Le secrétariat général de la mer travaille actuellement à un recensement des moyens disponibles sur toutes les façades pour identifier les insuffisances mais aussi les doublons. Le transport de passagers entre le Nord et le Sud de l'Europe se fait pour l'essentiel au large du golfe ; en cas d'incident il faudrait donc des moyens pour intervenir loin des côtes, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
En septembre dernier, s'est tenu le forum européen des garde-côtes, à Brest. Si les débats se sont focalisés sur les enjeux pour le Nord de l'Atlantique, ils ont permis d'engager une réflexion d'ensemble. Un important exercice de sauvetage, la simulation de l'évacuation totale d'un ferry dans la Manche, a été organisé à cette occasion. Le drame du Costa Concordia nous montre combien il est nécessaire d'anticiper et de se préparer à de telles catastrophes.
Sur la coopération, les préfets maritimes sont en relation étroite avec leurs homologues. En mer, les services travaillent ensemble sans aucune difficulté. Les acteurs ont l'habitude d'intervenir de conserve et se connaissent parfaitement. La coordination au niveau national, qui faisait défaut, est désormais assurée par le secrétariat général de la mer. En revanche, le chantier reste important au niveau européen. La priorité est la création d'un espace commun de partage de l'information, le CISE – Commun information sharing environment. Un éventuel partage des capacités ne pourra se faire que plus tard.
Le déficit capacitaire est aujourd'hui une réalité. Pour y faire face, nous proposons justement que cet enjeu soit identifié dans le Livre blanc. Si les moyens de la marine nationale ne sont pas renforcés, il sera difficile d'y faire face. J'ajoute que le remplacement des moyens de la marine consacrés à l'action de l'État en mer n'est pour le moment prévu qu'à partir de 2017 pour l'essentiel.
Les besoins sont très importants pour l'outre-mer où les moyens ont été significativement réduits. À la Réunion, toutes les autorités sont inquiètes : elles craignent un incident en mer mais soulignent également que la faiblesse des moyens maritimes les empêche d'intervenir efficacement en cas de problème à terre. Le dernier incendie a par exemple été difficile à circonscrire faute de moyens aériens suffisants ; l'île ne disposant que d'un seul hélicoptère. Si les moyens d'action en mer avaient été plus développés, il aurait été possible de les mobiliser sur cette action.
Le manque de moyens à la Réunion est d'autant plus marquant qu'ils sont très conséquents à Mayotte où la transversalité est une réalité quotidienne. Les douanes ou la gendarmerie y sont par exemple dotées de moyens maritimes importants. Les forces maritimes de la Réunion doivent de surcroît faire face à une grande diversité de menaces allant de la piraterie à la préservation des espaces antarctiques.
En métropole, j'ai le sentiment que nous disposons des moyens nécessaires, même si je ne connais pas précisément la situation dans le golfe de Gascogne.
Les plans d'action pour mutualiser les moyens avec nos partenaires européens restent limités faute d'une approche transversale. L'action communautaire contre l'immigration clandestine se développe par exemple en améliorant le repérage des bâtiments mais elle se fait sans lien avec les autres administrations amenées à intervenir en mer. La politique de préservation des ressources halieutiques ou la protection de l'environnement font également l'objet d'initiatives communes mais restent isolées et sans coordination avec les autres domaines de l'action maritime. Il faut promouvoir la logique transversale qui prévaut aujourd'hui en France.
J'aimerais revenir sur la situation particulière de Mayotte qui me semble être une « passoire » pour l'immigration clandestine. La pression migratoire y est très forte en raison de la proximité des Comores. On a parfois le sentiment que la France est démunie. Existe-t-il des solutions pour stopper le phénomène ?
Vu l'importance du sujet, je crois qu'il serait utile que l'action de l'État en mer fasse l'objet d'un rapport permanent de notre Commission.
La France a certainement réussi à créer une organisation administrative efficace avec une réelle cohérence opérationnelle. J'ai néanmoins le sentiment que cette logique se heurte encore à la réalité financière. En Vendée, on compte par exemple trois vedettes identiques amarrées côte à côte : une pour la gendarmerie, une pour les douanes et une pour les affaires maritimes. Ces navires seront-ils remplacés en même temps ou en fonction des crédits de chaque administration ? Y aura-t-il une décision commune de remplacement ou se fera-t-elle au cas par cas ? En cas de mutualisation de l'achat, qui décidera de l'affectation des bâtiments ?
L'exemple des hélicoptères nous incite à beaucoup de prudence. Lors de la tempête Xynthia, les hélicoptères de la presse étaient sur zone avant les hélicoptères de secours !
Il est certainement important de renforcer le rôle de coordination assuré par le secrétariat général de la mer, mais je pense également utile de désigner un ou deux chefs de file par mission pour éviter le morcellement des ressources.
Mayotte reste un cas particulier. L'État renvoie chaque année quelque 26 000 immigrants irréguliers vers les Comores, situées à une centaine de kilomètres, où le niveau de vie est bien inférieur. Je précise que cette opération coûte environ 200 euros pour chaque personne reconduite, ce qui grève le budget de l'État. Les moyens sont suffisants et les personnels font preuve d'un professionnalisme exemplaire. Le problème est donc politique : la France souhaite-t-elle continuer ces opérations à long terme ?
Le secrétariat général de la mer est en train de faire un état précis des moyens en métropole. Il fera ensuite des propositions au comité directeur et il appartiendra au Premier ministre de procéder aux arbitrages. Les enjeux financiers sont effectivement importants et j'espère que les moyens suivront, notamment pour le sauvetage en mer.
Pendant des siècles, les habitants des Comores ont eu l'habitude de passer d'une île à l'autre. Il est difficile de mettre un terme à cette tradition en raison du seul changement de statut de Mayotte. Tous les préfets font d'ailleurs le constat d'une certaine impuissance face à ce problème d'immigration clandestine.
Pour autant la situation est grave : des enfants sont exploités ou abandonnés dans un état de santé déplorable. Nous ne pouvons pas renoncer à intervenir même si cela ne résout pas le problème au fond.
À Mayotte, les moyens sont vraiment suffisants : le tribunal compte par exemple plus de magistrats qu'à Toulon ! Toutes les administrations sont mobilisées et collaborent parfaitement. J'ajoute que la création de la fonction « garde-côtes » a renforcé cette solidarité interministérielle.
J'ai appris que la première maternité de France par son volume d'activité était celle de Saint-Laurent-du-Maroni, ce qui est révélateur de l'ampleur des mouvements migratoires à l'oeuvre en Guyane, notamment en provenance du Suriname. Ces mouvements ne concernent pas seulement les orpailleurs, et ils ont un coût social important. Que fait l'État pour les maîtriser ? L'essentiel de nos moyens militaires en Guyane est concentré autour du centre spatial. Or la découverte récente de gisements pétrolifères au large des côtes guyanaises peut susciter des convoitises. Des mesures ont-elles été prises pour tenir compte de cette nouvelle donne ?
Par ailleurs, la France consacre d'importants moyens à la lutte contre la piraterie au large de la Somalie et, plus généralement, de la corne de l'Afrique, y compris en y engageant des commandos de marine. Ce service est-il remboursé à l'État par ceux qui en bénéficient ?
Les rapporteurs approuvent l'architecture administrative retenue pour l'organisation de l'action de l'État en mer. Mais en quoi la coordination de plusieurs services existants, dont l'action en mer n'est pas le coeur de métier, est-elle préférable à la création d'une structure spécifiquement dédiée à cette fonction ? Dans un contexte où les moyens alloués aux différentes administrations concernées pourront difficilement augmenter, voire devront décroître, qu'est-ce qui nous garantit que, dans le long terme, chacune ne se recentrera pas sur son coeur de métier au détriment de la sauvegarde maritime ?
Pour des raisons matérielles, nous n'avons pu nous déplacer partout, et notamment pas en Guyane. Il ressort toutefois de nos travaux un constat général : aujourd'hui, la coordination des services fonctionne bien, même s'il ne faut pas minimiser la complexité des missions qui leur sont assignées. Pour ce qui concerne la Guyane, la difficulté tient notamment au fait que notre frontière avec le Brésil s'étend sur trois mille quatre cents kilomètres.
S'agissant de la lutte contre la piraterie, elle n'entrait pas directement dans le champ de nos travaux. Elle a d'ailleurs fait l'objet d'un excellent rapport d'information de notre collègue Christian Ménard, publié en 2009 à l'initiative de notre Commission. La principale opération de lutte contre la piraterie à laquelle nos forces participent actuellement, l'opération Atalante, est d'ailleurs menée dans un cadre européen.
Quant aux services actuels, ils ont au moins le mérite d'exister ! Leur savoir-faire est réel, et l'action de l'État en mer fait partie de leur coeur de métier. Tel est notamment le cas de la direction générale des douanes, dont l'implication est remarquable : les agents ont vécu comme une chance l'assignation de ces nouvelles missions, qui a participé de l'évolution de leur métier à la suite de l'effacement des frontières intra-européennes.
La valeur ajoutée de la fonction « garde-côtes » tient à la conjugaison de différents savoir-faire, ce qui ne serait pas possible si l'on avait pris le parti de créer un corps de garde-côtes spécifique, comme aux États-Unis. Notez d'ailleurs que les garde-côtes américains ont été mis en place par le secrétariat du Trésor, et que leur champ de compétences est plus retreint.
Le bilan deux ans après la réforme fait ressortir notamment la nécessité d'adapter les moyens alloués aux objectifs de notre politique maritime, et d'avancer dans la mise en oeuvre d'actions à l'échelle européenne.
La coordination des différents services impliqués dans l'action de l'État en mer ne se heurte-t-elle pas à des difficultés d'ordre juridique ? Les militaires n'ont pas les mêmes droits que la police ou que les douanes.
Le cas de la Nouvelle-Calédonie mérite un examen particulier : hormis la Nouvelle-Zélande et l'Australie, les États voisins disposent de peu de moyens d'intervention civils, et les questions de sauvegarde en mer n'ont pas fait l'objet de beaucoup d'accords internationaux dans cette région pourtant extrêmement fragile. Les moyens de nos services des douanes y sont eux aussi limités. En conséquence, nos marins sont de plus en plus sollicités pour répondre à des besoins d'interventions à caractère civil, notamment en matière d'identification des risques, ce qui fait perdre du sens à leur engagement militaire et crée chez eux une certaine inquiétude. Les rapporteurs pourraient appeler l'attention du secrétaire général de la mer sur ces difficultés, en lui suggérant par exemple de se rendre sur place et de mettre en oeuvre toute action utile pour redonner du sens à l'engagement de ces personnels.
S'il est exact que les différentes catégories d'agents impliqués dans l'action de l'État en mer n'ont pas tous les mêmes compétences juridiques, il suffit généralement qu'un officier de police judiciaire soit embarqué à bord d'un bâtiment pour que toute difficulté soit levée. Par exemple, dans le cadre d'opérations visant à lutter contre le trafic de drogue, les équipes embarquées rassemblent des douaniers et des officiers de police judiciaire. Cela est cohérent avec la logique de mutualisation des moyens qui soutient la réforme ; les autorités maritimes chargées de l'organisation de telles missions sont d'ailleurs compétentes pour fixer la composition de l'équipage embarqué.
S'agissant de la zone Pacifique, l'accord FRANZ (France – Australie - Nouvelle-Zélande) de 1992 et les différents accords sur les pêches constituent un cadre juridique pour l'organisation de l'action de l'État en mer. Certes, la France dispose de moins de moyens dans la région que l'Australie ou la Nouvelle-Zélande, mais elle n'en a pas moins un rôle important dans l'organisation régionale.
Il faut cependant reconnaître que si le fait de posséder la deuxième zone économique exclusive du monde, avec onze millions de kilomètres carrés, constitue une chance pour la France, 97 % de cette superficie est située outre-mer. Sa surveillance suppose donc des moyens adaptés. Il n'en va pas seulement de l'efficacité de l'action de l'État en mer, mais aussi de la présence de la France et de son rayonnement dans ces territoires. L'existence de gisements de pétrole au large de la Guyane, comme la présence de métaux rares au large des Iles Éparses de l'océan Indien, exige une surveillance vigilante. Or, la surveillance de l'île d'Europa, dans le canal du Mozambique – l'une des zones les plus dangereuses du monde –, est aujourd'hui assurée par un seul gendarme ! Il y a un consensus sur la nécessité d'adapter les moyens consacrés à la surveillance de notre domaine maritime aux enjeux qui s'y attachent, même si ce n'est pas facile dans le contexte budgétaire contraint que nous connaissons.
Vous avez évoqué l'idée de consacrer à l'action de l'État en mer un programme budgétaire unique, alors qu'aujourd'hui, les crédits qui y sont consacrés sont ventilés dans différents programmes. Quel serait l'intérêt d'un tel changement ?
Aujourd'hui, un peu plus de 140 millions d'euros sont consacrés à l'action de l'État en mer. La marine assure près de 80 % de ce financement. La mission commune pourrait conduire à la création d'un programme budgétaire unique, mais une telle situation figerait les contributions des uns et des autres, alors qu'elles peuvent varier d'une année à l'autre.
Il nous semble en revanche indispensable que le Gouvernement élabore un document de politique transversale. Cela permettrait aux Parlement d'avoir une vision globale de cette politique et d'assurer un suivi efficace. La Commission pourrait par ailleurs étendre le périmètre de notre mission d'évaluation et de contrôle sur les crédits de la mission « Défense » pour vérifier la bonne allocation et le bon emploi des crédits alloués à cette action.
Comment fonctionnent la mutualisation et la coordination des moyens ? Le Préfet maritime agit-il par réquisition ?
Le rôle du préfet maritime a été réformé en 2004. Il est à la tête d'une zone militaire et y exerce également une autorité administrative « classique » sur les services de l'État. Lorsqu'une opération doit être conduite, c'est lui qui coordonne les moyens et décide de l'engagement de telle ou telle administration.
Les moyens utilisés sont toujours séparés mais leur action est coordonnée par le préfet maritime.
L'enjeu porte surtout sur le remplacement de matériels appartenant à une administration mais prématurément usés par l'accomplissement de missions communes.
C'est pourquoi il est indispensable que le secrétariat général de la mer mène à son terme l'élaboration d'un schéma directeur qui définisse un format global pour l'ensemble de la fonction « garde-côtes. »
La Commission autorise, en application de l'article 145 du Règlement, le dépôt du rapport de la mission d'information en vue de sa publication.
La séance est levée à dix-huit heures cinquante.