Je crois, monsieur Bouvard, que l'administration fiscale est à même de dresser une typologie des PME destinataires des flux donnant lieu à une réduction d'ISF lorsque l'investissement déclaré est direct. J'en suis moins sûr lorsque l'opération se fait par le biais d'intermédiaires tels que les holdings ISF.
Pour ce qui est du rapport coûtefficacité, nous manquons d'évaluations en dépit de deux rapports qui ont fait date, celui de la Commission des finances de l'Assemblée nationale en 2008, et celui du Conseil des impôts en 2003.
Les changements de comportement provoqués par l'entrée en vigueur d'une mesure fiscale sont rapides. On l'a constaté en matière de donations. Or, même si le propos doit être nuancé puisque, s'agissant des expatriations, la procédure est plus lourde, jamais elles n'ont été aussi importantes que depuis l'instauration du bouclier fiscal. Pour ce qui est des bénéficiaires, je partage le constat de M. Fontaine. Les « petits » contribuables bénéficiant du bouclier se concentrent principalement dans l'île de la Réunion, où le dispositif d'accès à la propriété déclenche mécaniquement le bouclier lorsque la personne se retrouve au chômage. Mais les dispositions de remise gracieuse permettaient déjà à l'administration fiscale de traiter ces situations.
S'agissant des moyens de la direction générale des finances publiques, la sanctuarisation annoncée des effectifs ne concerne que le contrôle fiscal externe. Les services consacrés au contrôle sur pièces et à la détection de la fraude – c'est-à-dire ceux qui déclenchent les contrôles – connaissent pour leur part des suppressions d'emplois. Le contrôle fiscal n'étant qu'un maillon de la chaîne de travail, les vérificateurs reçoivent des dossiers moins nombreux ou de moindre qualité de leurs collègues, qui n'ont plus le temps de détecter les fraudes. En outre, ils se voient confier des tâches administratives que les secrétaires des brigades de vérification assuraient auparavant et on leur assigne plus d'objectifs de programmation en lieu et place du contrôle. Globalement, deux départs à la retraite sur trois ne sont pas remplacés à la DGFiP.
La fraude est de plus en plus réactive et complexe. Sa détection nécessite plus d'expertise. Faute de moyens, l'administration fiscale est conduite à réprimer ce qui est facilement détectable, tandis que d'autres types de fraude échappent à ses radars.
En matière d'expatriation fiscale, hormis les données fournies par la DGFiP au rapporteur général de la Commission des finances du Sénat, nous manquons d'informations exhaustives. En particulier, nous ignorons souvent pourquoi les personnes partent et quelle est la part de la fiscalité dans leur choix. Une étude sur la fuite des cerveaux, qui remonte à 2000, plaçait la fiscalité en quatrième ou cinquième position.
Cela étant, face à l'argument selon lequel l'économie française serait plombée par l'expatriation fiscale, l'exploitation des données disponibles fait apparaître une perte probablement marginale pour la richesse nationale : la proportion des redevables à l'ISF partant chaque année serait de 0,15 % et représenterait entre 0,5 et 0,6 % du montant en droits et des bases imposables. Le foncier, qui par essence reste en France, représente 40 % de la base imposable à l'ISF, et les personnes qui partent à l'étranger conservent en général les placements qu'elles détenaient en France. Les échantillons anonymes dont nous disposons permettent de le vérifier, mais il n'existe pas d'analyse complète.
De la même manière, nous manquons de données sur l'installation d'étrangers en France alors que notre administration est à même de les recueillir.
Plus généralement, les pratiques de nomadisme fiscal amènent à poser la question de la fiscalité européenne. Au sein de l'Union du personnel des finances en Europe, nous avons tenté de concevoir un « serpent fiscal européen » qui permettrait, sur le modèle de l'ancien serpent monétaire, de limiter les écarts de fiscalité en menant une action dans quatre domaines :
Premièrement, dans le domaine de la TVA, où la fraude, massive, représente 10 % des recettes ;
Deuxièmement, en matière d'impôt sur les sociétés, car la sous-capitalisation et les techniques de prix de transfert engendrent des pertes de base fiscale. À cet égard, deux projets de la Commission européenne témoignent d'avancées considérables : le premier vise à établir une assiette consolidée pour les grandes entreprises, le second tend à instituer une reconnaissance réciproque des droits fiscaux pour les petites entreprises ayant une seule implantation. Cet ensemble devrait permettre de construire un système comportant des taux planchers ;
Troisièmement, en ce qui concerne la fiscalité des revenus de l'épargne, pour laquelle la proposition de révision de directive nous convient plutôt dans la mesure où elle étend les échanges d'informations aux personnes morales et à tous les revenus de l'épargne ;
Quatrièmement, en matière de lutte contre la fraude. Les instruments juridiques sont peu nombreux à l'échelle européenne. Le contrôle multilatéral coordonné, par exemple, n'est pratiqué qu'une vingtaine de fois par an, ce qui est dérisoire par rapport au nombre d'opérateurs communautaires.
Le problème des paradis fiscaux appelle évidemment des réponses beaucoup plus larges. Quoi qu'il en soit, pour les praticiens que nous sommes, il est déjà essentiel d'avoir les moyens d'exploiter les conventions fiscales, ce qui est loin d'être acquis.
Quant à la retenue à la source, il faudrait beaucoup plus d'emplois qu'actuellement pour la mettre en place. En effet, notre système fiscal appréhende la situation du contribuable sur une année. Si l'année d'assiette devient la même que celle du prélèvement – car tel est l'enjeu de la retenue à la source –, il devient nécessaire d'ajuster le taux de retenue en fonction d'éventuels changements de situation – revenus complémentaires, naissance, divorce, etc. Cela suppose une grande réactivité à ces modifications, sans quoi la valeur ajoutée par rapport à la mensualisation est nulle, à ceci près que les personnes ayant connu des variations de situation seront pénalisées. Le débat est de nature technique. À cet égard, les difficultés rencontrées pour collecter la TVA constituent aussi un enjeu pour la retenue à la source.