La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l'audition de Mme Pascale Coton, secrétaire générale adjointe de la CFTC.
L'audition commence à dix-huit heures trente.
Nous accueillons à présent Mme Pascale Coton, secrétaire générale adjointe de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), qui va nous parler de la situation des femmes en France et du projet de décret d'application de l'article 99 de la loi sur les retraites.
Une version de ce décret a été présentée la semaine dernière aux syndicats, qui l'ont rejetée. À cette occasion, j'ai exposé à M. Éric Aubry, conseiller social du Premier ministre, ma position sur la situation des femmes, qui est aujourd'hui en pleine régression, dans le domaine professionnel comme dans leur vie quotidienne. Si le Gouvernement ne tape pas du poing sur la table pour faire respecter les règles par tous, à commencer par les entreprises, les femmes continueront à être malmenées et à se heurter à des difficultés d'intégration dans la société.
Après plusieurs années de travail – la CFTC dénonce les inégalités salariales entre les hommes et les femmes depuis trente-huit ans ! –, les syndicats avaient réussi à faire tomber certains tabous, mais ils sont privés de ce qui leur est dû. La seule solution est de pénaliser les entreprises, même si nous ne sommes même pas sûrs que cela remédiera aux inégalités salariales, car les entreprises réussissent toujours à trouver des biais. Ainsi, elles ont détourné le temps partiel de son objectif initial, à tel point que la femme est une variable d'ajustement, au premier chef dans le secteur du commerce.
Afin de gérer leurs coûts sans être interpellées par les syndicalistes sur l'égalité homme femmes, les conditions de travail, les horaires atypiques, la garde des enfants, etc., certaines entreprises font travailler 49 femmes à 22 heures par semaine, afin de rester juste en-deçà de la barre des cinquante salariés. Le code du travail leur permet ainsi de s'affranchir des règles et d'agir à leur guise. Quantité de femmes exercent pratiquement un double emploi : des responsables de rayon ou des hôtesses de caisse se voient proposer, par exemple, la gestion du magasin pendant trois mois pour passer à 35 heures –mais être payées sur cette base au bout du troisième mois seulement – ; mais passé ce délai, l'entreprise met en avant leur fatigue, leurs difficultés à concilier temps de vie personnel et professionnel et donc leur intérêt à revenir au temps partiel…
Pour la CFTC, les entreprises qui abusent du temps partiel non choisi doivent impérativement être sanctionnées. Les conséquences de cette forme d'emploi sur la retraite des femmes sont connues ! Les gouvernants doivent le comprendre : notre pays occupe le 116e rang mondial en termes d'égalité entre les hommes et les femmes ; si rien ne change beaucoup de femmes seront mises au ban de la société.
L'Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes ne remplit pas vraiment son rôle et il faut remettre en route le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle, mais pas en 48 heures, comme cela vient d'être fait, pour étudier dans la précipitation un décret !
Les femmes et les jeunes sont les catégories qui ont le plus payé le prix de la crise et l'annonce d'une autre grave crise pour la fin de l'année est donc particulièrement préoccupante.
C'est dans le cadre de la concertation sur les retraites que j'ai particulièrement ressenti cette régression dont les femmes sont victimes. Leur situation ne serait pas un problème, nous a-t-on dit, dans la mesure où elles peuvent, elles aussi, être très diplômées et accéder à des emplois de cadres supérieurs ! En ont-ils donc assez de nous entendre parler des femmes ? Ou pensent-ils – et la réalité est plutôt là – qu'elles vont se fatiguer et finir par se taire ? Pour la première fois, en tant que militante, je me suis demandé jusqu'où cela pouvait aller…
Aujourd'hui, je ne vois aucun espoir transparaître des projets politiques. J'ai été stupéfaite par la façon dont a été traité l'article 99 de la loi sur les retraites. Le projet de décret prévoit des pénalités variables et non obligatoires !
L'article 99 de la loi sur les retraites énonce : « Les entreprises d'au moins 50 salariés sont soumises à une pénalité à la charge de l'employeur lorsqu'elles ne sont pas couvertes par un accord relatif à l'égalité professionnelle ou, à défaut d'accord, par les objectifs et les mesures constituant le plan d'action. Les modalités de suivi de la réalisation des objectifs et des mesures de l'accord et du plan d'action sont fixées par décret. (…) Le montant de la pénalité est fixé par l'autorité administrative, dans des conditions prévues par décret en Conseil d'État, en fonction des efforts constatés dans l'entreprise en matière d'égalité professionnelle ».
Qui plus est, le projet de décret pose en préalable que la pénalité est appliquée « s'il y a lieu » ! Autrement dit, puisque ce sont les inspecteurs du travail qui devront constater les efforts, on pourra attendre dix ans car aucun délai n'est fixé et que l'Inspection du travail manque de moyens !
Nous avions demandé une pénalité de 1 %. Dans le décret, ce 1 % devient un maximum. Nous l'avons donc refusé.
Tous les syndicats ont d'ailleurs voté contre le décret lors de la réunion du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle qui n'a qu'une voix consultative, le MEDEF s'abstenant, mais la presse s'en est très peu fait l'écho.
En fait, il n'y a pas de volonté politique pour faire vraiment progresser l'égalité professionnelle.
Pour faire bouger les journalistes, je vous propose de nous mettre d'accord avec les syndicats pour envoyer, à bref délai, des communiqués à la presse.
Je poserais bien une question au Gouvernement, mais cela m'a été refusé au moment de la discussion de la loi sur les retraites.
Il faudrait également réécrire l'article 99 de la loi !
L'article sur l'égalité professionnelle n'aurait pas dû figurer dans de la loi sur les retraites ! C'est une carotte qui nous a été tendue !
Pour la CFTC, cette disposition comme celle sur la pénibilité n'auraient pas dû figurer dans cette loi.
Cette disposition a été inscrite à l'article 99 parce que le délai fixé par la loi de 2006 n'était pas respecté !
Notre syndicat va interpeller tous les candidats à la présidence de la République auxquels nous demanderons des réponses concrètes sur les inégalités salariales, le partage du temps, la conciliation des temps de vie, etc.
Profitez-en pour reprendre les réponses faites par les candidats pendant la campagne présidentielle de 2007 !
Oui, nous ferons le bilan de toutes les promesses faites à l'époque.
Je ne comprends pas pourquoi le décret mentionne uniquement trois indicateurs portant sur la situation respective des femmes et des hommes : salaire médian ou salaire moyen, durée moyenne entre deux promotions, et exercice de fonctions d'encadrement et décisionnelles…
Il faut un maximum de transparence pour savoir comment sont remplis les rapports de situation comparée (RSC). Autrement dit, il est nécessaire de savoir qui contrôle les chiffres dans et à l'extérieur de l'entreprise.
Une entreprise peut commettre un délit d'entrave en refusant de communiquer son RSC aux syndicalistes. Néanmoins, en tant de crise, même un délégué syndical n'a plus la garantie d'avoir son travail le lendemain ! Il y a une pression terrible !
Effectivement.
Bref, nous sommes très déçues.
Cela étant dit, l'abstention du MEDEF sur le décret constitue un signal fort. Il est clair que les droits des femmes régressent.
Les droits des femmes régressent dans les entreprises et dans la société en général. Selon moi, les choses ne vont pas depuis deux ans, comme si on avait enclenché la marche arrière…
M. Louis Schweitzer ancien président de la Halde, avec qui j'ai beaucoup travaillé sur les discriminations à l'encontre des femmes, avait l'habitude de me dire que ce sujet me touche davantage parce que je suis une femme. Mais très rapidement, il a pris conscience à quel point j'avais raison !
Ce matin encore, on pouvait lire sur les murs du métro Nation des insultes à l'égard des femmes !
Si les entreprises n'appliquent pas les règles sur l'égalité, il ne faut pas s'étonner que ces messieurs s'expriment chez eux en toute liberté et n'importe comment ! Regardez les chiffres de ces six derniers mois sur les violences faites aux femmes !
Nos unions départementales et locales reçoivent de plus en plus de femmes qui viennent parler des problèmes auxquels elles sont confrontées dans leur foyer. Depuis quelque temps, nous recevons même au standard de la CFTC des appels de femmes battues par leur conjoint ! Récemment, grâce à nos relations avec des associations, nous avons aidé une femme qui avait fui son foyer avec sa petite fille que son mari voulait faire exciser.
À l'égard de toutes les femmes ! C'est un irrespect total !
Lors des négociations sur les retraites, je suis parfois sortie du ministère du travail avec les larmes aux yeux ! À propos du niveau de retraite des femmes qui se sont arrêtées de travailler pour élever leurs enfants, on nous a dit : « Ce n'est pas notre faute si certaines d'entre elles ont fait ce choix de vie » ! De tels propos sont démoralisants et, aujourd'hui, je n'ai plus les mots, les arguments…
Sur les marchés, je rencontre des femmes qui vivent seules avec 600 euros de retraite par mois, autant dire dans des conditions misérables ! Certaines sont obligées de vendre leur maison, qu'elles ont achetée avec leur mari aujourd'hui décédé, car elles ne peuvent plus en assumer les charges !
Sur ce sujet, les réponses apportées par les ministres, aujourd'hui même dans le cadre des questions d'actualité, sont révoltantes !
Effectivement, c'est honteux !
Selon vous, que peut-il ressortir des tables rondes qui se tiendront, à l'initiative du Gouvernement, sur le temps partiel ?
Le temps partiel n'est qu'une des thématiques, un sous élément. La question semble être celle de la répartition du temps.
Il faut que nous regardions cela de près. Le temps partiel est devenu le poison des femmes.
En 2004, alors que Mme Gabrielle Simon était secrétaire générale adjointe de la CFTC, j'ai rédigé un rapport sur le travail à temps partiel des femmes en prévoyant que dans les cinq années à venir, des difficultés apparaîtraient. J'avais raison, en 2011, on se retrouve face à ce problème.
Le rapport du Conseil d'orientation des retraites a affirmé qu'on se dirigeait vers une égalité entre les hommes et les femmes, mais je n'ai pas compris comment il peut affirmer cela.
Si les réunions des différents acteurs, en juin, ne devaient porter que sur le partage des temps, ce serait à désespérer !
C'est pourtant ce gouvernement qui, à l'occasion du 15e anniversaire de l'Observatoire de la Parité a proposé de tenir de pareilles tables rondes tripartites. Mais on ignore les sujets qui y seront abordés. S'agira-t-il du temps partiel, des salaires des femmes, de leur formation professionnelle ?
D'après ce que dit le ministère, il s'agit de réunir les partenaires sociaux sur la question du temps partiel.
Certains n'ont compris les conséquences du temps partiel sur les retraites des femmes qu'à l'occasion de la loi sur les retraites.
La réponse qui nous a été donnée à ce sujet était, en substance, qu'il fallait faire beaucoup d'enfants pour rattraper les retards de cotisation !
Tout cela relève de la communication, mais quand on proteste, on nous taxe de féminisme.
Il faudrait préciser ce qu'est le féminisme. Pour moi, il se définit comme la lutte pour l'égalité entre les hommes et les femmes. C'est une idée qui peut fédérer les initiatives, en particulier celles des associations.
À l'occasion du congrès de la CFTC, qui se tiendra au mois de novembre, à Poitiers, sera édité un texte intitulé : « Prends ta vie en main ». Prendre sa vie en main doit être possible pour tous, jeunes, femmes ou vieux. Ce texte est très ambitieux, il se place dans une perspective de trois à six ans. Chaque chapitre explique comment faire et met les politiques devant leurs responsabilités.
Il est inutile d'espérer intégrer les femmes dans les syndicats et les engager dans la politique si on leur donne rendez-vous pour dans 10 ans.
Mes activités de bénévole à la Croix-Rouge me montrent à quel degré de misère de plus en plus de femmes en sont réduites. Il s'agit en majorité de femmes âgées de plus de 70 ans et dont les retraites sont insuffisantes pour vivre.
Tous les responsables des associations caritatives à Metz, qu'il s'agisse des Restos du coeur, du Secours populaire ou du Secours catholique, disent que le nombre de femmes qui viennent dans leurs lieux d'accueil, simplement pour manger un bol de soupe, est en très forte augmentation.
Beaucoup de femmes se retrouvent au ban de la société.
On constate aussi un recul sur la question de la contraception. Marina Vlady et Françoise Fabian en ont récemment parlé à la télévision. Elles sont prêtes à se mobiliser sur le sujet de l'IVG.
Moi aussi !
Je vais donc envoyer des mails aux syndicats. Il faut inonder la presse. J'en prends la responsabilité en tant que présidente de la Délégation aux droits des femmes, ce qui n'empêche pas les initiatives individuelles. Je propose de lancer notre action de communication la semaine prochaine.
La séance est levée à 19 heures 30.