La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l'audition de Mme Marie-Françoise Leflon, secrétaire nationale de la Confédération française de l'encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC) et de Mme Marie-Line Brugidou, déléguée nationale, chargée des droits des femmes et des discriminations au sein du secteur emploi.
La séance est ouverte à 14 heures 40.
Mesdames, nous souhaitons vous entendre sur la problématique du temps partiel, mais aussi sur le décret d'application de l'article 99 de la loi sur les retraites, dont une version a été présentée aux syndicats, qui l'ont rejetée.
Le compte rendu du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, à la réunion de laquelle les syndicats ont participé pour étudier le décret d'application de l'article 99 de la loi sur les retraites, ne nous a pas été communiqué. La CFE-CGC n'accepte pas ce décret.
En outre, nous avons cru comprendre que les tables rondes sur le temps partiel prévues en juin porteront, non pas, comme nous le demandons, sur le temps partiel et la « conciliation des temps de vie », mais sur le « partage des responsabilités familiales entre hommes et femmes », le but étant, nous le devinons, d'impliquer les pères en leur faisant accepter le congé de paternité !
Pour la CFE-CGC, le temps partiel est un sujet prioritaire. Nous demandons une table ronde sur ce sujet depuis 2004. En effet, un grand nombre de femmes travaille à temps partiel dans la grande distribution, les commerces et les services à la personne, certaines d'entre elles étant obligées d'avoir deux emplois à temps partiel, en supportant des horaires déments, pour bénéficier d'un salaire « complet » !
La grande distribution propose souvent vingt-deux heures de travail par semaine. En outre, le travail décalé dans ce secteur est fréquent, par exemple de neuf à onze heures, puis de quinze à dix-neuf heures, ce qui oblige les femmes vivant en région parisienne à faire garder leurs enfants, alors qu'elles gagnent la moitié d'un SMIC !
C'est pourquoi la CFE-CGC est favorable à la surcotisation pour les retraites sur la base d'un temps plein.
La surcotisation impose un accord d'entreprise négocié, mais elle implique également un surcoût très élevé pour les grandes entreprises, si bien que celles-ci n'y sont généralement pas favorables.
Si les entreprises sont réfractaires à la surcotisation, c'est surtout parce que celle-ci implique une discrimination positive. L'Europe pourrait être amenée à « retoquer » une telle disposition, comme elle l'a fait pour les trimestres supplémentaires en matière de retraite accordés uniquement aux femmes.
Pourquoi, en effet, les entreprises proposeraient-elles ce dispositif aux seuls salariés à temps partiel ?
Jusqu'à présent, seuls deux ou trois accords d'entreprise ont été conclus.
Lorsque le temps partiel est un choix personnel, les femmes recherchent essentiellement du temps pour elles et leur famille : au départ, cette forme d'emploi leur permet de s'occuper de leurs enfants petits ; ensuite, elle offre une qualité de vie.
Aujourd'hui, il faut trouver une solution pour éviter que toutes les femmes concernées ne se retrouvent dans une situation de très grande précarité à l'âge de la retraite. Songez que certaines d'entre elles vivent avec seulement 800 euros de retraite par mois.
Une piste existe, même si elle est plus facilement applicable à l'encadrement, généralement bénéficiaire du forfait jour : il s'agirait de convertir, à la demande du salarié et avec l'accord de la hiérarchie, les congés et les primes exceptionnelles en jours dans l'année. Pour ce faire, il faudrait un accord global sur le temps partiel.
Pour aller au-delà de la loi, le temps partiel dans les grandes entreprises doit toujours passer par un accord.
Dans les PME et les TPE, il est parfois plus facile de négocier avec la hiérarchie.
La situation des femmes à temps partiel, probablement non subi, dans une grande entreprise où travaille également leur conjoint, est différente de celle des femmes employées dans la grande distribution selon un mi-temps contraint et des horaires morcelés. C'est surtout aux secondes que je pense.
Je vous rejoins, mais n'oubliez pas que les femmes arrivent rarement à la retraite encore mariées. De nos jours, les divorces sont légion, et 37 % des élèves de maternelle vivent avec un seul de leurs parents. Les femmes seules ont des difficultés pour acquérir un logement et elles sont de plus en plus nombreuses à se retrouver en colocation l'âge de la retraite venu. Certes, il faut protéger les femmes de façon différente suivant leur situation, mais il convient aussi de les protéger dans leur ensemble.
En ce qui concerne les femmes travaillant dans le secteur de la grande distribution, il importe à mon avis de légiférer sur les horaires.
Nous savons depuis longtemps que les divorces et les temps de travail contraints ont de très lourdes incidences sur les retraites des femmes. Ces dernières sont de plus en plus nombreuses à vivre avec 700 euros de retraite par mois. Le rapport du Secours catholique à ce sujet est édifiant !
C'est pourquoi nous préconisons, avec Marie-Jo Zimmermann, un dispositif qui existe en Angleterre et en Allemagne : le partage des points. Dans un plan retraite, l'homme et la femme pourraient cumuler leurs points (mi-temps et temps plein), puis les partager au moment de leur divorce.
Selon moi, beaucoup de temps a été perdu. Il faut maintenant légiférer sur le temps partiel pour éviter à ces femmes de sombrer dans la précarité au moment de la retraite.
Nous avions pensé au partage des points en 2004, année où nous avons légiféré sur le divorce, les épouses du premier mariage se retrouvant bien souvent dans une situation dramatique.
Quant au décret, je ne l'accepte pas tel qu'il vient d'être rédigé ! Je me désolidarise totalement de ce genre de prêchi-prêcha ! C'est une question de conscience.
Selon Pascale Coton, de la CFTC, auditionnée la semaine dernière, il traduit une régression des droits des femmes ! Françoise Milewski, de l'Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes, m'a téléphoné ce matin pour m'alerter sur la nécessité absolue de nous mobiliser.
Notre Délégation tient à la tenue des tables rondes sur le temps partiel prévues en juin. Ce sujet échappe au clivage gauche-droite : il est impératif de sauver ce qui peut encore l'être – au moins pour la génération des femmes de quarante à cinquante ans.
Nous avons rencontré Roselyne Bachelot-Narquin, signataire du décret : elle nous a dit travailler actuellement sur la dépendance…
Il ne faut pas que le décret soit publié ! Tout le monde doit se mettre en ordre de bataille : les syndicats, les associations, la droite, la gauche.
Je propose, tout d'abord, que les syndicats rédigent, au plus tard la semaine prochaine, un communiqué commun pour interpeller le Gouvernement sur le décret. La Délégation fera également une tribune.
Je préconise, ensuite, de lancer un appel solennel exigeant, au regard des promesses qui nous ont été faites depuis dix ans, des propositions concrètes sur le temps partiel. À cet égard, la voie législative s'impose.
L'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes figure à l'ordre du jour de l'agenda social des partenaires sociaux, avec Mme Parisot, durant le second semestre. La problématique du temps partiel pourra être intégrée aux négociations, mais il y aura de fortes pressions du patronat. Par conséquent, la voie législative semble effectivement s'imposer.
À mon avis, ce n'est pas Roselyne Bachelot-Narquin qu'il faut convaincre, mais Xavier Bertrand.
Je suis étonnée car il avait donné des signes de bonne volonté. Ainsi, depuis 2007, les partenaires sociaux ont réussi à tenir des tables rondes sur le temps partiel et sur l'accession des femmes aux postes à responsabilité. Aujourd'hui, malheureusement, le décret vient réduire à néant tout ce travail.
La proposition de loi relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance et à l'égalité professionnelle, dans sa rédaction initiale, prévoyait à l'article 6, que le rapport écrit sur la situation comparée des conditions générales d'emploi et de formation des femmes et des hommes dans l'entreprise, soit joint au rapport annuel du conseil d'administration ou du directoire.
Le Sénat a supprimé cette disposition mais le rapport de situation comparée est resté inscrit dans la loi du 27 janvier 2011, c'est pourquoi je fondais de grands espoirs dans le décret d'application de l'article 99 de la loi portant réforme des retraites.
Il y a trois sujets : le décret, le temps partiel et la nouvelle expression « partage des responsabilités familiales ». Certes, l'égalité par le partage ne peut se faire qu'avec les hommes, mais la priorité est-elle celle-là ? Pour la CFE-CGC, il faut d'abord régler les deux premiers dossiers.
Nous sommes bien évidemment favorables à un congé de paternité de deux ou trois mois, à l'image des modèles suédois ou danois. Néanmoins, battons-nous d'abord pour le respect des femmes : pour qu'elles retrouvent, par exemple, leur poste à leur retour de congé de maternité, comme le prévoit la loi !
Lors de son audition, Pascal Coton nous a fait comprendre que les femmes étaient de nouveau confrontées au sexisme à l'état pur.
Depuis 2004, la loi a imposé aux entreprises le rapport sur la situation comparée (RSC), le rattrapage salarial et des dispositions en matière de promotion des femmes. Il s'est ensuivi une discrimination positive dans les entreprises, si bien que certaines femmes nous ont demandé de ne plus nous occuper d'elles pour ne plus avoir à affronter les hommes.
Aujourd'hui, on constate comme une marche arrière : les hommes en ont assez de nous entendre revendiquer des droits ; aucun problème ne se pose, selon eux, dans la mesure où les femmes ont bénéficié des rattrapages salariaux et peuvent désormais accéder à des postes d'encadrement. Mais ils oublient de dire que les entreprises devraient continuer à traiter le problème au fond, afin d'éviter que ne se creusent de nouveaux écarts de salaires et de permettre aux femmes d'avoir leur place dans le management intermédiaire et supérieur.
Le label « Égalité professionnelle » traduit une vraie démarche des entreprises. Le RSC, lui, est obligatoire et n'est pas un sujet de fond pour elles, ce qui explique ce nouveau dérapage.
Pour finir, le décret mentionne seulement trois indicateurs obligatoires du RSC. Il prévoit en outre quatre « motifs de défaillance » permettant à l'employeur de justifier le non-respect de la loi ; or 90 % des entreprises sont concernées par un de ces quatre thèmes. Au total, nous avons travaillé pour rien durant les dernières années !
Nous rédigerons un communiqué d'ici à la fin de la semaine.
La séance est levée à 15 heures 15.