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Commission d'enquête sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux

Séance du 21 septembre 2011 à 18h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • emprunt
  • saint-maur
  • souscrit
  • structuré
  • toxique

La séance

Source

PermalienPhoto de Claude Bartolone

Nous souhaitons la bienvenue à trois représentants de la ville de Saint-Maur-des-Fossés : M. Jacques Leroy, premier adjoint au maire, chargé des finances, M. Jean-Marc Broux, directeur général des services, et M. Vincent Billard, directeur financier.

Messieurs, cette Commission d'enquête aimerait comprendre comment, dans votre cas, on en est arrivé à la situation actuelle : quels mécanismes n'ont pas joué, ou ont empêché les élus de prendre la mesure de ce qui se passait ? D'autre part, que proposer pour éviter le renouvellement de semblables catastrophes – et pour éviter aux collectivités concernées d'avoir, soit à subir une mise sous tutelle, soit à augmenter fortement leurs impôts tout en renonçant à investir, voire en supprimant certains services publics ?

Avant que vous ne répondiez aux questions plus précises du rapporteur, je vous demanderai de prêter le serment exigé par l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

MM. Jacques Leroy, Jean-Marc Broux et Vincent Billard prêtent successivement serment.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Gorges

Nous voudrions d'abord en savoir un peu plus sur la situation de la commune de Saint-Maur. Quels sont les principaux types d'emprunts structurés souscrits par la ville ? Quel est le montant de l'endettement correspondant ? Quelle part jugez-vous toxique ? En effet, tous les produits structurés ne sont pas nocifs et certains ont même pu faire gagner beaucoup d'argent aux collectivités qui les ont souscrits. Le bilan doit donc être établi sur la durée. De surcroît, j'observe que des produits qui tournent au mal aujourd'hui peuvent redevenir avantageux, et qu'on ne parle de toxicité qu'en période défavorable. Cela étant, quelle proportion de ces emprunts est classée hors charte Gissler ?

PermalienJacques Leroy, premier adjoint au maire de Saint-Maur-des-Fossés, chargé des finances

Sous la municipalité précédente, jusqu'en 2008, les rapports entre majorité et opposition étaient des rapports de force. Nous avions constaté que l'endettement de la ville, de l'ordre de 100 millions d'euros en 2001, était passé à 240 millions d'euros. Lors des débats d'orientation budgétaire, il avait souvent été question de cette dérive, d'autant que nous ne constations aucun investissement majeur qui aurait pu justifier de tels emprunts, mais nous n'avions connaissance que d'un montant.

La nouvelle équipe, conduite par Henri Plagnol, a remporté les élections en mars 2008. Il lui est alors apparu qu'avaient été souscrits, pour 85 % du total environ, des emprunts structurés comprenant 45 % de produits toxiques, dont nous ne pouvions nous défaire. Nous avons pris la mesure du risque financier pour la ville : en début de mandat, certains emprunts ayant été contractés à 1 %, le taux moyen de la dette de Saint-Maur s'établissait à 2 % à un moment où l'argent coûtait 5 % mais, aujourd'hui, nous en sommes à 3 % et nous en serons demain à 4 %. Ayant pris l'engagement de contenir le montant de la dette, nous nous obligeons à ne pas emprunter plus que nous ne remboursons alors que la ville a des besoins d'investissement colossaux – centre sportif, mise aux normes des bâtiments communaux…– et, pourtant, nous sommes confrontés au risque de voir dériver nos frais financiers.

Voici quelques exemples. Certains prêts, souscrits sur la base d'un taux de 1 %, pourraient, en 2014, atteindre un taux de 22,5 %. Un autre, souscrit auprès de Depfa Bank, qui, au cours de la première phase, était également à 1 %, pourrait – en fonction de l'évolution du rapport entre euro et franc suisse – passer à 16,44 %. Un autre encore, souscrit chez Dexia à 0,97 %, pourrait aller jusqu'à 13,13 % et un dernier jusqu'à 14,87 %.

En début de mandat, la charge des frais financiers, avec un taux moyen de 2 %, se montait à 5 millions d'euros. Le simple doublement de ce taux entraînerait un coût supplémentaire de 5 millions. Si l'on considère qu'un point d'impôt à Saint-Maur représente environ 500 000 euros, c'est dix pour cent de plus. Vous le voyez, la charge fiscale est difficilement supportable, compte tenu notamment, et comme partout ailleurs, de l'accroissement des besoins.

Telle est la situation de la ville de Saint-Maur : le budget consolidé global, budget principal et budgets annexes – eau, assainissement et parcs de stationnement –, est de l'ordre de 250 millions d'euros. Nous devons supporter ce poids qu'il est difficile d'alléger puisque nous n'empruntons pas plus que nous remboursons.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Gorges

Vous êtes confrontés au problème de l'augmentation du montant de la dette et, en outre, nous dites-vous, aucun investissement important n'a été effectué. Une partie de la dette paye-t-elle les frais de fonctionnement ?

PermalienJacques Leroy, premier adjoint au maire de Saint-Maur-des-Fossés, chargé des finances

Ces emprunts ont permis de bénéficier d'une manne financière sans avoir à augmenter les impôts. C'était une véritable drogue. Depuis 2007, cependant, la ville était entrée dans le réseau d'alerte. En effet, l'autofinancement s'amenuisant, le ratio entre ce dernier et l'endettement faisait s'allumer un clignotant rouge – pour la capacité de désendettement, nous en étions à 27 ans alors que la norme est de 8 ou 9 ans. Mais cela, l'opposition municipale, à laquelle nous appartenions, ne le savait pas. Seul le maire était informé. Dans les courriers de l'époque, il n'est d'ailleurs jamais fait allusion à la dérive potentielle des frais financiers liés aux emprunts toxiques. Il a fallu attendre une lettre adressée à Henri Plagnol en 2010 pour que quelques remarques soient formulées à cet égard.

À l'occasion des débats d'orientation budgétaire, le conseil municipal avait obtenu, comme je l'ai dit, un certain nombre d'informations relatives aux montants des emprunts, mais aucune sur leur structure. Avec Henri Plagnol, nous avons donc constitué une sorte de think tank pour réfléchir à la façon dont nous pourrions améliorer la communication. Peut-être faudrait-il qu'il y ait un débat sur la dette. Celui-ci n'est pas obligatoire aujourd'hui. Lorsqu'on est dans l'opposition municipale, on ne connaît que le montant de la dette, on ne sait rien d'autre. Ainsi, l'opposition n'est pas informée lorsque la ville entre dans le réseau d'alerte. Il faudrait donc que tout soit mis sur la table pour que, dans une commune, majorité et opposition soient au même niveau d'information. À l'initiative du maire actuel, nous avons précisément fait voter, à Saint-Maur, une charte de bonne conduite qui nous oblige à ne pas emprunter plus qu'on ne rembourse, mais aussi à informer.

Lorsque nous étions membres de l'opposition, nous n'avions pas pu exercer notre contre-pouvoir faute d'information. Le premier adjoint ne cessait alors de répéter que l'argent était bon marché et que la municipalité avait raison d'emprunter. Il ne tenait pas compte de nos mises en garde lorsque nous faisions observer qu'à raison de 20 à 30 millions par an, cette politique finirait par arriver à une limite. Pourtant, mon prédécesseur était diplômé d'HEC, ce qui aurait dû lui permettre de comprendre qu'il ne suffisait pas que l'argent ne soit pas cher. Tel ne fut pas le cas.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Gorges

Puisqu'il n'y a pas eu d'investissements, ces sommes ont donc servi à payer des frais de fonctionnement ?

PermalienJacques Leroy, premier adjoint au maire de Saint-Maur-des-Fossés, chargé des finances

Il n'y a pas eu, à Saint-Maur, d'investissements majeurs.

PermalienJacques Leroy, premier adjoint au maire de Saint-Maur-des-Fossés, chargé des finances

Il a été saupoudré : quelques travaux sur les trottoirs, d'autres sur des ronds-points.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Gorges

Même s'ils ne sont pas structurants, il s'agit bien d'investissements.

PermalienJacques Leroy, premier adjoint au maire de Saint-Maur-des-Fossés, chargé des finances

Au cours de la même période, on constate un laisser-aller total en ce qui concerne les frais de fonctionnement, en particulier les frais de personnel – la chambre régionale des comptes a ainsi comptabilisé 150 000 heures supplémentaires par année. Les emprunts ont permis de ne plus se préoccuper du tout de l'autofinancement, qui détermine la capacité d'investissement. L'argent affluant, il n'était pas utile d'augmenter les impôts, peu importait si la DGF stagnait et si les charges de fonctionnement dérivaient. La capacité d'autofinancement fut même négative à certains moments.

PermalienJean-Marc Broux, directeur général des services de la ville de Saint-Maur-des-Fossés

Elle n'est positive que depuis 2009.

PermalienJacques Leroy, premier adjoint au maire de Saint-Maur-des-Fossés, chargé des finances

Pour la rétablir, nous avons dû prendre des décisions politiquement difficiles. Nous avons ainsi augmenté un peu les impôts, mais surtout réduit de façon drastique le nombre des heures supplémentaires, avec les conséquences que vous imaginez sur le personnel, et verrouillé la dépense publique en remettant à plat l'ensemble des marchés. En alimentant la pompe à investissement de façon systématique et presque illimitée, nos prédécesseurs pouvaient s'exonérer d'une gestion de bon père de famille.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Gorges

Et maintenant que vous sortez la tête de l'eau, le poids des frais financiers vous tombe dessus !

Si les équipes politiques changent, ce n'est pas le cas des services. Comment fonctionnait auparavant le circuit de décision ? La ville disposait-elle de l'expertise nécessaire ? Les experts financiers conseillaient sans doute l'adjoint chargé des finances, qui expliquait au maire, qui, lui, signait les contrats. Comment, avec pratiquement les mêmes personnes, avez-vous organisé le circuit aujourd'hui ?

PermalienJean-Marc Broux, directeur général des services de la ville de Saint-Maur-des-Fossés

Lorsque M. Plagnol m'a confié la direction générale des services en septembre 2008, je suis arrivé dans une ville où, pour 2 300 feuilles de paye, on ne comptait que 30 cadres A, y compris le conservateur du musée et le directeur du conservatoire. Saint-Maur était en déshérence totale en matière d'encadrement ! Certes, le quotidien et les fonctions régaliennes étaient assurés mais il n'y avait aucune procédure pour maîtriser l'investissement. L'application de la loi MOP, la loi relative à la maîtrise d'ouvrage publique, était impossible, de même que le suivi de l'investissement à long terme.

Il nous a fallu tout remettre sur les rails : recruter, former, définir des procédures…

Quel est le rôle d'un directeur général des services ? Il doit assurer le contrôle de légalité au quotidien. J'ai constaté que tel n'avait pas été le cas avant mon arrivée. Le contrôle était lointain et, surtout, il n'y avait pas de conseil alors que les collectivités paient des indemnités pour cela. Le laxisme était total, et je pèse mes mots ! Je précise, monsieur le président, que j'ai derrière moi quarante-trois ans de fonctions territoriales dont vingt-cinq de direction générale. Or c'était la première fois que je constatais un tel relâchement dans les relations entre l'État et une collectivité, même si celle-ci avait ses torts dans sa volonté de vivre seule. Lorsqu'on ne peut obtenir de financements croisés parce qu'on n'a pas monté les opérations dans le cadre de la loi MOP, on est forcément contraint d'aller chercher l'argent ailleurs. Cela explique peut-être en partie ce qui s'est passé à Saint-Maur.

Aujourd'hui, on se préoccupe des emprunts toxiques, c'est-à-dire qu'on soigne le malade. Mais les collectivités font encore l'objet d'incessantes sollicitations en matière financière. S'il n'y a plus ni conseil ni contrôle, je plains tous ceux qui seront amenés à occuper les mêmes fonctions que moi car un certain nombre de communes vont très vite se retrouver à l'abattoir.

PermalienPhoto de Claude Bartolone

Revenons plus précisément sur un point : au moment de la passation de pouvoir, personne ne vous a rien dit de la structure de la dette ?

PermalienJacques Leroy, premier adjoint au maire de Saint-Maur-des-Fossés, chargé des finances

Nous l'avons découverte à partir de mars 2008. Constatant que Saint-Maur était dans le réseau d'alerte, nous avons examiné les ratios et les contrats. Nous nous sommes débrouillés un peu seuls, avec l'aide du patron des services financiers qui, antérieurement, était relativement peu associé à la décision. Les élus rencontraient les banquiers qui leur expliquaient que l'argent étant bon marché, il ne fallait pas se priver d'emprunter. Nos prédécesseurs ont pris ce discours pour argent comptant, si j'ose dire, et ont souscrit systématiquement, dans le but aussi peut-être, sur fond de campagne électorale, de se faire réélire en procédant à des travaux d'embellissement de la ville. Dans la recherche des responsabilités, il ne faut pas oublier celles qui sont proprement politiques.

Les chiffres auxquels nous sommes parvenus après examen des contrats ont ensuite été confirmés par la chambre régionale des comptes, qui est intervenue sur demande du maire. Elle a souligné le risque exponentiel de certains scénarios, ce qui était conforme à nos conclusions. Dès notre arrivée, nous avions du reste, sur la base d'un appel d'offres, coopté le cabinet Deloitte qui a procédé à un audit des finances de la ville. Il a affiné l'analyse en confirmant lui aussi ce que nous pressentions.

Je l'ai dit, le service financier de Saint-Maur et les élus ont lu les contrats. Les décrypter n'est sans doute pas simple, mais on pouvait comprendre ce que cela recouvrait. Je considère que, dans cette affaire des produits toxiques, la responsabilité est double. Certes, les banquiers sont responsables d'avoir imaginé des produits beaucoup trop sophistiqués et manifestement risqués. Les élus ont néanmoins fait des choix. Lorsque j'ai découvert le fonctionnement de la deuxième phase avec ses formules mathématiques longues de trois lignes, j'ai immédiatement compris que les choses ne pourraient être stables à terme. J'ai pensé aussi que proposer de l'argent à 1 % à un moment où il coûtait 5 % cachait quelque chose. Je me suis alors penché sur le coût de sortie et de transformation et j'ai rencontré les banquiers. Il s'agissait de gens tout à fait charmants mais dont la fonction est technico-commerciale et qui, à ce titre, faisaient l'apologie du produit. Je n'ai jamais vu les vrais responsables, les spécialistes de l'ingénierie financière. L'interlocuteur de l'élu sur le terrain n'est pas un actuaire, il ne fait que vendre un produit.

Nos partenaires banquiers m'ont donc confirmé qu'en fonction des différents scénarios, les taux pouvaient effectivement décoller, mais ils ont rappelé qu'un élu avait signé. Ils m'ont également expliqué que si je voulais sortir du système, je devrais m'acquitter de pénalités allant jusqu'à 200 %... Ainsi, pour un prêt de 5 millions d'euros que j'avais étudié très précisément, l'indemnité de sortie était de 60 % ! Il m'en aurait donc coûté 8 millions et il m'aurait fallu emprunter à 5 % alors que le taux moyen de ma dette de l'époque était de 2 %. C'est une nasse dont les élus locaux, même en y mettant beaucoup de bonne volonté et de réflexion, ne peuvent pas sortir indemnes.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Gorges

Lorsqu'on a 240 millions de dettes pendant sept ans à 1 % et donc qu'on gagne quatre points sur cette somme, on récupère finalement beaucoup d'argent.

PermalienJacques Leroy, premier adjoint au maire de Saint-Maur-des-Fossés, chargé des finances

La drogue est là !

PermalienPhoto de Jean-Pierre Gorges

Certes, vous n'êtes pas satisfaits du choix des investissements qui ont été réalisés. Encore que, aujourd'hui, vous n'ayez plus à vous préoccuper des trottoirs… Mais en gagnant quatre points sur 240 millions pendant sept ans, on économise près de 70 millions. Cela explique que les communes aient eu recours à ces emprunts. Les administrés souhaitent de nouveaux équipements et elles trouvaient là le moyen de les réaliser. Quand on fait le bilan, il faut le faire complètement. Cet argent a été utilisé pour faire un certain nombre de choses. Certes, certains investissements sont non productifs mais d'autres peuvent l'être, tel l'aménagement d'une zone d'activité économique, qui va attirer des entreprises et générer de la taxe professionnelle.

PermalienPhoto de Patrice Calméjane

Vous avez évoqué, monsieur Leroy, un contrôle de la chambre régionale des comptes. De quand datait le précédent ? J'aimerais comprendre la logique de fonctionnement de ces institutions. Sur Internet, trois clics suffisent pour avoir, sur dix ans et pour de nombreuses collectivités, l'ensemble des ratios et les principaux éléments financiers, mais on n'en fait pas grand-chose. C'est vrai pour les chambres régionales des comptes, pour les préfectures, pour les trésoreries générales.

Vous avez parlé de 2 300 feuilles de paye, monsieur Broux. Pour une commune de 73 000 habitants, cela pose un problème. Les ratios de personnel sont de 50 à 100 % supérieurs à la moyenne pour une collectivité de banlieue sans difficulté particulière. Certes, le travail du conseiller d'opposition n'est pas toujours simple, mais il peut disposer de ces données. Or personne – État, chambre régionale des comptes, préfecture, trésorerie, élus – n'a perçu la dérive. Par ailleurs, comment peut-on passer de 100 à 240 millions d'emprunts sans procéder à des investissements ? Cela doit permettre de refaire des kilomètres et des kilomètres de trottoirs… En tout cas, cela aurait dû alerter au regard du train de vie global de la commune. Or personne n'a rien dit. Vous avez parlé de drogue, monsieur Leroy. Mais l'emprunt structuré n'est que le résultat de la très mauvaise gestion de la ville. La situation est différente de celle de la ville de Saint-Étienne, qui connaissait de tout autres difficultés.

Législateur, je m'interroge sur les améliorations que nous pourrions apporter. Vous avez fait quelques suggestions mais, lorsqu'on est à 80 %, ou à 120 %, de la moyenne de la strate, il faut se poser des questions, quelle que soit la collectivité, sauf explication par des difficultés particulières de gestion. Je persiste donc à m'interroger : pourquoi cela n'a-t-il pas fonctionné ? Vous avez invoqué un défaut de relation avec les services de l'État…

PermalienJean-Marc Broux, directeur général des services de la ville de Saint-Maur-des-Fossés

Le non-respect des procédures, aussi. Le recours systématique à des appels d'offres ouverts fait baisser de 40 % le coût de l'investissement…

PermalienPhoto de Claude Bartolone

À Saint-Maur, le problème n'est pas seulement celui des produits toxiques. Il tient aussi à la mauvaise gestion de l'ancienne équipe municipale – recours multiples à l'emprunt, frais de fonctionnement. On comprend en vous écoutant, messieurs, comment on peut succomber à la tentation des produits toxiques. Comme l'a expliqué le rapporteur, dans le meilleur des cas, avec cette façon de procéder, on pouvait gagner un peu d'argent sur les intérêts de la dette et investir. Malheureusement, pour bon nombre de collectivités, ces économies de court terme n'ont servi qu'à payer du fonctionnement ou à éviter une augmentation d'impôts à la veille des élections.

Quoique les situations soient totalement différentes, ce que nous avons entendu des représentants de Saint-Étienne montre que, même avec un maire adjoint bénéficiant d'une bonne formation théorique, il existe bel et bien un rapport du fort au faible entre celui qui propose le produit bancaire et les différents échelons de responsabilité qui l'acceptent.

Comme nous pouvons le déduire des propos de ce même maire adjoint, on propose chaque année des options de plus en plus risquées aux collectivités pour leur permettre de maintenir ces taux d'intérêt bas. Moi-même, lorsque le service financier de la collectivité à la tête de laquelle j'ai été élu m'a dit quel était le montant de la dette et à quel taux elle était gérée, j'ai failli le féliciter tellement ce taux était bas !

PermalienPhoto de Patrice Calméjane

Vous n'étiez pas dans l'opposition non plus !

PermalienPhoto de Claude Bartolone

Pour rassurer M. Calméjane, je dirai que toutes les oppositions, quelle qu'ait été leur couleur politique, se sont trouvées dans le bleu pour des raisons à peu près identiques. Ainsi, à Saint-Maur-des-Fossés, c'est l'envolée de la masse des emprunts qui a attiré votre attention, pas le contenu de chacun de ces emprunts parce qu'il est malheureusement possible de ne pas trop insister sur la technique au moment de la souscription. C'était d'ailleurs la raison de ma question, tout à l'heure, au représentant de la précédente municipalité de Saint-Étienne. J'ai en tête un exemple de contrat où le taux bonifié était à 1,42 % : lorsque j'ai vu les fixing, j'ai pu constater que ces contrats étaient perdants dès le lendemain de leur signature, mais cela n'apparaissait nulle part alors que, dans une entreprise privée, ce débours aurait déjà dû entrer dans des provisions pour pertes. Il est vrai que, lorsqu'on propose à des collectivités ayant une gestion à 5 % de leur encours de dette un produit miracle qui leur permet d'abaisser ce taux à 1,42 % pendant quatre ans, la tentation peut être forte…

PermalienPhoto de Henri Plagnol

Je souscris totalement à tout ce que viennent de dire mes collègues. Ce qui est intéressant dans le cas de Saint-Maur, c'est qu'il n'y avait pas de raison objective à la dérive. Cette ville tranquille de la petite couronne ne se serait jamais trouvée dans une telle situation s'il n'y avait eu la rencontre entre une gestion administrative sérieusement défaillante et un produit extraordinairement séduisant. Cela a permis à l'équipe précédente de ne pas regarder la dérive en face. La ville a ainsi laissé filer, avec pour effet une augmentation pharaonique de la dette globale. Et, comme l'a dit Claude Bartolone, les services financiers ont plutôt géré de façon intelligente puisque les frais financiers, eux, n'ont pas augmenté. Jacques Leroy a parfaitement raison, on peut parler de drogue. C'est un cas exemplaire, car aucun des contrôles normaux n'a fonctionné, ni en interne ni en externe. Et les banques étaient tellement conscientes de la vulnérabilité de Saint-Maur qu'il y a eu un engrenage. En 2003, on a commencé par des produits structurés qui n'étaient pas les plus dangereux mais, dans la renégociation intervenue quelques semaines avant mon élection, sont apparus des produits extrêmement toxiques et un allongement de la durée des emprunts. Celle-ci a ainsi augmenté de plus d'un tiers pour 85 millions d'euros en janvier-février 2008, et nous avons donc maintenant des emprunts dont la durée moyenne est très supérieure à la normale. C'est tout un ensemble, mais il est évident que les banques ont une part de responsabilité.

PermalienPhoto de Jean-Louis Gagnaire

Nous n'avons pas une vision globale de toutes les collectivités ou établissements publics qui ont été contaminés, mais leur point commun me semble être leur vulnérabilité, quelle qu'en soit la cause – le cas de Saint-Étienne est différent de celui de Saint-Maur et, ailleurs, il a pu y avoir des dépenses inconsidérées ; quant aux hôpitaux, ils devaient absolument emprunter pour réaliser les plans d'investissement. Cette vulnérabilité se vérifie-t-elle pour la totalité des 5 500 collectivités détentrices d'emprunts de Dexia ? Il sera difficile de le savoir mais il faudrait essayer de déterminer, non seulement à combien se monte la masse des emprunts toxiques, mais aussi s'il n'y a pas des caractéristiques propres aux collectivités concernées. Il me semble que toutes étaient en état de faiblesse – celles qui n'avaient aucun souci de financement n'ont d'ailleurs pas été contaminées puisqu'elles n'avaient pas besoin de faire appel à ces produits. Les banques sont donc complètement fautives dans la mesure où elles se sont comportées en prédateurs s'attaquant aux plus vulnérables.

PermalienPhoto de Claude Bartolone

C'est le rapport de forces qui a mis les élus en position de faiblesse. Le rapporteur et moi-même avons prévu une table ronde qui nous permettra d'entendre les élus de petites collectivités. Nous avons créé une association à quelques-uns et je suis très surpris par le nombre croissant d'élus qui se manifestent maintenant. Au début, ceux qui s'exprimaient le plus étaient des représentants de collectivités où il y avait eu alternance, mais nous entendons maintenant de nombreux élus qui ne savaient pas ce qu'ils détenaient réellement comme produits et qui, en période de fixing, ont été alertés par le directeur général des services. Ils n'ont pas eu le choix lorsqu'ils ont négocié avec leur banque, nous disent-ils : ils ont été amenés à souscrire ce type d'emprunts sans savoir de quoi il retournait.

PermalienJacques Leroy, premier adjoint au maire de Saint-Maur-des-Fossés, chargé des finances

Nous n'avons pas répondu à la question de M. Calméjane. S'agissant de la ville de Saint-Maur, le précédent contrôle de la chambre régionale des comptes remonte à quinze ans et il était subi, à la différence du contrôle que j'évoquais, qui a été demandé par le nouveau maire. Aucun clignotant rouge ne s'est donc allumé, tant du côté des services de l'État que de celui du contrôle financier.

Ceux qui ont réagi sont en effet principalement ceux qui, arrivant à la tête de leur collectivité à la faveur d'une alternance, ont souhaité procéder à un état des lieux, et il est probable que ceux qui ont conservé leur mandat après avoir souscrit des emprunts de ce type ne vont pas s'en vanter auprès de leur électorat. Pour autant, les dettes contractées ne sont pas secrètes et peut-être les services de Bercy pourraient-ils, à partir des éléments que leur font remonter les préfectures, réaliser un travail d'investigation pour mesurer la part toxique de ces emprunts. On nous parle en effet de 7 à 10 milliards, ce qui fait tout de même un écart de trois milliards. Or, nous avons tous besoin de cette information essentielle pour comprendre.

M. Gagnaire a qualifié les banques de prédateurs, mais il n'est pas sûr que toutes les communes ayant souscrit ces emprunts aient été en situation de faiblesse. La responsabilité des banques est évidente, mais sont-elles les seules fautives ? Les élus doivent-ils être tous blanchis ? Il faut peut-être aussi envisager la responsabilité de ceux qui ont signé parce que ce n'était pas cher. C'est une chaîne, comme celle qui a conduit à la crise des subprimes : finalement, tout le monde est un peu responsable ! Il faudra en tenir compte dans les réformes à venir, mais celles-ci devraient concerner également l'État, les trésoriers-payeurs généraux, etc. si l'on ne souhaite pas que les banques puissent continuer à proposer aux collectivités territoriales des produits aussi spéculatifs.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Gorges

S'agissant du montant global des emprunts structurés, des évaluations sont en cours, mais la toxicité, elle, se mesure à un instant T et il peut se produire des retournements. Le principal produit toxique est aujourd'hui l'« euro-dollar-franc suisse », mais imaginez que la conjoncture change, nous aurons peut-être une attitude complètement différente ! Aujourd'hui, pratiquement tout le monde a ce type de produits. Replacez-vous dans le contexte où ces emprunts ont été contractés : les banques n'arrivaient pas à fournir faute de liquidités. Mais les choses peuvent changer. Déjà, la Suisse a « capé » parce qu'elle a bien vu que ce différentiel de taux lui était désavantageux. Il y a là un frein qui rassure.

Il faut faire la différence entre le stock d'emprunts structurés et le montant de ceux qui sont toxiques. Si la toxicité est durable, c'est inquiétant et il va donc falloir trouver des solutions. Pour ce qui me concerne, mon taux moyen va passer de 2,8 % à 3,2 ou 3,4 %, ce qui se traduira par un manque à gagner, mais limité. En revanche, d'autres ne pourront pas s'en sortir parce que la proportion du structuré et, surtout, de sa part toxique dans leur dette est trop importante. Il ne faut donc pas tout mettre dans le même panier. Tout n'est pas mauvais. Certains emprunts structurés sont intéressants – et, je le répète, des retournements de conjoncture sont possibles.

PermalienPhoto de Claude Bartolone

Monsieur Leroy, j'entends votre argument selon lequel tout le monde est responsable, mais ce qu'il faut mesurer, c'est la part de responsabilité respective des uns et des autres. J'ai plutôt été ému par le témoignage de l'ancien adjoint au maire de Saint-Étienne en charge des finances et par les efforts qu'il a faits pour essayer de comprendre ce qu'on lui proposait de signer. En l'espèce, c'est le rapport du fort au faible qui détermine le niveau de responsabilité.

Pour en revenir aux propos de notre rapporteur, le problème, c'est que certains indices sont trop éloignés de la vie des collectivités locales. Comment une commune ou un département ayant souscrit un emprunt indexé sur le rapport entre le cours de l'euro et celui du yen auraient-ils pu prévoir la catastrophe de Fukushima ? Au lendemain de celle-ci, le taux d'intérêt variait en fonction de la force avec laquelle la Banque centrale du Japon intervenait pour soutenir l'économie du pays ! C'est insupportable ! Il faut donc caper les emprunts et éviter des indices trop exotiques pour les collectivités locales.

PermalienJacques Leroy, premier adjoint au maire de Saint-Maur-des-Fossés, chargé des finances

J'approuve M. Gorges : s'il nous manque de connaître le montant de la dette, nous souffrons aussi d'une absence de définition de la toxicité. Le rapport euro-franc suisse varie, mais où commence et où s'arrête la toxicité ? Selon les scénarios, un emprunt sera avantageux ou sera une bombe à retardement. Au début de notre mandat, le taux moyen de la dette était à 2 % alors que l'argent était à 5 %. Il faut donc définir la toxicité si l'on veut éviter de considérer que tout est toxique hormis le taux fixe ou le taux variable capé.

Sur les conseils de Vincent Billard, je veux aussi signaler à la Commission que, suite à l'article de Libération de ce matin, nous avons essayé de « pister » un emprunt Dexia : il est passé entre les mains de la BNP, puis de J.P. Morgan, de Goldman Sachs et de la Royal Bank of Scotland ! Il y a manifestement là une cuisine financière qui, comme le disait Claude Bartolone, dépasse totalement les capacités de gestionnaires de collectivités.

PermalienPhoto de Claude Bartolone

Et qui génère des marges cachées sur lesquelles nous reviendrons !

PermalienJacques Leroy, premier adjoint au maire de Saint-Maur-des-Fossés, chargé des finances

Les élus locaux n'ont pas le niveau nécessaire pour faire face à une telle financiarisation de leurs problèmes de financement et d'investissement. Ils ne peuvent lutter à armes égales avec des gens qui sont capables de titriser et de « se refiler » nos emprunts.

PermalienPhoto de Claude Bartolone

Toutes ces créances sont en effet titrisées. À l'inverse des assurances, qui vous font payer une prime mais vous couvrent en cas de catastrophe, les banques vous donnent la prime mais vous laissent supporter une éventuelle catastrophe ! Or les sociétés anglo-saxonnes qui étudient le marché à moyen et long termes sont loin de se contenter d'un aveu d'incertitude : quand vous demandez à J.P. Morgan, par exemple, de faire des prévisions à vingt ans sur l'évolution de ces produits fondés sur les comparaisons de cours entre monnaies, elle compte un tiers de pertes. Le franc suisse est maintenu au cours de 1,20 pour un euro par la Banque centrale suisse, alors qu'il était tombé à 1,02 au mois d'août. Pour les collectivités dont le fixing tombait à cette période, cela signifiait des taux d'intérêt de près de 50 %. Elles ont décidé de se battre pour maintenir le ratio à 1,20, mais vous nous voyez, nous, à la tête de nos collectivités, évoquer l'éventualité d'une amélioration de la situation de l'euro, de la Grèce, du Portugal ou de l'Italie ? Les marchés anticipent déjà, pour le franc suisse, un cours inférieur à 1,20. Les grandes collectivités n'ont pas les moyens de faire ce travail : imaginez ce qu'il peut en être pour les petites ! Le jour où mon directeur général m'a dit qu'une société de cotation en ligne lui demandait des renseignements sur la gestion de nos options, j'ai cru à une histoire de fous ! Certaines entreprises recourent à des produits structurés parce qu'elles savent les gérer. EADS, Airbus ou Total ont ainsi une véritable salle de marché qui leur permet de gérer leur dette en temps réel. Ce sont des traders qui s'occupent de ces produits. Aucun de nos directeurs généraux ou de nos collaborateurs, aussi talentueux soit-il, n'en est capable. Il faudra donc bien un jour qu'ils reçoivent une formation dans ces matières si l'on veut y voir un peu plus clair.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Gorges

Il faut se limiter à du variable capé, mais nous aurons un problème de liquidités. Si j'ai souscrit un emprunt structuré, c'est que le banquier n'avait pas de produit stable.

PermalienPhoto de Claude Bartolone

Je vous remercie. Au moment où nous parlons, nous ne mesurons toujours pas exactement le risque qu'il faut assumer. Comme l'a rappelé M. Leroy, l'enveloppe de ces produits, en tout état de cause formidable, pourrait varier entre 5 et 10 milliards. L'article de Libération de ce matin évaluait le surcoût pour 2009, mais songez à tout ce qui s'est passé depuis ! Nous ne pouvons donc être trop attentifs à ce dossier.

PermalienPhoto de Henri Plagnol

J'ajoute qu'il est choquant que la presse soit en mesure de se procurer des données que le ministère des finances refuse de communiquer aux parlementaires que nous sommes.