relatifs à la préparation de l'avenir. Monsieur le président, mes chers collègues, la force d'un pays est d'abord économique, ensuite diplomatique et bien entendu militaire. Lors des universités d'été de la défense qui se sont tenues en septembre dernier, le président de la commission de la défense britannique à la Chambre des communes a déclaré que l'intervention du Président Sarkozy pendant la crise géorgienne, en août 2008, avait été « extrêmement efficace ». La diplomatie française étant reconnue, la France doit rester une grande puissance économique, diplomatique et militaire.
Militairement présent sur de nombreux théâtres d'opérations, notre pays joue un rôle majeur par sa contribution au maintien de la paix dans de nombreuses régions du monde. Son industrie de défense, performante et moderne, lui permet de jouer un rôle moteur dans l'économie nationale et d'être présente sur le marché des exportations d'armement.
L'ensemble du budget de la mission Défense s'élèvera, en 2011, à 41,9 milliards d'euros d'autorisations d'engagement et 37,4 milliards d'euros de crédits de paiement, ce qui correspond à une stabilisation par rapport à l'année dernière. Ainsi que l'a souligné M. Louis Giscard d'Estaing, ce niveau de ressources est fondé sur des estimations de recettes exceptionnelles sur lesquelles nous serons vigilants.
Parallèlement, le ministère de la Défense poursuit la mise en oeuvre de son plan de modernisation qui se traduit par un recentrage intelligent de ses moyens humains, techniques et financiers sur ses priorités opérationnelles. Il s'agit d'un effort qui ne trouve, malheureusement, de comparaison dans aucune des autres administrations du pays, mais la France reste surtout, avec les États-Unis et le Royaume-Uni, la seule puissance présente militairement – et substantiellement – de manière permanente sur les cinq continents, du fait de ses départements et territoires d'outre-mer, de ses forces prépositionnées dans des pays alliés ou d'opérations extérieures en cours.
Le budget de la Défense représente des masses financières substantielles qui sont investies dans le tissu industriel national. Le montant des dépenses budgétaires qui revient in fine aux différents fournisseurs du ministère de la Défense correspond approximativement au montant des dépenses de fonctionnement et d'investissement du ministère. Ces dépenses, qui représentent environ 50 % du budget de la mission, soit 20 milliards d'euros, bénéficient à un ensemble de fournisseurs constitué d'environ 5 000 entreprises, dont deux tiers de PME-PMI. Surtout, n'oublions pas qu'une part importante des sommes versées aux entreprises revient ensuite à l'État sous forme fiscale.
Le nombre de salariés travaillant directement dans le secteur de l'armement au sens strict peut être évalué à environ 250 000. Si on inclut au sens large les personnels employés par des entreprises duales ayant à la fois des activités civiles et militaires, le nombre d'agents économiques concernés doit se situer aux alentours d'un million.
Ces crédits alimentent également certains grands champions français ou européens, parfois leaders mondiaux dans leur catégorie, comme EADS, Thales, Dassault ou Safran. Tous ces entrepreneurs développent des activités duales, à la fois militaires et civiles. Tout euro investi dans la recherche militaire conduit immanquablement à des progrès techniques qui sont, la plupart du temps, transposables dans le civil.
Je citerai quelques exemples de secteurs où la recherche est duale : les hélicoptères, dont certains modèles développés pour des applications militaires ont ensuite connu des versions civiles ; les avions, dont les progrès technologiques en matière de matériaux composites ou d'avionique bénéficient ensuite aux projets civils ; les satellites et leurs lanceurs ; le réseau Internet à très haut débit ; les observations climatologiques ; les techniques du laser ; les nanotechnologies et bien d'autres. Les Américains l'ont mieux compris que nous puisqu'ils dotent généreusement Boeing de crédits destinés à des programmes militaires dont les résultats alimentent aussi la branche civile.
L'aéronautique, qui n'est pas sans lien avec la défense, représente – faut-il le rappeler ? – plusieurs centaines de milliers d'emplois : il s'agit du premier secteur exportateur français. À ce titre, on peut regretter que la défense ait été écartée, en tant que telle, du grand emprunt.
Élément essentiel de la défense et de la sécurité de la France, notamment dans la lutte contre le terrorisme, la recherche du renseignement est l'action qui bénéficiera, en 2011, comme cela avait déjà été le cas en 2009 et 2010, de la plus forte hausse de ses moyens financiers et humains.
En 2011, le renseignement militaire – Direction générale de la sécurité extérieure, DGSE, Direction du renseignement militaire, DRM, et Direction de la protection et de la sécurité de la défense, DPSD – disposera de 652 millions d'euros de crédits de paiement contre 624 millions d'euros en 2010, soit une hausse de 5 %. Soulignons que dans une période de déflation forte des effectifs du ministère, la DGSE est la seule à gagner des emplois : 690 agents sur la durée de l'actuelle programmation, soit un peu plus d'une centaine chaque année.
Notre défense doit s'adapter aux risques nouveaux, aux nouvelles technologies opérationnelles comme la surveillance et la militarisation de l'espace, la défense informatique et le renseignement moderne, ainsi qu'à la lutte contre le terrorisme, la prolifération nucléaire et les armes chimiques et biologiques.
Je tiens à appeler l'attention de la Commission sur le rôle très particulier des drones en matière de renseignement. Le Livre blanc souligne l'importance des drones, placés au service de la nouvelle action Connaissance et anticipation. Si le renseignement stratégique relève de moyens satellitaires, le renseignement de niveau opératif relève des drones en complément des aéronefs pilotés équipés de capteurs embarqués.
Or la France, qui manquera de drones MALE – moyenne altitude longue endurance – en 2013, envisage l'achat de plusieurs vecteurs « sur étagère », probablement des Predator américains, ce qui est particulièrement regrettable. En effet, la France dispose de quatre industriels capables de fabriquer des drones : EADS, SAGEM, Thales et Dassault. Or, du fait que ni les industriels, ni le Gouvernement, ni les militaires n'ont su coopérer de manière productive, aucun système moderne susceptible de rivaliser avec le Predator américain ne peut être sérieusement proposé à la DGA. Toutefois, rien n'est encore décidé.
Ce retard français, qui est également européen – les Allemands, les Britanniques et les Italiens ont tous acheté des Predator – est d'autant plus regrettable que les drones représentent l'exemple typique d'une technologie duale : ils sont utilisés non seulement par les armées, mais également par les administrations civiles pour surveiller les feux de forêt, les sommets internationaux, les grandes manifestations. Ils entrent de plus dans la surveillance des côtes et des frontières. C'est un marché gigantesque qui se profile à court et moyen terme pour les industriels français : il risque de leur échapper. Dois-je rappeler que le projet de contrat atteint quelque 500 millions d'euros ? Il serait dommage de les donner à nos concurrents alors qu'il s'agit, de plus, d'un marché à forte croissance. Je prendrai un seul exemple, celui de l'intégration de la complexité des systèmes, qui sera porteur dans les années à venir et que les industriels ne doivent pas négliger.
On peut procéder au même constat préoccupant en matière de missiles : MBDA n'a pas su anticiper ni développer le successeur du missile antichar Milan, missile d'excellente qualité, fabriqué en grande quantité, vendu dans des dizaines de pays et numéro un de sa catégorie. Grisée par son succès, la société n'a pas su anticiper l'évolution de la demande pour des missiles d'un autre type et s'est contentée de proposer des évolutions limitées de son Milan qui ne satisfont plus le marché. Pour combler un vide capacitaire qui ne manquera pas d'apparaître bientôt au rythme où ces missiles sont consommés notamment en Afghanistan, l'armée de terre s'est vue obligée d'acheter du Javelin américain, contribuant ainsi à financer la recherche de nos concurrents.
Notre pays doit être volontariste en incitant les industriels concernés à mieux coopérer et à investir dans les domaines porteurs. De ce point de vue, on ne peut que regretter l'occasion manquée de faire de Thales, si elle s'était alliée avec Safran, le numéro un mondial de l'optronique.
Nous ne pouvons que regretter également le manque de coopération à l'échelle européenne. Il semblerait qu'en matière de drone la coopération soit entre la partie allemande et la partie française d'EADS. C'est finalement Dassault qui, en coopération avec les Britanniques de British Aerospace, semble être l'entreprise la plus crédible pour développer le système de drone.
Je souhaite enfin rappeler l'importance de l'intelligence économique, du fait que la guerre actuelle n'est pas militaire mais économique. Elle nous impose d'assurer la sécurité et la protection de nos entreprises. Ne soyons pas dupes : les contrats internationaux ne s'obtiennent jamais sans l'aide des services de l'intelligence économique. Autant, donc, être à la hauteur de nos concurrents tout en respectant les règles éthiques. Qui sait livrer l'information stratégique au bon moment et à la bonne personne obtient un avantage compétitif décisif.
Or les moyens de la France en ce domaine sont peu développés par rapport à ceux de ses grands rivaux économiques. Ainsi, alors que, aux États-Unis, plus de 100 000 personnes au sein de dix-sept agences travaillent pour le renseignement militaire et économique, il n'y en a qu'une dizaine de milliers en France. Il revient également à nos entreprises d'augmenter impérativement leurs services dans ce domaine pour affronter dans de bonnes conditions le marché économique mondial post-guerre froide.
Le marché mondial de la sécurité représente 250 milliards d'euros et croît de 10 % par an. Il faut donc donner un coup de pouce à nos industriels. Nous devons les aider à accroître leur compétitivité.
Le budget de la Nation n'est pas branché sur Lourdes : il dépend de l'activité de nos entreprises. Il faut donc les aider autant que nos soldats. Or, ce qui sauvera nos entreprises, c'est l'innovation. Dans cette guerre économique mondiale, c'est une relance par l'innovation et l'investissement productif dont nous avons besoin. Même si notre pays est l'un de ceux du monde qui croit le moins en cette théorie, c'est pourtant cette formule qui lui fera retrouver les ressources lui permettant de rembourser ses dettes et de réduire son déficit. Dans la situation économique actuelle, la priorité doit être donnée à l'identification des marchés à forte croissance dans lesquels nos entreprises bénéficient d'un avantage concurrentiel. L'argent public destiné à soutenir nos entreprises ne doit pas être saupoudré, mais être consacré aux secteurs d'excellence, d'autant que l'industrie de l'armement de notre pays ne manque pas d'atouts.
En 2007, l'échec de la vente du Rafale au Maroc a agi comme un électrochoc provoquant une réorganisation du soutien aux exportations. Cet effort a porté ses fruits en 2008 et 2009 : les exportations françaises ont bondi de plus de 16 % en 2008 pour s'établir à 6,58 milliards d'euros de prises de commandes dans l'année. En 2009, l'augmentation a été de 24 % et le niveau des exportations françaises s'est élevé à 8,16 milliards d'euros. Nous n'avons évidemment pas encore les chiffres pour 2010 puisque l'année n'est pas finie, mais les résultats ne seront pas, semble-t-il, aussi bons cette année, notamment en raison du retard pris par quelques gros contrats – Rafale ou bâtiment de protection et de commandement, BPC.
La France réussit la transformation et la modernisation de ses armées : les budgets sont certes tendus et la population peut paraître sceptique sur notre engagement en Afghanistan. Toutefois, notre pays est bien moins concerné par les restrictions budgétaires que l'Allemagne, par exemple, qui s'apprête à mettre en oeuvre une revue de programmes qui se révélera probablement déchirante. Comparée à ses voisins européens, la France s'est plutôt mieux sortie de la crise économique, avec plus de 100 000 emplois créés en 2010 selon les dernières prévisions.
Le projet de budget qui nous est présenté préserve la recherche pour nos entreprises : entre le crédit d'impôt recherche et les études en amont, on n'aura jamais autant investi dans les entreprises de défense. L'investissement industriel s'est maintenu à un niveau très élevé grâce au plan de relance, ce dont nous nous félicitons.
En 2010, la volonté politique de la France et de ses partenaires a rendu possible le sauvetage du projet d'Airbus militaire A400 M, ce dont nous ne pouvons également que nous féliciter. Cet avion, qui est désormais techniquement au point, poursuit ses essais pour des premières livraisons à l'armée de l'air à compter de 2013.
Je conclurai en rappelant que le PIB de l'Union européenne s'élève à 18 000 milliards de dollars, contre 14 000 milliards pour celui des États-Unis. Les Vingt-sept sont donc la première puissance économique mondiale. Si les principales composantes politiques et industrielles de l'Union européenne acceptaient de coopérer davantage, on imagine sans peine la puissance que l'Europe aurait sur les plans économique, diplomatique et militaire.
La survie de l'Europe passe par l'amélioration de la coordination des entrepreneurs non seulement entre eux, mais également, en France, avec la DGA et le pouvoir politique. Compte tenu de son étroite imbrication avec l'État, le secteur de la défense doit être exemplaire sur ce plan, sous peine de ne pas résister à la concurrence extra-européenne.
Le projet de budget qui est nous est proposé pour 2001 permettra à notre armée de conserver son rang, ses savoir-faire largement reconnus et ses capacités d'intervention.
Je formule donc un avis favorable à l'adoption des crédits tout en émettant une réserve : je demande, monsieur le président, que la décision d'acheter les drones Predator soit suspendue à la tenue d'une réunion avec l'ensemble des acteurs du dossier des drones – industriels, politiques, DGA et militaires –, qui, du reste, sont demandeurs d'un rendez-vous.