Commission d'enquête relative aux modalités, au financement et à l'impact sur l'environnement du projet de rénovation du réseau express régional d'Île-de-France
L'audition commence à dix heures trente.
La Commission d'enquête entend M. Daniel Canepa, préfet de la région Île-de-France.
Monsieur Canepa, vous exercez, en qualité de préfet de la région Île-de-France, des responsabilités importantes. L'aménagement du territoire et la planification régionale relèvent de votre compétence. La question des transports ne peut donc vous être étrangère, et cela d'autant moins qu'avec le lancement officiel du réseau de transports du Grand Paris – le Grand Paris Express, dans sa nouvelle dénomination –, le Schéma directeur de la région Île-de-France (SDRIF) doit désormais être révisé.
Notre commission d'enquête s'intéresse à la place dévolue à un RER qui doit être remis à niveau et, le cas échéant, étendu – ou, plus exactement, mieux adapté dans sa configuration.
Nous souhaiterions également connaître l'orientation générale des volets « transports » des quelque 18 contrats de développement territorial (CDT) sur le point d'être conclus ou déjà conclus.
Comment se concilie le maillage du réseau Grand Paris avec celui du réseau existant, en premier lieu avec le RER, qui a dans tous les cas vocation à constituer un élément essentiel du réseau de transports définitif ? Sur ce point précis, bon nombre de nos interlocuteurs s'interrogent, certains considérant même que la Société du Grand Paris (SGP) qui dispose d'une garantie de protection de ses recettes, devrait être mise à contribution dès 2013 pour participer au financement d'opérations visant à « désaturer » le RER A – ce qu'a d'ailleurs souligné, au cours de son audition, le président de la région, qui n'est certainement pas seul à penser ainsi !
La saturation du RER sur certaines parties de lignes conduit notamment la SNCF à s'interroger, comme en témoignent des articles de presse, sur l'installation de nouvelles activités dans certaines communes et sur la densification le long des lignes de RER. Avez-vous eu à connaître de telles situations au motif de l'insuffisance des capacités de transport ? Il existe en effet en Île-de-France une procédure d'agrément administratif conditionnant l'obtention d'un permis de construire pour des installations ou des extensions d'activités, notamment des bureaux. À votre connaissance, des refus d'agrément principalement ou partiellement fondés sur un défaut de desserte par les transports en commun se sont-ils déjà produits ? Si tel était le cas, le RER, initialement conçu comme un facteur d'équité territoriale, deviendrait un frein au développement de certaines zones, ce qui serait difficilement admissible.
Dans un récent entretien au Journal du Dimanche, vous avez exprimé votre confiance dans le schéma du Grand Paris, qui, selon votre expression, « avance ». Nous prenons acte de cette affirmation, tout en souhaitant que le Grand Paris n'élude pas certains problèmes cruciaux qui exigent aujourd'hui des réponses et des financements plus immédiats à court et à moyen termes.
Avant de vous donner la parole, je vous demande, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
M. Daniel Canepa prête serment.
L'une de mes missions premières est de veiller au développement de la région capitale, qui représente le sixième de la population nationale et le tiers du produit intérieur brut de notre pays – de telle sorte que l'avenir de la région d'Île-de-France et celui de notre nation tout entière sont intimement liés. C'est à partir de ce constat qu'a été conçu le projet du Grand Paris, qui vise principalement à rendre à notre région les moyens d'être compétitive dans le cadre de la concurrence mondiale entre métropoles de premier rang et de tirer vers l'avant avec elle la France entière. Cette approche s'inscrit quelque peu en rupture avec la conception précédente de l'aménagement du territoire, consistant à freiner le développement de la région Île-de-France pour permettre aux autres régions françaises de se développer. Le problème ne se pose plus aujourd'hui dans les mêmes termes, car les autres régions ont désormais montré leur capacité de développement et l'on s'est rendu compte que freiner l'Île-de-France avait, en revanche, pour effet de faire reculer le Grand Paris dans le classement mondial des grandes métropoles.
La question des transports est centrale pour la réalisation de cet objectif. Elle recouvre celle, primordiale, de l'amélioration du fonctionnement du réseau express régional, le RER, qui structure le fonctionnement de la métropole, son marché de l'emploi donc détermine son attractivité.
Ce réseau est aujourd'hui saturé. Il est victime d'un effet de ciseaux produit par l'augmentation de la fréquentation et le vieillissement des infrastructures qui n'ont pas été rénovées à temps, faute d'investissements au cours des vingt à vingt-cinq dernières années. Ce constat est partagé par tous, ainsi que la volonté de mobiliser des moyens exceptionnels pour y remédier – le Président de la République s'est d'ailleurs exprimé sur ce point dans son discours du 5 décembre dernier.
Pour y parvenir, les leviers directs à actionner sont connus. Il s'agit d'abord de rénover les infrastructures existantes et d'accroître les capacités du réseau, en particulier dans les goulets d'étranglement tels que le tunnel entre Châtelet et Gare du Nord ou encore Brétigny. Il s'agit aussi de repenser les dessertes en mettant en place un système dans lesquels les trains omnibus à haute fréquence en zone dense sont complétés par des trains rapides. Enfin, il convient d'améliorer les conditions d'exploitation – je rappelle à cet égard les efforts déployés pour obtenir une meilleure synergie entre la RATP et la SNCF – et installer de nouveaux moyens informatiques.
Les choix à opérer dans ces différents domaines relèvent plutôt de l'autorité organisatrice, et ils vous ont sans doute été largement présentés lors des auditions auxquelles vous avez déjà procédé.
Une fois ces choix arbitrés et au-delà des contraintes techniques, l'un des principaux facteurs « limitants » est la quantité des financements mobilisables. L'accord conclu entre l'État et la région le 26 janvier 2011 a constitué une avancée très importante, car cette convention a permis d'arrêter une stratégie d'investissement axée sur deux volets qui se veulent complémentaires : l'amélioration à court et moyen terme des transports franciliens au moyen du plan de mobilisation et la réalisation à plus long terme d'un nouveau métro automatique de grande capacité, prévu par le dispositif de la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris. Il s'agit là d'une rupture par rapport à la logique qui prévalait précédemment, car ce plan vise à assurer une desserte « point à point » de cette grande métropole sans passer par le centre – Paris intra muros – et à éviter ainsi les bouchons que nous constatons aujourd'hui.
L'accord du 26 janvier 2011 prévoit que plus de 10,9 milliards d'euros d'investissements d'ici à 2020 seront consacrés aux transports collectifs, dont 4,7 milliards d'euros, soit près de la moitié, dédiés à l'amélioration du RER. À ce titre, les schémas directeurs du RER D et du RER C représentent un investissement de 500 millions d'euros, la réalisation du schéma directeur du RER B Nord + atteint 220 millions d'euros et le prolongement d'Éole à l'Ouest 2,5 milliards d'euros – ce dernier budget étant actuellement en cours de discussion, car la facture dépasse désormais 3 milliards d'euros, du fait de demandes qui me semblent du reste justifiées.
On voit bien que la priorité a été logiquement donnée au RER. Cet engagement s'est concrétisé par la signature entre l'État et la région, le 26 septembre 2011, d'une convention spécifique « transports » qui porte, sur la période 2010-2013, les engagements de l'État et de la région en faveur des transports collectifs franciliens à plus de 2,745 milliards d'euros, dont 1,084 milliard pour l'État, ce qui représente un effort exceptionnel dans les circonstances budgétaires actuelles. C'est également une démarche originale car, du fait de la répartition des compétences entre la région et l'État définie en 2004, l'État n'a pas nécessairement à intervenir financièrement dans ce domaine.
Pour ce qui concerne le RER, la convention prévoit notamment des opérations d'urgence permettant d'engager sans attendre le schéma directeur du RER C et de réaliser les premiers travaux de réaménagement du pôle de Juvisy, point nodal de l'amélioration du système de fonctionnement du RER C, ainsi que les études de poursuite du schéma directeur et des premiers travaux sur le RER D, et d'engager tant les études que le lancement de travaux du RER E à l'Ouest, dans la section Nanterre–Mantes-la-Jolie.
Au-delà de l'accord sur le programme, il nous appartient d'être vigilants quant à la mise en oeuvre dans les délais des programmes contractualisés. Un dispositif de suivi adapté, associant les opérateurs, l'État et la région, a été mis en place en ce sens, le 2 décembre dernier. Nous veillerons ensemble à ce que les crédits annoncés soient mobilisés efficacement et rapidement. Les efforts se prolongeront ensuite lors de la négociation du prochain plan État-région, qui sera conduite dans le respect de l'accord du 26 janvier 2011.
Le deuxième point que j'aborderai est le projet de transport automatique du Grand Paris Express, sur lequel l'État et la région se sont engagés et qui représente 20,5 milliards d'euros d'investissement. Il s'agit d'une perspective plus lointaine pour des usagers qui subissent aujourd'hui les dysfonctionnements du réseau, mais les premiers tronçons, qui seront mis en service dans moins de dix ans, seront de nature à améliorer la situation et ce délai, bien qu'il paraisse long, est comparable à celui de la réalisation d'autres infrastructures lourdes, notamment pour l'amélioration du RER.
Dix-neuf des cinquante-sept gares du futur réseau du Grand Paris seront en interconnexion avec le RER. Le nouveau réseau, structuré en rocade, modifiera profondément les habitudes de transport des Franciliens en facilitant les déplacements de banlieue à banlieue, qui représentent aujourd'hui plus du tiers des déplacements quotidiens. Les modèles de trafic présentés lors du débat public sur ce grand projet montrent que le réseau du Grand Paris déchargera significativement les lignes du RER – de l'ordre de 10 % aux heures de pointe et, pour les tronçons centraux, les plus saturés, de 20 % pour les RER A et B, de 15 % pour les RER C et D et de plus de 20 % pour le RER E.
Le réseau du Grand Paris permettra donc d'absorber une grande partie de la hausse du trafic projetée d'ici à 2025. Nous aurons ainsi apporté une réponse importante à au problème de saturation du RER.
Le troisième point que j'aborderai est l'aménagement de la région parisienne en vue d'équilibrer habitat et activités. Face aux contraintes budgétaires et techniques d'intervention sur le réseau et aux contraintes physiques inhérentes au milieu urbain, il est clair que la réponse à la hausse continue de la demande de transports ne pourra se limiter à multiplier toujours plus les infrastructures et le nombre de trains. La saturation des RER doit conduire à s'interroger plus largement sur la façon dont nous nous déplaçons. Dans le respect des compétences de l'autorité responsable des transports, il faudra réfléchir à la manière de favoriser un étalement dans le temps de la pointe matinale.
Au-delà de l'organisation de l'utilisation du réseau, se pose la question de l'aménagement du territoire francilien, qui exige de concilier deux objectifs moins antagonistes qu'ils ne semblent l'être : développer des pôles d'activités polarisées – ou clusters – assez importants et lisibles pour exercer un rayonnement international et rapprocher davantage les logements des emplois, en développant un tissu urbain mixte et accessible. Ces deux logiques doivent être conciliées dans une démarche contractuelle, que j'avais suggéré d'ajouter au schéma que proposait le secrétaire d'État de l'époque et qui consistait à relier des clusters par un métro automatique rapide. Ces contrats sont menés en liaison avec les collectivités, afin d'en faciliter l'appropriation par les parties prenantes. Je veille à ce que le développement économique s'accompagne systématiquement de la production de logements, en privilégiant la densification – certains parlent de « compacité » – et à ce que celle-ci se fasse autour des futurs noeuds de transport du Grand Paris.
Un deuxième outil dont nous disposons consiste à veiller à l'équilibre entre l'habitat et les activités par le biais de la délivrance de l'agrément auquel est soumise toute opération de construction de locaux d'activités de grande ampleur. Une étude de circulation comportant une évaluation du trafic engendré par la construction est alors exigée et l'agrément n'est délivré qu'à la condition que des projets de logements équivalents soient également programmés dans la commune. Le rééquilibrage territorial entre les activités et les logements est un souci constant et s'appliquera nécessairement au futur Schéma directeur de la région (SDRIF) , actuellement en révision.
La résolution pérenne des difficultés du RER ne peut passer que par les trois leviers mis en place simultanément : l'amélioration du réseau existant tant en matière d'infrastructures que d'exploitation ; la création d'une nouvelle rocade de métro automatique à grande capacité ; le rééquilibrage du tissu urbain par des projets de développement mixte associant étroitement les logements et les activités.
Merci, monsieur le préfet, pour cet exposé liminaire qui, à partir d'un constat partagé sur l'état de dégradation du réseau régional, dessine avec pertinence le cadre de la compétition des grandes régions du monde. C'est d'ailleurs dans ce cadre que s'inscrit ce problème. Il met en évidence la nécessité de parvenir à des concepts globaux d'aménagement du territoire en espaces cohérents.
D'abord, les contrats de développement territorial (CDT) que vous évoquiez sont-ils l'addition d'initiatives particulières – même si elles s'inscrivent dans un cadre général –, ou procèdent-ils d'une vision stratégique de l'aménagement du territoire ?
En deuxième lieu, ces CDT sont-ils une addition de délocalisations d'activités économiques destinées à faciliter le rapprochement entre les logements et les bassins d'emploi ou correspondront-ils à des créations d'activités économiques ?
En troisième lieu, dans le contexte actuel de tension sur le marché immobilier, pourriez-vous préciser les propos que vous avez tenus lors de l'entretien donné au Journal du Dimanche ? Les maires « non bâtisseurs » sont-ils inclus dans le périmètre des CDT ? La participation que vous évoquez est-elle une forme de mutualisation ?
Pour ce qui est, en quatrième lieu, du réseau de transports publics, les coûts de fonctionnement ont-ils été intégrés dans la stratégie de mise en oeuvre – et donc dans les enveloppes budgétaires – de la modernisation du réseau existant et du projet du Grand Paris ?
Enfin, face à la congestion complète du réseau de transports régional – sur laquelle tout a déjà été dit – les transporteurs ont-ils déjà procédé à une étude de circulation « origine-destination » qui offrirait une vision cohérente des besoins et permettrait de procéder aux choix techniques les plus pertinents pour améliorer le quotidien de nos concitoyens ?
Au lieu d'un découpage qui nuit à l'efficacité, le recours à un gestionnaire unique pour les lignes A et B du RER ne permettrait-il pas de les « désaturer » plus facilement ?
Par ailleurs, ne sommes-nous pas parvenus aux limites de l'interconnexion, mise en oeuvre dans les années 1970 pour permettre de venir travailler à Paris, où les emplois étaient cantonnés ? L'« effet papillon » que représente l'extension toujours croissante d'un réseau aux branches multiples n'est-il pas destructeur et, au lieu de lignes de plus de 100 kilomètres de long, ne faudrait-il pas plutôt ramener les voyageurs sur les radiales de la Grande couronne vers Paris, avec une ambition limitée, sachant, qu'à terme, le Grand Paris permettra les échanges entre les deux réseaux ? Cette démarche permettrait notamment de faire l'économie du tunnel sous le Châtelet, dont le coût, estimé entre 2 et 4 milliards d'euros, n'est pas financé.
En troisième lieu, êtes-vous favorables à la création d'autorités organisatrices de transport (AOT) de second rang, qui pourraient émerger au moins autour des aéroports internationaux d'Orly et de Roissy ? De fait, le rabattement n'est pas bien organisé dans la Grande couronne et les logiques de territoires coupent assez souvent les financements. Ainsi, le village de Roissy étant situé dans le Val-d'Oise et Tremblay, commune mitoyenne, en Seine-Saint-Denis, les financeurs sont différents et les bus desservant les habitants d'un même territoire sont mal connectés.
En quatrième lieu, quelle est votre position sur les projets d'alternative au CDG Express ? Où en est par ailleurs cette connexion indispensable à la métropole francilienne ?
En cinquième lieu, est-il vraiment prioritaire de commencer la connexion du Grand Paris Express – idée extraordinaire au demeurant – par le Sud, où existe déjà le tramway parisien des Maréchaux ? La priorité d'une « ville-monde » qui affiche ses ambitions n'est-elle pas de connecter ses entrées – les aéroports – à la capitale ? Ne faudrait-il pas avant tout connecter Orly et Roissy au coeur des pôles économiques ?
Enfin, est-il possible de gagner le pari consistant à résoudre le problème de saturation dû en grande partie au sous-investissement des vingt à trente dernières années ? La croissance prévue en termes de besoins de déplacements, qui pourrait être de 30 % à 50 %, ne viendra-t-elle pas en effet réduire à néant les gains de 15 % réalisés en matière de « désaturation » ? Ne serons-nous pas à nouveau en retard d'un train ?
On peut donc s'interroger sur la vision stratégique du réseau global et sur les fonds qui lui seront consacrés. L'argent étant rare, ne faut-il pas nous donner des priorités, notamment la connexion des aéroports ? En outre, alors que l'Île-de-France attire les habitants du Sud de l'Oise et de la Picardie et que la région d'Île-de-France finance la liaison entre Roissy et la Picardie, les TER venus de Picardie ne s'arrêtent pas pour autant en Île-de-France.
La loi prévoit qu'un dialogue doit avoir lieu dans le cadre de l'établissement des schémas propres au bassin parisien. Un dialogue sur les transports et les déplacements a-t-il eu lieu entre les préfets des régions riveraines s'agissant du fonctionnement des TER des régions limitrophes, notamment de la Normandie et de la Picardie ?
Les aspects positifs de la mise en oeuvre du Grand Paris sont indéniables. Il s'agit toutefois de perspectives à moyen terme. Alors que des moyens financiers considérables ont été mis en oeuvre pour le tramway qui entoure Paris, la Cour des Comptes a observé que le gain par rapport à la ligne d'autobus PC n'était que de 5 kilomètres à l'heure. Ces moyens – deux fois 700 millions d'euros – auraient sans doute pu être dirigés davantage vers la modernisation nécessaire du RER.
Le triptyque « logement-travail-transport » est assurément important, mais les outils disponibles dans le Grand Paris, comme la récupération sur plus-value des aménagements pour permettre le financement des modes de transport et des gares autour du Grand Paris, sont-ils suffisants? Alors qu'un financement instantané sera nécessaire, le mode de récupération en décalé posera en effet quelques problèmes.
Par ailleurs, les foires et salons organisés notamment à la porte de Versailles et à Villepinte, qui attirent un public venu parfois de très loin, ne sont pas toujours très bien desservis. Or il importe de conserver à Paris ces salons et toutes les activités qu'ils engendrent, notamment dans l'hôtellerie. Les équipements de notre région capitale sont-ils à la hauteur de ceux que proposent d'autres métropoles concurrentes. ?
L'évolution des coûts que vous avez évoquée pour le projet Éole est un phénomène assez général, comme nous avons pu par exemple le constater, au fil des auditions auxquelles nous avons procédé, avec le budget du tunnel entre Châtelet et Gare du Nord. Les services déconcentrés de l'État ont-ils les moyens de mieux maîtriser les surcoûts de ces projets ? De fait, dans un contexte budgétaire contraint, le doublement du coût d'un projet en modifie évidemment l'utilité sociale.
Pour ce qui est du réseau du Grand Paris Express, l'aménagement prévu par les CDT porte sur le périmètre des gares : si large que puisse être ce périmètre, il ne s'agit pas d'une logique d'aménagement global de l'Île-de-France. En effet, même si vous êtes, en tant que signataire, garant de cette logique, chaque élu local, également cosignataire, se situe quant à lui avant tout – et bien légitimement du reste – dans une perspective d'aménagement de son propre territoire. Comment faire prévaloir la vision partagée d'un aménagement harmonieux et robuste de l'Île-de-France, visant à rapprocher le domicile du travail et à éviter aux Franciliens de « courir après le train » ?
Quant aux gares, qui peuvent avoir des physionomies très différentes – d'un simple tourniquet flanqué d'un distributeur de tickets à des gares de xxie siècle équipées de divers services –, elles ont fait l'objet de discussions approfondies au cours des débats la loi, mais elles n'entrent pas dans le cadre du financement prévu du réseau de transports. C'est là une question qui devra être posée.
En troisième lieu, le Charles-de-Gaulle Express, réactivé depuis la fin de l'année 2011 dans une configuration différente de celle qui avait été précédemment envisagée et qui doit relier Roissy à la Gare de l'Est, n'entrerait-il pas en concurrence avec la partie Nord de la ligne rouge du réseau du Grand Paris, qui assure une liaison entre l'aéroport Charles-de-Gaulle et La Défense ? La question se poserait a fortiori s'il était envisagé d'interconnecter ensuite la Gare de l'Est à Éole pour rejoindre La Défense, car les deux dessertes rejoindraient les deux mêmes points de départ et d'arrivée : Roissy et La Défense. Ce projet vous semble-t-il envisageable ?
Bien que la décentralisation du STIF se traduise par une moindre présence de l'État dans l'organisation des transports en Île-de-France, ma dernière série d'interrogations porte sur les relations entre la SNCF et Réseau ferré de France (RFF), qui occupent une grande place dans les travaux de notre commission. L'organisation interne de ces deux établissements qui relèvent largement de la puissance publique, ne nécessiterait-elle pas des améliorations en termes, par exemple, de maîtrise d'ouvrage conjointe, avec des lieux de décision mieux identifiés et sur lesquels l'État pourrait être plus présent ?
Peut-être faudrait-il également revoir, s'agissant tant des infrastructures que du réseau, la répartition des tâches et les relations aussi bien entre RFF et la SNCF qu'entre la RATP et la SNCF ou entre la RATP et RFF. À ce sujet, notre commission parle tantôt d'exploitation complexe, tantôt de désorganisation. Comment l'État pourrait-il intervenir pour que ces deux opérateurs et le gestionnaire des infrastructures aient des relations, sinon de transparence, du moins de compréhension vis-à-vis des usagers moyens des transports franciliens – parmi lesquels figurent aussi parfois les députés ?
Pour ce qui est tout d'abord du nombre de contrats de développement territorial, il est actuellement de 18 ou 19. Dix-huit, car certaines collectivités se sont volontairement mobilisées autour de Sénart pour mettre en place un tel contrat, rendu possible hors du cadre du Grand Paris Express par l'importance du projet d'investissement envisagé – en l'espèce une gare TGV –, comme c'est du reste le cas pour le projet de gare Confluence, équipement important potentiellement porté par l'État, le port autonome de Paris et le port d'Achères. Ces approches débordent du cadre strict des rocades du Grand Paris Express et accompagnent de grands projets fondateurs pour la métropole. Un dix-neuvième CDT verra peut-être le jour, car Issy-les-Moulineaux en a exprimé le souhait – mais il faut d'abord pour cela que cette commune s'entende avec d'autres.
Plusieurs protocoles fixant les orientations générales sur lesquelles s'engagent les collectivités locales et l'État ont déjà été signés. Nous en signerons d'autres dans les prochaines semaines. Le projet du Grand Paris est en marche, il avance et il est irréversible.
Les CDT revêtent nécessairement trois dimensions. La première est une vision de ce que le développement du territoire concerné apporte, au-delà de sa stratégie propre, au développement économique global de la métropole. La deuxième est celle des réponses que le contrat apporte aux besoins en matière de logement à l'échelle de la métropole. La troisième est, au-delà de l'apport du Grand Paris Express, sa contribution à l'amélioration de la mobilité.
L'identification d'une stratégie économique visible à la fois pour le territoire et à l'extérieur de celui-ci ne vise nullement à induire une mono-activité, mais à assurer une visibilité à une thématique économique particulière, en cohérence avec les autres. Cette démarche s'appuie sur les réflexions menées à propos des clusters, sur les pôles de compétitivité et sur les différentes politiques menées : il s'agit donc de mettre en cohérence à l'échelle territoriale, un ensemble de politiques publiques qui auront du fait de leur force un effet de développement sur ces territoires et au profit de toute la métropole.
La dimension « logement » est fondée sur une analyse menée précédemment par l'ensemble des acteurs de la région d'Île-de-France et visant à réaliser 60 000 logements dans cette région. En 2011 la loi ayant porté à 70 000 le nombre de logements à construire, il était logique que les 10 000 logements supplémentaires soient situés en priorité sur les territoires relevant des contrats de développement territorial (CDT). Cette méthode nous a permis d'élaborer un outil de territorialisation des objectifs de logements en définissant des points de repère assurant la cohérence des CDT conclus par l'État avec l'objectif défini par le législateur. Il s'agit donc bien de faire plus de logements en vue de renforcer le développement économique.
Quant à la mobilité, elle suppose de mener, au-delà du principe d'un métro rapide qui irrigue ces territoires, un complément de réflexion sur le « transport secondaire » – le transport de rabattement sur les gares principales – et la bonne irrigation des quartiers, afin d'éviter que, comme l'évoquait tout à l'heure M. Paternotte, des quartiers puissent se trouver totalement isolés et connaître des taux de chômage très élevés à proximité de zones de forte activité ménageant des possibilités d'emplois. Cette vision complémentaire du réseau principal doit donc être intégrée dans le troisième volet du CDT afin de mieux assurer l'adéquation entre les emplois, les logements et les activités.
L'AOT de second rang est, dans certains cas, une bonne réponse pour une meilleure adaptation et une meilleure vision locale du transport – du moins sous réserve qu'aucun déficit d'exploitation ne soit reporté sur « la maison mère ». C'est la raison pour laquelle j'ai encouragé l'adoption d'une telle AOT pour Saclay, où elle se justifiait. Il serait également justifié que le grand Roissy fasse aussi l'objet d'études en ce sens.
Pour ce qui est des gares, nous avons lancé une réflexion visant à associer tous les partenaires intéressés afin d'identifier des lieux emblématiques qui pourraient être autant d'éléments de visibilité forte. De même que Paris intra-muros s'est illustrée jadis avec des gares symboliques d'un point de vue tant historique qu'architectural, une réflexion s'impose aujourd'hui en vue de construire les gares du xxie siècle, qui doivent à la fois être des lieux de visibilité, appuyés sur des études d'architectes et d'urbanistes, et des lieux de multifonctionnalité où se combineraient mobilité, commerces, culture et prestations de services. Il ne faut pas exclure que l'élaboration de ces gares nouvelles, associant des activités très différentes, fasse appel à de nouveaux modes de financement, et des partenariats public privé pourraient ainsi être conclus pour certaines gares à caractère symbolique – soit, sur les 57 gares prévues, la dizaine de celles qui représentent des noeuds importants. L'on ne peut que se réjouir de constater que le thème a suscité un grand intérêt : la SGP a engagé des études et mis en place des comités de pilotage, tandis que la SNCF s'est renforcée en interne pour mener cette réflexion.
Les CDT sont cependant loin de se limiter au périmètre des gares, qui a été visé par le législateur comme permettant de mettre en oeuvre cet outil particulier qu'est la Société du Grand Paris (SGP), destinée à être acteur sur ces territoires, mais cela n'exclut en rien l'ensemble du territoire concerné. C'est d'ailleurs le cas des CDT sur lesquels nous travaillons.
Le défunt CDG-Express, projet porté naguère par une entreprise privée, n'a pas abouti, mais les ministres ont relancé la réflexion et m'ont confié le soin de la mettre en oeuvre, ce qui sera chose faite pour le 21 février. Il nous est apparu que cette ligne devait relier l'aéroport Charles de Gaulle à Paris et les grands opérateurs ont désormais accepté les conditions techniques de cette liaison, qui arrivera à la Gare de l'Est, verra son tracé faire une « virgule » et se verra doter de voies supplémentaires pour ne pas encombrer cette aérogare. Nous avons également bien avancé sur les éléments financiers. Restent donc à voir les éléments juridico-financiers.
Il me semble, et cet avis est partagé par tous les acteurs qui étudient ce dossier, qu'il n'y a pas de concurrence entre les deux lignes. De fait, le Charles-de-Gaulle Express, qui reliera l'aéroport Charles-de-Gaulle et Paris intra-muros sans arrêt et pour un prix supérieur à 20 euros, c'est-à-dire plus cher que le trajet en RER, s'adressera à une clientèle d'affaires ou de tourisme. Il n'existe du reste pas de liaisons directes entre la Gare de l'Est et La Défense et les voyageurs qui emprunteront le Charles-de-Gaulle Express le feront essentiellement pour se rendre le plus rapidement possible dans le centre de Paris avec un confort équivalent à celui que proposent les lignes reliant les grands aéroports internationaux aux capitales qu'ils desservent. Je me suis d'ailleurs toujours employé à expliquer aux différents ministres compétents qu'il n'y avait pas de concurrence entre ce que l'on appelle aujourd'hui Grand Paris Express et ce qu'était alors le CDG Express. C'est la raison pour laquelle j'ai pris la responsabilité de prononcer une déclaration d'utilité publique (DUP), qui a certes fait l'objet d'attaques, mais a finalement été validée par le Conseil d'État.
La question relative aux relations entre les préfets de région appelle une réponse nuancée. Des relations de parfaite collaboration sont établies avec les préfets de région de Normandie, car la logique du Grand Paris associe les deux Normandie et fait écho à une future ligne à grande vitesse. Je travaille par ailleurs avec mon collègue de Champagne Ardenne sur certaines liaisons, notamment sur le problème de l'électrification de la ligne Paris-Troyes – ou Paris-Bâle. Les liens sont cependant moins continus avec la Picardie, alors que le Grand Roissy comporte une forte dimension picarde ; cette question aura, je l'espère, un regain d'actualité avec la mise en place, le 14 février, d'une gouvernance du Grand Roissy.
Je plaide pour un peu d'indulgence quant à l'augmentation des coûts car tous les grands investissements, notamment publics, connaissent toujours un coefficient de majoration entre le point de départ et le point d'arrivée – je ne connais pas d'exemple du contraire.
Pour tenter de contenir ces coûts, trois éléments sont nécessaires. Il faut en premier lieu du courage : celui de résister aux différents appétits qui se manifestent. De fait, si on joue le jeu, les débats publics et les échanges qui constituent la démocratie locale se traduisent généralement plutôt par des augmentations que par des diminutions des coûts. C'est le cas d'Éole, pour lequel a été demandée une gare supplémentaire, parfaitement justifiée sur le plan territorial, mais dont il faudra assumer le coût. Il faut donc savoir dire « non » à certaines demandes !
Le deuxième élément consiste à mieux anticiper les réponses et, pour ce faire, prêter une grande attention aux études préalables. Je veille toujours à éviter de faire des études sans motif – ce qui peut être un excellent moyen de ne pas agir –, mais le risque de dérapage financier est encore plus grand si nous n'en faisons pas.
Il convient également d'être lucides quant aux délais, afin d'éviter les dérapages du calendrier. Ils se traduisent toujours par des augmentations des coûts. C'est la raison pour laquelle nous mettons en place, pour Éole, des groupes assurant un suivi attentif et régulier.
Les relations entre la RATP, la SNCF, RFF, l'État et le STIF – car il faut désormais tenir compte de cet acteur de premier plan – sont complexes. Plus les acteurs sont nombreux, plus il est nécessaire de coordonner – et donc de savoir qui doit avoir cette responsabilité de coordination, dans le cadre de répartitions de compétences d'une rare complexité et où le seul « juge de paix » est l'usager. On pourrait envisager de revisiter la répartition des compétences entre la RATP, la SNCF et RFF, mais il est d'autant plus difficile de différencier les territoires, déjà fortement imbriqués, que les ego en jeu compliquent encore les relations. Une telle révision concernant la SNCF et RFF était d'ailleurs l'une des conclusions des réflexions lancées récemment sur le ferroviaire. Cette question est régulièrement abordée au conseil d'administration de la SNCF, dont je suis membre, et cette entreprise souhaite déplacer le curseur, jugeant que la réforme n'a pas été menée jusqu'à son terme. Les progrès réalisés notamment à propos de la ligne B du RER ne suffisent peut-être pas et une unité de vue pourrait être nécessaire. La question est devant nous.
Quant à savoir si nous avons eu une vision stratégique, il me semble que cela n'a guère été le cas depuis vingt-cinq ans. La dernière vision stratégique me paraît avoir été celle de mon prédécesseur Paul Delouvrier. Depuis lors, on a « tiré » sur les lignes pour adapter le réseau à l'éloignement croissant des habitants chassés par le coût du foncier, ce qui fragilise beaucoup le système de transports – c'est l'« effet papillon » évoqué tout à l'heure : un problème à un bout de la ligne se répercute sur l'ensemble. Ce constat fait l'unanimité, et il nous faut nous interroger sur l'efficacité de l'unité de la tarification – ceux qui habitent loin ne paient pas plus cher – pour prévenir l'étalement urbain. Peut-être faut-il aussi savoir couper ou réduire certaines lignes, plutôt que de continuer à les fragiliser en les prolongeant, mais la décision de substituer un autre mode de transport au RER dont bénéficiaient certains usagers pour faciliter le fonctionnement global du réseau n'est pas sans poser des problèmes. Une réflexion s'impose également sur les dessertes qui se brancheront sur les nouveaux modes de transport prévus.
Il reste donc « du grain à moudre » en termes de réflexion globale. De plus, le transport n'a plus véritablement de pilote – ou plutôt, il en a plusieurs –, ce qui complique la réflexion.
Vous n'avez pas répondu à ma question sur les maires bâtisseurs et la pénalité financière à laquelle s'exposeraient les maires non bâtisseurs. Cette question a des incidences politiques importantes.
Par ailleurs, au-delà des contrats de développement territorial que vous évoquiez, comme le beau projet Confluence, qui prévoit une grande plate-forme multimodale à Achères, ou les projets de ligne Éole et de ligne à grande vitesse entre Paris et la Normandie, le maire d'une commune des Yvelines que je suis voudrait vous interroger sur les liaisons de banlieue à banlieue, et tout particulièrement sur la tangentielle Ouest, dont il est urgent d'accélérer le prolongement entre Saint-Germain-en-Laye et Cergy.
Les aides aux maires bâtisseurs sont une idée que je suis pratiquement seul à porter, mais toute idée semée est un jour reprise ! Bon nombre des collectivités locales auxquelles je demande de construire davantage de logements seraient prêtes à le faire, mais objectent que l'afflux de populations nouvelles impliquera la mise en place d'équipements nouveaux, laquelle pèsera sur les moyens financiers limités dont elles disposent et accroîtra leur endettement. En outre, l'augmentation de la population a sur le plan financier un « effet retard » et le coût croît plus rapidement que l'hypothétique recette.
J'ai donc imaginé de fournir aux maires bâtisseurs une aide tenant compte de cette situation et nous avons rédigé un texte en ce sens. De fait, bien que la rédaction de textes ne relève ordinairement pas de la responsabilité du préfet de région, l'administration n'était pas pressée de modifier tant soit peu les dotations globales et j'ai donc dû opérer en solitaire.
L'aide aux maires bâtisseurs est la façon positive de présenter cette idée. On peut aussi évoquer, sous l'angle négatif, un système de bonus et malus. Dans un contexte financier très contraint, en effet, donner plus aux uns suppose de donner moins aux autres – ceux qui ne s'intègrent pas bien dans la dynamique voulue par le législateur, c'est-à-dire ceux qui ne construisent pas, ou pas assez. Je suis persuadé que l'objectif de 70 000 logements qui est ambitieux si l'on songe que 41 000 ont été construits cette année et que ce chiffre est de surcroît le plus élevé depuis des années, ne pourra être atteint sans un accompagnement. Le législateur demandera un jour très légitimement des comptes à propos de la réalisation d'un objectif fixé par la loi. L'aide aux maires bâtisseurs est un moyen d'atteindre cet objectif.
Quant à la tangentielle, elle figure dans le projet de protocole que nous sommes en train d'élaborer. La question de la participation de Saint-Germain-en-Laye a encore été évoquée hier.
Monsieur le préfet, je ne peux que souscrire, en mon nom personnel, à votre souci d'aider les maires bâtisseurs. Je pense d'ailleurs que de nombreux membres de la commission d'enquête y souscrivent, tant il est nécessaire de penser à l'adéquation entre les logements, les transports et les activités économiques pour permettre à nos concitoyens franciliens de vivre le mieux possible. Je vous remercie.
L'audition se termine à douze heures cinq.
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Membres présents ou excusés
Commission d'enquête relative aux modalités, au financement et à l'impact sur l'environnement du projet de rénovation du réseau express régional d'Île-de-France
Réunion du jeudi 2 février 2012 à 10 h 30
Présents. - M. Patrice Calméjane, M. Daniel Goldberg, M. Pierre Morange, M. Yanick Paternotte, M. Axel Poniatowski