Nous voici arrivés au terme de nos travaux, notre commission n'ayant d'existence juridique que jusqu'au 24 décembre.
Après deux débats d'orientation et vingt-huit auditions, dont beaucoup étaient tout à fait passionnantes, notre rapporteur, M. Jean-François Mancel, a élaboré un projet de rapport.
Ainsi que vous en avez été avisés individuellement par courriel, il a, comme c'est la règle, mis ce projet à la disposition des membres de la commission d'enquête dès le jeudi 9 décembre au matin et je sais que certains d'entre vous en ont pris connaissance.
Nous sommes appelés aujourd'hui à nous prononcer sur ce projet de rapport. S'il est adopté, il fera l'objet d'un dépôt au Journal officiel et, sauf décision contraire de l'Assemblée constituée en comité secret – procédure il est vrai exceptionnelle –, il sera imprimé et distribué.
Les délais de procédure conduisent à une possibilité de distribution à compter du mardi 21 décembre au matin. Ce jour-là, M. Jean-François Mancel et moi-même tiendrons une conférence de presse à 11 heures. Naturellement, les collègues qui souhaiteront se joindre à nous seront les bienvenus.
D'ici là, les textes prévoient que le rapport demeure confidentiel. C'est pourquoi je vous remercie de bien vouloir restituer l'exemplaire qui vient de vous être remis, lorsque vous quitterez cette salle.
Je vous rappelle que vous aviez été invités à présenter, si vous l'estimiez nécessaire, des contributions écrites qui devaient être remises au secrétariat au plus tard hier à 17 heures. Les contributions dont j'ai été saisi seront publiées – à l'exclusion toutefois des documents annexés qui, conformément à l'usage, ne peuvent y être insérés.
Je tiens tout d'abord à remercier M. Henri Emmanuelli pour la qualité de sa présidence, notamment pour son dynamisme, pour son efficacité et pour son ouverture d'esprit.
Le sujet était complexe : nous avons pu le mesurer au cours de ces vingt-huit auditions qui nous ont permis de rencontrer, en l'espace de trois mois, trente-sept personnalités très différentes mais toutes importantes dans le monde de l'économie et de la finance. Ces échanges nous ont montré qu'il est très difficile de réduire le problème de la spéculation à quelques idées simples, et les solutions en la matière au « y a qu'à ».
Le projet de rapport, dans sa première partie, décrit la spéculation, en s'appuyant à la fois sur des références historiques et sur les appréciations portées par les personnes que nous avons entendues. Pour résumer, il s'agit d'un phénomène utile, voire nécessaire, pour faire fonctionner les marchés, mais qui présente des risques, et peut même constituer un danger véritable, lorsqu'il prend une ampleur excessive. Toute la difficulté étant alors de savoir où placer le curseur : quand peut-on être certain que la spéculation devient négative, non seulement pour les marchés, mais également pour l'ensemble des acteurs économiques et pour nos concitoyens ?
La deuxième partie du rapport vise à montrer pourquoi elle a plus d'incidence que par le passé sur la vie économique, c'est-à-dire pourquoi, depuis plusieurs décennies, nous observons une sensibilité accrue des économies aux effets néfastes des phénomènes spéculatifs.
Dans la troisième partie, nous avons cherché à dégager des propositions. Certes, des réponses partielles ont déjà été apportées, notamment par le G20 précédent – le prochain G20 en apportera encore d'autres –, à quoi s'ajoutent les décisions prises par l'Union européenne ainsi que la loi de régulation bancaire votée par le Parlement français. Le rapport rassemble toutes ces mesures dans un tableau et, par ailleurs, mentionne également la loi adoptée sur le sujet aux Etats-Unis. En ce sens, il donne une photographie assez complète de la situation aujourd'hui. J'indique au passage qu'il comportera aussi, dans sa version définitive, un glossaire des nombreux sigles utilisés.
Nous avons émis trente-quatre propositions, ce qui n'est pas négligeable, compte tenu de la difficulté à trouver notre place à l'intérieur des dispositifs déjà prévus tant au plan européen qu'au plan mondial. Les deux premières mettent l'accent sur un sujet abordé dans la contribution de notre collègue Paul Giacobbi, à savoir la création de grandes masses de liquidités mondiales, lesquelles ont favorisé la spéculation. C'est pourquoi la première proposition vise à mettre à profit la présidence française du G20 pour avancer dans la réforme du système monétaire international, tandis que la deuxième souligne la contradiction actuelle des banques centrales européenne et américaine dont les dirigeants considèrent, d'un côté, qu'une masse trop importante de liquidités circule dans le monde mais, de l'autre, alimentent la croissance de cette même masse monétaire pour refinancer les banques : comme ces dernières, en effet, ne se font toujours pas confiance, les prêts interbancaires sont quasiment bloqués.
La proposition n° 3 aborde notamment la question soulevée par notre collègue Elisabeth Guigou à propos des mesures prises lors d'un précédent G20 en vue de résorber les paradis fiscaux, lesquels ne sont pas non plus étrangers à la spéculation. Nous proposons, dans le cadre de la présidence française du G20, la création d'une structure légère, mais permanente, garantissant, de présidence en présidence, l'indispensable suivi de ces actions.
La proposition n° 4 vise à tirer les conséquences de l'union monétaire en matière de conduite des politiques économiques et fiscales, en assurant un véritable contrôle des moyens que l'Europe attribue à certains pays. Je pense évidemment à l'Irlande, qui a bénéficié de fonds structurels représentant une part non négligeable de son PIB, ce qui lui a permis de faire du dumping fiscal. Or, celui-ci a provoqué le départ vers ce pays des sièges de nombreuses entreprises installés dans les autres États membres. Cette proposition vise donc notamment à permettre à l'Union d'assurer une « surveillance multilatérale » des crédits qu'elle alloue à certains de ses membres afin que ces crédits ne se retournent pas contre le bon fonctionnement du système économique et financier européen.
La proposition n° 5, quant à elle, vise à développer la coordination transatlantique sur l'ensemble des dossiers et actions touchant à la lutte contre la spéculation, en particulier la coopération des organismes dont se sont récemment dotés l'Europe et les États-Unis pour prévenir le risque systémique. En effet, si ces deux « tours de contrôle » ne confrontent pas régulièrement leurs données et leurs analyses, on aura du mal à déterminer ce qui se passe dans le trou noir qui en résultera. Par ailleurs, un paragraphe sur le monde asiatique a été ajouté, car la prochaine crise n'aura pas certainement plus pour cause les subprimes américains mais, peut-être, un dysfonctionnement ayant ce continent pour origine. Le G20 doit donc assurer un échange régulier d'informations entre les différents organismes qui seront mis en place.
Les propositions nos 6, 7 et 8 concernent plus particulièrement l'Europe. Lors de sa dernière audition devant la commission des affaires européennes, ouverte aux membres de notre commission, M. Michel Barnier a évoqué la révision en cours de la directive sur les marchés d'instruments financiers (MIF) de 2004, qui a complètement raté son objectif. Comment en effet réguler les marchés, si, comme M. Dominique Cerutti l'a souligné au cours de son audition, près de 95 % des transactions se déroulent en dehors des marchés régulés, dans le cadre des OTC – over-the-counter –, sans qu'on puisse savoir qui fait quoi ni comment ? Il est donc nécessaire de réintégrer dans des marchés contrôlés et régulés l'essentiel des transactions et, lorsque cela n'est pas possible, pour des produits hors normes, de prévoir une vérification pour éviter que des produits dérivés toxiques en trop grand nombre ne provoquent, comme en 2008, une nouvelle crise. Il faut donc, en bref, que la révision au printemps 2011 de la directive MIF assure un retour à la transparence des marchés.
La proposition n° 9 vise à créer une agence européenne de régulation des marchés agricoles sur le modèle du Commodity futures trading committee américain. Il convient, en effet, de ne pas s'en tenir au domaine financier strict, mais de nous occuper également des marchés de matières premières.
Les propositions nos 10 et 11 traitent des fonds alternatifs. L'Europe, vous le savez, a décidé de mieux les contrôler, grâce à l'octroi d'un « passeport européen ». Je suis rapporteur spécial de la mission « action extérieure de l'État » : sur la question des visas, j'avais observé une différence d'implication des pays membres de l'Union. Or, après un long débat au niveau européen, il a été décidé que le passeport des fonds alternatifs serait, lui aussi, attribué, non pas par une seule autorité, mais par les différents États membres. Même si ce doit être en fonction de critères définis par la Commission européenne, je crains qu'on ne retombe dans le même travers que pour les visas, et qu'en raison d'une implication différente des pays, les milieux intéressés n'apprennent très rapidement dans lequel il sera plus facile d'obtenir un passeport. Un vrai conflit a opposé les États membres sur le sujet et le compromis auquel on est parvenu n'est certainement pas le plus satisfaisant. C'est la raison pour laquelle la proposition n° 11 vise notamment à compléter la directive sur les gestionnaires de fonds alternatifs par des dispositions permettant de mieux contrôler ces fonds et de limiter l'effet de levier des détenteurs du nouveau passeport européen.
La proposition n° 12 est très claire : elle vise à interdire les ventes à découvert « à nu » de produits dérivés de dette souveraine, ce dans un périmètre aussi large que possible. Je ne suis pas certain que nous obtenions satisfaction sur le sujet : toutefois, la proposition aura été formulée. Nous devons effectivement avoir le courage de dire certaines choses, même si elles ne font pas consensus sur les marchés financiers.
La proposition n° 13 vise, quant à elle, à aller plus loin en matière de délai de règlement-livraison pour les ventes à découvert. Ce délai est très variable selon les Etats-membres de l'Union européenne. En France, le délai était à J +3. La loi de régulation bancaire et financière a réduit ce délai à J +2 : nous proposons de passer à J+1 et de sanctionner tout retard. Actuellement, en effet, lorsque le délai n'est pas respecté, il y a rarement sanction : il convient de mettre un terme à une telle facilité.
Les propositions nos 14, 15 et 16 abordent la question du trading à haute fréquence. La proposition n° 15 ne tend à rien de moins qu'à encadrer, voire à interdire, de manière concertée, au moins à l'échelon européen, le trading algorithmique et le trading à haute fréquence, pratiques dépourvues d'utilité sociale. La proposition n° 16 est une proposition de repli qui vise à élargir le pas de cotation des valeurs – tick size en anglais – afin de limiter l'intérêt du trading à haute fréquence. Quant à la proposition n° 14, elle est d'application immédiate, puisqu'elle vise à assurer une surveillance effective de ces activités par l'Autorité de contrôle prudentiel.
Les propositions nos 17, 18, 19 et 20 concernent les agences de notation. La première, relative aux modalités de leur rémunération, vise à passer au modèle économique « investisseur-payeur », et, à tout le moins, à éviter que les émetteurs ne puissent choisir la meilleure des notes dont ils peuvent bénéficier. La proposition n° 18 a pour objet de demander aux banques centrales d'éviter toute référence aux notes des agences de notation et d'établir ou de renforcer leurs propres cellules d'analyse de risque.
De quels risques s'agirait-il en l'occurrence ? Les appréciations des banques centrales peuvent en effet porter sur la dette souveraine ou sur les dettes privées. De quelles dettes s'agit-il ?
Soit, mais les banques centrales peuvent se refinancer sur papier privé. Quelle est donc la nature précise des analyses de risque en question ?
C'est certain. Toutefois, il est difficile de faire la distinction entre papier public et papier privé parce que le résultat peut être le même.
La Banque centrale européenne intervient sur du papier financier normalisé. Or, lorsque le papier fourni pour l'économie française, et qui passe par la Banque de France, concerne le secteur privé, la cotation Banque de France sert de référence. C'est pourquoi la cellule d'analyse de risque pourra analyser les papiers financiers servant aussi bien au refinancement – dette souveraine et dettes privées – qu'à l'amélioration du mécanisme de cotation des entreprises françaises, de façon à renforcer encore la valeur de la norme de cotation. Un débat a du reste traversé les milieux autorisés pour savoir s'il ne fallait pas réduire le nombre des entreprises cotées. D'aucuns se sont même demandé s'il fallait maintenir les cotations Banque de France, voire s'il ne fallait pas qu'une autorité – la Banque de France a été citée – serve de base de cotation pour les collectivités territoriales – communes, départements et régions –, partant du principe que ce n'est pas du ressort des chambres régionales des comptes.
Ne conviendrait-il pas d'affiner la notion de « cellule d'analyse de risque » ?
L'objet de cette proposition est de faire échapper les dettes traitées par les banques centrales à la seule appréciation des agences de notation.
Nous souhaiterions que la banque centrale procède à ses propres cotations et à ses propres analyses plutôt que de s'en remettre aux agences de notation, du moins pour les titres qu'elle prend en pension.
Les institutions publiques ne doivent pas être soumises aussi fortement qu'elles le sont aujourd'hui aux agences de notation. Cependant, on peut préciser la proposition : on ne saurait en effet imposer aux banques centrales de se doter d'énormes cellules d'analyse.
La proposition n° 19 vise à instituer un régime de responsabilité pour faute des agences de notation, en cas de non-respect des modèles de notation déposés en vue de l'agrément communautaire, et la proposition n° 20 à leur interdire de s'exonérer de leur responsabilité par voie contractuelle.
Les deux propositions suivantes sont plus politiques, puisque la proposition n° 21 demande l'élaboration de dispositifs évitant aux pouvoirs publics d'être acculés, en cas de crise, au renflouement d'établissements financiers qui auraient pris des risques excessifs, tandis que la proposition n° 22 suggère de « développer une parole publique », en s'appuyant notamment sur la proposition franco-allemande du 28 octobre 2010, en vue de persuader les opérateurs spéculatifs que d'éventuelles attaques ne peuvent que conduire à des restructurations de dettes souveraines susceptibles d'entraîner, pour eux, une pénalisation financière substantielle. Les spéculateurs doivent courir un risque ! Ils doivent comprendre que les États ne seront pas toujours là pour éponger systématiquement les dettes.
Il est vrai que l'argument est difficile à utiliser dans la mesure où il peut instiller le doute, lequel peut aussi bien avoir pour effet de rappeler à la raison que d'inciter les investisseurs à se méfier des dettes souveraines et à faire monter les taux de la prime de risque. Cependant, comme nous ne sommes pas aux commandes, notre parole est plus libre que celle de la ministre de l'économie et des finances…
La proposition no 23 nous a été suggérée par M. Jean-Yves Cousin, à la suite de la remarque d'un banquier, M. Jean-Claude Gruffat, qui, lors de son audition, a invité à faire peser la responsabilité pleine et entière des décisions prises par les établissements financiers non pas seulement sur les présidents, mais également sur les membres des conseils d'administration.
La proposition n° 24 a, quant à elle, été suggérée par plusieurs remarques de M. le président de la commission d'enquête : elle vise à rouvrir la réflexion sur l'intérêt et les moyens d'établir une distinction entre les activités de banque de dépôt et de banque d'investissement. En Chine, les deux types de banques sont bien distincts et ne paraissent pas avoir excessivement souffert de la crise. Il semble cependant que la tendance actuelle soit plutôt en faveur de la banque universelle.
La proposition n° 25 est de repli, puisqu'elle demande simplement aux établissements de mieux identifier les opérations liées aux activités de marché, afin d'en assurer un meilleur suivi.
La proposition n° 26 est la première d'une série concernant les travaux du comité de Bâle. Elle recommande de se montrer vigilant sur les conditions dans lesquelles les États-Unis appliqueront les règles prudentielles élaborées par ce comité. Il est fort bien, en effet, de passer à « Bâle III » : encore faudrait-il que « Bâle II » fût appliqué aux États-Unis !
Les États-Unis seraient décidés, dit-on, à appliquer « Bâle II » au début de l'année 2011 mais l'Union européenne se « tirerait une balle dans le pied » si elle s'imposait des règles que nos amis américains n'appliqueraient pas. Il convient du reste de noter que la proposition n° 26 vise à obtenir l'application la plus large, au niveau mondial, de ces règles, « peut-être, ainsi que le suggère le Parlement européen, en les intégrant dans des traités internationaux ». J'ignore si le Congrès américain, tel qu'il est actuellement composé, ratifierait un tel traité…
C'est l'objet de la proposition n° 31.
Les propositions nos 27 et 30 visent à lutter contre les activités des banques parallèles – le shadow banking. La première recommande la mise en place d'un suivi international et de sanctions pour éviter que le développement de ce secteur n'aboutisse à vider de sa substance le système prudentiel résultant de « Bâle III ». La seconde demande de veiller à ce que certains établissements n'échappent pas aux réglementations prudentielles des banques (« Bâle III ») et des assurances (« Solvabilité II »).
Quant à la proposition n° 29, elle met en garde contre le risque de voir l'application de ces mêmes règles prudentielles conduire les investisseurs à se détourner des placements en actions, ce qui ne serait pas sans conséquences sur l'économie réelle : c'est un réel sujet de préoccupation, selon Mme Christine Lagarde elle-même.
La proposition n° 31 concerne la révision des normes comptables, à savoir l'adoption des nouvelles normes IFRS – normes internationales d'information financière, en anglais international financial reporting standards. S'agissant notamment des normes relatives à l'évaluation des titres à leur valeur ponctuelle de marché, il s'agit « d'éviter, pour les investisseurs de long terme, la nécessité d'adopter des comportements court-termistes susceptibles de déstabiliser les marchés ».
Nous avons en effet constaté les conséquences funestes de ces modes d'évaluation, qui amplifient les mouvements spéculatifs.
La proposition n° 32 est à mettre en rapport avec un tableau, que vous trouverez dans le rapport, où l'on compare les moyens dont disposent différentes autorités agissant sur les marchés financiers. Or, autant l'Autorité de contrôle prudentiel paraît à même d'assumer ses tâches, autant l'Autorité des marchés financiers manque toujours de personnel, en dépit des augmentations d'effectif prévues, et peut-être – c'est plus difficile à mesurer – de moyens techniques. Il convient donc de faire un effort supplémentaire en faveur de l'AMF.
La proposition n° 33 insiste sur la nécessité de rendre très rapidement opérationnel le Comité européen du risque systémique, si on veut anticiper les crises à venir. Quant à la dernière proposition, n° 34, elle vise à promouvoir la coopération des autorités de régulation afin d'harmoniser leurs références pour l'observation des marchés. C'est un problème que M. Jean-Pierre Jouyet, le président de l'AMF, a largement évoqué lors de son audition. Il a en particulier signalé que le régulateur britannique ne notait que les transactions effectuées alors que le régulateur français note également les ordres qui ne se traduisent pas par une transaction concrète. Or, chacun sait qu'à travers le trading à haute fréquence, les carnets d'ordres peuvent représenter un formidable moyen d'agir sur la cotation d'une valeur.
Telles sont les trente-quatre propositions du rapport.
Ce rapport, en raison de sa qualité, sera lu avec intérêt par les spécialistes. Les auditions ont d'ailleurs déjà donné lieu à certains articles de presse, dont un, tout à fait remarquable, dans Challenge, consacré au high frequency trading. Son auteur démontre d'ailleurs que M. Dominique Cerutti a oublié de nous dire beaucoup de choses ! Si nous en avions eu le temps, je l'aurais sans doute invité à revenir nous parler de cette salle informatique que sa société a construite aux Etats-Unis, en y consacrant quelque 500 millions de dollars : elle est destinée à ceux qui se livrent au HFT et l'on comprend dès lors mieux pourquoi il est hostile à l'interdiction de cette pratique : non seulement NYSE-Euronext en tire de 40 % à 50 % de son chiffre d'affaires mais, de plus, elle a investi pour louer ses services en la matière !
Je tiens également à souligner que ce rapport atteint presque à l'exhaustivité s'agissant des propositions que nous pouvons faire. Reste évidemment à déterminer où, pour telle ou telle, placer le curseur, pour ne pas mentionner l'éternelle question de savoir s'il convient d'attendre pour agir que tous les pays se soient mis au diapason, de peur d'hypothéquer la compétitivité de notre secteur bancaire. Le rapport a au moins le mérite d'ouvrir la réflexion sur à peu près tous les sujets, sans nécessairement conclure à chaque fois, ce qui laisse une marge de liberté. Il me convient donc, je le dis sans plus attendre, d'autant qu'il contient quelques propositions osées. Fallait-il les formuler alors qu'elles ont peu de chance d'être reprises ? Ne pas le faire, c'était s'exposer à être accusé d'aveuglement le jour où tel ou tel risque se concrétiserait. Ce rapport réalise donc un bon compromis : sans nécessairement conclure, il identifie tous les problèmes.
Il conviendrait toutefois d'éclairer la question du high frequency trading de quelques chiffres supplémentaires : 2,8 millions de transactions en une minute, « cela parle », comme on dit, plus qu'une longue démonstration !
Quant à la question de la distinction des activités de dépôt et d'investissement, les avis sont, ici même, partagés. Toutefois, les partisans d'une séparation stricte seraient sans doute minoritaires, en raison du sérieux des contrôles dans notre pays. De plus, cette séparation n'empêcherait peut-être pas les dommages collatéraux pour l'économie causés par un effondrement des banques d'investissement, compte tenu de leur taille – too big to fail. Néanmoins, il convenait certainement d'ouvrir, ou de rouvrir, ce débat aussi.
Je le répète : j'approuve ce rapport et je vous remercie, monsieur le rapporteur.
Je tiens également à souligner la qualité de ce projet de rapport et je remercie tous ceux qui y ont contribué. S'agissant d'un sujet qui me tient à coeur, la responsabilité, les propositions n°s 20 à 23 en traitent successivement pour les agences de notation, pour les opérateurs spéculatifs et pour les banques. En règle générale, la responsabilité peut être engagée sur trois terrains : financier, civil et, éventuellement, pénal. J'aurais aimé, si possible, que le rapport soit plus précis, même si c'est difficile. La question de la responsabilité civile et pénale n'est abordée qu'à propos des membres des conseils d'administration des banques, mais celles-ci ne sont pas seules en cause. Je conviens que le sujet est très vaste, mais plus on responsabilisera, plus les risques seront circonscrits.
Après avoir feuilleté le rapport, je souscris aux compliments qui ont été faits. Il s'agit d'un superbe travail d'analyse et de mise en perspective des auditions. J'aurai cependant quelques remarques à faire.
Sur la forme, tout d'abord. Ces propositions s'adressent-elles aux autorités françaises et constituent-elles une feuille de route qui les guidera dans les discussions à venir ? Ou bien s'agit-il de déclarations d'intention plus générales ? Vous avez fait le choix, monsieur le rapporteur, de ne pas classer vos recommandations selon leur destinataire mais votre rapport ne gagnerait-il pas en lisibilité en les hiérarchisant ? Et leur formulation ne pourrait-elle pas être simplifiée pour les rendre plus percutantes ?
Quant au fond, si je partage le diagnostic et si j'approuve, en particulier, les pistes indiquées en ce qui concerne les agences de notation, il reste à définir qui doit s'affranchir de celles-ci. Et quels mécanismes de substitution ou de complément prévoir pour avoir partout un système de notation fiable et uniforme, ce dont la Banque centrale européenne, en particulier, a besoin ? Les agences de notation font de cet avantage – une présence très étendue permettant une évaluation homogène – leur fonds de commerce. Par ailleurs, notre collègue Gaël Yanno et moi-même avions fait, dans le cadre d'un rapport d'information de la commission des finances, des propositions sur les normes comptables internationales, destinées à aider les autorités françaises dans leurs négociations européennes et internationales. Il serait sans doute bon d'en rappeler au moins quelques-unes dans votre rapport. Vous suggérez, dans la proposition n° 31, de réviser ces normes, mais le faire ne dépend pas de nous. Tout au plus pouvons-nous soutenir l'idée auprès des instances appropriées. L'Europe a déjà fait ce travail pour les banques, mais, au-delà, il faut discuter avec les Américains. Pendant des années, le Parlement a négligé ces sujets et une piqûre de rappel ne serait sans doute pas inutile.
À mon tour, je salue la qualité du rapport : sur ce sujet vaste et complexe, le travail de clarification qui a été accompli est vraiment remarquable et je ne doute pas qu'il fasse avancer la réflexion générale.
Le rapport évoque la séparation entre la banque de dépôt et la banque d'investissement. Le sujet mérite d'être fouillé mais a priori je ne suis pas sûr que l'étanchéité soit une protection suffisante en cas de cataclysme. En France, c'est plutôt la réglementation qui a permis d'éviter la catastrophe et, de ce fait, le cloisonnement entre les deux activités y apparaît moins utile que dans d'autres pays. La question des avantages de la banque universelle mériterait donc, à mon avis, d'être étudiée.
Nous sommes tous d'accord sur la nécessaire responsabilisation des agences de notation, mais elles ne doivent pas non plus devenir les boucs émissaires de la crise. Il ne suffit pas de casser le thermomètre pour faire tomber la fièvre et il ne faudrait pas les accabler pour mieux dédouaner les acteurs financiers eux-mêmes de leurs comportements délibérément myopes, sinon de leur cécité volontaire. Même si les remarques faites dans le rapport à propos de ces agences sont très justes, nous devons nous garder de tout excès à leur égard.
Enfin, je suis impressionné par la clarté des exposés et des propositions qui sont faites. Elle témoigne des qualités d'écoute de la commission d'enquête. Deux enjeux se dégagent de ce travail : l'indispensable harmonisation au niveau international tant des normes comptables et prudentielles que des moyens de la régulation ; et l'allongement de la durée des placements. Le rapport vise à juste titre le trading à haute fréquence, et suggère des solutions concrètes. Il insiste aussi sur la responsabilisation, qui passe tout d'abord par l'identification des acteurs et leur désignation. À cet égard, les propositions sont très intéressantes.
Le travail théorique étant maintenant achevé, le politique doit prendre le relais. Or, nous voyons bien combien il est difficile de partager une même vision et de parler le même langage, sur la scène internationale comme entre nous. C'est la première fois que, sur la question de la crise financière et sur les propositions de réforme, il nous est proposé un ensemble aussi cohérent, autour duquel il me semble possible de nous rassembler. Il importera donc de diffuser ce rapport auprès de nos collègues.
Dans les préconisations, aucune ne tend à interdire un produit spécifique, à l'exception des ventes à découvert « à nu » de produits dérivés de dette souveraine. Or, au début de nos travaux, nous nous étions interrogés sur le point de savoir si c'étaient les produits qui étaient dangereux ou les utilisations qui en étaient faites. Faut-il en déduire que le débat est tranché ?
Sans qu'ils soient cités explicitement, les CDS « à nu » sont visés. La difficulté vient de la créativité en matière de produits dérivés, qui est infinie. Aussitôt que l'un d'entre eux est interdit, un autre apparaît. Nous avons donc opté pour un renforcement du contrôle de la part des autorités compétentes, en les laissant décider des produits qu'elles agréeront et de ceux qu'elles refuseront à cause de leur opacité.
S'agissant de la responsabilité, nous ne pouvons pas aller aussi loin que le souhaitait M. Cousin. Ajouter un article à notre code pénal n'aurait que peu d'effet à l'échelle mondiale. Nous recommandons d'engager une réflexion sur les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité des membres des conseils d'administration. La commission d'enquête a conscience des limites de ses compétences et des difficultés à proposer un texte qui puisse être adopté par toutes les instances internationales. Nous ne pouvons qu'inciter à aller plus loin dans la réflexion.
La première question de M. Baert est embarrassante. Nous nous adressons à tout le monde en général, donc à personne en particulier… De façon plus précise, nous souhaitons appeler l'attention du Président de la République qui préside le G20 pour une année. Plusieurs des propositions énumérées dans le rapport peuvent être défendues dans ces négociations. Autres interlocuteurs immédiats : l'ensemble des institutions européennes. Par exemple, quand nous recommandons de modifier la directive sur les marchés d'instruments financiers, nous voulons être entendus de M. Barnier, de M. Barroso et du Conseil des ministres. Le Gouvernement français lui aussi est concerné : avec la loi de régulation bancaire et financière, il a certes fait son devoir, mais la portée de ce texte restera très limitée si les grandes lignes n'en sont pas reprises au niveau international. En définitive, nous nous adressons à tout le monde dans la mesure où le rapport, analysant l'intérêt et les dangers de la spéculation, appelle à une prise de conscience.
Soit nous classions les propositions en fonction des autorités auxquelles elles s'adressent, soit nous les classions par thème, ce que nous avons fait, d'où l'impression que nous nous adressons à tout le monde. Par exemple, nous avons auditionné M. Barnier et nous avons été favorablement surpris de voir qu'il abordait tous les sujets. Je l'ai trouvé exagérément optimiste, car il va trouver en travers de son chemin la place de Londres armée jusqu'aux dents, mais il est de fait que la Commission a vu où le bât blesse. Au-delà, c'est à la politique de reprendre ses droits.
Pour améliorer la visibilité des propositions, il serait sans doute possible, sinon facile, de les présenter par thème. D'ailleurs, c'est plus ou moins ce que nous avons voulu faire en commençant par la liquidité internationale, puis en passant à la question de la transparence, à la coordination et ainsi de suite. Sans doute peut-on expliciter ce plan, comme je l'ai fait dans la présentation orale.
Je bats ma coulpe pour n'avoir pas évoqué le rapport sur les normes comptables. C'est très important d'y faire référence et nous remédierons à cet oubli.
Je suis d'accord avec ce qu'Yves Censi a dit sur les agences de notation. Elles ont leurs défauts, il faut les responsabiliser, mais elles ne sont pas coupables de tout. Le rapport ne dit pas autre chose. Il cite d'ailleurs M. Marc Touati : « La spéculation ne tombe pas du ciel ». Elle est déclenchée par une situation économique réelle. Ainsi, la crise grecque provient de ce que les chiffres transmis étaient faux, ce qui a miné la confiance et provoqué une hausse vertigineuse des taux d'intérêt. L'introduction du rapport mentionne le laxisme général, y compris des dirigeants et des peuples qui ont accepté la facilité ayant mené aux dérèglements globaux.
En ce qui concerne la séparation entre banque d'investissement et banque de dépôt, nous suggérons seulement de réfléchir au sujet, sachant que le point de vue de la France n'est pas partagé par tous.
Je salue également ce travail impressionnant, par l'usage qu'il fait des auditions comme par la façon dont il organise la réflexion et les propositions. Il est prévu de publier les auditions en annexe et je m'en réjouis, car elles ont été d'une très grande richesse. Le rapport reprend les mesures qui font désormais consensus, mais il avance aussi des propositions novatrices, en particulier concernant le trading à haute fréquence, sur lequel la littérature disponible est mince.
Je suis très sensible à la proposition n° 24 qui invite à réfléchir à la séparation entre activités de dépôt et activités d'investissement. La présentation qui en est faite dans le rapport montre que les autorités de régulation ne ferment pas la porte à cette éventualité, même si, généralement, on invoque le caractère universel des banques françaises pour expliquer qu'elles aient mieux résisté à la crise. Une perspective historique pourrait amener à conclure différemment. J'ai beaucoup étudié les conséquences, pendant les soixante années qui ont suivi, des mesures prises par Roosevelt. Et, si l'on est passé d'une économie dominée par les marchés financiers, dans les années 1920, à une économie d'intermédiation après la Seconde Guerre mondiale, c'est en grande partie grâce au Glass-Steagall Act qui a structuré le système financier de l'après-guerre en permettant au métier traditionnel de banquier de prendre le pas sur celui de financier. Laisser la question ouverte me paraît donc important pour aller au-delà d'une réponse toute faite et d'une vision à court terme.
Pour revenir à la question judicieuse de savoir à qui ce rapport s'adresse, et de son exploitation politique, il me semble important que la commission d'enquête partage ses conclusions avec les autres parlements nationaux.
D'après les informations reçues de Bruxelles, il semble que peu d'entre eux ont travaillé sur ce sujet.
Il nous arrive d'accueillir des collègues de commissions des finances d'autres pays et je crois qu'il serait possible de faire passer le message par leur intermédiaire.
Pourquoi ne pas avoir repris la taxe Tobin dans les propositions, sachant qu'elle fait désormais consensus entre les Allemands et les Français ?
Nous avons voulu éviter les redondances. Dès lors que les gouvernements étaient d'accord, pourquoi l'ajouter à nos préconisations ? Nous n'avons pas repris non plus toutes les propositions que Michel Barnier a faites pour corriger la directive MIF. Nous avons essayé de faire preuve d'un peu d'originalité.
Le rapport mentionne la taxe Tobin ! Il y est aussi question d'un prélèvement sur les banques, faisant l'objet d'un accord entre la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne, et destiné à garantir que ces établissements « contribuent à la hauteur des risques auxquels ils exposent le système financier ». Mais il est vrai que ce n'est pas une taxation des transactions financières.
La taxe Tobin, le Parlement français l'a votée, avec le Canada. Mais à taux zéro, pour le principe et dans l'attente de décisions semblables dans d'autres pays. Elle était conçue pour favoriser le développement international et - je n'ai d'ailleurs jamais compris comment - freiner la spéculation. Sans doute la renchérit-elle, mais de façon infinitésimale, compte tenu de l'effet de levier.
Ce serait dommage de faire une commission d'enquête pour aboutir à proposer de nouveau la taxe Tobin ! En termes de nouveauté, ce rapport est plus riche. Notre objectif est bien d'imaginer comment se protéger des conséquences néfastes de la spéculation ; la taxe Tobin ne correspond qu'à un transfert de richesse.
Le père de cette taxe n'est autre que Keynes, même si elle a été attribuée à Tobin. L'idée de départ était de taxer les allers-retours pour limiter les mouvements purement spéculatifs. Le principe pourrait être efficace, appliqué au trading à haute fréquence.
Je m'interroge seulement sur l'effet que produira l'absence de mention, dans ces propositions, d'une taxe qui fait consensus.
La taxe Tobin, bien qu'elle ne soit pas en contradiction avec les propositions de ce rapport, n'a pas de visée prudentielle. Elle est d'ailleurs comparée à la taxe sur les billets d'avion.
La taxation est, comme la régulation, un moyen de freiner les transactions. Un libéral pourrait même juger un signal prix plus efficace qu'une règle.
Au lieu de taxer les transactions, ne vaudrait-il pas mieux, pour freiner la spéculation, taxer les plus-values à 30 ou 50 % ? À vouloir freiner la circulation des fluides en rétrécissant le diamètre du tuyau, on risque plutôt, me semble-t-il, de faire monter la pression.
Je ne suis pas d'accord s'agissant du trading à haute fréquence qui profite de petites différences de cours. L'avantage de la taxe Tobin est précisément de ne pas freiner les transactions à long terme et de s'attaquer seulement aux mouvements purement spéculatifs.
Il faut bien faire la différence entre les ordres donnés et ceux qui sont exécutés : sur les 2 800 000 ordres traités à la minute, 170 seront dénoués. C'est donc l'ordre qu'il faudrait taxer, mais comment y parvenir ? De toute façon, je pense qu'il faudrait purement et simplement interdire le high frequency trading parce que je n'en vois pas l'utilité. Presque personne, même parmi ceux qui ont un portefeuille, ne connaît ce mécanisme pour le moment, mais quand les épargnants sauront, ils seront nombreux à se détourner de la bourse compte tenu du rapport des forces. On nous a parlé de distorsion d'information, mais cela va bien au-delà. Il y a aussi la démesure des moyens. C'est l'art de plumer le petit porteur ! Rien que pour cette raison, je suis hostile au HFT. M. Cerruti a invoqué l'arbitrage entre le marché et les dark pools et l'unicité du prix réalisée par ce biais, mais s'il n'y avait pas de dark pools, le HFT serait inutile. Il n'existe que parce qu'il y a opacité.
Sur la taxe Tobin, je vous renvoie aux pages 205 et 206 du projet de rapport, où vous retrouverez les arguments que nous venons d'échanger et les mêmes hésitations quant à son efficacité. Il m'a semblé qu'il n'y avait pas accord entre nous en faveur d'une telle proposition.
En outre, plus de la moitié des transactions sont faites sur des plateformes non répertoriées, sans aucun reporting. Comment les taxerait-on ?
Je rappelle seulement qu'un marché peut aussi être régulé par les prix et que ce type d'intervention peut être efficace.
Reste l'épineux problème du titre. Nous sommes à la recherche d'un titre raisonnable mais accrocheur, comme Spéculation financière : faire gagner la croissance et l'emploi plutôt que les joueurs. Mais la nuit portant conseil, nous pouvons surseoir jusqu'à demain.
En l'absence de demandes d'explication de vote, je mets aux voix le rapport de M. Jean-François Mancel.
Le rapport est adopté à l'unanimité.
La séance est levée à 18 h 50.