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Intervention de Jean-François Mancel

Réunion du 14 décembre 2010 à 17h00
Commission d'enquête sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-François Mancel, rapporteur :

Je tiens tout d'abord à remercier M. Henri Emmanuelli pour la qualité de sa présidence, notamment pour son dynamisme, pour son efficacité et pour son ouverture d'esprit.

Le sujet était complexe : nous avons pu le mesurer au cours de ces vingt-huit auditions qui nous ont permis de rencontrer, en l'espace de trois mois, trente-sept personnalités très différentes mais toutes importantes dans le monde de l'économie et de la finance. Ces échanges nous ont montré qu'il est très difficile de réduire le problème de la spéculation à quelques idées simples, et les solutions en la matière au « y a qu'à ».

Le projet de rapport, dans sa première partie, décrit la spéculation, en s'appuyant à la fois sur des références historiques et sur les appréciations portées par les personnes que nous avons entendues. Pour résumer, il s'agit d'un phénomène utile, voire nécessaire, pour faire fonctionner les marchés, mais qui présente des risques, et peut même constituer un danger véritable, lorsqu'il prend une ampleur excessive. Toute la difficulté étant alors de savoir où placer le curseur : quand peut-on être certain que la spéculation devient négative, non seulement pour les marchés, mais également pour l'ensemble des acteurs économiques et pour nos concitoyens ?

La deuxième partie du rapport vise à montrer pourquoi elle a plus d'incidence que par le passé sur la vie économique, c'est-à-dire pourquoi, depuis plusieurs décennies, nous observons une sensibilité accrue des économies aux effets néfastes des phénomènes spéculatifs.

Dans la troisième partie, nous avons cherché à dégager des propositions. Certes, des réponses partielles ont déjà été apportées, notamment par le G20 précédent – le prochain G20 en apportera encore d'autres –, à quoi s'ajoutent les décisions prises par l'Union européenne ainsi que la loi de régulation bancaire votée par le Parlement français. Le rapport rassemble toutes ces mesures dans un tableau et, par ailleurs, mentionne également la loi adoptée sur le sujet aux Etats-Unis. En ce sens, il donne une photographie assez complète de la situation aujourd'hui. J'indique au passage qu'il comportera aussi, dans sa version définitive, un glossaire des nombreux sigles utilisés.

Nous avons émis trente-quatre propositions, ce qui n'est pas négligeable, compte tenu de la difficulté à trouver notre place à l'intérieur des dispositifs déjà prévus tant au plan européen qu'au plan mondial. Les deux premières mettent l'accent sur un sujet abordé dans la contribution de notre collègue Paul Giacobbi, à savoir la création de grandes masses de liquidités mondiales, lesquelles ont favorisé la spéculation. C'est pourquoi la première proposition vise à mettre à profit la présidence française du G20 pour avancer dans la réforme du système monétaire international, tandis que la deuxième souligne la contradiction actuelle des banques centrales européenne et américaine dont les dirigeants considèrent, d'un côté, qu'une masse trop importante de liquidités circule dans le monde mais, de l'autre, alimentent la croissance de cette même masse monétaire pour refinancer les banques : comme ces dernières, en effet, ne se font toujours pas confiance, les prêts interbancaires sont quasiment bloqués.

La proposition n° 3 aborde notamment la question soulevée par notre collègue Elisabeth Guigou à propos des mesures prises lors d'un précédent G20 en vue de résorber les paradis fiscaux, lesquels ne sont pas non plus étrangers à la spéculation. Nous proposons, dans le cadre de la présidence française du G20, la création d'une structure légère, mais permanente, garantissant, de présidence en présidence, l'indispensable suivi de ces actions.

La proposition n° 4 vise à tirer les conséquences de l'union monétaire en matière de conduite des politiques économiques et fiscales, en assurant un véritable contrôle des moyens que l'Europe attribue à certains pays. Je pense évidemment à l'Irlande, qui a bénéficié de fonds structurels représentant une part non négligeable de son PIB, ce qui lui a permis de faire du dumping fiscal. Or, celui-ci a provoqué le départ vers ce pays des sièges de nombreuses entreprises installés dans les autres États membres. Cette proposition vise donc notamment à permettre à l'Union d'assurer une « surveillance multilatérale » des crédits qu'elle alloue à certains de ses membres afin que ces crédits ne se retournent pas contre le bon fonctionnement du système économique et financier européen.

La proposition n° 5, quant à elle, vise à développer la coordination transatlantique sur l'ensemble des dossiers et actions touchant à la lutte contre la spéculation, en particulier la coopération des organismes dont se sont récemment dotés l'Europe et les États-Unis pour prévenir le risque systémique. En effet, si ces deux « tours de contrôle » ne confrontent pas régulièrement leurs données et leurs analyses, on aura du mal à déterminer ce qui se passe dans le trou noir qui en résultera. Par ailleurs, un paragraphe sur le monde asiatique a été ajouté, car la prochaine crise n'aura pas certainement plus pour cause les subprimes américains mais, peut-être, un dysfonctionnement ayant ce continent pour origine. Le G20 doit donc assurer un échange régulier d'informations entre les différents organismes qui seront mis en place.

Les propositions nos 6, 7 et 8 concernent plus particulièrement l'Europe. Lors de sa dernière audition devant la commission des affaires européennes, ouverte aux membres de notre commission, M. Michel Barnier a évoqué la révision en cours de la directive sur les marchés d'instruments financiers (MIF) de 2004, qui a complètement raté son objectif. Comment en effet réguler les marchés, si, comme M. Dominique Cerutti l'a souligné au cours de son audition, près de 95 % des transactions se déroulent en dehors des marchés régulés, dans le cadre des OTC – over-the-counter –, sans qu'on puisse savoir qui fait quoi ni comment ? Il est donc nécessaire de réintégrer dans des marchés contrôlés et régulés l'essentiel des transactions et, lorsque cela n'est pas possible, pour des produits hors normes, de prévoir une vérification pour éviter que des produits dérivés toxiques en trop grand nombre ne provoquent, comme en 2008, une nouvelle crise. Il faut donc, en bref, que la révision au printemps 2011 de la directive MIF assure un retour à la transparence des marchés.

La proposition n° 9 vise à créer une agence européenne de régulation des marchés agricoles sur le modèle du Commodity futures trading committee américain. Il convient, en effet, de ne pas s'en tenir au domaine financier strict, mais de nous occuper également des marchés de matières premières.

Les propositions nos 10 et 11 traitent des fonds alternatifs. L'Europe, vous le savez, a décidé de mieux les contrôler, grâce à l'octroi d'un « passeport européen ». Je suis rapporteur spécial de la mission « action extérieure de l'État » : sur la question des visas, j'avais observé une différence d'implication des pays membres de l'Union. Or, après un long débat au niveau européen, il a été décidé que le passeport des fonds alternatifs serait, lui aussi, attribué, non pas par une seule autorité, mais par les différents États membres. Même si ce doit être en fonction de critères définis par la Commission européenne, je crains qu'on ne retombe dans le même travers que pour les visas, et qu'en raison d'une implication différente des pays, les milieux intéressés n'apprennent très rapidement dans lequel il sera plus facile d'obtenir un passeport. Un vrai conflit a opposé les États membres sur le sujet et le compromis auquel on est parvenu n'est certainement pas le plus satisfaisant. C'est la raison pour laquelle la proposition n° 11 vise notamment à compléter la directive sur les gestionnaires de fonds alternatifs par des dispositions permettant de mieux contrôler ces fonds et de limiter l'effet de levier des détenteurs du nouveau passeport européen.

La proposition n° 12 est très claire : elle vise à interdire les ventes à découvert « à nu » de produits dérivés de dette souveraine, ce dans un périmètre aussi large que possible. Je ne suis pas certain que nous obtenions satisfaction sur le sujet : toutefois, la proposition aura été formulée. Nous devons effectivement avoir le courage de dire certaines choses, même si elles ne font pas consensus sur les marchés financiers.

La proposition n° 13 vise, quant à elle, à aller plus loin en matière de délai de règlement-livraison pour les ventes à découvert. Ce délai est très variable selon les Etats-membres de l'Union européenne. En France, le délai était à J +3. La loi de régulation bancaire et financière a réduit ce délai à J +2 : nous proposons de passer à J+1 et de sanctionner tout retard. Actuellement, en effet, lorsque le délai n'est pas respecté, il y a rarement sanction : il convient de mettre un terme à une telle facilité.

Les propositions nos 14, 15 et 16 abordent la question du trading à haute fréquence. La proposition n° 15 ne tend à rien de moins qu'à encadrer, voire à interdire, de manière concertée, au moins à l'échelon européen, le trading algorithmique et le trading à haute fréquence, pratiques dépourvues d'utilité sociale. La proposition n° 16 est une proposition de repli qui vise à élargir le pas de cotation des valeurs – tick size en anglais – afin de limiter l'intérêt du trading à haute fréquence. Quant à la proposition n° 14, elle est d'application immédiate, puisqu'elle vise à assurer une surveillance effective de ces activités par l'Autorité de contrôle prudentiel.

Les propositions nos 17, 18, 19 et 20 concernent les agences de notation. La première, relative aux modalités de leur rémunération, vise à passer au modèle économique « investisseur-payeur », et, à tout le moins, à éviter que les émetteurs ne puissent choisir la meilleure des notes dont ils peuvent bénéficier. La proposition n° 18 a pour objet de demander aux banques centrales d'éviter toute référence aux notes des agences de notation et d'établir ou de renforcer leurs propres cellules d'analyse de risque.

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