La Commission entend Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'Écologie, du développement durable, des transports et du logement, et M. Christian Descheemaeker, président de la septième chambre de la Cour des comptes, sur le projet de loi de règlement pour 2010 (n° 3507) : le grand port maritime de Marseille, les principaux enseignements de l'exécution budgétaire en 2010, le schéma national d'infrastructures de transport et l'écotaxe aux frontières
Madame la ministre, monsieur le président de la septième chambre de la Cour des comptes, au nom de mes collègues et du président Jérôme Cahuzac qui, retenu avec le président de l'Assemblée nationale, m'a demandé de présider cette réunion, je vous souhaite la bienvenue à la commission des Finances.
Mes chers collègues, avant d'évoquer avec Mme la ministre l'exécution budgétaire et plusieurs dossiers d'actualité, nous allons commencer par un échange sur la situation du Grand Port maritime de Marseille. Le président Descheemaeker va nous présenter les travaux de la Cour des comptes, c'est-à-dire à la fois le rapport particulier de 2010 et l'insertion au dernier rapport public. Puis notre rapporteur spécial, Hervé Mariton, nous présentera brièvement les conclusions qu'il tire de la mission qu'il a effectuée il y a quelques semaines à Marseille. Madame la ministre, vous pourrez ensuite nous faire part de votre sentiment sur ce dossier, avant que nous en venions aux questions.
La Cour des comptes a en effet contrôlé la gestion du Grand Port maritime de Marseille et fait connaître ses observations par deux voies. La première est ce que le code des juridictions financières appelle un « rapport particulier », mode obligatoire pour le contrôle des entreprises publiques, dont les grands ports maritimes font partie ; ce document a été transmis au directeur du port, aux ministres de tutelle et aux présidents des commissions des Finances des deux assemblées parlementaires le 10 décembre 2010. La deuxième est une insertion au rapport public annuel de la Cour, publié en février 2011.
Les nombreuses observations de la Cour peuvent être ainsi résumées.
D'abord, le Grand Port maritime de Marseille est en déclin. Composé des bassins Est, situés à Marseille même, et des bassins Ouest, situés à Fos-sur-Mer, il a pourtant un classement enviable : c'est le premier port français, le premier port de Méditerranée, et le troisième port pétrolier mondial. Il doit ce classement à ce qui peut être qualifié de « rente pétrolière » : c'est à Fos qu'aboutit l'oléoduc sud-européen. Mais son déclin est particulièrement net dans le domaine des conteneurs, en plein développement. Exception notable, sa part de marché s'accroît dans le secteur de la croisière, en développement rapide.
Les atouts géographiques du port de Marseille rendent particulièrement douloureux le constat de son déclin. C'est en effet un port en eaux profondes, d'accès facile et qui, grâce à Fos, dispose d'espaces sur terre. La seule difficulté géographique sérieuse est l'étroitesse de son hinterland : pour y remédier, des dessertes de qualité, notamment ferroviaires, sont nécessaires. Or aujourd'hui, hors oléoducs et gazoducs, les routes – qui ne sont pas toujours les plus adaptées au transport de fret – représentent les quatre-cinquièmes du trafic de desserte.
Grâce au pétrole, les résultats financiers du port sont globalement satisfaisants. En revanche, son endettement a fortement augmenté en raison de lourdes opérations d'investissement, à un rythme d'environ 90 millions d'euros par an – appelées à s'accroître encore aux termes du nouveau contrat pluriannuel. Vous trouverez toutes les précisions dans le rapport de la Cour.
S'agissant de la commande publique, la Cour n'a pas à contrôler tous les marchés du Grand Port de Marseille, mais elle a décelé de trop nombreuses irrégularités. L'une des causes en est la dispersion de la décision d'achat entre les services du port ; une réorganisation s'impose donc, d'autant que le même constat avait déjà été fait. Pour le reste, le code des marchés publics est fait pour être appliqué.
La part des charges de personnel dans les charges totales excède la moyenne de celle des autres ports. Les objectifs de maîtrise des effectifs et de la masse salariale fixés par le plan d'entreprise pour les années 2005 à 2009 n'ont pas été atteints – même si l'année 2009 marque une inflexion. L'absentéisme du personnel est particulièrement élevé. L'action sociale au bénéfice des agents du port est particulièrement généreuse : les taux sont vingt fois plus élevés qu'à Rouen, au Havre ou à Nantes. De plus, depuis 2008, cette action sociale est entièrement financée par le port, alors qu'auparavant, les salariés en supportaient le tiers. Les prestations de restauration collective appellent de nombreuses critiques – qui ne relèvent pas seulement du formalisme administratif ; alors qu'elles avaient déjà été formulées par la Cour lors de son précédent contrôle, il y a quatre ou cinq ans, rien n'a changé, ce qui est difficilement acceptable.
La Cour a voulu, à l'occasion de son rapport public annuel, tirer la sonnette d'alarme sur les relations sociales à Marseille. Je n'apprends rien à personne en disant que les conflits sociaux minent la situation du port. En dégradant sa fiabilité, indicateur essentiel pour les armateurs, ils profitent aux ports concurrents, situés à l'étranger. Pour la Cour, il ne s'agit nullement de fatalité. Le monde des quais et des docks est traditionnellement rude, mais la loi doit s'y appliquer. Les violences qui s'exercent dans la zone portuaire doivent être sanctionnées. Or le plus souvent, elles ne le sont pas, soit qu'il n'y ait pas de dépôt de plainte, soit que la plainte soit retirée sous la menace, soit aussi que les procédures judiciaires s'enlisent – sans que je puisse me prononcer sur les raisons de cet enlisement. Bref, nous dénonçons un climat d'impunité face à la violence dans les relations sociales.
La Cour critique aussi des reculs difficiles à admettre de la part du ministère de tutelle. Ainsi, il est arrivé qu'un directeur du port ayant fait preuve d'un peu d'autorité et de fermeté se voie désavoué avant même l'achèvement du conflit, pire situation qui soit pour lui-même et pour son successeur.
En conclusion, le Grand Port maritime de Marseille est à la croisée des chemins. La réforme de 1992, qui visait à transférer les ouvriers de la manutention horizontale vers les entreprises de manutention, n'y est pas encore appliquée en totalité ; la réforme de 2008 le sera-t-elle ? Des mesures vont-elles être prises pour faire échapper le port à la spirale du déclin ? La Cour achève actuellement le contrôle de l'application, dans chaque grand port maritime, de la loi du 4 juillet 2008. Sont à l'étude aujourd'hui l'adoption des projets stratégiques des grands ports – dont celui de Marseille –, la cession des outillages, le transfert de l'exploitation des terminaux et enfin celui des personnels : il s'agit désormais de transférer non plus seulement les personnels de la manutention horizontale – les dockers – mais aussi ceux de la manutention verticale, portiqueurs et grutiers.
En ma qualité de rapporteur spécial, j'ai rencontré sur place, en avril dernier, aussi bien des responsables du Grand Port maritime de Marseille que des représentants de son personnel. J'ai également procédé à des auditions à Paris. Ces rencontres me conduisent à vous poser, madame la ministre, les questions suivantes.
Concernant notamment les bassins Ouest, autrement dit le site de Fos, nous avons été alertés sur les problèmes de cohérence entre les stratégies d'investissement de l'État pour les transports et l'application de dispositions liées aux politiques d'environnement : lorsqu'on entend un préfet expliquer que si des projets ne peuvent pas avancer, c'est du fait de l'opposition de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), on est conduit à s'interroger sur la pertinence de l'action menée. Que pouvez-vous nous en dire ?
Comme le président Descheemaeker vient de l'évoquer, le transfert des activités de manutention verticale – autrement dit de grutage –, en application de la loi du 4 juillet 2008, s'est fait en partie vers des entreprises filiales de l'établissement public « Grand Port maritime de Marseille », ce qui ne paraît pas conforme à l'esprit de la loi. Le Gouvernement considère-t-il cette situation comme transitoire ? Est-elle susceptible d'évoluer dans la durée ? Si oui, comment ?
L'embauche à Marseille semble continuer à être contrôlée par une organisation syndicale – la CGT. Envisagez-vous l'évolution de cette situation ?
La Cour des comptes a relevé l'importance de l'absentéisme et l'ampleur des dépenses d'action sociale. Quelle est l'évolution prévisible dans ces domaines ?
Enfin, il nous est apparu que, en cumulant l'ensemble des dispositifs, certains personnels peuvent bénéficier d'une retraite anticipée de sept années par rapport au droit commun. L'application à des grutiers, postés par définition à quelques dizaines de mètres au-dessus du sol, des dispositifs destinés aux personnels ayant été exposés à l'amiante au fond des cales des bateaux paraît étonnante. Au-delà d'un période transitoire, considérez-vous, madame la ministre, qu'une telle situation puisse être durable ?
Sans éluder les questions posées, je voudrais d'abord, monsieur le président, faire le point des actions conduites pendant l'année 2010, qui ont fortement modifié la situation dans les grands ports, notamment celui de Marseille. Le sujet est ancien : la Cour des comptes avait elle-même commencé à travailler sur ces questions en 2006. L'action menée a porté ses fruits. Nous avons cessé de perdre des parts de marché et des places dans le classement des ports européens.
Les deux années passées ont été majeures, aussi bien quant à l'ouverture de perspectives de développement qu'en matière d'investissements de l'État. Ceux-ci sont considérables ; les ports ne sont pas seulement l'objet de réformes statutaires.
La réforme portuaire a dû partir d'une situation d'obsolescence absolue des statuts, d'une absence d'unité de commandement, et de règles très contraignantes dont une gouvernance inadaptée permettait le contournement systématique.
Sur ses points essentiels, la loi du 4 juillet 2008 est aujourd'hui effectivement mise en oeuvre. Depuis la mi-juin 2009, les projets stratégiques des grands ports maritimes, dont celui de Marseille, ont été adoptés. Toutes les instances de gouvernance – conseils de surveillance, directoires à trois, conseils de développement et conseils de coordination interportuaires – sont désormais en place. Les négociations de gré à gré sur le transfert de l'outillage et des personnels de manutention sont closes. Elles n'ont pourtant pas été simples à conduire. Au 3 mai 2011, soit, à quelques jours près, à l'échéance prévue par la loi, le transfert des quelque 930 personnes a été effectué, dont près de 410 agents pour le port de Marseille, et cela, je crois, dans de bonnes conditions ; c'était la partie la plus sensible de la réforme portuaire.
Le transfert dans des filiales n'a concerné que le secteur pétrolier. Eu égard à son intérêt stratégique, celui-ci a été regardé comme spécifique. On a considéré qu'un actionnariat du Grand Port de Marseille dans les sociétés de manutention pétrolière n'était pas illégitime.
Dans les derniers mois de la discussion sur les retraites, l'un des grands enjeux était de donner suite aux engagements qui avaient pu être pris ou compris comme tels en matière de pénibilité, tout en respectant l'esprit de la réforme des retraites intervenue entre-temps ; cela n'a pas été simple.
Par ailleurs, des investissements considérables, cohérents avec le Grenelle de l'environnement, ont été consentis pour l'hinterland du port de Marseille. Ils figurent au schéma national d'infrastructures de transport – SNIT. Tous financements confondus, cet effort représente une enveloppe de près de 2,4 milliards d'euros.
Une part conséquente de ces investissements doit être consacrée à l'entretien des accès maritimes, à l'amélioration des dessertes et à la création d'opérateurs ferroviaires de proximité. La situation actuelle n'est pas satisfaisante : près de 85 % des marchandises sont acheminées par la route, alors que, dans d'autres ports européens, ce mode de transport représente moins de 60 % du trafic.
Au projet stratégique du port de Marseille, adopté en avril 2009, 600 millions d'euros d'investissements sont inscrits pour la période 2009-2013. Ce projet prévoit un rééquilibrage des parts modales des acheminements de conteneurs au profit des modes fluvial et ferroviaire. D'ici quelques années, ceux-ci devraient représenter, à eux deux, environ 40 % du trafic, comme dans le cas des autres grands ports européens, au lieu de 20 % aujourd'hui.
Les investissements sur le réseau ferroviaire visent également l'amélioration de l'accès aux bassins Est, notamment grâce à la réouverture du raccordement de Mourepiane et à la mise au gabarit de l'itinéraire Avignon - Port de MarseilleFos, lequel doit permettre de raccorder le port à l'autoroute ferroviaire Perpignan-Bettembourg.
Sur la période 2009-2013, l'effort financier de l'État devrait atteindre 92,5 millions d'euros, dont 7,5 millions d'euros au titre du plan de relance de l'économie, 50 millions d'euros au titre du plan de relance portuaire et 35 millions d'euros au titre du contrat de projets conclu entre l'État et la région Provence-Alpes-Côte d'Azur.
Le rapport de la Cour des comptes a bien trouvé un écho auprès de la direction du Grand Port de Marseille. Dès le 25 février, le directeur général a présenté la manière dont il entendait y donner suite et mettre fin à un certain nombre d'anomalies. Dix mesures ont été annoncées pour répondre aux critiques les plus appuyées de la Cour. En cours de mise en oeuvre, elles font l'objet d'un rapport périodique au conseil de surveillance du port sur leur degré d'avancement. Ces mesures portent principalement sur les procédures de gestion de la commande, le contrôle des moyens humains, de la masse salariale et des ressources humaines, l'observation de la compétitivité du passage portuaire. Je tiens à votre disposition leur liste complète.
Pour ce qui concerne l'âge de départ à la retraite, monsieur le rapporteur spécial, le cumul des différents dispositifs, dont le dispositif amiante, est légal. Il n'a en effet pas été jugé opportun de revenir sur le périmètre de ce dispositif, afin de pouvoir faire aboutir une négociation complexe de la manière la plus juste possible, notamment au regard des engagements pris en matière de pénibilité.
Il semble qu'il y ait une certaine ambiguïté sur les transferts de personnel. Les personnels sont-ils transférés de manière définitive, ou détachés avec un droit de retour ? Respecte-t-on parfaitement la loi ?
Par ailleurs, le programme ambitieux d'investissement pour la période 2009-2013 est-il réalisable ?
La loi prévoit une mesure qui s'applique à tous les personnels : il s'agit d'un transfert définitif, sans droit de retour.
Quant à la réalisation du programme d'investissement, elle n'a pas pris de retard. En 2011, 81 millions d'euros sont notamment destinés à la chaîne logistique du parc industriel de La Feuillane – 9 millions d'euros –, aux travaux du port Ouest destinés à permettre le traitement des colis lourds du projet ITER – 2,5 millions d'euros –, le projet 2XL – 2 millions d'euros et aux terminaux permettant d'accueillir des navires rouliers plus grands – 17 millions d'euros. En 2012, les investissements atteindront 131 millions d'euros, avec Fos 2XL, les travaux de reconstruction des bâtiments du Grand Port et d'autres travaux sur les postes rouliers. En 2013, ils seront de 129 millions d'euros, pour la poursuite de travaux déjà évoqués, le poste n° 6, le dragage lié à la création du terminal cimentier et le chantier multimodal de Mourepiane. En 2014, la fin du programme représentera 108 millions d'euros – achèvement du chantier multimodal de Mourepiane pour 32 millions d'euros, poste n° 7 pour 5 millions d'euros, poursuite des travaux de la liaison fluviale pour 20 millions d'euros.
Merci, madame la ministre.
Nous passons aux autres points de l'ordre du jour : les principaux enseignements de l'exécution budgétaire en 2010, le schéma national d'infrastructures de transports – SNIT – et l'écotaxe aux frontières.
Madame la ministre, avant de donner la parole au rapporteur spécial, je souhaite vous poser une question portant sur le volet ferroviaire du schéma national des infrastructures de transport. Afin de développer l'effet de levier pour le développement des nouvelles lignes à grande vitesse prévues dans le SNIT, le Gouvernement envisage de mettre en place des partenariats public-privé, ce qui est novateur pour ce type d'investissements. La ligne à grande vitesse Tours-Bordeaux sera un premier test de la mise en oeuvre de ces partenariats. Pourriez-vous nous apporter des précisions sur le contrat relatif à cette ligne, signé par le groupement LISEA, mené par Vinci et Réseau ferré de France, en nous indiquant les modalités de la rémunération du partenaire privé et les règles de la garantie qui lui est apportée sur l'évolution du trafic ? Du fait de cette garantie, RFF ne supporte-t-il pas seul les risques liés à l'exploitation de la ligne ?
En l'état actuel, le projet de SNIT laisse peu de place aux enjeux du renouvellement, de la régénération et de l'entretien, tant pour la route que pour le ferroviaire – pour lequel les prévisions sont inférieures aux préconisations du « rapport Rivière ». Le Gouvernement envisage-t-il de modifier son approche ?
Par ailleurs, la capacité à mobiliser les 260 milliards correspondant aux travaux d'infrastructures envisagés étant pour le moins incertaine, la crédibilité du SNIT suppose de définir des priorités. Le Gouvernement prévoit-il de travailler dans ce sens ?
Enfin, pour ce qui est de l'exécution budgétaire, le Premier président de la Cour des comptes, M. Didier Migaud, rappelait ce matin le décalage entre les recettes de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) et ses engagements. Alors qu'à la fin de 2009, les recettes et les paiements s'élevaient à 10 milliards d'euros et les engagements 17 milliards d'euros, ces derniers devraient atteindre 24 milliards d'euros à l'horizon de 2014. Où sont les recettes correspondantes ?
Il faut à ce propos souligner deux difficultés. La première est celle de l'évolution du compte d'affectation spéciale (CAS) radars qui, géré désormais par le ministère de l'Intérieur, et non plus par celui de l'Écologie, vous donne moins de maîtrise encore des affectations de ces ressources. La seconde tient aux incertitudes liées à la perception de la taxe poids lourds : quelles sont vos prévisions à cet égard, dans le contexte du contentieux en cours – l'État ayant, je le rappelle, perdu en première instance et attendant pour le début juillet la décision de cassation ? Dans les différentes hypothèses, comment envisagez-vous la relance du processus ? Quels seront les moyens disponibles et le calendrier ?
Dès le stade de la procédure d'appel d'offres, le contrat de la ligne Sud-Europe-Atlantique Tours-Bordeaux est une réussite : nous inventons un nouveau modèle de financement pour ce type d'infrastructures – ce qui n'est pas sans créer quelques crispations de la part de nouvelles collectivités territoriales, les anciennes lignes ayant été financées sans faire appel aux moyens des collectivités, pourtant fortement bénéficiaires des dessertes. Les concours publics représentent 40 % des financements, soit 10 % de moins que prévu – ce qui correspond à notre objectif initial –, le consortium privé apportant 3,8 milliards. Je précise à ce propos, pour rectifier certaines interprétations erronées, que tous les risques liés à la réalisation de la nouvelle infrastructure, en termes de coûts, de délais et de prévisions de trafic, sont bien portés par le concessionnaire. La subvention versée par l'État et les collectivités territoriales est destinée à compenser l'écart entre le coût d'investissement et les recettes de péage, ce qui ne se traduit donc pas par un enrichissement indu de la société. Les profits qui peuvent être réalisés par l'entreprise privée justifient la clause de retour à bonne fortune, traditionnelle dans les montages de ce type.
Il importe aussi, pour éviter toute ambiguïté, de préciser que la garantie de l'État a été accordée, au moment de la crise financière, en raison du taux des instruments financiers disponibles alors sur le marché. Cette garantie, qui porte sur une partie de la dette du concessionnaire d'un montant d'un milliard d'euros, concerne donc un risque conjoncturel, et non pas, par exemple, le risque lié au trafic. Il ne s'agit donc pas d'un avantage accordé par l'État au secteur privé.
Quant aux collectivités territoriales, toutes n'ont pas eu la même attitude. Si la plupart se sont finalement engagées, en demandant généralement des garanties de desserte et de maintien de lignes locales, certaines font défaut : il s'agit de quelques petites collectivités et d'une grosse – la région Poitou-Charentes, dont la participation aurait dû être d'un peu plus de 90 millions d'euros. L'État devra compenser la défaillance de ce « passager clandestin » et en tirera des conséquences quant aux investissements qu'il pourra être amené à faire ultérieurement dans cette région, car la participation des collectivités ne procède aucunement du fait accompli et avait été clairement convenue à l'avance.
J'apprécie que l'on reconnaisse la visibilité enfin donnée dans le cadre du SNIT à la régénération et aux investissements dans l'existant. L'investissement dans ce domaine a néanmoins un effet paradoxal sur le réseau, les travaux se traduisant dans l'immédiat par des retards pénalisant les usagers sur certaines liaisons. Ces désagréments, qui dureront plusieurs années, seront particulièrement sensibles à partir de la fin de 2011, du fait de la modification du service annuel 2012, avec le passage au cadencement lié à l'entrée en service de la LGV Rhin-Rhône, et de l'ajustement de certains horaires, lié aux nombreux travaux actuellement engagés.
Je travaille actuellement sur la nouvelle version du SNIT, dans laquelle j'envisage de porter de 25 à 50 milliards d'euros par an le montant consacré à la régénération dans le fer. De fait, la montée en puissance engagée est encore insuffisante et l'investissement d'un milliard d'euros sur les voies doit s'accompagner d'un investissement du même montant sur les superstructures. Ces chiffres sont cependant indicatifs car il est difficile d'anticiper sur 20 ou 30 ans les besoins de régénération du système ferroviaire.
Il existe bien un décalage entre les ambitions du SNIT et les capacités de financement de l'État dans les prochaines années. Le SNIT n'est cependant pas une loi de programmation, mais un projet exprimant ce que souhaite l'État, en concertation avec les collectivités territoriales et dans la perspective définie par le Grenelle de l'environnement. Sans doute serait-il opportun d'y définir des priorités car il se borne aujourd'hui à distinguer deux périodes – avant et après 2020 –, mais ces priorités doivent tenir compte de la mobilisation des collectivités. Ainsi, je gage que, si la forte mobilisation des élus se maintient pour soutenir le projet de ligne qui doit doubler celle de Lyon en passant par le Massif Central, inscrit pour la période postérieure à 2020, cette ligne sera la première à être réalisée. Au moment où l'État fait appel au financement des collectivités territoriales, la hiérarchisation des priorités ne peut pas relever d'une décision solitaire, mais elle doit être partagée avec les acteurs locaux. Je suggère donc de proposer à l'AFITF et à son nouveau président de travailler, pour l'État, sur une programmation sur cinq ans et de demander aux collectivités territoriales de prendre position face à cette programmation.
Pour ce qui est de l'exécution budgétaire, j'ai sollicité un arbitrage sur le transfert du compte d'affectation spéciale (CAS) radars. En effet, tant que la gestion de ce compte relevait de mon ministère, son solde finançait les projets de l'AFITF et permettait notamment de compenser le défaut de la taxe poids lourds. La gestion en ayant été transférée au ministère de l'Intérieur, j'ai demandé que le ministère de l'Écologie et des transports puisse néanmoins disposer d'un financement correspondant à celui dont il disposait précédemment. L'arbitrage n'a pas encore été rendu, mais il est en tout cas certain que le montant ne suffira pas à compenser le défaut de la taxe poids lourds, dont le montant prévu était de l'ordre de 900 millions d'euros par an, avec un retard de moitié en 2012. Il a donc été décidé de doter le programme d'un supplément de 160 millions d'euros. Nous nous efforçons par ailleurs d'obtenir une mise en oeuvre aussi rapide que possible de cette taxe et attendons prochainement la réponse du pourvoi en cassation déposé par l'État contre la décision du tribunal administratif. Le fait que le rapporteur public ait proposé l'annulation de l'ordonnance du tribunal administratif de Cergy et le rejet du référé nous laisse espérer une issue favorable, qui se traduirait par un retard de six mois seulement par rapport au calendrier initial, alors qu'une annulation de la mesure nous contraindrait à relancer toute la procédure, ce qui serait beaucoup plus long. Nous devrions être fixés très vite.
Les difficultés de financement du programme LGV conduisent l'État à se tourner vers les collectivités territoriales pour des montants considérables, qui risquent de déstabiliser durablement leurs finances. De plus en plus de voix s'élèvent donc pour suggérer, sans pour autant abandonner les études sur les lignes à grande vitesse, d'examiner une solution de repli, consistant à moderniser les lignes existantes. Cette demande se fait particulièrement insistante sur le parcours Bordeaux-Toulouse. Quel est votre avis ?
Nos amis suisses mettent beaucoup d'espoir dans la réalisation du projet « CEVA » – de liaison entre les réseaux ferroviaires du canton de Genève et de la Haute-Savoie. Ils ont commencé les travaux, mais il n'en va pas de même du côté français. La région, le département et la communauté d'agglomération d'Annemasse ont pris des engagements ; l'État va-t-il accepter d'augmenter sa participation ?
À l'occasion de la discussion par notre Commission du schéma national d'infrastructures de transport, il a été souligné que les routes nationales restant à la charge de l'État ont vocation à devenir des voies rapides mais que cela suppose des investissements, notamment des contournements de ville moyenne ; or le SNIT est muet sur ce sujet. Pouvez-vous nous apporter une réponse ?
En matière ferroviaire, la position de principe du ministère est aujourd'hui de considérer toutes les options, plutôt que de se focaliser sur les LGV. Même si on parle beaucoup du TGV, ceux de nos concitoyens qui en sont des habitués ne sont pas si nombreux. C'est le sens des Assises du ferroviaire que je lancerai au mois de septembre : nous voulons demander aux usagers et aux cheminots de dire ce qu'ils souhaitent à l'horizon 2030 ; le désir de LGV peut être celui des élus plus que celui de nos concitoyens.
Pour la liaison Bordeaux-Toulouse, le débat public a eu lieu et il a conclu à l'intérêt économique d'une ligne nouvelle. Dans ce cas précis, donc, les choses sont assez claires. En ce qui concerne la branche de la ligne Sud Europe Atlantique (SEA) située au Pays basque, j'attends du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) une étude de trafic qui permettra de mieux évaluer la pertinence du projet. Il y a eu en effet une polémique locale sur les prévisions de trafic et les délais dans lesquels la ligne actuelle serait saturée. Les résultats de l'étude seront présentés aux élus prochainement.
En ce qui concerne le CEVA, le préfet a pour mandat de boucler le financement, étant entendu que l'État est prêt à « actualiser » sa contribution. Les choses avancent bien.
Quant aux routes nationales, elles ont fait l'objet d'un tri : certaines sont revenues aux départements, les autres sont restées dans le giron de l'État avec la perspective d'être mises à deux fois deux voies – dans le cadre des programmes de développement et de modernisation des itinéraires routiers (PDMI). Si des concessions sont possibles pour aller plus vite, nous en examinerons la possibilité. Je n'ai pas d'opposition de principe à la mise en concession ; mais il arrive que celle-ci soit proposée alors qu'il n'y a pas d'itinéraire de substitution, ce qui impose de trouver des solutions pour les trajets locaux : il est fort peu agréable pour les habitants d'avoir le sentiment que ce qui avait toujours été gratuit devient payant – même si l'infrastructure est améliorée et n'aurait pas pu l'être hors concession. Il faut donc bien choisir les endroits où l'on place les péages, afin d'épargner les itinéraires locaux ; mais c'est au risque d'augmenter les pertes du concessionnaire, donc son besoin d'une subvention d'équilibre, que l'État n'a pas forcément les moyens de verser…
Notre collègue Jérôme Bignon s'inquiète des moyens, notamment humains, qui seront mobilisables pour le réseau de parcs naturels marins, dans le cadre du programme 113 Urbanisme, paysage, eau et biodiversité.
L'étude lancée par la région Rhône-Alpes sur la ligne ferroviaire, dite « du Tonkin », entre Évian et la Suisse, côté Est, a fait apparaître que la mise aux normes coûterait 120 millions d'euros. Avez-vous un avis sur ce dossier ? Par ailleurs, peut-on m'indiquer la qualité juridique du lac Léman ? Je rappelle qu'entre Evian et Lausanne, il y a 583 000 voyageurs par an ; la Suisse subventionne la ligne Lausanne – milieu du lac, mais pour la partie jusqu'à Evian, nous n'avons jamais rien obtenu.
Le Grenelle de l'environnement a réaffirmé des priorités fortes sur la biodiversité et les territoires ; ces priorités se traduisent en termes financiers et en emplois. En 2012, l'Agence des aires marines protégées sera dotée de 20 millions d'euros et de 120 agents– l'augmentation étant de 35 agents en trois ans. S'ajoutent 6,5 millions d'euros – au lieu de 2 – pour la directive cadre sur les milieux marins, 2,5 millions pour Natura 2000 en mer, 3 millions pour la lutte contre les pollutions. Au total, on arrive à plus de 40 millions d'euros. Par ailleurs, la taxation de l'éolien off-shore bénéficiera notamment à la pêche durable et à la protection des littoraux.
S'agissant des liaisons avec la Suisse, la priorité est le CEVA. Je propose que nous nous intéressions à la Ligne du Tonkin dans le prochain contrat de projet État-région (CPER). S'agissant du statut du lac Léman, j'en référerai aux juristes de mon ministère.
J'ai déjà posé la question à beaucoup de ministres, au fil du temps… Elle est importante car la réglementation n'est pas la même selon la qualité retenue.
Pourquoi la France est-elle l'un des seuls pays d'Europe où l'on a systématiquement préféré construire des lignes nouvelles, plutôt que de moderniser les lignes et d'adopter le TGV pendulaire – pour un prix de revient de l'ordre du tiers ?
Sur les longues distances, tout gain de vitesse est important dans la concurrence avec l'avion. Pour les distances moyennes, il faut en effet examiner les choses de près. Il faut notamment savoir s'il s'agit de désengorger la ligne existante, en la doublant – c'est le cas pour le doublage de la ligne Paris-Lyon par le centre de la France – ou s'il s'agit seulement d'accélérer le service. La question a été discutée pour la ligne Paris-Le Havre, mais d'une façon générale les collectivités territoriales veulent avoir leur TGV. Les Assises du ferroviaire nous permettront d'avancer dans la connaissance des attentes de nos concitoyens, et dans la mise au point de réponses différenciées. Le TGV ne doit pas être considéré comme la solution miracle : certaines villes ont vu arriver, avec le TGV, de nouveaux problèmes, par exemple une forte hausse de l'immobilier.
Fin 2009, le décalage entre les recettes et les engagements de l'AFITF était de 7 milliards d'euros. À l'horizon 2014, la différence devrait dépasser 10 milliards d'euros. Comment l'AFITF va-t-elle couvrir ses engagements dans les mois et les années qui viennent ?
Je cherche des solutions à court terme pour pallier le retard de la taxe poids lourds. Celle-ci pourrait éventuellement monter en puissance plus rapidement. Il y a aussi la directive Eurovignette 3.
Autrement dit, la possible extension de la taxe poids lourds sur le réseau autoroutier. Mais pourquoi ne pas choisir tout simplement la budgétisation ?
Mieux vaut faire preuve de créativité dans le financement que renoncer à l'existence de l'agence ; c'est plus conforme à l'esprit du Grenelle de l'environnement.
La Commission autorise la publication du rapport d'information de M. Hervé Mariton sur le Grand Port Maritime de Marseille.
Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mercredi 22 juin 2011 à 17 h 45
Présents. - M. Yves Censi, M. Yves Deniaud, M. Michel Diefenbacher, M. Jean-Louis Dumont, M. Marc Francina, M. Louis Giscard d'Estaing, M. Jean-François Mancel, M. Hervé Mariton, M. Jean-Claude Mathis, M. François Scellier
Excusés. - M. Pierre Bourguignon, M. Michel Bouvard, M. Jean-Pierre Brard, M. Jean-Claude Flory, M. François Goulard, M. Victorin Lurel, M. Michel Vergnier