Monsieur Moreau, nous avons souhaité à travers la série d'auditions que nous avons conduite nous assurer du bon déroulement du processus des investissements d'avenir en vérifiant tant ce qui s'est passé en amont que ce qui va se passer en aval de la passation des appels d'offre et de la signature des contrats avec les bénéficiaires finaux. Aujourd'hui, nous souhaitons avoir le point du vue du ministère du Budget après avoir entendu le point de vue de différents acteurs du processus.
Je souhaite tout d'abord connaître votre avis sur l'état d'avancement du programme, en particulier le rythme des engagements et des décaissements des crédits. Ensuite, je souhaiterais des précisions sur d'éventuels glissements du financement de certains projets des crédits budgétaires vers les crédits extra budgétaires du grand emprunt. C'est une question importante et politique sur laquelle il faut être très clair.
Je précise tout d'abord que le ministère du Budget n'est pas représenté dans les différents comités de pilotage à l'exception du dossier de Saclay et n'a donc pas de visibilité sur l'ensemble des calendriers d'engagement et de décaissement des fonds ; nous sommes plutôt en situation de suivi. Le bilan suivant peut être dressé : l'ensemble des conventions avec les opérateurs a été signé, l'ensemble des crédits prévus par la loi de finances rectificative a été versé aux opérateurs, les appels à projet de la première phase ont été clôturés. La deuxième vague des appels à projet a été lancée début juin. Ce rythme représente déjà une performance à souligner, avec un montant important de crédits et une ingéniérie juridique assez lourde. Les crédits engagés au 31 mars 2011 représentent presque 4 milliards d'euros (3 milliards de dotations consommables et 936 millions d'euros de dotations non consommables). Le bilan du deuxième trimestre n'est pas encore finalisé. Les engagements à fin 2011 représenteront 15 à 20 milliards d'euros dont 12 à 13 dans le domaine de l'enseignement supérieur et de la recherche. Quant aux décaissements, ils sont par définition plus longs et dépendent de plusieurs facteurs : date de sélection des projets, des conventions passées entre l'ANR et les bénéficiaires finaux, des prévisions de décaissement des bénéficiaires…. Que les décaissements ne soient pas immédiats ne doit pas être source d'inquiétude : il est préférable de s'assurer dès aujourd'hui qu'il seront mis en place dans de bonnes conditions. Les prévisions sont différentes selon s'il s'agit de financer un gros investissement ou de financer une équipe de recherche.
Dans son rapport déposé en annexe au projet de loi de finances, le Gouvernement avait évoqué un total de 5 milliards de décaissement en 2011 pour l'ensemble des investissements d'avenir : rien n'indique que ce ne sera pas respecté. L'ANR a déjà décaissé 18,5 millions d'euros pour les bénéficiaires des laboratoires d'excellence et 7 millions d'euros d'intérêts sur les dotations non consommables pour les instituts Carnot.
La mise en place de l'ensemble du processus se déroule bien et cela me paraît le plus important.
Si l'on additionne les crédits budgétaires et extrabudgétaires, sommes nous au-dessus de ce qui aurait du être versé de toute façon au titre des crédits budgétaires, pour une phase d'investissement comparable ?
Les subventions aux organismes et aux universités sont versées conformément à leur rythme habituel, il y a donc un supplément avec les crédits extra budgétaires.
On voit bien que le système est particulier, avec des processus nouveaux qui sont mis en place. Nous souhaitons nous assurer que ces crédits supplémentaires ont un impact fort, mais il est complexe de faire le suivi et de veiller à terme aux résultats.
L'idée de la commission Rocard et Juppé était bien de mettre en place un suivi spécifique de ces investissements pour éviter le soupçon que les crédits viendraient financer l'activité courante des organismes ou des projets qui n'auraient pas trouvé de financement par ailleurs.
Je souhaiterais connaître les projets « fléchés » qui n'avaient pas été financés par les crédits de la loi de finances et qui pourront l'être grâce au grand emprunt.
Il y a deux situations différentes. Dans l'une, le financement était prévu sur crédits budgétaires et il y eu glissement : c'est le cas de l'aéronautique civile pour environ 450 millions d'euros, et des fonds démonstrateurs de l'Ademe, mais je ne connais pas d'autre cas avéré. Dans les autres cas soulevés par la Cour, il est difficile de dire s'il s'agissait réellement de projets, ou seulement d'intentions, dans la mesure où aucune autorisation d'engagement n'était inscrite, Il s'agit par exemple du projet de réacteur expérimental Jules-Horowitz destiné à la recherche, du projet Astrid et des internats d'excellence.
On peut se demander alors s'il s'agit réellement de « projets d'avenir », s'ils existaient déjà.
Il est arrivé que ces projets changent de nature en cours de route. Le projet de réacteur Jules-Horowitz était un réacteur de recherche à l'origine, et, sur proposition de la commission Juppé-Rocard, il a été étendu à la production de radio nucléides à usage médical ; le projet Astrid pour sa 4ème génération quant à lui n'avait connu aucun début de réalisation.
Je demanderai une réponse écrite sur ces points, avec la précision du nombre des projets concernés et la manière dont ils ont évolué.
Comment prévoyez vous l'évolution des crédits budgétaires dans ce contexte ? Le plan Campus prévoit des lignes de cofinancement. Sur l'immobilier universitaire en particulier, le ministère n'en vient-il pas à reprendre d'une main ce qu'il donne de l'autre ? Quant à l'équipement de recherche, verra t-on un maintien ou une baisse de l'effort ?
Je peux tout à fait vous fournir cette liste des projets qui ont évolué avec l'intervention des financements nouveaux. On constate par exemple que le projet RJH a changé de nature lorsqu'il a été envisagé de le financer dans le cadre du grand emprunt. Astrid n'était pas vraiment un projet et a bénéficié de l'opportunité. Les développements de restructuration de la filière des lanceurs Ariane VI n'auraient pu être engagés avec les seuls crédits budgétaires du CNES tels que prévus dans le contrat d'objectif actuel de l'opérateur. De même, je doute que nous aurions eu des internats d'excellence supplémentaires sans les investissements d'avenir.
Y a-t-il des projets dont le financement a été bouclé grâce aux investissements d'avenir ?
Non, il serait plus juste de dire que des projets ont été complétés grâce au grand emprunt. Quant à l'évolution budgétaire, il n'y a pas de décroissance inscrite au triennal 2011-2013 ; il n'y aura donc pas d'effet de substitution de crédits. En revanche, il y aura des opportunités pour mener à bien des opérations plus structurantes que celles en cours avec les crédits récurrents.
Avant le plan Campus, les contrats de plan État-régions et les crédits budgétaires concouraient déjà au financement de projets non négligeables, telles les dernières tranches de programmes immobiliers ou les universités du troisième millénaire. Les dix universités retenues dans le cadre du plan Campus ont-elles aussi émargé à ces plans successifs ? Ou bien le plan Campus et le grand emprunt, en leur apportant un ballon d'oxygène sur le plan financier, ont-ils permis de réduire le volume des crédits budgétaires qui leur sont alloués et qui servent, en grande partie, au développement d'infrastructures immobilières visant à répondre à la massification de l'enseignement supérieur ?
La mise en oeuvre des contrats de plan État-régions se poursuit nonobstant l'application du plan Campus.
Pourtant, le faible taux de consommation des crédits liés aux contrats de plan État-régions demande explication.
Il n'est pas lié à la mise en place du plan Campus.
La stratégie financière est difficile à définir dans un environnement nouveau où les partenariats publics privés apparaissent, l'autonomie des établissements se développe et la dévolution du patrimoine immobilier est enfin amorcée… Dans ce contexte, quelles sont vos propres préoccupations ?
Le ministère du Budget souhaite disposer d'une vision consolidée des financements existants. En établissant le jaune budgétaire, ainsi que l'a préconisé la Commission Juppé-Rocard, il assure un suivi spécifique des investissements d'avenir, mais au-delà, il faudrait être capable de faire un suivi consolidé par site et par organisme de l'ensemble des crédits reçus. Nous y travaillons avec le ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche. Cette préoccupation est particulièrement prégnante pour les sujets immobiliers qui correspondent à des opérations lourdes et de long terme.
Comment le ministère du Budget s'assure-t-il du respect des clauses qui garantissent, dans les appels à projet, le recours à des sous-traitants français, dans une volonté de développement du territoire national ? Il me semble que les retombées effectives sont très faibles.
Le choix des projets est à l'entière appréciation des jurys désignés à cet effet, non du ministère. Il conviendrait d'examiner une à une les conventions attributives de crédits. Dans celles où ce point serait inclus, le CGI serait garant de sa bonne observation.
Sous quelle forme la direction du Budget est-elle partie prenante à l'établissement public du plateau de Saclay ?
Je siège ès qualités au sein de son conseil d'administration.
Quelle impression retirez-vous de cet empilement de financements ? La situation vous paraît-elle optimale ?
Elle résulte d'un changement de nature survenu ces dernières années. De dotations récurrentes à des opérateurs le mode opératoire est passé au financement sur projet, consécutivement à la création de l'ANR. Comme la mise en oeuvre des investissements d'avenir commence à le montrer, le nouveau mode opératoire est plus favorable au développement de grands projets.
L'ANR ne devrait-elle pas piloter les crédits extra-budgétaires alloués dans le cadre des appels à projets ?
Le Gouvernement, via le CGI, a souhaité garder la haute main sur ces investissements, mais l'ANR reste très présente dans les faits, notamment au sein des jurys de sélection.
Vous voulez dire qu'elle se contente de les organiser ! J'estime qu'elle serait pourtant mieux à même de suivre l'exécution des crédits.
Les appels d'offre qu'elle publie ne répondent pas aux mêmes exigences que les opérations du grand emprunt. L'agence est plutôt dimensionnée pour attribuer des aides à des projets d'un montant moyen de 500 000 euros.
L'exemple de la loi organique relative aux lois de finances devrait inspirer plus de rigueur dans la gestion des crédits. Deux structures se développent en parallèle, l'une pour attribuer les crédits, l'autre pour en suivre l'exécution. La théorie classique du management connaît les plateformes d'impulsion pour engager les projets d'avenir, mais elle prévoit que ces plateformes sont ensuite intégrées à la structure existante de l'entreprise.
Je n'ai pas encore observé l'apparition de contradictions de ce genre. Du reste, tous les crédits n'ont pas encore été attribués.
L'existence même de notre mission d'évaluation et de contrôle atteste pourtant du besoin d'éclaircissements. Je crois à un risque de superposition de structures redondantes.
Les décisions sur le suivi des crédits ne sont pas encore à prendre immédiatement. La priorité aujourd'hui va à l'attribution des dernières tranches. Mais je conviens avec vous de ce que la démarche des investissements d'avenir a pu amplifier une certaine dichotomie entre le financement sur projets et les dotations récurrentes.
D'une certaine manière. Les organismes concernés sont peu nombreux et je siège simultanément au conseil d'administration de l'ANR, du CNRS et du CEA. Le suivi des crédits des investissements d'avenir est assuré par une administration de mission, le Commissariat général aux investissements. Il n'y a pas d'autre solution que cette gouvernance spécifique, qui présente certes l'inconvénient de ne laisser place qu'à un suivi plus général des ministères du Budget et de la Recherche.
La représentation nationale voudrait pourtant savoir quels crédits financent quels projets. Il faudrait pour cela que les crédits consommables des investissements d'avenir soient inclus dans la norme de dépense.
La norme de dépense est définie comme la norme que l'État se fixe pour piloter ses dépenses. Il est difficile d'y intégrer les dépenses effectuées par les opérateurs, puisque la réalisation de la norme de dépense dépendrait des décaissements opérés par des opérateurs, en l'occurrence l'ANR. L'effet pervers pourrait être que, pour garantir le respect de cette norme, le ministère du Budget intervienne directement auprès des opérateurs, en demandant par exemple à l'ANR de retenir 100 millions d'euros, ce qui perturberait la bonne exécution des conventions. Enfin, même si les dotations consommables des investissements d'avenir ne sont pas incluses dans la norme de dépense, elles ont un impact sur l'évolution du solde des administrations publiques et de la dette publique, qui sont aussi des indicateurs importants pour le pilotage des finances publiques.
La nature juridique du versement a une incidence sur le bilan et entraîne une obligation de consolidation à la fin.
La traçabilité est assurée jusqu'à l'exécution, car les opérateurs comme l'ANR gèrent les dépenses du grand emprunt dans des comptes de tiers et celles–ci sont comptabilisées dans les conventions jusqu'à l'exécution.
Le principe du grand emprunt est positif, mais il gagnerait à être complété par de mécanismes de transparence et de cantonnement distinguant plus précisément les crédits budgétaires des investissements d'avenir, ne serait-ce que pour dissiper les soupçons politiques tendant à accréditer l'hypothèse de la substitution ou d'une diminution des crédits budgétaires compensés par les dépenses du grand emprunt.
Cette recommandation est en effet pertinente. Mais si le mécanisme est lourd, et pourrait être qualifié parfois de trop bureaucratique, c'est justement pour donner une garantie de traçabilité des crédits. Ce mécanisme étanchéifie les crédits des investissements d'avenir, ce qui préserve du soupçon de substitution, tout en traduisant une forte volonté politique de suivi.
À titre personnel, j'estime que le montage actuel se rapproche d'une « usine à gaz », et que l'opacité du dispositif est dommageable à terme. Il me semble nécessaire de simplifier et rendre plus transparent la structure actuelle.
Il ne serait toutefois pas pertinent de changer la procédure au milieu de la phase d'attribution ; les projets du grand emprunt ne sont en aucun cas des projets « de repêchage », ils se situent dans la logique de véritables investissements d'avenir, certifiés par le Commissariat général à l'investissement.
La Commission Juppé Rocard a fait un bon travail de tamisage et de sélection des projets. Pour un projet de cette ampleur financière, les structures de contrôle actuelles ne sont pas injustifiées. Il n'en demeure pas moins que le grand emprunt accroît le déficit budgétaire de 35 milliards d'euros, même si les dépenses sont étalées sur plusieurs années. La logique du Commissariat général est de faire un tri sévère pour accroître la sélectivité des projets de recherche dans le sens de la rentabilité.
Ce qui serait fondamental, ce serait d'améliorer les indicateurs et les outils de mesure de retour sur investissements. Une réflexion est-elle en cours pour améliorer les indicateurs de suivi de la performance des crédits budgétaires ?
C'est le Commissariat général à l'investissement qui doit mettre en place l'ensemble des indicateurs permettant de suivre la performance spécifique de ces investissements. C'est un exercice essentiel mais extrêmement difficile que de mesurer la performance de ces crédits, surtout dans un domaine comme l'enseignement supérieur et la recherche. Ce n'est cependant pas parce que c'est complexe qu'il ne faut pas le faire, et l'existence du CGI est un moyen justement de nous motiver et de continuer à avoir cette très forte pression sur le suivi et la performance qui n'était pas nécessairement la tendance spontanée du système, tel qu'il était organisé auparavant dans le secteur de la recherche. Si le financement sur projet s'est développé depuis plusieurs années, c'est justement parce que le financement par des dotations récurrentes était trop peu lié aux résultats des organismes financés et que l'allocation des moyens au sein d'organismes n'intégrait par exemple qu'imparfaitement les résultats des évaluations internationales existantes.
Tout dépend aussi de la nature de l'investissement : s'il s'agit d'infrastructures, il est très difficile de mesurer le retour sur investissement, sinon d'un point de vue global.
Le Grand emprunt peut conduire la représentation nationale à s'interroger en miroir sur la façon dont elle a mis en oeuvre la LOLF. On se trouve en effet ici dans une dynamique de projets, avec des financements calés sur des objectifs précis et déterminés à l'avance, ce qui est bien la méthodologie retenue par la LOLF, dont on sait bien que la mise en oeuvre peut être encore améliorée. La commission des Finances peut donc prendre appui sur la réflexion qu'elle mène actuellement sur ces financements extrabudgétaires pour s'interroger sur les conditions de mise en oeuvre de la LOLF.
Messieurs, je vous remercie.