La Commission entend, en audition ouverte à la presse, MM. Vincent Drezet, Secrétaire national du Syndicat national unifié des impôts, et Michel Fontaine, membre de la direction de la fédération des finances CGT, sur la fiscalité du patrimoine
Madame, messieurs, nous souhaitons vous entendre sur ce qui vous apparaît comme problématique dans les règles de taxation du patrimoine et dans leur application.
Quelles sont, selon vous, les pistes à suivre ? Reste-t-il des niches fiscales qui auraient échappé à notre vigilance ? À vos yeux, quelles sont les réformes équitables qui sont susceptibles de ne pas diminuer, voire d'accroître, le rendement budgétaire, sans nuire à l'efficacité économique ? Faut-il privilégier la taxation du stock ou celle des flux ?
Le Parlement sera bientôt saisi de ces sujets à l'initiative du chef de l'État...
Les parlementaires ont en effet décidé de s'en saisir avant l'examen du projet de loi au printemps prochain.
Avant d'aborder le débat sur d'éventuelles réformes, il faut évoquer la situation actuelle.
Certains éléments se retrouvent souvent dans le débat public passionnel que suscite la fiscalité du patrimoine. À lui seul, l'impôt de solidarité sur la fortune – ISF – symbolise les caractéristiques et les travers du système fiscal français. Par exemple, les niches fiscales de l'ISF se traduisent par un manque à gagner supérieur à 1,2 milliard d'euros, soit près du tiers du rendement de cet impôt. L'exonération liée aux pactes d'actionnaires engendre une économie d'impôt moyenne de 10 000 euros par ménage, celle qui porte sur les placements financiers des non-résidents représente 12 000 euros, l'exonération des titres détenus par les salariés mandataires sociaux 11 000 euros, la réduction d'impôt accordée par la loi TEPA pour les investissements dans les PME 11 000 euros également. La question de l'assiette de l'ISF est donc directement posée.
Quel est l'impact économique de ces niches ? L'a-t-on évalué ? L'administration fiscale a constaté, par exemple, que des fonds ouvrant droit à réduction d'impôt pour investissement dans les PME, quand ils étaient collectés par les holdings, n'étaient investis qu'après un certain délai. Plus généralement, on observe des dérives dans certains dispositifs comme les holdings familiales.
Au-delà se pose la question du cumul des niches fiscales applicables à la fois à l'impôt sur le revenu et à l'ISF. Comme votre commission l'avait démontré en 2008, des contribuables utilisent les niches pour réduire leur impôt sur le revenu – IR –, puis étendent leur stratégie de défiscalisation à l'ISF.
Concernant les donations et successions, l'évolution préoccupante des droits de mutation à titre gratuit – du fait de la loi TEPA notamment – provoque notamment une baisse du rendement et une réduction du nombre de successions imposables.
L'allégement de la fiscalité du patrimoine n'est pas sans effets économiques et sociaux, puisqu'il accroît les inégalités entre patrimoines.
En outre, on relie souvent la question de l'ISF à celle de l'expatriation fiscale. Une étude que nous avons rendue publique à l'automne dernier pointe le manque de données tant au sujet du volume des départs qu'en ce qui concerne le volume des retours ou le nombre, le profil et l'impact des arrivées d'étrangers en France. Les données disponibles en la matière – livrées notamment par les rapports du sénateur Philippe Marini et par le Conseil des prélèvements obligatoires – ne concernent que l'ISF. Elles montrent que les délocalisations sont marginales en volume : 0,15 % des redevables de l'ISF et de 0,5 à 0,6 % du produit et des bases de cet impôt. Mais on manque de données sur les retours, qui représenteraient entre 30 et 40 % des départs, et sur les raisons de l'expatriation. On sait, par exemple, que beaucoup de personnes s'expatrient en Belgique au moment où elles vendent leur entreprise afin d'échapper à l'impôt sur les plus-values et à l'ISF, mais il existe également des motifs personnels et professionnels, concernant, par exemple, les départs vers les pays anglo-saxons.
Bref, la question des expatriations n'a pas été traitée jusqu'au bout. Dans un contexte de libre circulation, les flux entrants et sortants sont permanents, mais nous les mesurons mal.
L'administration des impôts observe également que les non-résidents continuent à détenir dans notre pays des actifs non seulement immobiliers, mais aussi mobiliers. En matière d'ISF, la niche fiscale concernant leurs placements en France concerne 7 300 personnes. L'impact de l'expatriation sur la richesse doit donc être relativisé.
Notre première proposition serait que l'on consacre une étude exhaustive à ce sujet.
En matière de gestion et de contrôle par la direction générale des finances publiques, la DGFiP, les suppressions d'emplois qui touchent nos services rendent difficile la détection de la fraude. Faute de moyens, le contrôle de l'ISF et, plus largement, de la fiscalité du patrimoine se borne généralement à des relances. Le contrôle de la valeur de l'assiette déclarée existe, mais il n'est pas assez développé. De même, peu de personnes sont concernées par l'examen de la situation fiscale personnelle et des comptes bancaires. Certes, ces procédures sont lourdes, mais leur nombre a tendance à baisser en raison, une fois encore, de l'insuffisance des moyens.
Bien que, pour nous, l'ISF soit mal calibré, l'imposition du stock est nécessaire. En effet, notre système fiscal est assis sur les capacités contributives dans leur ensemble et le stock constitue bien une capacité contributive. Son imposition est complémentaire de celle des flux, qui doit elle-même être suffisamment rentable et redistributive. Si l'on n'impose que les flux, on favorise l'accumulation de l'argent qui dort et de la rente, ce qui n'est ni juste socialement, ni efficace économiquement.
Le stock de patrimoine constitue bien une source de richesse : à revenu égal, une personne disposant d'un patrimoine s'en sortira plus facilement et plus rapidement qu'une personne sans patrimoine.
Cela dit, l'imposition du patrimoine ne saurait être confiscatoire, ce qui plaide en faveur d'une assiette large – afin d'éviter la dérive des niches fiscales – et de taux peut-être moins élevés que ceux de l'actuel ISF mais assurant un rendement au moins équivalent. C'est une architecture que l'on peut livrer au débat, en proposant une franchise en base et, comme élément de lisibilité pour les contribuables, une franchise applicable à la résidence principale avec une franchise correspondante sur les droits de donation et de succession. Dans nos simulations, nous prenons l'hypothèse d'une franchise d'environ 500 000 euros sur la résidence principale. Dans ce dispositif à assiette élargie et à taux plus faible – le taux marginal serait inférieur à 1,8 % –, l'imposition sur le patrimoine retrouve une légitimité et une efficacité.
J'ajoute pour conclure que les comparaisons internationales sont malaisées lorsque l'on n'envisage pas les systèmes dans leur globalité. S'il est vrai que de nombreux pays ont, sinon supprimé, du moins réaménagé l'imposition du patrimoine, l'impôt sur le revenu y est également plus fort et joue un rôle plus important en matière de redistribution. Cette remarque vaut pour la fiscalité des revenus du patrimoine, qui devrait être reversée dans le droit commun.
Pour la Fédération des finances CGT, on ne peut aborder ce débat sans le replacer dans son contexte.
La crise, qui est systémique, est loin d'être terminée. Depuis plusieurs mois, on instrumentalise l'argument de la dette publique pour justifier de nouvelles restrictions et une augmentation des prélèvements, dont l'essentiel serait supporté par les ménages, alors que les inégalités se creusent et que de plus en plus de besoins fondamentaux ne sont plus satisfaits.
La CGT considère qu'il existe d'autres choix. La réflexion sur la fiscalité du patrimoine ne peut s'inscrire que dans la perspective d'une réforme profonde et durable du système fiscal dans son ensemble.
Il s'agit également de réhabiliter l'impôt en restaurant ses trois finalités fondamentales : financer les politiques publiques, réduire les inégalités en redistribuant non seulement les richesses produites, mais aussi les richesses détenues, favoriser le développement économique par une fiscalité incitative privilégiant l'emploi – un emploi qualifié et correctement rémunéré.
Une réforme fiscale ambitieuse et pérenne ne peut s'exonérer d'une réflexion sur les enjeux de la fiscalité internationale et européenne, concernant notamment l'idée d'une taxe mondiale sur les transactions financières et, sur le plan européen, l'assiette et le taux de l'impôt sur les sociétés.
Monsieur Drezet, vous avez tenu des propos intéressants sur un des grands sujets de préoccupation de notre commission : l'évaluation des niches fiscales. Certaines de celles qui sont directement liées à l'ISF s'inscrivent dans la problématique du financement des entreprises. Elles permettent d'orienter 900 millions d'euros vers le financement de l'économie, ce qui n'est pas négligeable en termes de croissance, de renforcement du tissu industriel et d'emploi.
L'administration fiscale est-elle à même d'estimer le délai moyen entre le moment où le contribuable verse des fonds à une holding ISF et celui où l'investissement est réalisé ? Peut-on dresser une typologie des entreprises aidées par ce moyen, sachant que la loi a déjà restreint le champ de la mesure et que l'on s'est efforcé de mieux encadrer les pratiques des intermédiaires ?
Pensez-vous que le bouclier fiscal ait permis de limiter l'expatriation ? Quelle est votre appréciation de ce dispositif, dont 18 000 personnes, dit-on, ont bénéficié ?
Pour ce qui est des moyens, le ministre du budget a affirmé qu'il avait maintenu le nombre des agents affectés au contrôle fiscal. Ce principe est-il respecté ?
Je m'associe à cette question sur les moyens de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. Nous l'avions déjà posée en juillet dernier au directeur général des finances publiques, M. Philippe Parini, sans obtenir de réponses très convaincantes.
Vous regrettez, monsieur Drezet, que le sujet des expatriations n'ait pas été traité jusqu'au bout. Pourriez-vous préciser votre propos, derrière lequel se profilent la question de l'harmonisation fiscale au niveau européen et celle des paradis fiscaux ?
Certains s'emploient à propager l'idée que la suppression de l'ISF rapporterait plus que son maintien car elle provoquerait le retour de nombreux contribuables évadés. A-t-on réalisé à cet égard des évaluations ?
Enfin, on entend souvent dire que les syndicats de Bercy s'opposent à la formule de la retenue à la source pour l'impôt sur le revenu. Qu'en est-il ?
La CGT attache beaucoup d'importance à l'investissement dans les PME, mais elle considère que celui-ci ne peut être assuré par des exonérations d'impôts tels que l'ISF. Ne serait-ce que sur le plan moral, le mécanisme actuel, qui n'est rien d'autre que la transformation d'une dette d'impôt en actif financier, pose question ! C'est bien pourquoi nous avions proposé, lors des états généraux de l'industrie, la création d'un « livret d'épargne industrie » qui aurait pu se substituer au Livret de développement durable et permis d'orienter l'épargne populaire vers des investissements industriels de long terme.
Le bouclier fiscal a été en réalité conçu pour limiter les effets de l'ISF. À l'époque, le législateur brandissait des motifs de justice fiscale au profit des petits contribuables. Bien entendu, ces derniers ne connaissent pas le dispositif, qui est en outre très compliqué à mettre en oeuvre. Dès le début, nous nous sommes opposés au bouclier fiscal et nous avons réclamé que l'ISF soit maintenu et débarrassé des niches fiscales.
Quant au contrôle fiscal, il s'agit aujourd'hui d'une procédure vieillissante qui s'apparente souvent à un aimable audit comptable. Du reste, les professionnels de la comptabilité ont déjà indiqué que l'on pouvait se passer des agents de l'État pour ces tâches qu'ils sont parfaitement à même d'assurer !
Certes, la mise en oeuvre d'une nouvelle procédure très contraignante et la création d'officiers fiscaux judiciaires vont dans le bon sens, mais cela ne peut faire oublier la nécessité de maintenir un contrôle fiscal sur les entreprises, notamment la procédure dite « de vérification de comptabilité générale ».
Pour ce qui est du coût supposé de l'ISF, dont la presse économique se fait régulièrement l'écho, il suffirait de supprimer les niches attachées à cet impôt pour qu'il rapporte nettement plus.
La retenue à la source, enfin, a fait l'objet de nombreuses études qui ne permettent pas de dégager de position tranchée. Devant les problèmes techniques qu'elle soulève, la CGT avait préféré proposer la généralisation de la mensualisation. La grande difficulté de la retenue à la source est qu'elle n'est applicable qu'aux salariés et aux retraités. Les professions non salariées ne sont pas concernées. De plus, quel que soit le système adopté, la déclaration intervient à l'année n + 1 et se traduit par une régularisation de l'impôt en cours d'année.
Je crois, monsieur Bouvard, que l'administration fiscale est à même de dresser une typologie des PME destinataires des flux donnant lieu à une réduction d'ISF lorsque l'investissement déclaré est direct. J'en suis moins sûr lorsque l'opération se fait par le biais d'intermédiaires tels que les holdings ISF.
Pour ce qui est du rapport coûtefficacité, nous manquons d'évaluations en dépit de deux rapports qui ont fait date, celui de la Commission des finances de l'Assemblée nationale en 2008, et celui du Conseil des impôts en 2003.
Les changements de comportement provoqués par l'entrée en vigueur d'une mesure fiscale sont rapides. On l'a constaté en matière de donations. Or, même si le propos doit être nuancé puisque, s'agissant des expatriations, la procédure est plus lourde, jamais elles n'ont été aussi importantes que depuis l'instauration du bouclier fiscal. Pour ce qui est des bénéficiaires, je partage le constat de M. Fontaine. Les « petits » contribuables bénéficiant du bouclier se concentrent principalement dans l'île de la Réunion, où le dispositif d'accès à la propriété déclenche mécaniquement le bouclier lorsque la personne se retrouve au chômage. Mais les dispositions de remise gracieuse permettaient déjà à l'administration fiscale de traiter ces situations.
S'agissant des moyens de la direction générale des finances publiques, la sanctuarisation annoncée des effectifs ne concerne que le contrôle fiscal externe. Les services consacrés au contrôle sur pièces et à la détection de la fraude – c'est-à-dire ceux qui déclenchent les contrôles – connaissent pour leur part des suppressions d'emplois. Le contrôle fiscal n'étant qu'un maillon de la chaîne de travail, les vérificateurs reçoivent des dossiers moins nombreux ou de moindre qualité de leurs collègues, qui n'ont plus le temps de détecter les fraudes. En outre, ils se voient confier des tâches administratives que les secrétaires des brigades de vérification assuraient auparavant et on leur assigne plus d'objectifs de programmation en lieu et place du contrôle. Globalement, deux départs à la retraite sur trois ne sont pas remplacés à la DGFiP.
La fraude est de plus en plus réactive et complexe. Sa détection nécessite plus d'expertise. Faute de moyens, l'administration fiscale est conduite à réprimer ce qui est facilement détectable, tandis que d'autres types de fraude échappent à ses radars.
En matière d'expatriation fiscale, hormis les données fournies par la DGFiP au rapporteur général de la Commission des finances du Sénat, nous manquons d'informations exhaustives. En particulier, nous ignorons souvent pourquoi les personnes partent et quelle est la part de la fiscalité dans leur choix. Une étude sur la fuite des cerveaux, qui remonte à 2000, plaçait la fiscalité en quatrième ou cinquième position.
Cela étant, face à l'argument selon lequel l'économie française serait plombée par l'expatriation fiscale, l'exploitation des données disponibles fait apparaître une perte probablement marginale pour la richesse nationale : la proportion des redevables à l'ISF partant chaque année serait de 0,15 % et représenterait entre 0,5 et 0,6 % du montant en droits et des bases imposables. Le foncier, qui par essence reste en France, représente 40 % de la base imposable à l'ISF, et les personnes qui partent à l'étranger conservent en général les placements qu'elles détenaient en France. Les échantillons anonymes dont nous disposons permettent de le vérifier, mais il n'existe pas d'analyse complète.
De la même manière, nous manquons de données sur l'installation d'étrangers en France alors que notre administration est à même de les recueillir.
Plus généralement, les pratiques de nomadisme fiscal amènent à poser la question de la fiscalité européenne. Au sein de l'Union du personnel des finances en Europe, nous avons tenté de concevoir un « serpent fiscal européen » qui permettrait, sur le modèle de l'ancien serpent monétaire, de limiter les écarts de fiscalité en menant une action dans quatre domaines :
Premièrement, dans le domaine de la TVA, où la fraude, massive, représente 10 % des recettes ;
Deuxièmement, en matière d'impôt sur les sociétés, car la sous-capitalisation et les techniques de prix de transfert engendrent des pertes de base fiscale. À cet égard, deux projets de la Commission européenne témoignent d'avancées considérables : le premier vise à établir une assiette consolidée pour les grandes entreprises, le second tend à instituer une reconnaissance réciproque des droits fiscaux pour les petites entreprises ayant une seule implantation. Cet ensemble devrait permettre de construire un système comportant des taux planchers ;
Troisièmement, en ce qui concerne la fiscalité des revenus de l'épargne, pour laquelle la proposition de révision de directive nous convient plutôt dans la mesure où elle étend les échanges d'informations aux personnes morales et à tous les revenus de l'épargne ;
Quatrièmement, en matière de lutte contre la fraude. Les instruments juridiques sont peu nombreux à l'échelle européenne. Le contrôle multilatéral coordonné, par exemple, n'est pratiqué qu'une vingtaine de fois par an, ce qui est dérisoire par rapport au nombre d'opérateurs communautaires.
Le problème des paradis fiscaux appelle évidemment des réponses beaucoup plus larges. Quoi qu'il en soit, pour les praticiens que nous sommes, il est déjà essentiel d'avoir les moyens d'exploiter les conventions fiscales, ce qui est loin d'être acquis.
Quant à la retenue à la source, il faudrait beaucoup plus d'emplois qu'actuellement pour la mettre en place. En effet, notre système fiscal appréhende la situation du contribuable sur une année. Si l'année d'assiette devient la même que celle du prélèvement – car tel est l'enjeu de la retenue à la source –, il devient nécessaire d'ajuster le taux de retenue en fonction d'éventuels changements de situation – revenus complémentaires, naissance, divorce, etc. Cela suppose une grande réactivité à ces modifications, sans quoi la valeur ajoutée par rapport à la mensualisation est nulle, à ceci près que les personnes ayant connu des variations de situation seront pénalisées. Le débat est de nature technique. À cet égard, les difficultés rencontrées pour collecter la TVA constituent aussi un enjeu pour la retenue à la source.
Une de vos études montre que l'évasion fiscale touche d'abord les pays pauvres ou émergents. À quel montant considérez-vous qu'elle s'élève en France, sachant que les chiffres de Bercy sont très différents de ceux de la Commission européenne ?
Sans dénoncer explicitement la RGPP, le représentant du SNUI a insisté sur la nécessité de disposer en nombre suffisant de personnels très qualifiés pour détecter des mécanismes de fraude et d'évasion de plus en plus sophistiqués. Peut-il nous en dire plus ?
On l'a vu récemment avec l'administration de la justice : on ne peut se contenter de dénoncer les défaillances de l'organisation des pouvoirs publics si on ne donne pas les moyens permettant d'atteindre les objectifs assignés. Les outils existent ; encore faut-il que le pouvoir politique joue son rôle !
Enfin, la presse a rapporté il y a quelques mois qu'une cellule rattachée au cabinet du ministre du budget avait pour mission d'examiner la situation de gros contribuables. Puis on nous a dit que cette cellule n'existait plus. Qu'en est-il en réalité ? Existe-t-il dans notre pays un moyen de négocier son impôt lorsque l'on est très riche ?
En matière d'ISF, monsieur Drezet, existe-t-il des simulations quant au coût d'une franchise de 500 000 euros sur la résidence principale ?
Par ailleurs, confirmez-vous que les contrôles fiscaux sont beaucoup moins fréquents en Île-de-France que dans les autres régions ?
Les biens professionnels étant exonérés de l'ISF, des holdings et des filiales se sont créées pour permettre à des personnes d'être à la fois actionnaires au titre d'une SCI et locataires. Quel est, selon vous, le montant de la perte résultant de ces montages ?
Par ailleurs, comment accueilleriez-vous une nouvelle fiscalisation de l'immobilier reposant plus sur la valeur des biens que sur des bases obsolètes et injustes ?
Le rapporteur général et moi-même avons constaté, dans le cadre des contrôles que nous effectuons régulièrement, l'existence de sociétés de nature patrimoniale, n'ayant ni salariés ni chiffre d'affaires mais que l'administration fiscale considérait néanmoins comme des outils de travail et exonérait d'ISF. La doctrine de l'administration a-t-elle évolué à ce sujet ?
L'évaluation de la fraude au niveau international est souvent le fait d'associations comme Transparency international ou ATTAC. Nous regrettons pour notre part que les États et leurs administrations ne se livrent pas régulièrement à cet exercice.
L'évaluation de la fraude réalisée en 2007 par le Conseil des prélèvements obligatoires était une première en France. Nous pensons que l'administration devrait procéder à cette évaluation annuellement, comme cela se pratique dans d'autres pays de l'OCDE.
La mise en place de ces dispositifs doit s'accompagner d'une harmonisation de l'impôt sur les sociétés en Europe. Je rappelle aussi que la taxation des transactions financières, naguère dénoncée comme utopique, est aujourd'hui unanimement considérée comme faisable. À nos yeux, l'objectif visé n'est pas de donner un « supplément d'âme », mais de sanctionner la financiarisation et la rentabilité à court terme, pour le bien des peuples.
En matière de lutte contre la fraude, les suppressions massives d'emplois dans les services d'assiette rendent les évaluations difficiles.
Pour ce qui est de la cellule de régularisation, je n'ai pas plus d'informations que celles que la presse nous livre. Les journalistes sont mieux informés sur ces sujets que les agents de l'administration.
Comme le signale M. Rodet, on dit régulièrement que les contrôles fiscaux en Île-de-France sont moins nombreux qu'ailleurs, au point de qualifier cette région de « paradis fiscal » par rapport au reste du pays. Cela tient à l'insuffisance du maillage des services et au fait que les jeunes agents sont souvent affectés en région parisienne, tandis que les agents plus expérimentés vont en province.
La CGT n'est pas favorable au remplacement des valeurs locatives cadastrales par la valeur vénale. La révision des valeurs locatives cadastrales est certes compliquée, longue et coûteuse, mais elle reste le meilleur moyen d'asseoir une fiscalité locale juste. Du reste, la direction de la législation fiscale a affirmé en son temps que les valeurs vénales ne sont pas moins administrées, puisqu'il faut bien répondre d'une façon ou d'une autre aux fluctuations du marché immobilier. Un système fondé sur la valeur vénale ne serait pas forcément plus simple ni plus juste.
Pour ce qui est de l'évasion fiscale dans les pays pauvres, nous ne disposons pas de données. On sait seulement que les niveaux de prélèvements obligatoires y sont très faibles, ce qui entrave le financement du développement. Au Sénégal, où nous nous sommes récemment rendus pour le forum social mondial, la question des zones franches et des incitations fiscales, notamment, se pose avec autant d'acuité, sinon plus, qu'en France.
Pour ce qui est de l'évasion fiscale en France, nous avons suivi la même méthode que le Conseil des prélèvements obligatoires, en extrapolant des résultats du contrôle fiscal des hypothèses sur le comportement d'ensemble des contribuables. Si nous arrivons à des résultats différents, c'est que le Conseil n'inclut dans sa définition de la fraude ni les irrégularités, ni l'évasion fiscale internationale. Il donne une estimation de 29 à 40 milliards d'euros, fraude sociale comprise – celle-ci représentant un quart du montant –, tandis que nous arrivons à une fourchette de 42 à 51 milliards d'euros.
Une autre estimation disponible est celle de la Commission européenne, qui a établi que les États membres perdent en moyenne de 10 à 12 % de leurs recettes de TVA.
La question des moyens se présente toujours sous trois aspects : juridique, matériel et humain. Une de nos propositions est d'avancer sur le terrain de l'expertise fiscale, où nous subissons une concurrence croissante du secteur privé qui, comme on l'a dit, se verrait bien réaliser les audits à notre place. Nous préconisons notamment l'établissement, au sein de la catégorie A, d'une véritable filière d'expertise. Nous souhaitons même que se structurent, dans les départements et dans les directions nationales, les groupes qui existent de façon parfois informelle pour expertiser de nouveaux schémas de fraude et livrer des propositions à leurs collègues. Cela donnerait un vrai « cap stratégique », pour reprendre une expression à la mode dans notre administration, en matière d'expertise fiscale, et cela viendrait en appui des vérificateurs confrontés sur place à des situations très diverses.
Des améliorations peuvent également intervenir en matière d'accès à l'information. Les agents de catégorie B sont trop mobilisés par les campagnes de réception et par le renforcement des agents de catégorie A lors des contrôles fiscaux, alors qu'ils pourraient être employés à la « pêche à l'information » dans le cadre du droit de communication.
Tout ce que je sais de la cellule à laquelle vous avez fait allusion, monsieur Terrasse, est qu'elle n'existe plus. Nous tenons à ce que le ministre soit responsable, non pas des dossiers personnels, mais de son administration, des orientations qu'il lui fixe et des moyens qu'il lui donne. À défaut, le risque est que l'on passe des contrats et que l'on transforme l'administration en agence. Auparavant, lorsqu'une situation fiscale pouvait donner lieu à un certain retentissement, des collègues apportaient un regard d'expertise sans qu'il existe de service structuré. Pour nous, la question reste de savoir si le droit fiscal est bien appliqué.
Au sujet de la franchise sur la résidence principale, je n'ai pas de réponse précise, monsieur Rodet. Nos hypothèses varient entre 400 000 et 500 000 euros. S'y ajouterait une franchise en base destinée à éviter de taxer les biens meubles au premier euro. Cela dit, il en résulterait sans doute un manque à gagner de 0,8 à 1 milliard d'euros, soit peu ou prou l'équivalent de ce que représente l'abattement de 30 %. L'intérêt d'une franchise en montant est de redistribuer les cartes, puisque les biens immobiliers à la valeur la plus élevée supporteraient un surcroît d'ISF : ils viendraient ainsi élargir l'assiette de l'impôt sur le patrimoine.
D'après les derniers documents internes, le ratio des contrôles fiscaux en Île-de-France est d'environ un tous les soixante-dix ans. Mais il faut aussi aborder la question par « tissu fiscal ». Les agriculteurs font l'objet de très peu de vérifications, par exemple, alors que certains réseaux de PME sont bien plus vérifiés, notamment en province. On sait aussi que les bénéfices non commerciaux sont très peu vérifiés en Île-de-France par rapport aux SARL classiques.
Pour ce qui est de la fiscalisation des biens immobiliers, nous soutenons de longue date que la valeur locative cadastrale représente, au moment de l'évaluation, une forme de valeur vénale, puisque des critères comme la situation ou l'aspect du bien sont pris en compte.
Dans le cadre de la contribution économique territoriale, l'évaluation des locaux professionnels se fait selon une nouvelle méthode comportant, entre autres, des distinctions de zones géographiques et de sous-groupes. Cela peut être considéré comme une expérimentation, mais nous restons attachés à la notion de valeur vénale de référence, qui évite aux ménages de subir les effets des booms immobiliers, et aux finances locales d'être victimes des crashs. Dans ce système, l'idée de base est que l'acheteur ou le locataire a la capacité contributive nécessaire pour acquitter le prix ou le loyer. La valeur vénale au jour de l'achat ou du bail peut donc servir de référence. Des évolutions peuvent intervenir ensuite en fonction du revenu afin de ne pas pénaliser les ménages.
Sachant que la direction générale des finances publiques, qui gère la conservation des hypothèques et les droits de mutation, détient de nombreux éléments statistiques, il nous semble tout à fait possible de créer un observatoire public de l'immobilier associant la DGFiP et d'autres acteurs – dont les collectivités locales – et fournissant des outils pour déterminer le prix des biens et l'assiette de leur imposition.
J'en viens aux holdings. Il nous semble que les structures passives ne devraient pas bénéficier des niches fiscales. Mais, une fois de plus, c'est le contrôle qui pose un problème.
Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mercredi 16 février 2011 à 11 heures
Présents. - M. Dominique Baert, M. Michel Bouvard, M. Jérôme Cahuzac, M. Thierry Carcenac, M. Olivier Carré, M. Gilles Carrez, M. René Couanau, M. Michel Diefenbacher, Mme Aurélie Filippetti, M. Jean-Claude Flory, M. Jean-Pierre Gorges, M. Marc Goua, M. Marc Laffineur, M. Jean-François Lamour, M. Jean Launay, M. Jean-François Mancel, M. Henri Nayrou, M. Jacques Pélissard, M. Alain Rodet, M. François de Rugy, M. Jean-Claude Sandrier, M. François Scellier, M. Pascal Terrasse
Excusés. - M. Claude Bartolone, M. Bernard Carayon, M. Nicolas Forissier, M. Victorin Lurel, M. Pierre-Alain Muet, M. Michel Vergnier