La Commission procède d'abord à l'examen des crédits de la mission Défense.
Nous entendrons successivement M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur spécial sur les crédits relevant du budget opérationnel de la défense et sur l'article 69 rattaché à la mission Défense, et M. Jean-Michel Fourgous, Rapporteur spécial sur les crédits relatifs à la préparation de l'avenir.
Monsieur le président, mes chers collègues, le budget de la défense sera marqué, en 2011, par une légère hausse des autorisations d'engagement – plus 6,9 % – à 41,9 milliards d'euros, et des crédits de paiement – plus 0,7 % – à 37,4 milliards d'euros. Ce projet de budget s'inscrit dans le prolongement de celui de 2010, à un niveau de dépense qui reste élevé, même s'il n'atteint pas celui de 2009, année où les commandes de matériels avaient été exceptionnellement élevées. Ces prévisions sont toutefois conditionnées à des recettes exceptionnelles promises depuis 2009.
En 2011, les autorisations d'engagement du programme 178 « Préparation et emploi des forces » s'élèveront à 22,593 milliards d'euros, en réduction de 250 millions d'euros – moins 1,1 %. Les crédits de paiement, d'un montant de 21,539 milliards d'euros, enregistreront pour leur part une hausse de 380 millions d'euros – plus 1,8 %. Ces évolutions, qui font suite à une hausse importante enregistrée en 2009 – respectivement plus 6,3 % et plus 2,4 % – et à une stabilisation en 2010, s'inscrivent dans le cadre de la réduction du format des armées.
Les moyens du programme 212 Soutien de la politique de défense sont en forte hausse : les autorisations d'engagement sont portées à 4,38 milliards d'euros contre 3,02 l'an dernier – plus 45 % –, tandis que les crédits de paiement sont portés de 2,5 à 3 milliards d'euros – plus 20 %. Ce sont essentiellement les crédits de l'immobilier qui augmentent, en lien avec les restructurations et la création des bases de défense.
L'audition du chef d'état-major des armées, l'amiral Guillaud, nous a confirmé ce que le récent rapport de la mission d'évaluation et de contrôle, la MEC – que ma collègue socialiste de la Commission de la défense, Françoise Olivier-Coupeau, et moi-même avons remis au mois de juin – avait déjà mis en évidence : ces recettes doivent désormais se concrétiser sous peine de remettre en cause en profondeur les dispositions inscrites dans la loi de programmation 2009-2014. Ce sujet mérite donc que l'on s'y arrête quelques instants.
Le rapport de la MEC auquel j'ai fait allusion a mis en évidence la surévaluation de ces recettes. Or de nouveaux montants, encore plus élevés, sont prévus pour la période 2011-2013.
Tout d'abord, la libération de certaines fréquences hertziennes par les armées permettra une extension de services de téléphonie mobile existants. La vente de ces fréquences pourrait, selon l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes – ARCEP –, rapporter plusieurs centaines de millions d'euros au ministère de la défense.
L'arrivée des premières ressources qui était prévue d'abord en 2009, puis en 2010, ne devrait pas être enregistrée avant 2011. Le Gouvernement, qui tablait dans un premier temps sur 600 millions d'euros de recettes, semble, au vu des premiers échanges avec les opérateurs concernés, disposer d'informations selon lesquelles la somme désormais attendue par l'aliénation des fréquences hertziennes serait très largement supérieure aux estimations d'origine.
En tant que Rapporteur spécial, par prudence et pour préserver les intérêts de l'État dans ses négociations avec les opérateurs privés, je n'avancerai pas de chiffre. Toutefois, instruit par l'expérience des annonces prématurées et surestimées des deux précédents exercices, j'entends exercer une vigilance toute particulière sur ce sujet dans les mois à venir.
Ensuite, le ministère de la Défense s'apprête à céder l'usufruit du système de communications par satellites Syracuse III, qui comprend les satellites purement nationaux Syracuse 3A et 3B déjà en orbite, ainsi que la partie française du satellite franco-italien Sicral 2, qui reste à construire et à lancer. Le ministère louera ensuite les capacités qui lui seront nécessaires, soit environ 90 % des ressources du système.
En supposant que l'opération aboutisse en 2011, ce dont la Direction générale de l'armement – DGA – n'est pas certaine compte tenu des réticences du ministère du Budget, les armées devront payer à l'opérateur leurs communications, ce qu'elles ne font pas actuellement, puisqu'elles sont propriétaires des satellites. Or, ni le coût de cette location de capacités ni les prévisions de recettes ne sont aisés à calculer. Ce calcul en effet est lié à la durée de vie résiduelle des satellites en question. Le coût de location devra être défalqué des 400 millions attendus pour juger de l'intérêt de l'affaire et il conditionne évidemment le lancement ou l'abandon de l'opération.
Les responsables de la DGA nous ont déclaré que la défense ne devait pas s'attendre à « réaliser des marges considérables ». Si l'opération est décidée, son résultat final ne sera probablement pas exceptionnel. En revanche, elle peut permettre au ministère d'engranger plusieurs centaines de millions d'euros de trésorerie, ce qui est toujours utile lorsqu'il s'agit de faire face à d'importantes dépenses immédiates, surtout lorsqu'elles ont été inscrites en loi de finance initiale.
Au titre des aliénations d'ondes hertziennes et de la cession d'usufruit des satellites de télécommunications, 2 milliards d'euros sont en effet inscrits sur la période 2011-2013, dont 850 millions pour la seule année 2011.
Enfin, la loi de finances pour 2010 prévoyait un montant de recettes de 700 millions d'euros provenant principalement de la vente des principales emprises parisiennes. Les prévisions d'encaissement sont désormais évaluées aux alentours de 100 millions d'euros seulement d'ici à la fin de 2010, en raison de l'échec de l'opération Vauban, un projet qui consistait à vendre en bloc à un consortium toutes les emprises parisiennes du ministère, dans l'optique du regroupement des services à Balard.
Compte tenu de l'offre proposée, le Gouvernement a décidé de renoncer à ce montage et de vendre les biens séparément, en 2014, au moment de la migration vers Balard. Il faut se rappeler que l'opération dite « Balardgone » est autofinancée. En revanche, les recettes exceptionnelles en provenance de la vente des emprises parisiennes devaient arriver avant 2014. Or elles ne pourront intervenir qu'au moment du déménagement. Certes, compte tenu de la hausse des prix de l'immobilier à Paris ces derniers mois, il aurait été dommage de brader au printemps des biens de grande valeur qui rapporteront certainement beaucoup plus d'ici quelque temps. En contrepartie toutefois, le ministère de la Défense devra patienter quatre ans de plus pour bénéficier de cette recette immobilière exceptionnelle qui lui fait cruellement défaut aujourd'hui. Des mesures palliatives ont été prises sur le plan budgétaire qui ont épuisé les crédits de report.
Pour l'année 2011, ce sont 150 millions d'euros de recettes exceptionnelles immobilières qui sont attendus, grâce principalement à des aliénations de biens en province et, peut-être, de la caserne Lourcine à Paris.
Au total, la loi de finances pour 2010 prévoyait que ces trois sources de recettes exceptionnelles devaient rapporter 1,702 milliard d'euros d'ici au 31 décembre 2010. Si on prend en compte une centaine de millions d'euros de biens immobiliers effectivement réalisés et environ 440 millions d'euros redéployés au sein des différents programmes de la mission Défense, il manquera encore plus de 1,16 milliard d'euros par rapport à la somme inscrite en loi de finances initiale. Comme souvent en pareil cas, c'est l'équipement des forces qui pâtira principalement de cette « anticipation approximative ».
Alors que la loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014 prévoyait 95,3 milliards d'euros courant de crédits budgétaires pour les années 2011 à 2013, la programmation budgétaire triennale fixe le montant des crédits à 30,2 milliards d'euros pour 2011, 30,5 milliards d'euros pour 2012 et 31,0 milliards d'euros pour 2013. La différence concernant les seuls crédits budgétaires s'élève donc à 3,6 milliards d'euros courants sur les trois années à venir.
Cet écart sera atténué par les recettes exceptionnelles attendues sur 2011-2013 que le ministère de la Défense estime désormais à 2,3 milliards d'euros sur la période. En conséquence, selon le ministère, le différentiel global de ressources entre la programmation militaire, d'une part, et les prévisions budgétaires triennales, d'autre part, ne serait plus que de 1,3 milliard d'euros, dont 50 millions d'euros seulement en 2011.
Des mesures ont d'ores et déjà été prises afin de réaliser sur la période 2011-2013 des économies, notamment en matière de fonctionnement et de programmes d'armement. Concernant ces derniers, le ministère assure qu'il s'agit essentiellement d'un décalage dans le temps de certaines opérations et non d'abandons de programmes majeurs.
Compte tenu des aléas budgétaires auxquels est confronté son budget, le ministère de la Défense accélère et accentue sa réforme. Des mesures ont été prises pour accélérer la création des bases de défense, source d'importantes économies et de mutualisations, qui se déroulent conformément aux prévisions. Censées être mises en place sur l'ensemble de la programmation, les bases de défense seront finalement toutes opérationnelles au début de l'été 2011.
Par ailleurs, leur nombre a été revu à la baisse, également dans un souci d'économie. Quelque quatre-vingt-dix étaient prévues au début de la réforme : elles ne seront finalement plus que cinquante et une à l'arrivée, ce qui est plus cohérent.
Une autre mesure d'économie a résulté de la création d'un commissariat unique interarmées qui remplace, depuis le 1er janvier 2010, les différents commissariats d'armées.
Enfin, l'une des mesures les plus attendues et les plus porteuses d'économies résultera du regroupement de tous les services centraux du ministère à Balard : des économies d'échelles très importantes devraient être réalisées et de nombreux doublons seront supprimés. Par exemple, en matière de communication, tel sera le cas des services d'information et de communication de chacune des armées, qui existent en sus du Service d'informations et de relations publiques des armées – SIRPA –, qui est commun à toutes.
Pour terminer, je souhaiterais aborder la question de nos implantations à l'étranger, notamment à Abou Dhabi et à Djibouti, où je me suis rendu au mois de février. L'implantation française aux Émirats Arabes Unis n'a pas été budgétairement prévue en loi de programmation militaire. Il s'agit d'une dépense nouvelle à laquelle le ministère de la Défense doit faire face. Si la construction matérielle de la base a été entièrement financée par la partie émirienne, le fonctionnement de l'implantation est à la charge du ministère français de la Défense. Ce coût devrait s'élever à 75 millions d'euros en moyenne par an.
L'objectif de l'état-major des armées consiste à financer le fonctionnement de cette nouvelle implantation en réduisant le format, l'activité, et donc le coût de fonctionnement de notre base de Djibouti, maintenant surdimensionnée. Les effectifs de Djibouti devraient passer de 2 900 à quelque 1 900 militaires, ce qui représente une diminution de plus d'un tiers, tandis que ceux de la base d'Abou Dhabi passeraient de 300 actuellement à 600 à terme, dont 50 % de personnels permanents et 50 % de personnels « tournants ».
Toute modification au régime des forces françaises de Djibouti suppose toutefois de longues négociations avec les autorités locales, ce qui retarde les décisions. L'évolution de l'indemnité annuelle de 30 millions d'euros est en discussion, de même que le devenir de l'hôpital militaire Bouffard, qui sera probablement cédé à l'État djiboutien.
Je souscris pleinement aux objectifs de l'état-major des armées. Il conviendra toutefois de suivre avec beaucoup d'attention l'évolution de la situation, car elle dépendra de nos négociations avec les autorités djiboutiennes et du choix des unités qui quitteront Djibouti.
Je conclurai en soulignant que la situation économique particulière dans laquelle se trouve notre pays a conduit à l'élaboration d'un budget contraint, qui exigera une vigilance toute particulière dans son exécution, notamment sur la partie recettes.
J'ai l'honneur de formuler un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission Défense, qui me paraît correspondre aux objectifs de la loi de programmation militaire pour la période concernée.
Faut-il comprendre que le solde entre les effectifs retirés de Djibouti et ceux versés à notre base des Émirats sera nul ?
La gendarmerie a été rattachée au ministère de l'Intérieur. Or, au titre de celui de la Défense, elle dispose d'un foncier important, notamment des casernes de gendarmerie mobile qui ont été désaffectées en raison de l'évolution des effectifs. Ce foncier a-t-il été transféré au ministère de l'Intérieur ? Les maires doivent en effet savoir qui saisit France Domaine.
Monsieur le Rapporteur spécial, j'avais cru comprendre que les Émirats Arabes Unis assumaient l'ensemble du fonctionnement de notre implantation. En fait, les Émirats n'ont pris en charge que l'investissement ?
Par ailleurs, une dépense substantielle n'est pas inscrite dans la loi de programmation, à savoir le coût de la réintégration de la France au sein du commandement intégré de l'OTAN. Cela démontre que cette décision a été prise un peu rapidement. Avez-vous le sentiment que la France a retiré un réel avantage de cette réintégration, notamment dans la conduite des opérations en Afghanistan ? Je pense notamment à la prise des décisions stratégiques, certains hauts gradés s'étant plaints, avant la réintégration, du fait qu'ils ne participaient pas aux décisions d'interventions des forces de la coalition.
Monsieur le Rapporteur spécial, comment réussira-t-on à pallier le manque de recettes exceptionnelles en matière d'aliénation d'ondes hertziennes, de cession d'usufruit des satellites de communication et de cessions d'actifs immobiliers, essentiellement parisiens ? Pourriez-vous nous donner des précisions sur les montants ?
En effet, si j'ai bien compris, le manque à gagner a été jusque-là en partie compensé par le redéploiement d'autres crédits. Or cette solution arrive à son terme, les sommes en cause devenant trop importantes. Pensez-vous raisonnable d'envisager la réalisation de ces recettes exceptionnelles à compter de 2012, alors même qu'il pourrait déjà manquer en 2011 une cinquantaine de millions d'euros et que ce montant est appelé à croître les années suivantes ? Quelles assurances avons-nous en la matière ?
Concernant notre base aux Émirats Arabes Unis, la France prend en charge les frais de fonctionnement – moyens et personnels –, les Émirats ayant assumé l'investissement de nos implantations : il s'agit notamment du port d'Abou Dhabi, où nous disposons d'une base navale dont l'intérêt logistique est majeur notamment au regard du théâtre afghan, et d'une base aérienne colocalisée – nos avions sont sur le même site que les Mirage des Émirats, sachant que le projet d'acquisition de Rafale par ces derniers n'est pas encore finalisé.
Les transferts d'effectifs entre Djibouti et les Émirats se font selon le système des vases communicants. Ces déplacements d'effectifs ont lieu – convient-il de le rappeler ? – entre deux bases distantes de 2 000 kilomètres, dont la première, située dans la Corne de l'Afrique, est plus directement concernée par le problème de la piraterie maritime sur la côte somalienne, alors que la seconde, située en face de l'Iran, est au coeur d'un secteur beaucoup plus stratégique.
Les négociations avec les autorités djiboutiennes sont difficiles. Notre présence constitue en effet un apport important à l'économie locale. C'est la raison pour laquelle elles s'estiment fondées à demander une indemnité si nous diminuons le format de notre présence militaire. Il faut savoir que la base américaine, qui vit en autarcie presque complète, ne soutient en rien l'économie djiboutienne. Les Américains viennent sans leur famille et ils ne font aucun achat sur place, ou presque. La réduction de nos effectifs ne sera donc pas sans conséquences.
En ce qui concerne le foncier de la gendarmerie, l'enquête doit être approfondie. La seule chose que je puisse souligner, c'est qu'il ne fait pas partie des prévisions de recettes immobilières du ministère de la Défense.
Quant aux ondes hertziennes, il faut savoir qu'elles ont deux origines, dont l'une est la gendarmerie : il s'agit du système de transmission Rubis, dont la cession se fera, comme prévu, au bénéfice du ministère de la Défense.
S'agissant du retour dans le commandant intégré de l'OTAN, Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont, M. Nicolas Forissier et moi-même, en tant que président du groupe d'amitié France-États-Unis, avons eu l'occasion de nous rendre à Norfolk, l'ACT – l'Allied Command Transformation – ayant désormais à sa tête le général Abrial, l'ancien chef d'état-major de l'armée de l'air, qui est devenu le numéro 2 de l'OTAN, chargé de concevoir la transformation de celle-ci : il s'agit donc d'une responsabilité majeure qui a été donnée à un Européen, en l'occurrence un Français. La signification est importante sur le plan du fonctionnement et de l'évolution de l'Organisation – je pense au débat actuel sur la rationalisation de son budget.
Cette situation ne peut que nous être favorable dans la préparation des opérations militaires en Afghanistan puisque les officiers généraux français ne participaient pas, auparavant, aux réunions de planification. La situation est dorénavant plus claire et permet à la France d'exprimer ses besoins.
En ce qui concerne la non-réalisation des recettes exceptionnelles, leurs conséquences, monsieur le président, ont été absorbées en 2009 et en 2010 par le redéploiement interne des crédits et par l'absorption des crédits de report. Toutefois, encore importants il y a deux ans, ces derniers sont maintenant épuisés. Le ministère de la Défense ne pourra donc plus les utiliser en 2011. Il faut également mentionner les effets du plan de relance, lequel ne sera pas reconduit.
L'inquiétude est donc réelle. Les recettes exceptionnelles inscrites pour 2011 et les années suivantes devront se révéler conformes aux prévisions, faute de quoi les crédits d'équipement et les crédits opérationnels seront amputés.
De plus, en matière d'aliénation d'ondes hertziennes, compte tenu du rôle pilote joué par l'ARCEP, ni Bercy ni le ministère de la Défense ne maîtrisent le jeu. La négociation étant en effet conduite par une autorité administrative indépendante, c'est elle qui définit le calendrier des cessions, en fonction des négociations, d'ordre notamment technique, avec les différents intervenants. Je rappelle que ces négociations concernent deux systèmes de fréquences hertziennes : Rubis, pour la gendarmerie, et Félin, pour l'équipement des fantassins. En ce qui concerne le second, nous demandons avec insistance que les montants comprennent le coût des redéploiements : il conviendra en effet de rééquiper d'équipements de radio les unités déjà dotées du système Félin dont les fréquences seront cédées.
La Commission se prononcera sur les crédits de la mission Défense et sur l'article 69 rattaché après avoir entendu M. Jean-Michel Fourgous, rapporteur spécial sur les crédits de Préparation de l'avenir.
relatifs à la préparation de l'avenir. Monsieur le président, mes chers collègues, la force d'un pays est d'abord économique, ensuite diplomatique et bien entendu militaire. Lors des universités d'été de la défense qui se sont tenues en septembre dernier, le président de la commission de la défense britannique à la Chambre des communes a déclaré que l'intervention du Président Sarkozy pendant la crise géorgienne, en août 2008, avait été « extrêmement efficace ». La diplomatie française étant reconnue, la France doit rester une grande puissance économique, diplomatique et militaire.
Militairement présent sur de nombreux théâtres d'opérations, notre pays joue un rôle majeur par sa contribution au maintien de la paix dans de nombreuses régions du monde. Son industrie de défense, performante et moderne, lui permet de jouer un rôle moteur dans l'économie nationale et d'être présente sur le marché des exportations d'armement.
L'ensemble du budget de la mission Défense s'élèvera, en 2011, à 41,9 milliards d'euros d'autorisations d'engagement et 37,4 milliards d'euros de crédits de paiement, ce qui correspond à une stabilisation par rapport à l'année dernière. Ainsi que l'a souligné M. Louis Giscard d'Estaing, ce niveau de ressources est fondé sur des estimations de recettes exceptionnelles sur lesquelles nous serons vigilants.
Parallèlement, le ministère de la Défense poursuit la mise en oeuvre de son plan de modernisation qui se traduit par un recentrage intelligent de ses moyens humains, techniques et financiers sur ses priorités opérationnelles. Il s'agit d'un effort qui ne trouve, malheureusement, de comparaison dans aucune des autres administrations du pays, mais la France reste surtout, avec les États-Unis et le Royaume-Uni, la seule puissance présente militairement – et substantiellement – de manière permanente sur les cinq continents, du fait de ses départements et territoires d'outre-mer, de ses forces prépositionnées dans des pays alliés ou d'opérations extérieures en cours.
Le budget de la Défense représente des masses financières substantielles qui sont investies dans le tissu industriel national. Le montant des dépenses budgétaires qui revient in fine aux différents fournisseurs du ministère de la Défense correspond approximativement au montant des dépenses de fonctionnement et d'investissement du ministère. Ces dépenses, qui représentent environ 50 % du budget de la mission, soit 20 milliards d'euros, bénéficient à un ensemble de fournisseurs constitué d'environ 5 000 entreprises, dont deux tiers de PME-PMI. Surtout, n'oublions pas qu'une part importante des sommes versées aux entreprises revient ensuite à l'État sous forme fiscale.
Le nombre de salariés travaillant directement dans le secteur de l'armement au sens strict peut être évalué à environ 250 000. Si on inclut au sens large les personnels employés par des entreprises duales ayant à la fois des activités civiles et militaires, le nombre d'agents économiques concernés doit se situer aux alentours d'un million.
Ces crédits alimentent également certains grands champions français ou européens, parfois leaders mondiaux dans leur catégorie, comme EADS, Thales, Dassault ou Safran. Tous ces entrepreneurs développent des activités duales, à la fois militaires et civiles. Tout euro investi dans la recherche militaire conduit immanquablement à des progrès techniques qui sont, la plupart du temps, transposables dans le civil.
Je citerai quelques exemples de secteurs où la recherche est duale : les hélicoptères, dont certains modèles développés pour des applications militaires ont ensuite connu des versions civiles ; les avions, dont les progrès technologiques en matière de matériaux composites ou d'avionique bénéficient ensuite aux projets civils ; les satellites et leurs lanceurs ; le réseau Internet à très haut débit ; les observations climatologiques ; les techniques du laser ; les nanotechnologies et bien d'autres. Les Américains l'ont mieux compris que nous puisqu'ils dotent généreusement Boeing de crédits destinés à des programmes militaires dont les résultats alimentent aussi la branche civile.
L'aéronautique, qui n'est pas sans lien avec la défense, représente – faut-il le rappeler ? – plusieurs centaines de milliers d'emplois : il s'agit du premier secteur exportateur français. À ce titre, on peut regretter que la défense ait été écartée, en tant que telle, du grand emprunt.
Élément essentiel de la défense et de la sécurité de la France, notamment dans la lutte contre le terrorisme, la recherche du renseignement est l'action qui bénéficiera, en 2011, comme cela avait déjà été le cas en 2009 et 2010, de la plus forte hausse de ses moyens financiers et humains.
En 2011, le renseignement militaire – Direction générale de la sécurité extérieure, DGSE, Direction du renseignement militaire, DRM, et Direction de la protection et de la sécurité de la défense, DPSD – disposera de 652 millions d'euros de crédits de paiement contre 624 millions d'euros en 2010, soit une hausse de 5 %. Soulignons que dans une période de déflation forte des effectifs du ministère, la DGSE est la seule à gagner des emplois : 690 agents sur la durée de l'actuelle programmation, soit un peu plus d'une centaine chaque année.
Notre défense doit s'adapter aux risques nouveaux, aux nouvelles technologies opérationnelles comme la surveillance et la militarisation de l'espace, la défense informatique et le renseignement moderne, ainsi qu'à la lutte contre le terrorisme, la prolifération nucléaire et les armes chimiques et biologiques.
Je tiens à appeler l'attention de la Commission sur le rôle très particulier des drones en matière de renseignement. Le Livre blanc souligne l'importance des drones, placés au service de la nouvelle action Connaissance et anticipation. Si le renseignement stratégique relève de moyens satellitaires, le renseignement de niveau opératif relève des drones en complément des aéronefs pilotés équipés de capteurs embarqués.
Or la France, qui manquera de drones MALE – moyenne altitude longue endurance – en 2013, envisage l'achat de plusieurs vecteurs « sur étagère », probablement des Predator américains, ce qui est particulièrement regrettable. En effet, la France dispose de quatre industriels capables de fabriquer des drones : EADS, SAGEM, Thales et Dassault. Or, du fait que ni les industriels, ni le Gouvernement, ni les militaires n'ont su coopérer de manière productive, aucun système moderne susceptible de rivaliser avec le Predator américain ne peut être sérieusement proposé à la DGA. Toutefois, rien n'est encore décidé.
Ce retard français, qui est également européen – les Allemands, les Britanniques et les Italiens ont tous acheté des Predator – est d'autant plus regrettable que les drones représentent l'exemple typique d'une technologie duale : ils sont utilisés non seulement par les armées, mais également par les administrations civiles pour surveiller les feux de forêt, les sommets internationaux, les grandes manifestations. Ils entrent de plus dans la surveillance des côtes et des frontières. C'est un marché gigantesque qui se profile à court et moyen terme pour les industriels français : il risque de leur échapper. Dois-je rappeler que le projet de contrat atteint quelque 500 millions d'euros ? Il serait dommage de les donner à nos concurrents alors qu'il s'agit, de plus, d'un marché à forte croissance. Je prendrai un seul exemple, celui de l'intégration de la complexité des systèmes, qui sera porteur dans les années à venir et que les industriels ne doivent pas négliger.
On peut procéder au même constat préoccupant en matière de missiles : MBDA n'a pas su anticiper ni développer le successeur du missile antichar Milan, missile d'excellente qualité, fabriqué en grande quantité, vendu dans des dizaines de pays et numéro un de sa catégorie. Grisée par son succès, la société n'a pas su anticiper l'évolution de la demande pour des missiles d'un autre type et s'est contentée de proposer des évolutions limitées de son Milan qui ne satisfont plus le marché. Pour combler un vide capacitaire qui ne manquera pas d'apparaître bientôt au rythme où ces missiles sont consommés notamment en Afghanistan, l'armée de terre s'est vue obligée d'acheter du Javelin américain, contribuant ainsi à financer la recherche de nos concurrents.
Notre pays doit être volontariste en incitant les industriels concernés à mieux coopérer et à investir dans les domaines porteurs. De ce point de vue, on ne peut que regretter l'occasion manquée de faire de Thales, si elle s'était alliée avec Safran, le numéro un mondial de l'optronique.
Nous ne pouvons que regretter également le manque de coopération à l'échelle européenne. Il semblerait qu'en matière de drone la coopération soit entre la partie allemande et la partie française d'EADS. C'est finalement Dassault qui, en coopération avec les Britanniques de British Aerospace, semble être l'entreprise la plus crédible pour développer le système de drone.
Je souhaite enfin rappeler l'importance de l'intelligence économique, du fait que la guerre actuelle n'est pas militaire mais économique. Elle nous impose d'assurer la sécurité et la protection de nos entreprises. Ne soyons pas dupes : les contrats internationaux ne s'obtiennent jamais sans l'aide des services de l'intelligence économique. Autant, donc, être à la hauteur de nos concurrents tout en respectant les règles éthiques. Qui sait livrer l'information stratégique au bon moment et à la bonne personne obtient un avantage compétitif décisif.
Or les moyens de la France en ce domaine sont peu développés par rapport à ceux de ses grands rivaux économiques. Ainsi, alors que, aux États-Unis, plus de 100 000 personnes au sein de dix-sept agences travaillent pour le renseignement militaire et économique, il n'y en a qu'une dizaine de milliers en France. Il revient également à nos entreprises d'augmenter impérativement leurs services dans ce domaine pour affronter dans de bonnes conditions le marché économique mondial post-guerre froide.
Le marché mondial de la sécurité représente 250 milliards d'euros et croît de 10 % par an. Il faut donc donner un coup de pouce à nos industriels. Nous devons les aider à accroître leur compétitivité.
Le budget de la Nation n'est pas branché sur Lourdes : il dépend de l'activité de nos entreprises. Il faut donc les aider autant que nos soldats. Or, ce qui sauvera nos entreprises, c'est l'innovation. Dans cette guerre économique mondiale, c'est une relance par l'innovation et l'investissement productif dont nous avons besoin. Même si notre pays est l'un de ceux du monde qui croit le moins en cette théorie, c'est pourtant cette formule qui lui fera retrouver les ressources lui permettant de rembourser ses dettes et de réduire son déficit. Dans la situation économique actuelle, la priorité doit être donnée à l'identification des marchés à forte croissance dans lesquels nos entreprises bénéficient d'un avantage concurrentiel. L'argent public destiné à soutenir nos entreprises ne doit pas être saupoudré, mais être consacré aux secteurs d'excellence, d'autant que l'industrie de l'armement de notre pays ne manque pas d'atouts.
En 2007, l'échec de la vente du Rafale au Maroc a agi comme un électrochoc provoquant une réorganisation du soutien aux exportations. Cet effort a porté ses fruits en 2008 et 2009 : les exportations françaises ont bondi de plus de 16 % en 2008 pour s'établir à 6,58 milliards d'euros de prises de commandes dans l'année. En 2009, l'augmentation a été de 24 % et le niveau des exportations françaises s'est élevé à 8,16 milliards d'euros. Nous n'avons évidemment pas encore les chiffres pour 2010 puisque l'année n'est pas finie, mais les résultats ne seront pas, semble-t-il, aussi bons cette année, notamment en raison du retard pris par quelques gros contrats – Rafale ou bâtiment de protection et de commandement, BPC.
La France réussit la transformation et la modernisation de ses armées : les budgets sont certes tendus et la population peut paraître sceptique sur notre engagement en Afghanistan. Toutefois, notre pays est bien moins concerné par les restrictions budgétaires que l'Allemagne, par exemple, qui s'apprête à mettre en oeuvre une revue de programmes qui se révélera probablement déchirante. Comparée à ses voisins européens, la France s'est plutôt mieux sortie de la crise économique, avec plus de 100 000 emplois créés en 2010 selon les dernières prévisions.
Le projet de budget qui nous est présenté préserve la recherche pour nos entreprises : entre le crédit d'impôt recherche et les études en amont, on n'aura jamais autant investi dans les entreprises de défense. L'investissement industriel s'est maintenu à un niveau très élevé grâce au plan de relance, ce dont nous nous félicitons.
En 2010, la volonté politique de la France et de ses partenaires a rendu possible le sauvetage du projet d'Airbus militaire A400 M, ce dont nous ne pouvons également que nous féliciter. Cet avion, qui est désormais techniquement au point, poursuit ses essais pour des premières livraisons à l'armée de l'air à compter de 2013.
Je conclurai en rappelant que le PIB de l'Union européenne s'élève à 18 000 milliards de dollars, contre 14 000 milliards pour celui des États-Unis. Les Vingt-sept sont donc la première puissance économique mondiale. Si les principales composantes politiques et industrielles de l'Union européenne acceptaient de coopérer davantage, on imagine sans peine la puissance que l'Europe aurait sur les plans économique, diplomatique et militaire.
La survie de l'Europe passe par l'amélioration de la coordination des entrepreneurs non seulement entre eux, mais également, en France, avec la DGA et le pouvoir politique. Compte tenu de son étroite imbrication avec l'État, le secteur de la défense doit être exemplaire sur ce plan, sous peine de ne pas résister à la concurrence extra-européenne.
Le projet de budget qui est nous est proposé pour 2001 permettra à notre armée de conserver son rang, ses savoir-faire largement reconnus et ses capacités d'intervention.
Je formule donc un avis favorable à l'adoption des crédits tout en émettant une réserve : je demande, monsieur le président, que la décision d'acheter les drones Predator soit suspendue à la tenue d'une réunion avec l'ensemble des acteurs du dossier des drones – industriels, politiques, DGA et militaires –, qui, du reste, sont demandeurs d'un rendez-vous.
J'enverrai un courrier au ministre de la Défense pour lui demander de suspendre l'opération tant que cette réunion n'aura pas eu lieu.
Le rapport indique que quatre industriels français sont « capables » de fabriquer des drones. Cela signifie-t-il qu'ils n'en fabriquent pas actuellement ?
Quatre drones Harfang fabriqués par EADS sont utilisés en Afghanistan. Malgré une autonomie très satisfaisante, ils sont un peu moins performants que le Predator. Il est indéniable que les Américains ont pris de l'avance.
Le budget de l'État est mobilisable pour les études en amont et via le crédit d'impôt recherche. Mieux vaut l'utiliser pour renforcer la compétitivité d'EADS, de Dassault, de Thalès ou de SAGEM et différer la commande envisagée.
Certains appuient cette commande en prétextant que les drones américains seront disponibles immédiatement. C'est faux : le délai exigé par l'appel d'offres fait que la livraison n'aura lieu qu'en 2013. L'argument selon lequel il est urgent de disposer de ce drone pour surveiller le Sahel ne tient pas. Nous avons besoin d'une information plus stable avant de prendre une décision d'une telle importance stratégique.
La SAGEM fabrique notamment le SDTI, un drone de petites dimensions qui ne peut remplir les missions des drones MALE.
Le problème du programme Harfang est qu'on l'a développé en coopération avec un industriel israélien et qu'il n'est pas prévu que la production se poursuive.
Le savoir-faire aéronautique existe en France et le projet Harfang a constitué une première réussite. Il faut mener une réflexion objective pour savoir si l'on renforce nos industriels ou si l'on abandonne cette commande aux Américains.
Sur avis favorable des deux rapporteurs spéciaux, Louis Giscard d'Estaing et Jean-Michel Fourgous, la Commission adopte les crédits de la mission Défense.
Article 69 : Évolution du régime de responsabilité pécuniaire applicable aux militaires.
L'article 69, rattaché à ce budget, vise à rapprocher le régime juridique des trésoriers et sous-trésoriers militaires de celui des comptables publiques, dans le but d'uniformiser des statuts correspondant à des missions équivalentes et de rationaliser la dépense publique. Cela paraît judicieux.
Sur l'avis favorable du Rapporteur spécial Louis Giscard d'Estaing, la Commission adopte l'article 69.
Elle procède ensuite à l'examen des crédits de la mission Justice et de l'article 75 rattaché.
Cette année encore, le budget de la Justice apparaît comme l'une des priorités de l'État, puisqu'il augmente de 4,15 %, avec 7,128 milliards d'euros.
Pour mémoire, il s'élevait à 4,5 milliards en 2002. Sa part dans le budget global de l'État n'a cessé d'augmenter depuis 2002 – 2,5 % de progression en 2011 contre 1,7 % en 2002.
Des créations d'emploi interviennent même, ce qui, dans cette période, est un indicateur des contraintes fortes qui pèsent sur les missions du ministère, tout en étant révélateur des ambitions qu'il se donne et de l'ampleur des réformes entreprises. On compte en effet 550 emplois nets supplémentaires.
L'administration pénitentiaire se voit ainsi doter de 563 emplois supplémentaires en équivalents temps plein, le secteur judiciaire de 127 emplois de plus et la protection judiciaire de la jeunesse de 140 emplois de moins.
Au-delà de ces chiffres bruts, les orientations du ministère et l'application de la RGPP ont pour conséquence des mouvements significatifs.
Pour le judiciaire, on relève une réduction légère du nombre de magistrats, une réduction du nombre de personnels de catégorie C – qui traduit une évolution vers la catégorie B –, mais une augmentation du nombre de greffiers – près de 400 postes –, ce qui permet d'encourager des promotions professionnelles, d'assurer l'emploi des agents des cabinets d'avoués à la suite de la réforme de cette profession et de se rapprocher de l'objectif affiché, à savoir un ratio d'un greffier pour un magistrat. Alors qu'on était encore loin de cette proportion il y a quelques années, le chiffre actuel est proche de 0,9.
Ajoutons qu'un accord semble être enfin intervenu entre le ministère de l'Intérieur et celui de la Justice pour les transfèrements de détenus. La Chancellerie a désormais clairement la charge de celui des personnes écrouées, et 800 équivalents temps plein seront transférés d'ici 2013 du ministère de l'Intérieur à celui de la Justice pour compenser cette charge que les deux administrations se renvoyaient depuis des années.
Pour l'administration pénitentiaire, si la création nette est bien de 563 emplois, des redéploiements, notamment du fait de la suppression des miradors, aboutiraient à l'affectation réelle de 1 000 emplois au total en 2011, au regard de 2 000 nouvelles places de détenus ouvertes dans les établissements.
Pour compléter ce tableau des effectifs, il est important de souligner que peu de secteurs de la mission Justice échappent à une évolution très sensible, et pour certaines considérable, des fonctions exercées, de leurs conditions d'exercice et des compétences requises pour faire face aux changements.
Ainsi, l'organisation des nouveaux établissements pénitentiaires exige des adaptations par rapport aux missions traditionnelles.
Il en va de même des services pénitentiaires d'insertion et de prévention, les SPIP, dont les conseillers sont appelés à se recentrer sur la prévention de la récidive, des magistrats et des agents des juridictions confrontés aux exigences de la modernisation des méthodes, des services de la protection judiciaire de la jeunesse, auxquels le ministère a demandé de se consacrer en priorité à la prise en charge des mineurs délinquants, ou enfin des personnels techniques et administratifs amenés à se familiariser, comme les magistrats chargés de l'immobilier et les chefs d'établissements pénitentiaires, avec les procédures nouvelles de préparation, de contrôle et de suivi des délégations de service et des opérations en partenariat public-privé – les PPP. Autant d'évolutions profondes qui, avec les réformes en cours et l'évolution de la délinquance elle-même, exigent disponibilité, mobilité et réactivité, ce qui n'est pas sans provoquer certaines difficultés.
Sans doute l'ampleur des changements en cours et à venir justifierait-elle une marge financière plus confortable. En particulier, les cours et les juridictions manquent cruellement de crédits de fonctionnement et d'entretien des locaux. Certaines sont presque quotidiennement à la limite de la rupture. Mais c'est toute la difficulté de réformer dans un contexte de rareté de la ressource. De ce point de vue, le budget de la Justice tire bien son épingle du jeu.
L'ampleur du programme d'investissement n'est pas seulement illustrée par les autorisations d'engagement et les crédits de paiement inscrits au budget, puisque le ministère de la Justice s'est engagé fortement dans les formules de financement faisant appel au partenariat public-privé.
Les inscriptions de crédits de paiement se poursuivent : 331 millions d'euros pour l'immobilier pénitentiaire, 200 millions d'euros pour le judiciaire. Mais ces chiffres rendent peu compte de la réalité, du fait des investissements extra-budgétaires.
C'est le cas dans l'immobilier pénitentiaire. La réalisation de la fin du précédent programme de 13 200 places et la préparation du nouveau programme immobilier pénitentiaire de 5 000 places font largement appel à des formules soit de conception-réalisation, soit d'AOT-LOA – autorisation d'occupation temporaire assortie d'une location avec option d'achat –, soit de partenariat public-privé, qui reportent la charge d'investissement sur plusieurs dizaines d'années.
Rappelons que le Gouvernement a décidé en effet de faire suivre les deux programmes de 13 200 puis de 4 000 places d'un programme nouveau de 5 000 places.
Les six établissements du programme 4 000 ont été ouverts et comportent chacun de 600 à 650 places.
Les tout nouveaux établissements de la fin du programme 13 200 sont d'une capacité moyenne de 600 à 800 places, ce qui, nous y reviendrons, ne semble pas la capacité optimale pour atteindre les objectifs qualitatifs de la loi pénitentiaire. Faut-il souligner que Fleury-Mérogis, par exemple, excède cette capacité de beaucoup, avec 3 570 places théoriques à l'issue d'un programme de réhabilitation qui va durer onze ans ? Chacun de ces 3 570 détenus se déplaçant entre six et huit fois par jour, on peut imaginer l'importance des flux et de la surveillance que cela implique.
Quoi qu'il en soit, l'Agence pour l'immobilier de la justice – APIJ – conduit un ensemble d'opérations de construction, de réhabilitation et de modernisation tout à fait exceptionnel et qui permettra une mise à niveau indispensable.
La garde des sceaux vient de rendre public un programme de fermeture échelonnée d'établissements vétustes qui témoigne de la volonté politique de mettre fin à des situations inadmissibles, notamment dans des maisons d'arrêt. Encore faudra-t-il disposer en temps voulu, par régions, des places nouvelles pour accueillir les détenus correspondants, réparties sur le territoire de telle façon que les transfèrements à partir et en direction des établissements éloignés des juridictions et des hôpitaux ne soient pas sources de dépenses de fonctionnement exorbitantes. En d'autres termes, il nous manque la carte de réalisation des nouveaux établissements.
Ce programme comprend par ailleurs l'aménagement de quartiers de courte peine et la construction d'établissements pénitentiaires pour mineurs, ainsi que la sécurisation des unités hospitalières pour les personnes incarcérées.
L'objectif du ministère est de stabiliser les effectifs incarcérés autour de 64 000 places, sachant qu'aujourd'hui le nombre de personnes incarcérées s'élève à environ 62 000. C'est dire l'impact attendu des alternatives à l'incarcération, notamment le placement sous bracelet électronique : les services estiment que 10 000 placements de ce type pourraient être réalisés en 2011, ce qui paraît très ambitieux. Rappelons simplement que l'encadrement est de 80 agents pour 1 000 personnes placées sous surveillance électronique quand il est d'un agent pour trois détenus incarcérés, soit un rapport de un à quatre.
Le programme immobilier judiciaire est principalement affecté par les grosses réhabilitations de tribunaux vétustes, par les décisions prises lors de la réforme de la carte judiciaire et par le grand projet de tribunal de Paris.
L'APIJ conduit un programme triennal de 27 opérations lourdes – auxquelles s'ajoute le tribunal de Paris –, dont 13 réhabilitations importantes et 14 constructions de nouveaux tribunaux ou cités judiciaires. Une grande partie de ce programme est justifiée par les regroupements ou les redéploiements de la carte judiciaire. Laquelle génère finalement assez peu de produits de cession immobilière, beaucoup de petits tribunaux étant la propriété de collectivités locales. Les recettes espérées à ce titre ne dépasseraient pas 30 millions d'euros pour la Chancellerie, ce qui est peu.
Le grand projet du tribunal de Paris, sur le site des Batignolles – 90 000 mètres carrés hors oeuvre, 90 salles d'audience –, sera réalisé en partenariat public-privé pour un montant probable de 650 millions d'euros. Une autorisation d'engagement est inscrite à hauteur de 1,2 milliard afin de prévoir l'achat d'équipements et de mobilier. L'ouverture est projetée pour 2015.
Par ailleurs, l'expérience acquise en matière d'immobilier pénitentiaire conduit en effet la Chancellerie à recourir au PPP pour la construction de nouveaux tribunaux – trois en 2011.
Enfin, la Chancellerie cherche à regrouper à Paris les différentes implantations des services. À titre indicatif, pour cinq des plus importantes d'entre elles, le loyer annuel s'élève à près de 24 millions d'euros.
Dans cette période de forte évolution, la mission Justice nécessite des moyens. Les techniques nouvelles de communication réclament des ajustements fins et une cohérence jusqu'ici peu sensible entre les différents services du ministère.
Au-delà de la seule présentation du budget, nos visites et nos entretiens font apparaître quelques points clés qui demandent un suivi particulier.
Le premier concerne évidemment les enseignements à tirer de la réalisation des établissements pénitentiaires des générations les plus récentes. La prise en compte des orientations de la loi pénitentiaire – encellulement individuel, locaux d'activité – l'impose, mais aussi la nécessité de mettre en place les espaces et les initiatives en vue de mieux préparer la sortie et l'intégration, en même temps que de prévenir la récidive. De ce point de vue, il nous apparaît, ainsi qu'à beaucoup d'observateurs, que les nouveaux établissements doivent être moins grands. À la norme actuelle de 700-800 places, la garde des sceaux a opportunément annoncé qu'elle entendait substituer une moyenne de 400-500, ce qui paraît plus raisonnable à tous points de vue. Il nous semble que les architectes devraient davantage utiliser les instruments nouveaux d'analyse des flux pour tenir compte des multiples déplacements des détenus au sein des établissements.
Deuxièmement, si la sécurité demeure l'impératif premier dans les établissements pénitentiaires, toutes les activités participant à la prévention de la récidive et à l'insertion doivent être aussi privilégiées. Cela demande quelquefois une autre approche de l'aménagement des locaux et l'administration doit particulièrement y veiller, notamment dans le cadre du PPP.
Troisièmement, en matière de construction, le recours aux procédures de LOA ou de PPP s'avère en définitive favorable aux finances publiques si l'exercice de la concurrence est réel et si les relations quotidiennes entre l'utilisateur et le réalisateur propriétaire demeurent ce qu'elles paraissent être aujourd'hui, c'est-à-dire satisfaisantes. Je n'en serais pas moins intéressé par une enquête que notre Commission pourrait mener conjointement avec la Cour des comptes sur les avantages à court, moyen et long terme de formules auxquelles l'État a recours un peu facilement aujourd'hui, compte tenu du déficit des finances publiques.
Quatrièmement, le Parlement sera naturellement intéressé par l'évaluation, au plan humain et au plan judiciaire, du recours aux alternatives à l'incarcération, tant du point de vue pratique que de celui de l'exécution des peines et de la prévention de la récidive. Lorsque 10 000 personnes seront placées sous surveillance électronique, il sera nécessaire d'en apprécier les effets et de vérifier si le système a des limites.
Cinquièmement, la modernisation des procédures et des méthodes dans le fonctionnement courant de la justice et notamment l'amélioration du service au justiciable demande, de l'avis général, de très gros efforts et davantage de cohérence. Le ministère en est conscient. Cette évolution, que l'on souhaite rapide, se fera-t-elle à moyens constants ? Rien n'est moins sûr. En particulier, les magistrats doivent pouvoir consacrer la plus grande partie de leur temps au traitement des affaires qui leur sont confiées. Cela implique qu'ils soient déchargés du reste par des renforts administratifs et techniques. Faut-il par exemple, dans les cours d'appel, des « magistrats chargés de l'immobilier », que des administrateurs ou des ingénieurs pourraient logiquement relayer ?
Sixièmement et plus généralement, les procédures civiles et pénales ont besoin d'être stabilisées. Dans un contexte d'évolution rapide de la société et de la délinquance, il est tentant de vouloir ajuster rapidement la réponse légale – la lecture de l'ordre du jour de l'Assemblée nationale nous le rappelle quotidiennement. Mais les juridictions sont elles-mêmes plongées dans un mouvement incessant de réformes successives qui nuisent à une certaine sérénité. Tous souhaitent l'apaisement du « maelström » législatif et réglementaire, si l'on désire l'adaptation profonde du système judiciaire et pénitentiaire.
Septièmement, s'agissant des mineurs délinquants, dont je n'ai pu traiter longuement cette année, il sera intéressant de connaître le détail et la synthèse des audits actuellement pratiqués dans le secteur associatif et ses établissements. Rappelons simplement que, sur 158 000 mineurs pris en charge en 2009, 62 % l'ont été par le service public, et 38 %, soit environ 60 000, par les 1 330 établissements et services gérés par des associations. La qualité du contrôle exercé est, bien entendu, déterminante pour vérifier le respect des orientations.
Telles sont, dans le temps très court qui lui a été imparti, les principales observations que votre Rapporteur spécial peut formuler sur le budget 2011 de la Justice. Comme beaucoup de secteurs de l'intervention de l'État, celle-ci est entrée dans une période de transformations profondes qui demandent le soutien des pouvoirs publics.
Au bénéfice de ces observations, j'émets un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission Justice.
Lorsque la réforme de la carte judiciaire prévoit le maintien d'un palais de justice qui est propriété d'une collectivité territoriale, mais qu'il est nécessaire de restructurer ce bien, quelle est la répartition de l'effort financier ? Les autorisations d'engagement s'élèvent à 375 millions d'euros, soit 125 millions par an. Comment seront-elles réparties par rapport aux propriétés des collectivités territoriales ?
La prison centrale ultramoderne de Mont-de-Marsan semble battre des records en matière de taux de suicide depuis le début de l'année. Avez-vous eu connaissance de ce « détail » ?
L'augmentation des crédits du ministère de la Justice, impressionnante entre 2002 et 2011, s'est-elle faite à périmètre constant ?
Par ailleurs, si certaines administrations se voient doter de personnel supplémentaire – en particulier l'administration pénitentiaire –, le ministère continuera-t-il à réduire les effectifs de celle de la protection de la jeunesse ?
En ce qui concerne la question de M. Cousin, je ne dispose pas de données plus précises. Le budget que le ministère consacrera aux suites de la réforme de la carte judiciaire sera de l'ordre de 500 millions d'euros sur dix ans. Quoi qu'il en soit, dès lors que des locaux appartenant à une collectivité territoriale sont désaffectés, le bien revient à son propriétaire et le ministère n'est plus concerné. L'hypothèse inverse, celle de l'affectation de biens de l'État qui ne seraient plus affectés à la justice, ne pose pas de problèmes.
Monsieur Emmanuelli, les établissements récemment ouverts ont suscité des critiques de la part de certains personnels et de certains visiteurs. Je ne puis affirmer aujourd'hui que le partenariat public-privé soit en cause. Sans doute s'agit-il plutôt de la conception architecturale. La priorité donnée à la sécurité, avec la multiplication des points de passage contrôlés et les difficultés que cela soulève quand le nombre de détenus est élevé, n'a pas toujours été bien vécue par les personnels. Mais on ne peut pas affirmer, sur des éléments objectifs, qu'il en ait résulté un taux de suicide plus important chez les détenus.
Globalement, ce taux a hélas progressé. J'ai constaté, dans les établissements que j'ai visités, que les personnels sont désormais très sensibilisés et très bien formés à la prévention des suicides. Un gros effort reste néanmoins à faire pour la prise en compte humaine des conditions de détention, pour la préparation à la sortie et pour la prévention de la récidive. Les SPIP oeuvrent en ce sens.
Je n'ai pas observé de modification du budget de la justice, monsieur le président. Sans doute les nouveaux établissements pénitentiaires ont-ils nécessité un peu plus de personnel que les établissements traditionnels, mais cela s'arrête là. Le nombre global de places est constant.
Je le répète, la justice demeure une priorité dans le budget de l'État.
Pensez-vous qu'il serait utile, dans le cadre du travail que notre Commission mène désormais régulièrement avec la Cour des comptes au titre de l'article 58-2 de la LOLF, que nous demandions à la Cour son point de vue sur le coût estimé des partenariats public-privé, ainsi qu'une comparaison avec d'autres formules ?
Comme je l'ai indiqué dans mon intervention, j'y suis tout à fait favorable. Nous n'avons eu connaissance que des études d'impact préliminaires réalisées par les services, sachant que l'avis ne pouvait être que favorable puisque l'on veut favoriser ces partenariats. Reste à examiner le processus sur les moyen et long termes.
Il faudrait également surveiller les délégations de service accordées pour l'exercice d'une compétence relevant de la souveraineté nationale.
Il semble difficile de saisir la Cour de ces deux sujets de nature très différente. Dans l'immédiat, il me semble que le premier présente un intérêt plus grand.
Dans la période difficile que nous traversons, l'augmentation des crédits de paiement de la justice mérite d'être relevée.
Je m'associe aux observations formulées sur la difficulté d'évaluer la conception des nouveaux établissements pénitentiaires, notamment quant aux aspects psychologiques. Pour ma part, j'exerce le droit de visite pénitentiaire dans la maison d'arrêt de Clermont-Ferrand, un bâtiment ancien construit en 1840 en plein centre de la ville. Il est ressorti de mes conversations avec les détenus ayant séjourné dans des établissements de nouvelle génération que beaucoup préfèrent leurs conditions actuelles de détention à l'isolement qui existe dans les prisons récemment construites.
Par ailleurs, vous avez souligné la faiblesse du produit des cessions réalisées dans le cadre de la réforme de la carte judiciaire – 30 millions d'euros. Faut-il en conclure que cette réforme n'aura pas permis de réaliser beaucoup d'économies ?
Est-il exact que les transfèrements, notamment pour les audiences, sont aujourd'hui essentiellement à la charge de la gendarmerie ? Qu'en sera-t-il à terme ?
Les créations nettes de postes de greffiers sont une bonne chose. Mais utilise-t-on tous les plafonds d'emplois ? Certaines juridictions indiquent qu'il reste de nombreux postes à pourvoir.
Le changement d'environnement dans les nouveaux établissements est très net puisque l'on y pratique l'encellulement individuel. Or, contrairement à ce que l'on a pu parfois penser, certains détenus préfèrent ne pas être placés dans une cellule individuelle. De plus, les constructions sont en béton, les espaces verts sont peu nombreux, les contrôles électroniques des flux se multiplient. L'univers est plus froid et le contact avec le personnel pénitentiaire est plus distant. On peut le regretter, mais on ne saurait regretter les cellules vétustes où l'on entasse trois ou quatre détenus. La condamnation à la prison n'est pas une condamnation à la promiscuité : il faut offrir à ceux qui le veulent la possibilité d'être dans une cellule individuelle, et telle est la position de la garde des sceaux.
Du point de vue immobilier, la carte judiciaire coûte actuellement plus cher qu'elle ne rapporte. Le produit des cessions est de 12 millions d'euros à ce jour, il est estimé à 30 millions pour 2011 et s'élèvera peut-être à 500 millions sur dix ans. Mais, parallèlement, on construit de nouveaux tribunaux et de nouvelles cités judiciaires pour permettre les regroupements.
La rentabilité, difficile à apprécier, se fera probablement par la mise en commun de moyens. Cela dit, il ne saurait être question d'économies en ce qui concerne les postes de magistrats et de greffiers puisque l'on n'a fait que transférer les affaires d'un tribunal à l'autre. Le ministère se contente de mettre en exergue les économies que permettra, dans quelques années, la mutualisation d'un certain nombre de moyens.
L'accord qui vient d'être passé entre le ministère de la Justice et celui de l'Intérieur en matière de transfèrements est un bon accord. Jusqu'à présent, les préfets étaient constamment saisis de demandes de transfèrement que l'administration pénitentiaire ne voulait pas effectuer et que la police et la gendarmerie considéraient, à juste titre, comme lourdes. La doctrine retenue est que le transfèrement des personnes non écrouées est du ressort de la police et de la gendarmerie, et que celui des personnes écrouées relève de l'administration pénitentiaire. Le transfert de charge, évalué à 800 équivalents temps plein, serait opéré du budget de l'Intérieur à celui de la Justice d'ici à 2013.
La création de postes de greffiers est une excellente chose même si l'on n'a pas encore atteint le ratio de un pour un.
À chaque séance de rentrée, présidents de cour et procureurs, dans un style très différent, expriment leurs regrets de ne pas voir certains postes pourvus. La lenteur du mouvement des personnels atteint des records au ministère de la justice. La procédure de nomination des magistrats, très lourde, dure presque un an. Au cours de mes auditions, j'ai d'ailleurs constaté que certaines régions ne sont pas aussi attractives que l'on pourrait penser pour les magistrats.
Au total, la réforme de la carte judiciaire s'est traduite par 437 suppressions d'implantations judiciaires et par 14 créations de juridictions. Les économies d'échelle qui devraient en résulter ne sont pas encore perceptibles.
Sur avis favorable du Rapporteur spécial, la Commission adopte les crédits de la mission Justice.
Article 75 : Report de la collégialité de l'instruction
La loi du 5 mars 2007 tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale avait prévu dans son article 30 la mise en place de la collégialité de l'instruction au 1er janvier 2010. Le ministère propose aujourd'hui de reporter l'application de la réforme au 1er janvier 2014. Tel est l'objet de cet article.
Suivant l'avis favorable du rapporteur spécial, la Commission adopte l'article 75 rattaché.
Puis la Commission procède à l'examen des crédits de la mission Santé.
Le montant budget de la Santé évolue peu en 2011, progressant d'environ 2 % en crédits de paiement, pour s'élever à 1,22 milliard d'euros au total. Cette augmentation s'explique essentiellement par la revalorisation de près de 10 % des crédits de l'aide médicale de l'État – AME –, qui atteindront 588 millions d'euros contre 535 millions l'an passé, et par l'accroissement d'environ 9 % de l'effort de l'État en faveur de la formation médicale initiale, les crédits prévus à ce titre s'établissant à 132,3 millions d'euros.
La mise en place des agences régionales de santé – ARS – a, en revanche, profondément modifié la maquette budgétaire. La mission ne comporte désormais plus que le programme Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins et le programme Protection maladie, qui regroupe les crédits de la CMU complémentaire, de l'AME et du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante. Le programme Offre de soins et qualité du système de soins a été supprimé et ses crédits basculés sur le programme « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins », afin de regrouper l'ensemble des crédits d'intervention des ARS. Les crédits d'État dédiés aux Agences figurent donc en totalité dans ce programme, à l'exclusion de leurs dépenses de fonctionnement, qui figurent dans le programme support de la mission Solidarité. Il faut noter que les effectifs des ARS diminuent, passant de 9 591 ETP en 2010 à 9 447 ETP en 2011.
Au-delà de ces évolutions générales, je m'attarderai sur quatre points.
Tout d'abord, la création des ARS. Tous leurs crédits d'intervention sont donc réunis en 2011. Ils financeront, d'une part, à hauteur de 121,4 millions d'euros, la formation médicale initiale – pour l'essentiel les stages extra-hospitaliers effectués par les internes et les étudiants en médecine – et, d'autre part, à hauteur de 189,36 millions d'euros, la mise en oeuvre sur le plan régional de la politique de prévention et de sécurité sanitaire. L'autonomie des ARS explique que ces crédits soient désormais globalisés et non plus, comme c'était le cas lorsqu'ils étaient délégués aux services déconcentrés, détaillés par type d'action financée. Il n'en demeure pas moins indispensable que leur affectation précise demeure lisible. Le Parlement doit retrouver en exécution l'information qu'il a perdue en prévision. Il faut que les remontées d'information de la part des Agences permettent de retracer a posteriori les actions financées.
Deuxième point : la mise en place de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, l'ANSES, résultant de la fusion, entérinée le 1er juillet dernier, de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments – AFSSA – et de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail – AFSSET. Les crédits de la nouvelle ANSES relèvent de plusieurs missions : Écologie, Recherche, Travail et emploi, Santé, et surtout Agriculture. Au titre de la mission Santé, l'Agence recevra en 2011 une subvention de 13,7 millions d'euros – hélas seulement, dirais-je. Comme tous les opérateurs, elle verra ses effectifs diminuer : à périmètre constant, ceux-ci tomberaient de 1 237 à 1 219 équivalents temps plein – ETP – entre 2010 et 2011. La réunion des services de l'AFSSA et de l'AFSSET en un même lieu passe par un projet immobilier important sur le site de l'école vétérinaire de Maisons-Alfort.
Que le projet de loi de programmation des finances publiques interdise aux organismes d'administration centrale d'emprunter crée de ce point de vue des difficultés. Ce regroupement est pourtant indispensable afin de permettre une synergie des compétences et d'améliorer tant la gestion du risque que l'expertise dans des domaines où ces synergies paraissent évidentes : je pense à l'eau, aux nanotechnologies et aux perturbateurs endocriniens, au premier rang desquels le bisphénol A. Dans ces deux derniers domaines, il faut impérativement garantir un niveau suffisant de financement public de la recherche de façon que l'ANSES puisse poursuivre ses programmes et en lancer de nouveaux.
La fusion de l'AFSSA et de l'AFSSET a suscité des craintes parmi les parlementaires – dont j'étais – qui s'en sont ouverts au Premier ministre. Il faut que l'ANSES conserve l'expérience de l'AFSSET en matière d'expertise scientifique, laquelle était réputée pour son ouverture sur la société civile et la garantie de ses procédures. On ne peut que se réjouir à cet égard de la mise en place, au sein de l'ANSES, d'un comité de déontologie et de prévention des conflits d'intérêt. Lorsqu'un organisme fusionne avec un autre, dix fois plus grand que lui, il importe qu'il puisse préserver son originalité, qui en faisait tout l'intérêt.
Troisième point : la politique de rigueur qui frappe de plein fouet les agences sanitaires sur la période 2011-2013. Dans la mission Santé, seuls la Haute autorité de santé, l'Agence technique d'information sur l'hospitalisation et l'Institut national du cancer – du fait du nouveau plan Cancer – échappent à une diminution de leurs moyens financiers. C'est l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé – AFSSAPS - qui est la plus touchée, avec l'annulation jusqu'en 2013 de la subvention annuelle de l'État, qui s'élevait à 10 millions d'euros en 2010. Son plafond d'emplois sera aussi diminué de 48 ETP sur la période. Cette diminution drastique de ses moyens est préoccupante, alors qu'il conviendrait, dans un contexte de multiplication des risques, de renforcer la pharmacovigilance et d'améliorer le traitement des notifications spontanées d'accidents thérapeutiques. L'Agence doit être dotée des moyens nécessaires à l'exercice de ses missions essentielles, dont dépendent la sécurité et la qualité des produits de santé. Si le niveau de son fonds de roulement devrait lui permettre de passer le cap de l'exercice 2011, en l'absence de nouvelle subvention de l'État, des mesures devront être prises dès 2012. Pourquoi ne pas envisager à cet horizon de revaloriser le forfait acquitté par les laboratoires sur leurs demandes d'AMM, aujourd'hui ridiculement bas ?
Dernier point : l'aide médicale d'État – AME. Les crédits de l'État à ce titre avaient été revalorisés en 2010, laissant espérer qu'aucune dette ne se reconstituerait sur ce poste. Elle se montait à fin 2007 à 920 millions d'euros, apurés dans le cadre de la grande opération d'apurement de ses dettes vis-à-vis de la sécurité sociale qu'avait alors engagée l'État. Mais les sous-dotations chroniques – marque d'ailleurs d'une véritable insincérité budgétaire – ont, hélas, contribué à la reconstituer, nécessitant chaque année depuis 2008 que des crédits supplémentaires soient ouverts en loi de finances rectificative. Je n'ai cessé d'appeler à revaloriser cette dotation : c'est chose faite pour 2011 avec une augmentation de 10 %. Le coût de l'AME a toutefois augmenté de 19 % en 2009, conduisant d'ailleurs à ce qu'une nouvelle mission d'expertise soit confiée conjointement à l'IGAS et à l'IGF – la dernière datait de 2007.
En qualité de Rapporteur spécial, je serai très attentif aux conclusions de cette mission, mais je l'indique d'emblée : l'instauration d'un « droit d'entrée » au dispositif ne me paraît pas une solution. Même fixé à trente euros, maximum envisagé, ce droit d'entrée ne rapporterait que 6,3 millions d'euros par an – à supposer que tous les bénéficiaires, dont le nombre était évalué à 210 000 en 2010, demandent leur admission. On serait donc encore loin du compte ! Plus fondamentalement, il conduirait vraisemblablement certaines des personnes concernées, aux revenus modestes puisque le bénéfice de l'AME est soumis à condition de ressources, et le plus souvent en situation irrégulière, à renoncer à se faire soigner, ce qui pourrait poser de graves problèmes de santé publique, vu notamment la recrudescence de maladies contagieuses comme la tuberculose.
Au regard de toutes ces considérations, j'émets donc, à titre personnel, un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission Santé.
Pour militer depuis longtemps en faveur de l'encadrement des dépenses des opérateurs, j'aurais mauvaise grâce à me plaindre des mesures prises en ce sens aujourd'hui. Cela n'interdit pas de faire preuve de discernement et de distinguer entre eux. Certains ont une importante activité industrielle qui peut leur procurer des financements. Je pense notamment à l'ONERA, l'Office national d'études et de recherches aérospatiales, dont l'essentiel de l'activité est aujourd'hui financé par ses contrats, et non par les dotations de l'État. Et bien entendu, les crédits des opérateurs de recherche doivent être préservés, comme l'a été le budget de la mission interministérielle Recherche et enseignement supérieur, la « MIRES ».
Les crédits nécessaires au regroupement de l'AFSSA et de l'AFSSET sur le site unique de Maisons-Alfort pourront-ils être engagés sur l'exercice ?
Enfin, s'agissant de l'AME, vous critiquez, monsieur le Rapporteur spécial, l'idée d'instaurer un « droit d'entrée ». Mais que pourrions-nous suggérer d'efficace pour parvenir à maîtriser cette dépense qui dérive depuis si longtemps ?
La globalisation des crédits des agences régionales de santé légitime un contrôle renforcé du Parlement, lequel s'exercera désormais plutôt a posteriori.
Je n'ai pu m'empêcher de relever une étrange coïncidence de calendrier entre la mise en place des ARS et l'annonce de la nécessité de fermer certains établissements dits « à faible activité », où la qualité des soins, dit-on, ne pourrait être garantie. Sur ce point, je tire la sonnette d'alarme. Il demeure essentiel de pouvoir accéder rapidement à un hôpital de proximité, quitte à être ensuite redirigé vers un autre établissement. Tous les établissements de proximité ne peuvent être voués à l'accueil des urgences et au « tri » des patients. Je n'ignore pas les difficultés de recrutement des personnels soignants, notamment infirmiers, dont je salue d'ailleurs le travail. Mais c'est en amont qu'il faudrait agir en améliorant leurs conditions de travail.
Une mission interministérielle ayant montré que les exonérations de charges dont bénéficient les organismes d'intérêt général dans les zones de revitalisation rurale – ZRR – ont surtout profité à ceux de grande taille, dont les centres hospitaliers et les maisons de retraite, l'un de ses rapporteurs a suggéré de les réserver à ceux qui comptent moins de dix salariés. Cette suppression mettrait en grande difficulté financière quantité d'établissements de santé en milieu rural, risquant de précipiter leur perte. Elle poserait également des problèmes à beaucoup d'associations oeuvrant dans le domaine des services à la personne. Redoutant un effet de ciseaux, je demande qu'on étudie précisément les conséquences d'une telle mesure.
En dépit des efforts de maîtrise entrepris ces dernières années, la forte augmentation des dépenses d'AME demeure préoccupante. Et ce n'est pas l'instauration d'un droit d'entrée qui suffirait à endiguer le dérapage.
Que pourrait-on faire pour contenir les dépenses tout en répondant aux besoins des personnes et aux exigences de santé publique, car, vous l'avez dit, il faut parer à tout risque de propagation de certaines maladies contagieuses ?
J'aborderai à mon tour la question de l'AME. Les cris d'orfraie devant le dérapage de ces crédits, aussi préoccupant soit-il, ne sont pas de mise. En effet, derrière l'AME, il y a des considérations sanitaires et humanitaires. Au-delà de mesures ponctuelles à l'efficacité forcément limitée, il faudrait être capable de réformer dans son ensemble un dispositif qui englobe aujourd'hui des choses très différentes. D'un côté, l'AME sert parfois, si j'ose m'exprimer ainsi, de médecine du travail pour les filières de travail clandestin, et il y a là clairement des abus. D'un autre côté, elle constitue une aide indispensable pour des personnes en situation d'extrême précarité et d'extrême fragilité sanitaire. S'appuyant sur le futur rapport conjoint de l'IGAS et de l'IGF, il faudrait, dans la sérénité, regarder de près qui sont ses bénéficiaires et réfléchir aux moyens de solvabiliser la demande de soins comme d'empêcher les abus.
Ma seconde question concerne les systèmes d'information des ARS. Nous aurons très vite besoin d'informations sur le fonctionnement des agences et leur contribution à l'évolution de nos dépenses de santé. Encore faut-il que la centralisation soit suffisante et que le système ait été conçu pour fournir les informations pertinentes. Pouvez-vous, monsieur le Rapporteur spécial, nous rassurer à ce sujet ?
S'agissant de l'AME, je partage l'avis de Marie-Anne Montchamp. Connaissant bien le fonctionnement du dispositif au quotidien, les maires savent mieux que quiconque son inefficacité relative, dans la mesure où il ne s'intègre pas dans un plan global de prévention et ne peut pas s'appuyer sur une bonne connaissance des situations personnelles. Espérons que les ARS permettront une meilleure coordination car le dispositif ne peut demeurer un droit de tirage au coup par coup, ce qu'il est trop souvent aujourd'hui.
Je n'ignore pas que le budget des ARS ne relève pas de la mission Santé. Mais le rapporteur peut-il nous en dire davantage ? Un an seulement après leur mise en place, leurs effectifs diminuent déjà. Cela traduit-il une réduction plus générale de leurs moyens ?
Dans un rapport sur l'hôpital public, à l'élaboration duquel j'avais contribué avec plusieurs collègues de la majorité et de l'opposition il y a quelques années, nous évoquions déjà le spectre d'un « désenchantement ». L'inquiétude est toujours de mise. Le pire scénario que nous avions imaginé à l'époque, celui d'une centralisation et d'une concentration de la gestion des hôpitaux publics à un échelon intermédiaire, ne vous semble-t-il pas en passe de se réaliser avec la mise en place des ARS ? Comment les agences pourront-elles faire face si dans le même temps leurs moyens diminuent ? Cela me semble contradictoire.
Où en est le programme de renouvellement des cartes Vitale, dont le nouveau modèle – on en parlait déjà en 2004 – devait comporter la photographie du titulaire ? Cela limiterait sans doute les fraudes.
Je répondrai tout d'abord sur l'AME. Pour ce qui est de l'accroissement exponentiel des dépenses, il peut s'expliquer aussi par une augmentation du nombre des bénéficiaires, à laquelle contribue la lenteur de l'instruction administrative des dossiers, nombre des personnes éligibles à l'AME étant dans l'attente qui d'une régularisation, qui d'une demande d'asile… En outre, les soins dispensés dans le cadre de l'AME sont tarifés par les hôpitaux, non pas selon la T2A de droit commun, mais selon une nomenclature spécifique avec un tarif journalier qu'ils fixent eux-mêmes. Un établissement en redressement par exemple sera incité à augmenter fortement ce tarif. J'espère que la mission conjointe IGAS-IGF se penchera sur ces disparités de tarification. Mon sentiment personnel, s'agissant de l'AME, est que l'instauration d'un « droit d'entrée » ne serait qu'un coup d'épée dans l'eau, tout en dissuadant certaines personnes de se faire soigner, ce qui ne serait pas sans danger.
L'IGAS et l'IGF ont recommandé dans leur dernière mission conjointe que les cartes Vitale comportent la photo de leur titulaire. C'est désormais chose faite, m'a-t-on dit.
J'en viens aux ARS. Je ne peux pas vous dire précisément si leurs moyens diminuent, dans la mesure où on ne peut pas encore faire de comparaison en année pleine. De surcroît, ces moyens ne relèvent pas de la mission Santé. Cela étant, comme pour tous les opérateurs, leurs crédits de personnels sont rabotés. On peut espérer qu'elles le compenseront par des économies d'échelle. Un premier bilan de l'installation des agences ne pourrait être dressé que région par région, tant les situations sont disparates. Beaucoup tient à la personnalité du directeur nommé. Certains ont de l'expérience et du savoir-faire, d'autres moins ! En Midi-Pyrénées, où celui-ci n'est issu ni du secteur médico-social ni du corps préfectoral, mais du privé, les choses se passent mal.
Les dotations des ARS étant désormais globalisées, le Parlement ne pourra plus exercer qu'un contrôle a posteriori, mais ainsi l'avons-nous voulu – ce qui n'empêche pas les directeurs des agences de se plaindre d'un fléchage trop précis des crédits !
M. Launay a exprimé ses craintes quant à la disparition de certains établissements de proximité. Le problème relève de la carte sanitaire. Espérons que la régionalisation permette de prendre des décisions plus adaptées aux réalités tant des besoins sanitaires que de la démographie médicale.
Réserver l'exonération de charges en ZRR aux organismes d'intérêt général de moins de dix salariés poserait en effet un réel problème. En effet, certains établissements médico-sociaux ont précisément été installés en zone rurale pour y maintenir de l'activité et des emplois. Plutôt que de fixer un nombre butoir de salariés, pourquoi ne pas prévoir un rabotage général proportionnel, qui serait globalement moins pénalisant ? Un établissement de onze salariés ne perdrait pas tout d'un coup !
Pour ce qui est de l'installation de l'ANSES à Maisons-Alfort, le problème n'est pas financier – les seules économies réalisées sur les loyers des sièges actuellement occupés par l'AFSSA et l'AFSSET couvriraient l'emprunt de 41 millions d'euros sur vingt ans nécessaire pour réaliser la construction des nouveaux bâtiments sur un terrain qui appartient déjà à l'État – mais juridique, les opérateurs n'ayant pas, aux termes mêmes de la loi de programmation des finances publiques, le droit de recourir à l'emprunt. Une dérogation serait en l'espèce nécessaire.
Pour ce qui est de la centralisation des données dans les ARS, la première difficulté tient à la compatibilité des systèmes informatiques des organismes dépendant de l'État et de ceux dépendant de l'assurance maladie. Les crédits nécessaires à cette harmonisation sont normalement prévus. Pour ce qui est des moyens humains des ARS, il vous faudra interroger le Rapporteur spécial de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances.
Je vais mettre aux voix les crédits de la mission Santé, en rappelant que le Rapporteur spécial y a donné un avis défavorable.
La Commission adopte les crédits de la mission Santé.
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