Nous entamons un nouveau cycle d'auditions qui doit permettre à notre commission d'enquête de comprendre le fonctionnement des produits structurés et d'appréhender la relation commerciale qui lie les collectivités territoriales à leurs créanciers. Mieux informés de ces enjeux, nous auditionnerons ensuite les dirigeants des établissements de crédit. Nous aurons notamment l'occasion d'entendre les équipes dirigeantes de Dexia – l'actuelle et l'ancienne. Je note à ce sujet que nos travaux sont d'une pleine actualité : hier, à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances rectificative relatif à Dexia, nous avons largement débattu d'emprunts structurés. Il est en effet prévu une garantie de l'État contre d'éventuelles pertes liées à la restructuration de portefeuille de prêts aux collectivités locales françaises détenu par DexMA, à concurrence de 6,65 milliards d'euros et après franchise. Pour la première fois, le Gouvernement admet implicitement que les établissements de crédit ayant consenti des prêts structurés ne recouvreront pas l'intégralité de leur créance ; jusqu'alors, les préfets avaient pour consigne de s'opposer à toute défaillance d'une collectivité et d'inscrire d'office dans les budgets locaux les annuités d'emprunts même toxiques. Je veux y voir une prise de conscience.
Pour approfondir notre connaissance des mécanismes financiers, j'ai souhaité que nous prenions le temps de décomposer le fonctionnement des produits structurés. À cette fin, nous accueillons Me Alban Caillemer du Ferrage, avocat associé au cabinet Gide, spécialiste des produits dérivés et des financements structurés ; M. Olivier Nys, directeur général des services de la ville de Reims et de Reims Métropole, directeur du master « Management des collectivités locales » à l'IEP de Lyon ; M. Christophe Parisot, directeur des finances publiques de Fitch ratings France. Messieurs, je vous remercie d'avoir accepté de témoigner devant notre commission d'enquête.
(M. Alban Caillemer du Ferrage, M. Olivier Nys et M. Christophe Parisot prêtent successivement serment).
Après avoir longuement entendu les contractants d'emprunts structurés, nous cherchons à mieux comprendre le mécanisme de ces produits. Je vous poserai donc des questions précises auxquelles je souhaite des réponses qui le soient tout autant. Monsieur Alban Caillemer du Ferrage, les établissements de crédit qui consentent aux collectivités territoriales des emprunts structurés doivent couvrir leur risque ; quels sont les instruments de couverture utilisés ? L'indemnité demandée par la banque en cas de remboursement anticipé d'un emprunt structuré est toujours prohibitive, et c'est pourquoi les collectivités ne parviennent pas à se défaire de ces emprunts : cette indemnité extravagante est-elle liée au coût de la couverture ? Sinon, quelle est sa justification économique ?
Depuis la crise bancaire de 2008, on a beaucoup parlé de titrisation de créances. Les emprunts structurés consentis aux collectivités locales ont-ils servi de sous-jacents à des opérations de titrisation ? Ce type de titrisation a-t-il été pratiqué à grande échelle et quelles en sont les conséquences ?
La directive européenne de 2004 sur les marchés d'instruments financiers (MiFID), transposée en droit français, classe les collectivités territoriales dans la clientèle « non professionnelle ». Quelles conséquences emporte cette catégorisation ? Des produits de marché comme les emprunts structurés pouvaient-ils être librement commercialisés à une clientèle non professionnelle ?
Les banques sont des intermédiaires. Elles se couvrent auprès d'autres établissements de crédit en prenant des positions symétriques à celles qu'elles ont vendues à leur client. Les banques, en principe, n'ont pas vocation à conserver dans leur bilan – sauf si elles ne trouvent pas sur le marché une contrepartie leur permettant de sortir de ce risque – une position économique qui joue contre ce client. Elles s'adressent, sur le marché, aux grandes contreparties telles que Goldman Sachs, la Société générale ou la BNP, gros acteurs du marché des produits dérivés ; trouvent pour ce produit dérivé le prix qu'emballe le crédit consenti à la collectivité ; appliquent évidemment la marge commerciale normale de tout acteur économique ; concluent l'opération avec la collectivité.
En principe, le business model est que les indemnités de remboursement anticipé s'évaluent au jour le jour en fonction du mark-to-market. En principe, un emprunt fondé sur un produit dérivé est conclu « à la monnaie » : il n'a pas, à la seconde où il est traité, de valeur particulière. Quand on traite du change entre l'euro et le franc suisse, on le traite à la parité de ces deux devises à la seconde où l'on traite ; une seconde après cette opération, en fonction de l'évolution du franc suisse par rapport à l'euro, il y a gain ou perte. C'est le mark-to-market, autrement dit l'évaluation au prix du marché : l'évolution du taux de change fait évoluer la valeur de la position économique des contractants, mais l'engagement reste le même. En principe, l'indemnité de remboursement anticipé, c'est la contre-valeur économique de ce contrat au moment où l'on décide d'arrêter l'opération. En principe encore, quand une banque, ou une collectivité, ou un client demande à une banque de mettre fin à son contrat de manière anticipée, celle-ci se tourne vers les contreparties avec lesquelles elle avait elle-même traité les opérations de couverture, leur demande un prix pour dénouer ce contrat et répercute ce prix au client, augmenté du coût de réemploi des fonds pour la période d'intérêt au cours de laquelle le remboursement s'effectue. En effet, pour consentir le financement, la banque s'est elle-même refinancée, s'engageant pour cela sur une période plus ou moins longue afin de s'assurer la ressource financière nécessaire à la conclusion de ce prêt. Voilà quels sont, en principe, les coûts de dénouement qui constituent l'indemnité de remboursement anticipé.
Cette indemnité est-elle prohibitive ? Elle peut être effectivement considérable car l'opération de produit dérivé se caractérise par un aléa et un effet de levier, si bien que les prises de risque ne sont pas forcément proportionnelles à l'investissement initial : vous vous exposez au taux de change entre l'euro et le franc suisse à un niveau qui est sans rapport avec l'investissement initial demandé. C'est la différence entre un produit dérivé et un investissement réel. Mais, en principe, l'indemnité de remboursement reflète exactement la valeur de marché à cette date. Si ces indemnités peuvent apparaître prohibitives, c'est qu'elles n'ont jamais été reflétées dans la comptabilité des collectivités locales. Le plan comptable des collectivités territoriales n'impose pas, à la différence de ce qui vaut pour les sociétés commerciales, de faire ressortir à chaque arrêté de comptes la valeur de ces opérations en mark-to-market. Si, dès la première seconde, on avait constaté que la valeur des contrats était légèrement décalée par rapport aux anticipations et que la situation s'était dégradée, il y aurait peut-être eu une alerte et de ce fait une prise de conscience plus rapide, et sans doute un moindre sentiment que le montant des indemnités de remboursement sont prohibitives – des indemnités qui, encore une fois, reflètent une valeur de marché.
Ces précisions éclairent la mécanique à l'oeuvre en coulisse, et qui, parce qu'elle demeure mystérieuse, empêche de comprendre pourquoi on ne parvient pas à trouver de solution.
Sur le plan juridique, ce qui se passe en coulisse est hors du champ contractuel. Encore une fois, les banques, qui jouent un rôle d'intermédiaire, n'ont pas vocation à prendre position contre un client. Si une banque demande à un client de payer une soulte de 100, c'est qu'elle-même doit à sa contrepartie de swap l'équivalent de 100.
Le marché de la titrisation, singulièrement depuis juillet 2007 et la suspension de la cotation d'un nombre d'OPCVM, s'est singulièrement asséché. M. Claude Bartolone a eu raison de rappeler la décision prise pour Dexia et les sociétés de crédit foncier. Une société de crédit foncier est en soi un véhicule de titrisation puisqu'il agrège des actifs dits « privilégiés » qui servent de gage au remboursement des obligations foncières. C'est un des segments du marché obligataire qui a le mieux fonctionné au cours des dernières années, et c'est une spécificité française à laquelle nous tenons particulièrement. Or il se trouve que sont éligibles à l'actif d'une société de crédit foncier – dont Dexia a dans son groupe un des plus gros émetteurs – deux types d'actifs : les crédits hypothécaires consentis à la clientèle de ces établissements de crédit d'une part, d'autre part les créances sur les collectivités territoriales, y compris les crédits toxiques. Une des raisons qui fait que la garantie donnée par l'État à Dexia a la caractéristique très particulière de porter non seulement sur le passif de l'établissement mais aussi sur les actifs qu'elle porte en collatéral : les obligations qu'elle a émises. Il s'agit donc d'une gigantesque titrisation. Les enjeux de la titrisation des cover bonds privés et des sociétés de crédit foncier sont donc considérables.
Vous avez détaillé la mécanique vue du point de vue de la banque. Nous aimerions aussi avoir votre avis sur le scénario qui a été suivi, conformément auquel les collectivités locales ne se sont pas entendu proposer par les banques des produits adaptés à leurs besoins spécifiques mais les mêmes produits au même moment - ainsi des contrats fondés sur l'évolution du taux de change entre l'euro et le franc suisse, qui ont été proposés à la chaîne. De nombreux témoignages nous ont montré qu'en fait de conseil personnalisé, le même risque a été proposé à toutes les collectivités territoriales, indépendamment de leur taille et de leur situation. Cela ne traduit-il pas un problème dans la relation entre banques et clients ?
L'intégration dans le champ contractuel de la préoccupation sur la sophistication de l'interlocuteur ou de la complexité du produit ne tient pas tant au choix du sous-jacent qu'aux caractéristiques données au produit : lorsque vous êtes exposé au taux de change eurofranc suisse, est-ce avec ou sans effet de levier ? Prévoyez-vous un cap, des barrières activantes ? Il existe une graduation et le sous-jacent est assez neutre. En revanche, pour les collectivités territoriales, il faut s'attacher à traiter avec les produits les plus liquides possible ; à cet égard, s'il y a eu convergence des produits vendus, c'est plutôt une bonne chose, car cela signifie qu'ils sont plus liquides que les produits plus exotiques, pour lesquels il est plus difficile de trouver un prix de dénouement : plus nombreux sont les opérateurs sur un même produit, plus facile il est de déterminer un prix et de trouver une contrepartie pour retourner la position le jour où on le souhaite. Il est indispensable de ne pas être l'acteur unique pour un produit unique, sous peine de ne trouver aucune contrepartie pour le défaire le jour où vous le souhaitez – et, dans ce cas, la collectivité est pénalisée.
Je suis maire d'une commune qui a, hélas, contracté beaucoup de ces emprunts avant mon élection. Or mes interlocuteurs bancaires – Dexia en particulier – m'expliquent qu'ils ne peuvent pas faire grand-chose, les créances sur ma ville ayant, comme vous l'avez expliqué à l'instant, été revendues, souvent simultanément à la signature des contrats. Pire encore : Dexia s'est engagé vis-à-vis des institutions financières auxquelles ces actifs ont été cédés à compenser, par un mécanisme de swaps ou d'assurance, la différence qui apparaîtrait si jamais le mécanisme initial de ces prêts ne s'appliquait pas. Cette question est de la plus haute importance pour les collectivités, et aujourd'hui pour l'État qui, pour rassurer la Caisse des dépôts, a donné sa contre-garantie sur ce type de produits toxiques. Pouvez-vous nous expliquer dans un langage intelligible ce qui a conduit Dexia à agir de la sorte, et comment prêteurs et emprunteurs peuvent maintenant sortir de ce piège ?
Vous avez centré vos réponses sur le risque encouru par la banque du fait des mécanismes de refinancement, mais vous avez très peu évoqué l'analyse du risque lié à la situation financière de l'emprunteur. Est-ce à dire qu'un prêt fait à une collectivité est sans risque car les collectivités sont obligées de rembourser cette dépense obligatoire et que si elles ne le font pas il peut y avoir inscription et mandatement d'office ? Si le raisonnement est celui-là, le risque est de considérer qu'une collectivité peut augmenter ses impôts à l'infini pour rembourser ses emprunts. N'y a-t-il pas eu une sous-évaluation manifeste, par les banques, de l'attention qu'elles devaient porter à la capacité de remboursement des collectivités ?
Les swaps, qui sont aussi des produits structurés, ont souvent été empilés, et ils étaient souvent d'une toxicité croissante. Que pensez-vous des opérations, souvent proposées par les banques, conduisant à multiplier swap sur swap ? Nous avons eu connaissance de formules à 5 ou 7 swaps successifs, qui font que l'on en arrive finalement à un taux d'intérêt supérieur à ce qu'il aurait été si l'on en était resté au prêt primaire ! Pensez-vous qu'il y ait un seuil optimal de swap ? Surtout, si l'on ne veut pas faire ressortir la valeur mark-to-market, souvent très importante mais virtuelle, dans les comptes des collectivités locales, comment peut-on dénouer sans trop de douleur ces prêts toxiques ?
Cette dernière question est de toutes la plus difficile…
Je souhaiterais que M. Plagnol veuille bien préciser ses propos relatifs aux engagements pris par Dexia. En tout cas, on ne peut faire référence à des assurances, car en droit français une assurance ne donne de droit à son acquéreur que lorsqu'il a effectivement subi une perte économique ou un préjudice. Ce n'est pas le cas avec les produits dérivés, dont le profil de paiement est commandé par des paramètres de marché qui ne sont pas fonction des pertes économiques causées : on est rendu créancier ou débiteur d'un produit dérivé indépendamment des obligations contractées par ailleurs à l'égard d'un tiers.
Il ne faut pas présenter ce qu'a fait Dexia comme on le fait habituellement : ce n'est pas Dexia qui vend le produit le plus exotique possible à son client et qui essaye ensuite de le revendre sur le marché. En termes strictement économiques – et le droit n'est malheureusement pas l'outil le mieux adapté pour restituer cette réalité économique -, il y a d'un côté un financement consenti à des conditions parfaitement normales de marché – ce qui me conduira à parler ensuite du rating des collectivités locales et de la raison pour laquelle ces conditions ont été celles-là – et, d'un autre côté, on va chercher, par le jeu d'une compensation entre les primes d'acquisition des options et les paiements d'intérêts dus par la collectivité pour le financement qui lui est consenti, à réduire par un effet mécanique, car les banquiers ne sont pas des magiciens, cette charge d'intérêt. Cela signifie que si les intérêts ne sont pas payés, c'est parce que la collectivité a vendu quelque chose à quelqu'un qui le lui a acheté. Cette « autre chose » est une opération de produit dérivé qui elle-même a été acquise à son prix normal de marché et revendue à quelqu'un d'autre, généralement celui qui l'a élaborée, sur le marché très liquide du change franc suisse-euro par exemple.
Ce jeu d'assemblage est composé à partir d'éléments de base très simples qui ont chacun un prix, et je ne crois pas que dans les indemnités demandées il y ait des différences fondamentales, sauf à dire que les établissements de crédit ne seraient pas couverts correctement, ce qui ne doit pas se produire. Mon expérience de vingt ans m'a montré que c'est ainsi que s'exerce le métier de banquier, qui est un métier d'intermédiation.
Je ne suis peut-être pas le mieux placé pour répondre aux questions portant sur l'analyse des risques. Je rappellerai simplement que si le sujet des emprunts structurés est considérable et très préoccupant, il ne constitue pas un problème systémique pour la France. Le rapport thématique de la Cour des comptes indique d'ailleurs que « l'endettement public local représente une part relativement faible de la dette publique et que « sur une longue période, son poids dans le PIB n'a pas progressé malgré les transferts de compétences ». En moyenne, la charge financière de la dette locale pèse moins de 3 % des dépenses de fonctionnement. De ce fait, et aussi parce qu'à la différence de ce qui s'est passé dans beaucoup de pays voisins nous n'avons connu pratiquement aucune insolvabilité ou défaut de paiement, les collectivités locales bénéficient tout naturellement aujourd'hui en France des meilleures notations de crédit quant à leur qualité d'émetteur.
Les banques ont-elles surestimé la capacité des collectivités territoriales à faire face à leurs obligations au terme de ces opérations ? Aujourd'hui, peu de sociétés commerciales et même d'États ont encore la notation triple A, comme l'ont Paris, la Région Rhône-Alpes ou la Région Ile-de-France ! Les notations des collectivités sont généralement assez bonnes. Quant aux établissements publics, ils bénéficient d'une garantie implicite de l'État, qui lui-même bénéficie de la notation triple A. Je ne pense donc pas que les établissements de crédit aient surestimé les capacités de remboursement. En revanche, cette excellente notation peut expliquer pourquoi les établissements de crédit ont recherché cette clientèle-là : étant donné la réglementation prudentielle, les contrats conclus avec ces opérateurs sont moins chargés sur le plan du capital réglementaire que des opérations conclues avec un corporate standard. Mais qui voudrait vendre sa voiture à un insolvable ? On cherche forcément à traiter avec les entités qui bénéficient de la meilleure notation.
Pour répondre à M. Baert, j'aimerais m'assurer d'avoir correctement compris sa question.
Pourquoi les swaps proposés pour réaménager la dette contiennent-ils au moins autant d'éléments toxiques que les emprunts initiaux ?
Cela s'explique par le mécanisme de couverture des banques. Quand un établissement de crédit se couvre d'un produit dérivé vendu à un client, il ne conclut pas une opération unique avec un intermédiaire ; il décompose en autant d'éléments de base traités sur les marchés de la manière la plus liquide possible les sous-éléments constituant le service qu'il a offert à son client. C'est pourquoi chaque élément de la couverture pris individuellement peut parfois paraître plus simple que l'opération globalisée vendue au client. Cela ne change rien sur le plan économique.
Quant à l'empilage des swaps, que la Cour des comptes qualifie de « fuite en avant », il est exclusivement le fait des opérations de restructuration et il est commandé par des impératifs économiques. Si les contrats ont été valablement conclus, il faut bien trouver une manière de payer les soultes dues, et pour cela restructurer les emprunts en faisant conclure à la collectivité considérée de nouvelles opérations fondées sur des sous-jacents moins risqués que les premiers mais dont la valeur d'acquisition est suffisante pour permettre à la collectivité de se défaire des prêts initiaux en vendant quelque chose de nouveau ; seuls les swaps le permettent.
Une des pistes à explorer serait de confier l'indexation ou le portefeuille de swaps à un acteur indépendant qui gérerait ces opérations de manière dynamique. Il est impératif que cela soit des produits dérivés, parce qu'on ne peut pas battre le mark-to-market, qui est la valeur économique objective sur laquelle se fait le consensus de marché. Si l'on veut l'indemniser, la payer ou l'amortir, il faut trouver d'autres produits qui permettent de le faire.
Pour répondre à la question de M. le rapporteur relative aux conséquences du classement des collectivités territoriales dans la clientèle « non professionnelle » au regard de la directive MiFID, à ma connaissance une seule disposition de notre droit interdit la vente de certains produits : c'est l'article 341-10 du code monétaire et financier qui exclut du démarchage « les produits dont le risque maximum n'est pas connu au moment de la souscription ou pour lesquels le risque de perte est supérieur au montant de l'apport financier initial ». Cela étant, le fait d'être ou de ne pas être un professionnel ne conditionne pas la capacité à conclure ; il conditionne en revanche la mise en cause de la responsabilité des prestataires de services d'investissement ou des prestataires bancaires, sans qu'il y ait là rien de spécifique aux collectivités territoriales. Par l'arrêt Buon rendu le 5 novembre 1991, la Cour de cassation a institué un devoir d'information sur les risques encourus qui prend en compte la sophistication du client et la complexité du produit. C'est sur ce terrain qu'il faut se placer pour apprécier la situation des collectivités territoriales, qui ne constituent pas un ensemble homogène : je ne pense pas que l'on ait tout à fait les mêmes interlocuteurs selon que l'on s'adresse à la commune de Saint-Barthélémy-d'Anjou citée dans le rapport de la Cour des comptes ou à la Région Ile-de-France. Selon les principes du droit français, on doit paramétrer ces obligations d'information. La jurisprudence est très claire à ce sujet : cela va d'une obligation d'information à un devoir de conseil et jusqu'à un devoir de mise en garde dans certaines situations. Une graduation s'impose en fonction de l'interlocuteur, et sans faire d'angélisme, car certaines collectivités territoriales sont de très gros acteurs très sophistiqués. Il faut donc faire preuve de beaucoup de pragmatisme.
La directive MiFID, qui définit les collectivités territoriales comme une clientèle non professionnelle, doit s'appliquer ; or, vous sous-entendez que l'on ne s'en sert pas. Par ailleurs, et même si ce n'est pas du droit écrit, les banques n'ont-elles pas des obligations déontologiques à l'égard de leurs clients, sachant que ceux-ci ne sont pas des professionnels des marchés financiers ? N'y a-t-il pas eu des défaillances à ce sujet ?
S'il y a eu des défaillances, c'est aux tribunaux qu'il revient d'en juger ; et si j'ai pu laisser penser que les catégories définies dans la directive MiFID ne sont pas appliquées, c'est que je me suis mal exprimé ; mais si la charte Gissler demande que les établissements de crédit signataires reconnaissent que leur interlocuteur est un non-professionnel, c'est parce que ce qu'impose la directive est beaucoup moins contraignant. Pour ce qui est de la violation des obligations déontologiques, il n'est pas de semaine où une jurisprudence ne condamne, ou ne condamne pas, un établissement bancaire pour ce type de grief. C'est le seul terrain où l'on doit se placer aujourd'hui : quand il y a une difficulté, il faut déterminer s'il y a eu manipulation et manoeuvre, ou si l'on cherche à sortir à bon compte d'un contrat signé en connaissance de cause.
Il faut savoir que la plupart des grandes collectivités françaises, sollicitées par les salles de marché ou par leur banquier pour se déclarer professionnelles ou non-professionnelles, ont signé une attestation par laquelle elles se reconnaissent « professionnelles ». C'est ce qui explique la position adoptée dans la charte Gissler, qui oblige aujourd'hui à les dire « non professionnelles ». Mais, devant les tribunaux, les collectivités qui ont signé une attestation de ce type seront délégitimées.
J'en viens à la question de la déontologie. Il faut se rappeler qu'il s'agit avant tout d'un marché commercial extraordinairement rentable et très concurrentiel ; de surcroît, c'est un segment bancaire unique car sans risque pour le banquier. Sur le marché de l'entreprise ou du particulier, le banquier qui prête prend le risque de ne jamais recouvrer sa créance ; sur celui des collectivités locales, il n'y a jamais eu aucune défaillance majeure. C'est donc un marché de prix, où il faut apparaître comme le moins-disant. Les problèmes déontologiques relèvent moins de la sphère financière que de la sphère commerciale puisque entre les banquiers et les décideurs locaux, une relation commerciale particulièrement agressive et très travaillée a été mise en place. Les établissements rivalisaient d'entregent auprès des décideurs locaux. Dexia, en particulier, avait une politique de relations publiques de très grande qualité, mais limite. À titre d'illustration, Dexia a organisé un voyage de quatre jours à Rome, entièrement défrayé, pour tous les décideurs du grand Sud-est – essentiellement les directeurs généraux, non les directeurs financiers – pour leur faire visiter sa filiale italienne. Quand on prend connaissance des contrats conclus dans la foulée par Dexia auprès des collectivités invitées, on constate qu'ont été signés de très grands emprunts, bien margés et donc très rentables, sans mise en concurrence. De même, Dexia invitait chaque année pour deux jours au Festival d'Avignon, dont il était le principal sponsor, les principaux décideurs territoriaux, élus et directeurs généraux des services – on évitait aussi les directeurs financiers –, les logeant dans le plus bel hôtel de la ville et les restaurant à des tables étoilées. Les questions déontologiques sont là, mais elles valent pour tous : ceux qui proposent comme ceux qui acceptent et qui peuvent être tentés de renvoyer l'ascenseur. C'est d'un marché commercial que l'on parle ; il ne s'agit donc pas tant de prix et de technique financière que de relationnel.
Vous signalez une grande agressivité commerciale. Mais sur quoi portait la concurrence ? Il était très difficile, en lisant les contrats, de voir en quoi une offre se distinguait d'une autre. Le piège était dans la présentation, le seul taux permettant une comparaison étant celui du prêt bonifié consenti les premières années.
On est là au coeur de l'extraordinaire guerre commerciale entre les banques. L'ensemble des prêts à taux variable vendus depuis 2005 l'ont été à perte : tout reposait sur la capacité à réaménager et à réinstaurer une marge. Dès 2006, j'avais écrit un article à ce sujet dans la Gazette des communes, en recommandant aux communes d'accepter une marge et de ne pas emprunter au taux Euribor majoré de 0,01% ou 0,02%, car un taux aussi faible signale un prêt fait à perte, et le prêteur voudra reconstituer sa rentabilité. Pour ce qui est des prêts structurés, le sommet de ceux qui ont été commercialisés en France, c'est un prêt sur quarante ans dont vingt ans à taux nul et vingt ans avec une option qui ne s'est pas encore déclenchée mais qui se déclenchera un jour ; on imagine le risque pris ! Mais c'est irrésistible pour un profane, ou quand on sait que l'on laissera à ses successeurs le soin de se débrouiller de tout cela. Il s'est agi avant tout d'une guerre commerciale qui a entraîné une escalade dans la prise de risques, à l'aide d'un marketing très élaboré. La puissance de feu des banques est grande, leur force de conviction tout autant.
J'ai été banquier en 2000-2001, à la Caisse d'épargne. J'ai quitté le milieu bancaire pour en dénoncer les dérives quand j'ai vu émerger les produits structurés et compris que les dés allaient être définitivement pipés : alors que, dans les années 1990, le décideur local et le banquier étaient sur un pied d'égalité, le premier pouvant comparer les offres et choisir le moins-disant, c'est devenu impossible à partir des années 2000 ; la concurrence était faussée. De facto, ce milieu devenait biaisé. Chez Dexia, il y a beaucoup d'anciens fonctionnaires très introduits – voyez son président et aussi le n° 2. Dexia a été une extraordinaire machine de guerre. À titre d'illustration, l'établissement ne laissait rien au hasard, finançant les colloques territoriaux ou les associations professionnelles à travers un fonds d'investissement. Dexia a été propriétaire du groupe Le Moniteur qui publie la Gazette des communes ou le Courrier des maires. Force est de constater que, durant cette période, les dossiers concernant la gestion de dette contenaient systématiquement la position de Dexia.
Dexia verrouillait très bien le champ de sa clientèle, mais aussi les pouvoirs réglementaires, puisque la Direction générale des collectivités locales (DGCL) et la comptabilité publique, alertées depuis des années sur la dérive du marché du financement des collectivités locales, n'ont jamais pu intervenir et n'ont jamais modifié le cadre comptable, complètement suranné et déconnecté de l'évolution de la dette. À un moment, Dexia avait créé tous les verrous possibles pour dérouler sa stratégie.
Monsieur Parisot, quel intérêt les banques ont-elles à commercialiser des emprunts structurés plutôt que des prêts à taux fixe ou variable ? Comment expliquer qu'à un moment donné des collectivités qui avaient souscrit des emprunts de longue durée à taux fixe ont transformé cet encours en emprunts structurés ? Pour les banques, le coût en fonds propres de ce type d'emprunts est-il le même que celui de prêts à taux fixe ?
Les collectivités locales constituaient une clientèle captive et peu risquée, si bien que les marges rémunérant ce risque ont été très faibles pendant un moment. Dans ce contexte, les banques ont cherché à restructurer plusieurs fois le même encours en proposant des produits propres à optimiser leur compte de résultat. Mais si les banques ont commercialisé ce type de prêts plutôt que des prêts à taux fixe, c'est que les collectivités y trouvaient aussi leur intérêt. La charge financière d'une collectivité figure parmi les ratios réglementaires et les agences de notation les observent également. Le coût de la dette est un des éléments importants qui permettent de juger de la qualité de crédit, de la solvabilité et de la compétence de gestion d'une collectivité. Ce qui est effectivement troublant, c'est que ces produits différaient à une période bien ultérieure la survenue de risques, des risques qui de surcroît ne dépendaient pas intrinsèquement de la collectivité considérée mais de scénarios de marchés. Les collectivités ont besoin d'emprunter, et très peu ont une surface financière suffisante pour choisir des emprunts obligataires. Le marché bancaire étant prédominant et ces produits n'ayant pas été interdits par la circulaire de 1992, les collectivités, clientes captives, les ont utilisés.
S'agissant des fonds propres, les banques courent un risque de crédit sur les prêts qu'elles consentent aux collectivités locales. Il est difficile pour le législateur de savoir quel est le niveau de risque sur les produits dérivés volatils que les banques proposent aux collectivités. Les normes « Bâle II » qui prévalent, mesuraient, pour les banques, le risque supplémentaire lié aux swaps et autres produits dérivés, réalisés en plus des prêts.
Les collectivités locales représentaient, dans ces produits, un risque de crédit en capital qui était le nominal du prêt pour la banque. Une formule avait été trouvée pour quantifier l'équivalent crédit représenté par le produit dérivé intégré dans le package du prêt aux collectivités locales ; il était fonction du nominal du prêt : par exemple, 2 points de base du nominal qui était de 100. Le volume de risque pour les banques n'était pas du tout le même que pour le risque de crédit, à telle enseigne que les normes Bâle II pondéraient les prêts aux collectivités locales à 20 % en France et beaucoup moins pour les swaps, le régulateur jugeant ce risque bien plus faible que le risque de crédit. Les fonds propres engagés par les banques sur les produits dérivés étaient donc vraisemblablement beaucoup plus faibles.
Peut-on estimer quelle fut l'augmentation des marges bancaires grâce aux emprunts structurés ?
Tout produit financier étant coté, il suffit de connaître le mark-to-market pour en détecter la marge. La banque est une activité commerciale : il existe un marché sur lequel on achète et on vend. Les marges reconstituées sur les produits structurés ont pu monter jusqu'à 150 voire 200 points de base, très tôt. Ainsi la Chambre régionale des comptes de Rhône-Alpes a-t-elle dénoncé l'épisode suivant. En 2001, le conseil général de l'Ain a réaménagé ses encours sur Euribor, qui étaient en moyenne à 0,10. Il lui est alors proposé une restructuration fondée sur le Pribor – le taux interbancaire offert à Prague ! Le réaménagement est fait avec une marge de moins 0,50, et l'on explique au conseil général de l'Ain que la République tchèque rejoindra sous peu la zone euro et que le Pribor deviendra alors l'Euribor, si bien que la collectivité paiera bientôt Euribor moins 0,50. Tout cela fait l'objet d'une délibération dont le contrôle de légalité ne s'émeut pas.
À l'époque, je suis banquier et je demande à ma salle de marché combien vaut exactement le produit commercialisé : la réponse est : « Pribor -1,50 % »… La banque, en revendant le produit à Pribor - 0,50 %, gagnait donc 100 points de base – le tout en partant d'un encours initial à 0,10 % ! Or, cela se passait en 2001 ; on imagine combien, depuis lors, la sophistication et les marges ont augmenté. Les cours régionales des comptes se sont efforcées de chiffrer la marge reconstituée par les banques à partir d'une restructuration : elles étaient régulièrement comprises entre 0,50 % et 0,60 % mais, parfois, des marges de 200 points de base ont été atteintes. Cette rentabilité s'est traduite dans les comptes des banques : longtemps – de 2003 à 2006 – Dexia a été la plus rentable de toutes, avec un taux de retour sur fonds propres supérieur à 20 %.
Monsieur Parisot a mentionné l'intérêt légitime des collectivités territoriales à voir baisser leurs charges financières et souligné que les agences de notation étaient elles aussi attentives à l'évolution des charges d'intérêt. Dans ce cadre, leur myopie persistante face à cette forme de gestion de la dette n'est-elle pas troublante ? Année après année, elles se sont limitées à féliciter les collectivités d'avoir allégé ainsi le poids de leur charge financière…
Monsieur Nys, quelles sont, selon vous, les limites de la classification retenue dans la charte Gissler ? Comment justifier que demeurent autorisés les prêts basés sur des index hors zone euro, ou certains snowballs ? D'autre part, les marges cachées, condamnées par la Cour de Karlsruhe, ne vont-elles pas entraîner des difficultés dans les relations contractuelles entre les banques et les collectivités territoriales ?
La charte Gissler est largement insuffisante – je l'ai écrit dans un article intitulé « Banques : une charte pour rien ». La lacune principale de la charte est qu'elle ne fixe pas un taux plafond pour tout produit vendu à une collectivité territoriale. Le ferait-on que l'on sécuriserait tous les produits : pour les swaps, les réaménagements et les emprunts nouveaux, la prise de risque et la bonification seraient circonscrites. La barrière de taux tout au long de la vie du prêt est la seule garantie que le marché sera régulé. M. Gissler, que l'ai eu l'occasion de rencontrer, m'a semblé convaincu, mais une charte se négocie et il n'a pu imposer cette clause aux banques. C'est ma préconisation principale.
Peut-être. Si le taux de l'emprunt est plafonné, libre à la collectivité de prendre pour base ce qu'elle souhaite. C'est le niveau du risque qui compte, mais la charte n'en dit mot : elle n'évoque que les formes du risque, si bien qu'une interprétation maligne permettrait de reconstituer un risque important. C'est une première étape intéressante, mais le texte est indéniablement perfectible.
Comment traiter le stock des créances structurées ? Vous paraît-il envisageable de "capper" par la loi des prêts déjà souscrits - par exemple en étendant la notion d'usure pour qu'elle s'applique aux collectivités territoriales, clientèle non professionnelle ? Par ailleurs, faut-il rendre obligatoire le provisionnement de ces risques dans les comptes des collectivités ?
Les collectivités locales ne sont pas tenues de provisionner les risques liés à la dette. Il serait prudent que, comme les entreprises, elles provisionnent le risque latent résultant d'un stock de dette certaine pour lequel les évolutions du marché peuvent rendre très difficile l'évaluation à long terme de la charge financière. Elles y gagneraient en crédit et ce serait une mesure de bonne gestion. Quant à la création d'une structure de défaisance, c'est une décision qui relève de la puissance publique en tant que régulateur. Il y a un prêteur et un emprunteur, qui doivent trouver une solution ; s'ils n'y parviennent pas, un deus ex machina doit intervenir en apportant une garantie ou en absorbant une partie des pertes.
La liquidation du stock de dette est une affaire très compliquée. Beaucoup a déjà été résolu car de nombreuses collectivités ont pris une décision, par des formules discrètes : versement d'une soulte, transaction, ou, malheureusement, réaménagements qui augmentent encore les risques. Certaines situations ont donc déjà été traitées.
S'agissant de la structure de défaisance, l'architecture prévue n'est pas aberrante. La structure sera financée par les banques, et le débat portera sur la part des collectivités locales. La partie bonifiée du prêt doit notamment être correctement valorisée, car la collectivité y a trouvé un véritable intérêt budgétaire. Il faudra aussi tenir compte de la position de co-contractant de la collectivité ; elle peut avoir été crédule, incompétente ou machiavélique, mais elle a signé. Le conseil en gestion de dette existe depuis vingt ans, et depuis onze ans Finance active, un opérateur qui permet de tout coter presque en temps réel. Les collectivités qui le voulaient, notamment les plus grandes, pouvaient mesurer les risques ; elles ont une part de responsabilité dans ce dossier, responsabilité qui tient aussi à une déontologie insuffisante sur le plan commercial. La définition de la participation financière des collectivités territoriales à la structure de défaisance devra aussi prendre en compte les erreurs commises. Une telle structure ne peut être envisagée qu'avec un co-financement équilibré.
Enfin, l'État a une grande responsabilité dans ce qui est advenu car il a été alerté depuis des années par des articles et des courriers. En 2002 déjà, je publiais un ouvrage consacré à la gestion de la dette dans lequel je dénonçais la dérive du marché et dessinais ce qui allait se passer. L'État a été très passif : le cadre comptable demeure indigent – aucune provision possible, aucune valorisation bilancielle, si bien que l'on ne voit que les avantages des produits structurés sans en mesurer les inconvénients. C'est pourquoi ces produits ont prospéré auprès des collectivités locales et non dans le secteur privé. Il faut réformer le cadre comptable des collectivités et au moins instituer une obligation de provision ou une obligation bilancielle. La faute de l'État, c'est le manque de réglementation sur les emprunts : de ce fait, on pouvait tout faire, et même ne pas mettre les banques en concurrence. La charte Gissler a amorcé le changement, une circulaire l'a appliquée, mais l'on a vu qu'elle pouvait être contournée. L'État a aussi la responsabilité de muscler le cadre juridique du recours à l'emprunt ou de la renégociation, ou du recours aux instruments de couverture.
S'agissant du stock, je souscris sans réserve aux propos de M. Nys. En premier lieu, on est dans le cadre de la liberté contractuelle : ou les contrats sont nuls ou ils ne le sont pas, c'est aux tribunaux d'en juger. S'ils sont valides, que les contractants s'entendent pour les restructurer ; nous passons beaucoup de temps à aider les parties à trouver des solutions acceptables pour tous. Et si les contrats sont valides, un capping rétroactif me paraît exclu. En revanche, en l'état, beaucoup de petites collectivités n'ont pas accès à la médiation ; il le faudrait car ce forum permettrait des discussions plus constructives qu'une bagarre au tribunal. La création d'une agence publique centralisant, en position dominante et avec un acteur professionnel, la partie indexatoire des emprunts, est une piste à explorer. Pour l'avenir, une grande marge de progression juridique est possible sans qu'il soit besoin de faire preuve de beaucoup d'imagination. J'ai cité l'article 341-10 du code monétaire et financier qui interdit le démarchage pour « les produits dont le risque maximum n'est pas connu au moment de la souscription » : cette formule pourrait être utilement reprise si l'on s'orientait vers une capacité liée des collectivités locales qui n'existe pas aujourd'hui.
Je distingue six domaines dans lesquels la réglementation devrait progresser. Nous vivons une période de terrible incertitude juridique : le marché est tétanisé, ce qui interdit aux collectivités locales d'avoir recours à autre chose que des emprunts à taux fixes. Nous avons besoin que les choses s'apaisent et que l'on évolue dans un univers juridique stable. Il faut clarifier qui a la capacité à conclure des produits dérivés selon qu'ils sont isolés ou emballés dans un crédit : une opération est interdite, l'autre est permise. Pourquoi ? Cette incohérence réglementaire doit être rectifiée. On peut utiliser des caps, interdire certains sous-jacents, certaines structures, limiter les effets de levier… Les OPCVM, par exemple, ne peuvent conclure des produits dérivés avec un effet de levier supérieur à un par rapport à la taille de leur actif. En matière de produits dérivés, une série d'acteurs a une capacité juridique beaucoup plus encadrée que celle des collectivités territoriales ; des progrès sont nécessaires.
Ils sont indispensables aussi en matière d'autorisations, de délibérations et de délégations données par les assemblées délibérantes. Il y a dix ans, les délibérations étaient longues de dix à quinze pages et contenaient des rapports sur la dette. Aujourd'hui, ce sont des délibérations de deux pages et quand les banquiers demandent plus d'informations, il leur est répondu de faire avec ce qu'ils ont sous les yeux, faute de quoi la collectivité traitera avec un concurrent ! Les collectivités doivent être forcées à débattre mieux et à adopter des processus de décision plus transparents.
Il convient aussi de déterminer si le contrat lui-même, bien que de droit privé, ne devrait pas être soumis au contrôle de légalité.
S'agissant de la soumission de ces opérations aux règles des marchés publics, nous avons un conflit larvé avec la Commission européenne sur le point de savoir si les opérations d'emprunt doivent ou non être soumises au code des marchés publics. On dit souvent que la conclusion des produits dérivés est incompatible avec la lenteur de ces procédures. Mais la législation européenne ne nous impose pas de soumettre les produits dérivés aux règles du marché public puisque la directive ne les intègre pas. En revanche, s'agissant des financements, une amélioration est peut-être possible.
Pour ce qui est des conditions de la conclusion du contrat et de l'information, la jurisprudence française me semble constituer un corpus suffisant et suffisamment clair pour s'appliquer au cas d'espèce, mais des progrès restent à faire au sujet de la médiation.
Enfin, la norme comptable est tout à fait inadaptée ; je le redis, l'éveil des consciences aurait sans doute été plus précoce si les mark-to-markets avaient été identifiés dans la comptabilité des collectivités et avaient fait l'objet d'une communication adéquate.