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Intervention de René Couanau

Réunion du 14 octobre 2010 à 9h15
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRené Couanau, Rapporteur spécial :

Cette année encore, le budget de la Justice apparaît comme l'une des priorités de l'État, puisqu'il augmente de 4,15 %, avec 7,128 milliards d'euros.

Pour mémoire, il s'élevait à 4,5 milliards en 2002. Sa part dans le budget global de l'État n'a cessé d'augmenter depuis 2002 – 2,5 % de progression en 2011 contre 1,7 % en 2002.

Des créations d'emploi interviennent même, ce qui, dans cette période, est un indicateur des contraintes fortes qui pèsent sur les missions du ministère, tout en étant révélateur des ambitions qu'il se donne et de l'ampleur des réformes entreprises. On compte en effet 550 emplois nets supplémentaires.

L'administration pénitentiaire se voit ainsi doter de 563 emplois supplémentaires en équivalents temps plein, le secteur judiciaire de 127 emplois de plus et la protection judiciaire de la jeunesse de 140 emplois de moins.

Au-delà de ces chiffres bruts, les orientations du ministère et l'application de la RGPP ont pour conséquence des mouvements significatifs.

Pour le judiciaire, on relève une réduction légère du nombre de magistrats, une réduction du nombre de personnels de catégorie C – qui traduit une évolution vers la catégorie B –, mais une augmentation du nombre de greffiers – près de 400 postes –, ce qui permet d'encourager des promotions professionnelles, d'assurer l'emploi des agents des cabinets d'avoués à la suite de la réforme de cette profession et de se rapprocher de l'objectif affiché, à savoir un ratio d'un greffier pour un magistrat. Alors qu'on était encore loin de cette proportion il y a quelques années, le chiffre actuel est proche de 0,9.

Ajoutons qu'un accord semble être enfin intervenu entre le ministère de l'Intérieur et celui de la Justice pour les transfèrements de détenus. La Chancellerie a désormais clairement la charge de celui des personnes écrouées, et 800 équivalents temps plein seront transférés d'ici 2013 du ministère de l'Intérieur à celui de la Justice pour compenser cette charge que les deux administrations se renvoyaient depuis des années.

Pour l'administration pénitentiaire, si la création nette est bien de 563 emplois, des redéploiements, notamment du fait de la suppression des miradors, aboutiraient à l'affectation réelle de 1 000 emplois au total en 2011, au regard de 2 000 nouvelles places de détenus ouvertes dans les établissements.

Pour compléter ce tableau des effectifs, il est important de souligner que peu de secteurs de la mission Justice échappent à une évolution très sensible, et pour certaines considérable, des fonctions exercées, de leurs conditions d'exercice et des compétences requises pour faire face aux changements.

Ainsi, l'organisation des nouveaux établissements pénitentiaires exige des adaptations par rapport aux missions traditionnelles.

Il en va de même des services pénitentiaires d'insertion et de prévention, les SPIP, dont les conseillers sont appelés à se recentrer sur la prévention de la récidive, des magistrats et des agents des juridictions confrontés aux exigences de la modernisation des méthodes, des services de la protection judiciaire de la jeunesse, auxquels le ministère a demandé de se consacrer en priorité à la prise en charge des mineurs délinquants, ou enfin des personnels techniques et administratifs amenés à se familiariser, comme les magistrats chargés de l'immobilier et les chefs d'établissements pénitentiaires, avec les procédures nouvelles de préparation, de contrôle et de suivi des délégations de service et des opérations en partenariat public-privé – les PPP. Autant d'évolutions profondes qui, avec les réformes en cours et l'évolution de la délinquance elle-même, exigent disponibilité, mobilité et réactivité, ce qui n'est pas sans provoquer certaines difficultés.

Sans doute l'ampleur des changements en cours et à venir justifierait-elle une marge financière plus confortable. En particulier, les cours et les juridictions manquent cruellement de crédits de fonctionnement et d'entretien des locaux. Certaines sont presque quotidiennement à la limite de la rupture. Mais c'est toute la difficulté de réformer dans un contexte de rareté de la ressource. De ce point de vue, le budget de la Justice tire bien son épingle du jeu.

L'ampleur du programme d'investissement n'est pas seulement illustrée par les autorisations d'engagement et les crédits de paiement inscrits au budget, puisque le ministère de la Justice s'est engagé fortement dans les formules de financement faisant appel au partenariat public-privé.

Les inscriptions de crédits de paiement se poursuivent : 331 millions d'euros pour l'immobilier pénitentiaire, 200 millions d'euros pour le judiciaire. Mais ces chiffres rendent peu compte de la réalité, du fait des investissements extra-budgétaires.

C'est le cas dans l'immobilier pénitentiaire. La réalisation de la fin du précédent programme de 13 200 places et la préparation du nouveau programme immobilier pénitentiaire de 5 000 places font largement appel à des formules soit de conception-réalisation, soit d'AOT-LOA – autorisation d'occupation temporaire assortie d'une location avec option d'achat –, soit de partenariat public-privé, qui reportent la charge d'investissement sur plusieurs dizaines d'années.

Rappelons que le Gouvernement a décidé en effet de faire suivre les deux programmes de 13 200 puis de 4 000 places d'un programme nouveau de 5 000 places.

Les six établissements du programme 4 000 ont été ouverts et comportent chacun de 600 à 650 places.

Les tout nouveaux établissements de la fin du programme 13 200 sont d'une capacité moyenne de 600 à 800 places, ce qui, nous y reviendrons, ne semble pas la capacité optimale pour atteindre les objectifs qualitatifs de la loi pénitentiaire. Faut-il souligner que Fleury-Mérogis, par exemple, excède cette capacité de beaucoup, avec 3 570 places théoriques à l'issue d'un programme de réhabilitation qui va durer onze ans ? Chacun de ces 3 570 détenus se déplaçant entre six et huit fois par jour, on peut imaginer l'importance des flux et de la surveillance que cela implique.

Quoi qu'il en soit, l'Agence pour l'immobilier de la justice – APIJ – conduit un ensemble d'opérations de construction, de réhabilitation et de modernisation tout à fait exceptionnel et qui permettra une mise à niveau indispensable.

La garde des sceaux vient de rendre public un programme de fermeture échelonnée d'établissements vétustes qui témoigne de la volonté politique de mettre fin à des situations inadmissibles, notamment dans des maisons d'arrêt. Encore faudra-t-il disposer en temps voulu, par régions, des places nouvelles pour accueillir les détenus correspondants, réparties sur le territoire de telle façon que les transfèrements à partir et en direction des établissements éloignés des juridictions et des hôpitaux ne soient pas sources de dépenses de fonctionnement exorbitantes. En d'autres termes, il nous manque la carte de réalisation des nouveaux établissements.

Ce programme comprend par ailleurs l'aménagement de quartiers de courte peine et la construction d'établissements pénitentiaires pour mineurs, ainsi que la sécurisation des unités hospitalières pour les personnes incarcérées.

L'objectif du ministère est de stabiliser les effectifs incarcérés autour de 64 000 places, sachant qu'aujourd'hui le nombre de personnes incarcérées s'élève à environ 62 000. C'est dire l'impact attendu des alternatives à l'incarcération, notamment le placement sous bracelet électronique : les services estiment que 10 000 placements de ce type pourraient être réalisés en 2011, ce qui paraît très ambitieux. Rappelons simplement que l'encadrement est de 80 agents pour 1 000 personnes placées sous surveillance électronique quand il est d'un agent pour trois détenus incarcérés, soit un rapport de un à quatre.

Le programme immobilier judiciaire est principalement affecté par les grosses réhabilitations de tribunaux vétustes, par les décisions prises lors de la réforme de la carte judiciaire et par le grand projet de tribunal de Paris.

L'APIJ conduit un programme triennal de 27 opérations lourdes – auxquelles s'ajoute le tribunal de Paris –, dont 13 réhabilitations importantes et 14 constructions de nouveaux tribunaux ou cités judiciaires. Une grande partie de ce programme est justifiée par les regroupements ou les redéploiements de la carte judiciaire. Laquelle génère finalement assez peu de produits de cession immobilière, beaucoup de petits tribunaux étant la propriété de collectivités locales. Les recettes espérées à ce titre ne dépasseraient pas 30 millions d'euros pour la Chancellerie, ce qui est peu.

Le grand projet du tribunal de Paris, sur le site des Batignolles – 90 000 mètres carrés hors oeuvre, 90 salles d'audience –, sera réalisé en partenariat public-privé pour un montant probable de 650 millions d'euros. Une autorisation d'engagement est inscrite à hauteur de 1,2 milliard afin de prévoir l'achat d'équipements et de mobilier. L'ouverture est projetée pour 2015.

Par ailleurs, l'expérience acquise en matière d'immobilier pénitentiaire conduit en effet la Chancellerie à recourir au PPP pour la construction de nouveaux tribunaux – trois en 2011.

Enfin, la Chancellerie cherche à regrouper à Paris les différentes implantations des services. À titre indicatif, pour cinq des plus importantes d'entre elles, le loyer annuel s'élève à près de 24 millions d'euros.

Dans cette période de forte évolution, la mission Justice nécessite des moyens. Les techniques nouvelles de communication réclament des ajustements fins et une cohérence jusqu'ici peu sensible entre les différents services du ministère.

Au-delà de la seule présentation du budget, nos visites et nos entretiens font apparaître quelques points clés qui demandent un suivi particulier.

Le premier concerne évidemment les enseignements à tirer de la réalisation des établissements pénitentiaires des générations les plus récentes. La prise en compte des orientations de la loi pénitentiaire – encellulement individuel, locaux d'activité – l'impose, mais aussi la nécessité de mettre en place les espaces et les initiatives en vue de mieux préparer la sortie et l'intégration, en même temps que de prévenir la récidive. De ce point de vue, il nous apparaît, ainsi qu'à beaucoup d'observateurs, que les nouveaux établissements doivent être moins grands. À la norme actuelle de 700-800 places, la garde des sceaux a opportunément annoncé qu'elle entendait substituer une moyenne de 400-500, ce qui paraît plus raisonnable à tous points de vue. Il nous semble que les architectes devraient davantage utiliser les instruments nouveaux d'analyse des flux pour tenir compte des multiples déplacements des détenus au sein des établissements.

Deuxièmement, si la sécurité demeure l'impératif premier dans les établissements pénitentiaires, toutes les activités participant à la prévention de la récidive et à l'insertion doivent être aussi privilégiées. Cela demande quelquefois une autre approche de l'aménagement des locaux et l'administration doit particulièrement y veiller, notamment dans le cadre du PPP.

Troisièmement, en matière de construction, le recours aux procédures de LOA ou de PPP s'avère en définitive favorable aux finances publiques si l'exercice de la concurrence est réel et si les relations quotidiennes entre l'utilisateur et le réalisateur propriétaire demeurent ce qu'elles paraissent être aujourd'hui, c'est-à-dire satisfaisantes. Je n'en serais pas moins intéressé par une enquête que notre Commission pourrait mener conjointement avec la Cour des comptes sur les avantages à court, moyen et long terme de formules auxquelles l'État a recours un peu facilement aujourd'hui, compte tenu du déficit des finances publiques.

Quatrièmement, le Parlement sera naturellement intéressé par l'évaluation, au plan humain et au plan judiciaire, du recours aux alternatives à l'incarcération, tant du point de vue pratique que de celui de l'exécution des peines et de la prévention de la récidive. Lorsque 10 000 personnes seront placées sous surveillance électronique, il sera nécessaire d'en apprécier les effets et de vérifier si le système a des limites.

Cinquièmement, la modernisation des procédures et des méthodes dans le fonctionnement courant de la justice et notamment l'amélioration du service au justiciable demande, de l'avis général, de très gros efforts et davantage de cohérence. Le ministère en est conscient. Cette évolution, que l'on souhaite rapide, se fera-t-elle à moyens constants ? Rien n'est moins sûr. En particulier, les magistrats doivent pouvoir consacrer la plus grande partie de leur temps au traitement des affaires qui leur sont confiées. Cela implique qu'ils soient déchargés du reste par des renforts administratifs et techniques. Faut-il par exemple, dans les cours d'appel, des « magistrats chargés de l'immobilier », que des administrateurs ou des ingénieurs pourraient logiquement relayer ?

Sixièmement et plus généralement, les procédures civiles et pénales ont besoin d'être stabilisées. Dans un contexte d'évolution rapide de la société et de la délinquance, il est tentant de vouloir ajuster rapidement la réponse légale – la lecture de l'ordre du jour de l'Assemblée nationale nous le rappelle quotidiennement. Mais les juridictions sont elles-mêmes plongées dans un mouvement incessant de réformes successives qui nuisent à une certaine sérénité. Tous souhaitent l'apaisement du « maelström » législatif et réglementaire, si l'on désire l'adaptation profonde du système judiciaire et pénitentiaire.

Septièmement, s'agissant des mineurs délinquants, dont je n'ai pu traiter longuement cette année, il sera intéressant de connaître le détail et la synthèse des audits actuellement pratiqués dans le secteur associatif et ses établissements. Rappelons simplement que, sur 158 000 mineurs pris en charge en 2009, 62 % l'ont été par le service public, et 38 %, soit environ 60 000, par les 1 330 établissements et services gérés par des associations. La qualité du contrôle exercé est, bien entendu, déterminante pour vérifier le respect des orientations.

Telles sont, dans le temps très court qui lui a été imparti, les principales observations que votre Rapporteur spécial peut formuler sur le budget 2011 de la Justice. Comme beaucoup de secteurs de l'intervention de l'État, celle-ci est entrée dans une période de transformations profondes qui demandent le soutien des pouvoirs publics.

Au bénéfice de ces observations, j'émets un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission Justice.

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