COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
Mardi 8 juin 2010
La séance est ouverte à dix-sept heures.
(Présidence de M. Pierre Morange, vice-président de la commission)
La Commission des affaires sociales entend M. Jacques Escourrou, président du conseil d'administration de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales (CNAV-PL) sur la réforme des retraites.
Nous poursuivons nos auditions sur la réforme des retraites en accueillant aujourd'hui M. Jacques Escourrou, président du conseil d'administration de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales (CNAV-PL), accompagné de Mme Françoise Devaud, vice-présidente du conseil d'administration, de M. Gérard Pellissier, directeur, et de M. François Durin, délégué général de la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse (CIPAV).
Monsieur le président, quelle est la situation actuelle du régime de retraite géré par la CNAV-PL et quelles sont ses perspectives d'avenir ? Ce régime doit-il faire l'objet de réformes particulières ? Comment peuvent y être transposées celles qui seront décidées pour les régimes des salariés ?
La caisse regroupe dix sections professionnelles : la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse (CIPAV), dont je suis président et qui regroupe notamment les architectes et les ingénieurs conseils, la Caisse autonome de retraite et de prévoyance des infirmiers, masseurs kinésithérapeutes, pédicures-podologues, orthophonistes et orthoptistes (CARPIMKO), dont Françoise Devaud est présidente, la Caisse autonome de retraite des médecins de France (CARMF), la Caisse d'assurance vieillesse des pharmaciens (CAVP), la Caisse de retraite des notaires (CRN), la Caisse d'allocation vieillesse des experts-comptables agréés et des commissaires aux comptes (CAVEC), la Caisse d'allocation vieillesse des agents généraux et des mandataires non salariés de l'assurance (CAVAMAC), la Caisse autonome de retraite des chirurgiens dentistes et des sages-femmes (CARCDSF), la Caisse d'assurance vieillesse des officiers ministériels, officiers publics et des compagnies judiciaires (CAVOM) et la Caisse autonome de retraite et de prévoyance des vétérinaires (CARPV).
La CNAV-PL gère la retraite de base de toutes les sections, chacune d'entre elles gérant les régimes complémentaires servant les pensions de vieillesse et la couverture des risques invalidité et décès.
La réforme de 2003, qui a pris effet en 2004, a étendu au régime de base de la CNAV-PL les mesures décidées pour le régime général, et l'a transformé en un régime entièrement proportionnel en points. Son application donnant satisfaction, nous n'avons pas de demandes particulières à formuler dans le cadre du débat actuel sur les retraites.
La réforme de 2003, qui a transformé le régime forfaitaire, en annuités, en régime entièrement proportionnel en points, répondait à une demande du conseil d'administration de la CNAV-PL. Celle-ci est la première caisse française à gérer un régime de base en points.
Le conseil d'administration souhaitait un régime à la fois lisible, équitable et solidaire. Il a donc choisi un régime en points, car celui-ci permet aux affiliés de calculer plus facilement le montant de leur pension future – il leur suffit en effet de multiplier la valeur du point par leur nombre de points.
C'est un régime équitable, dans la mesure où il repose sur le principe : à revenus égaux, cotisations égales et droits égaux. Ce n'était pas le cas dans le régime forfaitaire antérieur, où les cotisations variaient selon une échelle allant de 1 à 1,8.
C'est un régime solidaire, parce que les cotisations sont calculées sur la base de deux taux : un taux de 8,6 % sur la tranche de revenus comprise entre 0 et 85 % du plafond de la sécurité sociale ; un taux de 1,6 % sur la tranche de revenus comprise entre 85 % du plafond de la sécurité sociale et cinq fois ce plafond. Mais leur rendement est différent : si la cotisation maximale sur la première tranche permet d'acquérir 450 points, ce qui représente un rendement de 9,4 %, celle sur la deuxième tranche n'apporte que cent points, soit un rendement légèrement supérieur à 2 %.
C'est également un régime solidaire à l'égard des autres catégories socioprofessionnelles, car nous payons de lourdes compensations nationales – 500 millions d'euros en 2009. Et nous redoutons de payer plus encore en 2010 – environ 600 millions – du fait de l'arrivée des auto-entrepreneurs au sein de la CIPAV.
La loi Fillon a, en outre, instauré la retraite à 60 ans pour les professionnels libéraux – qui, je le rappelle, ne l'avaient pas souhaitée en 1982, considérant qu'elle serait difficilement finançable à terme. Avant la réforme, ils pouvaient partir avant 65 ans, mais se voyaient alors appliquer des coefficients d'anticipation – 0,75 à 60 ans, 0,80 à 61 ans…
La réforme a également porté à 54 % le taux de réversion, comme dans le régime général, et ramené de 65 à 55 ans l'âge d'entrée en jouissance, mais en introduisant des conditions de ressources qui n'existaient pas auparavant.
Combien d'affiliés compte actuellement votre caisse ? Vous semblez dire qu'elle ne connaît pas de problèmes démographiques. Pourtant ils existent, dans les professions libérales comme dans l'ensemble de la société, du fait de l'augmentation de la durée de vie. D'autre part, il semble que le passage d'un régime en annuités à un régime en points ne soit pas si facile, puisque la transition a pris quinze ans en Suède. Comment s'est-elle faite au sein de votre caisse ?
Enfin, le président de la caisse des médecins nous a alertés sur des risques de faillite de sa caisse. Qu'en pensez-vous ? Comment comptez-vous assurer la retraite des médecins ?
Il semble que le statut des auto-entrepreneurs, qui intéresse particulièrement la commission des affaires sociales, pose un véritable problème pour la CNAV-PL, car chaque entrée dans ce régime lui fait perdre de l'argent. Quelles propositions souhaiteriez-vous voir adopter pour corriger cette dérive ?
En dépit de l'harmonisation introduite par la réforme du régime de base, il subsiste entre vos différentes caisses des disparités non négligeables. Qu'en est-il exactement ?
Monsieur le président, comptez-vous prendre en compte la pénibilité de certaines professions, comme celle des masseurs-kinésithérapeutes ?
Enfin, vous nous présentez votre régime, équitable et solidaire, comme le phénix des régimes de retraite, mais la démographie ne cesse d'évoluer et votre variable d'ajustement est la valeur du point. Envisagez-vous d'agir sur cet élément ?
Le statut d'auto-entrepreneur présente sans doute un grand intérêt pour l'emploi, mais j'ai cru comprendre qu'il serait, à terme, extrêmement coûteux. Qu'en est-il de votre point de vue ?
Les sections professionnelles de la CNAV-PL gèrent un ou plusieurs régimes complémentaires. Quels sont les ratios à cet égard ?
Vous indiquez que, grâce à la réforme de 2003, votre régime fonctionne bien, et vous ne souhaitez pas y voir apporter le moindre aménagement. Mais il s'agit d'une photographie de l'existant. Comment voyez-vous l'évolution de la caisse, à moyen et long termes, face à l'inévitable évolution démographique ?
Existe-t-il des disparités importantes, du point de vue démographique, entre les différentes sections professionnelles que vous regroupez ?
Actuellement, le rapport démographique, abstraction faite des auto-entrepreneurs, est de 3,2. Au 31 décembre 2008, nous avions 600 000 cotisants pour 180 000 retraités de droit direct, auxquelles s'ajoutent 42 000 pensions de réversion. Un an plus tard, nous en sommes à 700 000 cotisants. Nous sommes pourtant inquiets, car nous ne savons pas ce que seront les cotisations de ces 100 000 nouveaux arrivants.
Le rapport démographique est très avantageux pour un grand nombre de professions libérales. C'est particulièrement vrai pour les avocats, chez qui ce ratio serait de 7, voire selon moi plus proche de 9 – malheureusement, ils ne relèvent pas de notre organisation ! Mais cette situation nous amène à payer de lourdes compensations nationales. Nous considérons que nous payons beaucoup trop. Or, cette charge risque de s'aggraver dans les prochaines années.
Le passage à un régime en points s'est déroulé sans difficulté, car les prestations n'étaient pas calculées sur les dix ou vingt-cinq meilleures années, ou sur les six derniers mois comme pour les fonctionnaires. Nous avons simplement transformé en points l'allocation forfaitaire, qui était égale à un quinzième d'allocation aux vieux travailleurs salariés par année cotisée.
Faut-il faire évoluer la valeur du point ? Certains pensent que ce n'est pas opportun, ou ne doit se faire que dans de très faibles proportions. Je dirai que cela dépend de la période dans laquelle on se trouve et des projections qu'on peut faire. Le Gouvernement a souhaité que la valeur du point appliquée aux professions libérales soit identique à celle du régime général. Le conseil d'administration de la CNAV-PL aurait préféré la fixer lui-même. Cela lui aurait permis de revaloriser le point un peu plus que celui du régime général en période favorable, et un peu moins lorsque la conjoncture est moins bonne.
La revalorisation des pensions du régime général est fixée par décret et vaut pour les professions libérales, à l'arrondi près.
La valeur du point dépend en définitive du ratio démographique qui, pour l'instant, est très satisfaisant, mais compte tenu de l'évolution que nous constatons au niveau national, ne serez-vous pas amenés à envisager des mesures à l'avenir ?
Nous savons depuis plus de vingt ans que nous serons confrontés un jour à des problèmes de retraite, et depuis vingt ans, les différentes caisses représentant les professions libérales s'y sont préparées en baissant la valeur du point pour les retraites complémentaires, en pratiquant une gestion prudentielle et en mettant de l'argent de côté.
En ce qui concerne la démographie, deux caisses sont particulièrement dynamiques : la CIPAV, qui enregistre, hors auto-entrepreneurs, 30 000 adhérents supplémentaires par an, et la caisse des auxiliaires médicaux (CARPIMKO), qui en accueille de 10 000 à 15 000.
La caisse des médecins, en revanche, est confrontée à une baisse de la démographie médicale due au numerus clausus, mais les médecins le savaient depuis longtemps. Il faudra une génération pour retrouver une situation stable. L'autre problème, qui concerne également les pharmaciens et les dentistes, vient de ce que les professionnels se regroupent de plus en plus au sein d'un cabinet. La caisse des médecins et celle des pharmaciens ont pris en compte cet élément pour établir les cotisations pour la retraite complémentaire.
Les caisses des notaires, des experts-comptables et des agents d'assurance connaissent une démographie à peu près stable, mais la façon dont les professionnels libéraux exercent leur profession est en pleine évolution. Certains se regroupent en société. Si, à une autre époque, ils ont fait le choix - qu'ils assument parfaitement – de peu cotiser, c'est que, d'une part, ils travaillaient beaucoup et que, d'autre part, une partie d'entre eux comptaient sur la vente de leur cabinet ou de leur officine pour se constituer une retraite. Cette situation est en train de changer. Je suis architecte : beaucoup de mes confrères se regroupent et créent une société dont ils deviennent les salariés. Ils quittent ainsi le système libéral, ce qui est dommageable pour notre caisse. Par ailleurs, les cabinets ne se revendent plus : un jeune médecin qui s'installe aujourd'hui ne rachète plus la clientèle de son confrère qui part en retraite. Comment travailleront les professionnels libéraux dans vingt ans, et comment rendre ces professions attrayantes pour éviter le regroupement en société ? Tel est le problème qui se pose à nous.
Ce rapport démographique globalement favorable nous amène à payer, au titre de la solidarité, une compensation démographique destinée à abonder les caisses déficitaires des artisans, des commerçants et des agriculteurs. Nous avons ainsi payé cette année 1 700 euros par professionnel libéral inscrit dans notre caisse – quel que soit le montant de la cotisation qu'il a acquittée –, soit au total de 500 millions d'euros ! C'est le résultat d'un calcul assez complexe, prenant en compte le nombre de cotisants rapporté à celui des retraités, ainsi qu'une prestation de retraite de référence, qui est d'environ 3 000 euros par an.
J'en viens au statut de l'auto-entrepreneur. Nous alertons depuis deux ans les pouvoirs publics et le ministère sur les problèmes graves que risque de poser cette innovation, par ailleurs bienvenue. En 2009, entre 100 000 et 130 000 auto-entrepreneurs ont intégré la CIPAV. Il semble que 60 % d'entre eux n'aient déclaré aucun revenu, et les 40 % restants entre 3 000 et 6 000 euros seulement pour l'année ! C'est pour cela que nous disons qu'il s'agit davantage de métiers d'appoint que de véritables activités libérales.
Cette situation ne peut pas durer. Suite à de nombreux échanges douloureux et infructueux, nous avons décidé de prendre en main notre communication sur ce dossier. Pour chacun de ces 130 000 auto-entrepreneurs, qui paiera 120 euros de cotisations par an, auxquelles s'ajoute une compensation de l'État de 200 ou 300 euros, notre caisse devra payer 1 700 euros par an. La CNAV-PL existe depuis 1949 et a toujours été excédentaire. Cette année, pour la première fois, elle sera déficitaire de 40 millions d'euros. Certes, comparée au trou de la sécurité sociale, cette somme est dérisoire, mais pour notre caisse qui fait des efforts depuis vingt ans, qui a réduit volontairement le rendement des cotisations, – en les augmentant de 70 % en dix ans sans revaloriser les retraites – et qui sera obligée de payer pour des auto-entrepreneurs qui ne sont pas des professionnels libéraux, c'est inacceptable ! Nous ne l'acceptons pas et nous le faisons savoir.
Cette situation est inacceptable encore à un autre titre. Les professions de briseur de cuirasses, plieur de parachutes, pousseur de parachutistes, irrigateur de côlon, psychologue et vigile n'ont rien à faire chez nous. En France, une activité devient « profession libérale » par défaut. Nous avons donc recherché une définition positive de ce qu'est une profession libérale. La catégorie des travailleurs indépendants compte des professionnels libéraux, des artisans et des commerçants. Mais certains travailleurs indépendants, qui ne relèvent d'aucune de ces catégories, se retrouvent affilés à la CIPAV, parce que le taux de cotisation de base est fixé à 18,6 % des revenus, contre 20-21 % pour le régime social des indépendants (RSI).
Lors de nos discussions dans les ministères, nous avons eu affaire à des cow-boys qui ne nous ont pas écoutés, préférant jouer avec leur Blackberry… Je trouve cela honteux et scandaleux !
Nous reconnaissons que le statut d'auto-entrepreneur permet des créations d'entreprise, mais 90 % de ces gens sont des salariés, des fonctionnaires, des retraités ou même des chômeurs, pour qui il s'agit plus d'un métier d'appoint que d'une réelle création d'emploi. Ce dispositif, plus politique qu'économique, doit donc être révisé.
Nous avons donc fait plusieurs propositions. Nous souhaitons tout d'abord que les auto-entrepreneurs salariés, ou déjà affiliés à une caisse, ne rejoignent pas la CIPAV. Nous acceptons naturellement, au titre de la solidarité, d'accueillir les jeunes qui n'ont pas d'affiliation et à qui le statut permet de créer leur emploi.
Nous souhaitons, par ailleurs, limiter le bénéfice de ce statut dans le temps. On ne peut rester auto-entrepreneur toute sa vie. Il y en aura toujours qui choisiront de cotiser un trimestre par an et deviendront des « sous-retraités », et l'État, au nom de la solidarité, nous demandera de les prendre en charge.
Nous proposons enfin d'exiger un minimum de 5 000 ou 6 000 euros par an de chiffre d'affaires annuel pour l'affiliation obligatoire à la caisse.
Nous avons été auditionnés par la commission des affaires sociales du Sénat, dans le cadre d'une table ronde au cours de laquelle je me suis montré virulent face à M. Hervé Novelli. Celui-ci a entendu nos arguments, mais rien n'a été fait depuis.
Définir avec précision ce qu'est une profession libérale permettrait de sortir de la CNAV-PL tous ceux qui n'ont rien à y faire. Cela dit, nous ne sommes pas opposés à la possibilité d'accueillir de nouveaux métiers. M. Hervé Novelli s'est étonné que nous ne nous réjouissions pas d'accueillir 100 000 nouveaux adhérents. Mais s'ils ne paient pas un euro, ils ne présentent aucun intérêt pour nous. En outre, notre rôle est d'accompagner ceux qui créent une vraie entreprise.
Le ministre nous indique que le chiffre d'affaires des auto-entrepreneurs s'élève en moyenne à 12 000 euros. Mais, on est loin du plafond, fixé à 32 000 euros pour le secteur des prestations de services et à 80 000 pour les artisans et commerçants, et surtout il s'agit d'une moyenne : on omet de dire que 50 % d'entre eux ont déclaré un chiffre d'affaires nul !
Ni Mme Devaud ni moi-même n'acceptons le déficit de la CNAV-PL. Si nos caisses accueillent 300 000 ou 400 000 auto-entrepreneurs qui ne réalisent aucun bénéfice, nous serons contraints d'augmenter de 20 à 30 % la cotisation de base – ou de baisser le niveau des retraites, ce qui est hors de question !
Nous sommes tous solidaires dans le cadre de la retraite de base et toutes les caisses paient la compensation nationale, mais c'est la CIPAV qui accueille une grande part des nouveaux professionnels libéraux, car elle a vocation à accueillir les professions libérales non réglementées. Nous pensions que la création du statut d'auto-entrepreneur allait ralentir la croissance des effectifs « classiques » de la CIPAV, or elle a enregistré quand même 30 000 nouvelles adhésions.
Vos critiques à l'égard du statut d'auto-entrepreneur rejoignent celles du groupe socialiste, et je m'en réjouis. Ce dispositif risque, en effet, de poser des problèmes à certaines caisses de retraite, d'autant qu'elles risquent d'attendre longtemps les compensations de l'État. J'espère que la majorité saura le faire comprendre à M. Hervé Novelli et à tous ceux qui ne jurent que par ce statut.
Les caisses que vous représentez regroupent des personnes qui démarrent généralement assez tard leur activité professionnelle. Le report de l'âge légal, qui sera sans doute retenu dans la réforme des retraites, va-t-il perturber l'équilibre de votre régime, ou n'aura-t-il guère d'effet, compte tenu d'un exercice professionnel qui se prolonge assez généralement ?
L'âge moyen de départ à la retraite effectif des professions libérales est de 63,5 ans. L'âge de la retraite de base est fixé à 60 ans, mais la plupart des caisses de retraite complémentaire – en dehors de la CIPAV – l'ont porté à 65 ans. L'allongement de la durée d'activité ne nous affectera guère par conséquent. Notre problème vient essentiellement de la compensation démographique nationale et de l'impossibilité de gérer la valeur du point pour les retraites de base. Depuis vingt ans, nous essayons de parer aux difficultés qui se présentent. Nous recourons à des actuaires pour suivre l'évolution de la situation tous les deux ou trois ans. Le problème des retraites, je le répète, n'est pas une découverte. L'allongement de la durée de vie et le phénomène du papy boom étaient prévus. Nous pouvons dire, en 2010, combien nous aurons de retraités dans quarante ans.
Madame Dalloz, les explications concernant les disparités sont toujours quelque peu ambiguës. En tant que vice-présidente du conseil d'administration de la CNAV-PL, je suis tout à fait favorable à l'existence d'un régime de base unique pour toutes les professions libérales. La CIPAV est excédentaire et la caisse des auxiliaires médicaux (CARPIMKO) l'est plus encore, et depuis longtemps. Elle a participé très largement au financement global du régime de base des professions libérales, ses excédents contribuent au fonctionnement de l'organisation. Cette solidarité est parfaitement normale. Cependant, ce qui nous semble parfaitement juste peut sembler artificiel aux auxiliaires médicaux, car parmi toutes les professions que regroupe la CARPIMKO, ce sont eux qui ont le plus de mal à se constituer des revenus de remplacement de bon niveau. En revanche, du fait de leur bon rapport démographique, ils sont les mieux placés pour assurer le financement global du régime de base des professions libérales…
Dans le système forfaitaire, chaque profession payait la même somme et percevait la même retraite, et il revenait à chaque groupe professionnel de payer ses charges propres : droits dérivés, action sociale et gestion administrative. La réforme de 2003 a mutualisé ces charges, désormais gérées par la CNAV-PL, et, de ce fait, les auxiliaires médicaux ont vu leurs cotisations augmenter de 40 %, et ils paient aujourd'hui à eux seuls 60 % des frais de l'organisation. La revalorisation du point identique à celle du régime général a toutefois été, pour eux, la garantie d'une augmentation de leur régime de base alors que 30 000 étaient tombés sous le seuil de l'allocation aux vieux travailleurs salariés (AVTS) à la suite de la réforme.
Quant à la pénibilité, qui intéresse particulièrement les auxiliaires médicaux, nous sommes disposés à la prendre en compte. Cela dit, le Gouvernement ne semble pas s'orienter dans cette direction, sauf peut-être à l'envisager au cas par cas.
Un tiers des jeunes médecins choisissent de ne pas s'installer en libéral, préférant effectuer des remplacements, parfois pendant dix ans. Leurs cotisations sont-elles différentes de celles des médecins installés ?
L'âge moyen de départ à la retraite des professions libérales est de 63,5 ans, mais il ne s'agit que d'une moyenne : les auxiliaires médicaux partent à 62 ans et sept mois, les médecins à 65 ans. Le recul de l'âge de départ ne sera donc pas pénalisant pour la majorité des professionnels libéraux.
En revanche, à l'exception de ceux qui sont affiliés à la CIPAV dans les professions non réglementées, les professionnels libéraux ont souvent fait de longues études. L'augmentation du nombre de trimestres nécessaires pour obtenir une retraite à taux plein devrait les pénaliser fortement, comme il pénalise les cadres supérieurs.
Il y a quelques années, nous avons adopté un amendement, dont j'étais l'auteur, autorisant les avocats à partir à soixante ans, au lieu de soixante-cinq, s'ils avaient cotisé quarante ans. En effet, beaucoup avaient effectué au cours de leurs études des petits travaux qui ont compté pour le calcul de leur retraite. Mais la donne a changé…
Nous avons créé une association européenne des institutions de retraite des professions libérales, où sont représentées la France, l'Italie, l'Allemagne et l'Autriche. En Allemagne, la définition de la profession libérale est lié à la profession et non au statut. De ce fait, qu'il exerce dans un cabinet privé ou à l'hôpital, un médecin cotise à la caisse de retraite des professions libérales, ce qui fait la force de celle-ci.
Si nous n'avons pas de demande particulière à formuler dans le cadre de la réforme, nous n'en sommes pas moins très défavorisés sur un certain nombre de points : on nous a toujours refusé la bonification de 10 % pour trois enfants ; la surcote, qui s'applique à ceux qui travaillent au-delà du nombre de trimestres nécessaires, est fixée à 0,75 % pour les professions libérales, alors qu'elle est de 1,25 % dans le régime général ; la validation des trimestres en début d'activité nous est défavorable, tout comme le mode de calcul pour les retraites des polypensionnés. Si un professionnel libéral n'a cotisé que dix ans au régime général, on prend en compte l'intégralité de ces dix années, alors que, pour les artisans et commerçants, on ne prend en compte, dans ce calcul des 25 meilleures années, les périodes passées dans chaque régime qu'au prorata de la durée totale de la carrière. Ainsi, par exemple, pour un artisan qui a cotisé 10 ans au régime général et 30 ans au régime des indépendants, seul un quart de sa période d'affiliation au régime général (soit 6 ans) est prise en compte dans le calcul des 25 meilleures années. Cette situation est très défavorable aux professionnels libéraux, alors que la plupart d'entre eux cumulent une carrière salariée et une carrière libérale.
Puis, la Commission entend M. Christian Guichardon, président de la commission retraite de l'Union nationale des professions libérales (UNAPL), sur la réforme des retraites.
Nous accueillons maintenant M. Christian Guichardon, président de la commission retraite de l'Union nationale des professions libérales (UNAPL), accompagné de Mme Françoise Devaud, vice-présidente de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales (CNAV-PL).
Vous avez la parole, monsieur Guichardon, pour un bref exposé liminaire.
Les 700 000 professionnels libéraux représentés par l'UNAPL ont un régime de base géré par la Caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales (CNAV-PL) dont vous venez d'entendre le président. Employeurs d'à peu près un million et demi de salariés, ils sont aussi concernés à ce titre par la réflexion actuelle sur les retraites.
Je ne reviendrai pas sur la définition des professionnels libéraux. À la tête de très petites entreprises réparties sur l'ensemble du territoire national, ils ont des relations directes et de confiance avec la population à laquelle ils prodiguent écoute et conseil, à la faveur du colloque singulier qu'ils ont avec leur client ou leur patient, selon le cas. Ils ont toujours fait preuve d'un grand esprit de responsabilité. Pragmatiques, ils ont su faire évoluer leur régime de base, de manière à assurer aujourd'hui un certain équilibre financier.
Pour autant, ce régime doit encore évoluer.
Vieux d'à peu près soixante ans, il a été plus ou moins imposé par la loi à des professionnels libéraux qui n'en voyaient pas alors l'utilité, car ils possédaient tous la patrimonialité d'une clientèle dont la revente leur constituait une retraite. C'est pourquoi le régime de base qu'ils ont imaginé était essentiellement à cotisations et à prestations fixes et forfaitaires : malgré l'écart entre leurs revenus respectifs, un notaire et une orthophoniste payaient, jusqu'en 2003, la même cotisation et recevaient la même prestation.
La réforme de 2003 de M. Fillon a transformé notre régime de base, en annuités, en un régime entièrement proportionnel, en points. C'est aujourd'hui, comme vous le savez, le seul régime de base en points en France.
Le fait que les cotisations et les prestations soient proportionnelles aux revenus représente une première amélioration. Est-elle suffisante ? Là est la question. Les professionnels libéraux d'aujourd'hui n'ont plus de patrimoine de clientèle à vendre et souhaiteraient donc obtenir une pension plus importante de leur régime de retraite – non seulement du régime de base mais aussi et surtout du régime complémentaire. En effet, d'une part, il est désormais communément admis que le régime de retraite est la base du revenu de remplacement ; d'autre part, le régime complémentaire apparaît comme le plus à même de leur assurer une meilleure retraite dans la mesure où ils se répartissent entre dix sections professionnelles présentant de fortes disparités – existence ou non d'un numerus clausus, niveaux de revenus inégaux, rapports démographiques différents – et où chacune de ces sections connaît bien le coeur de métier et les spécificités des professions qu'elle gère. Ces sections sont donc à même de définir les compléments et les évolutions répondant aux souhaits de leurs cotisants.
L'UNAPL estime que c'est également par le biais d'une évolution de nos régimes complémentaires que nous pourrons corriger les différences qui existent entre les montants du revenu de remplacement de notre régime et ceux des autres régimes, qu'il s'agisse du régime général ou de celui des fonctionnaires de l'État.
En outre, au sein de notre régime de base, nous devrons nous employer à gommer les différences qui s'accentuent entre les sections. Certaines ont des rapports démographiques très défavorables, d'autres subissent les effets d'une évolution vers le salariat, par le biais de la création de sociétés d'exercice libéral (SEL) ou de sociétés d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL), ce qui compromet leur équilibre à toutes. Par ailleurs, l'effort financier ne repose plus que sur deux sections regroupant les professions les plus nombreuses et les plus jeunes, mais malheureusement aussi les moins bien rémunérées – leurs revenus n'étant à peu près que la moitié de ceux des autres professions libérales. Nous serons donc certainement amenés à revoir progressivement le financement de notre régime de base en modifiant les taux appliqués aux deux assiettes et en répartissant la charge de manière plus proportionnelle aux revenus.
Depuis l'année dernière, nous devons faire face à un nouveau problème : l'introduction du statut d'auto-entrepreneur. Nous n'y sommes pas opposés, mais cela nécessite quelques ajustements comptables. Premièrement, l'affiliation à la CNAV-PL doit être réservée aux auto-entrepreneurs qui répondent bien à la définition d'un vrai exercice libéral selon la réglementation européenne. Deuxièmement, l'affiliation de ceux qui ont de très faibles revenus ou pas de revenu du tout doit être neutralisée en ce qui concerne la compensation nationale. Comme vous l'a certainement indiqué le président de la CNAV-PL, la compensation nationale est une compensation per capita, c'est-à-dire qu'à chaque inscription, qu'il y ait ou non cotisation du nouvel inscrit, nous versons 1 700 euros de compensation. Il ne faudrait pas qu'on alourdisse encore la charge des sections les plus sollicitées.
Quel est le pourcentage d'auto-entrepreneurs qui peuvent être rattachés au cadre des professions libérales selon la réglementation européenne ?
Un professionnel libéral justifie d'un certain niveau d'études – cinq ou six ans après le baccalauréat – et offre, de manière autonome et indépendante, un service « spécifique », non commercial, soumis au secret professionnel… Nous souhaiterions qu'on distingue bien entre les auto-entrepreneurs répondant à cette définition, que nous accueillerons volontiers, et ceux qui relèvent plutôt des indépendants, commerçants ou artisans, que le régime social des indépendants (RSI) nous semble mieux à même d'accueillir.
D'autre part, de nombreuses professions plus ou moins farfelues font leur apparition qu'il est parfois difficile de classer. Un psychothérapeute équin, par exemple, doit-il être classé parmi les auto-entrepreneurs ?
Sur les 100 000 auto-entrepreneurs recensés en 2009, combien présentent les caractéristiques de véritables professions libérales ?
Le problème est que ce tiers d'auto-entrepreneurs pouvant être affiliés à la CNAV-PL par le biais de la Caisse interprofessionelle de prévoyance et d'assurance vieillesse (CIPAV) y étaient déjà affiliés.
Je prends un exemple. Une jeune psychologue qui travaille dans un conseil général est salariée de ce dernier et est affiliée au système de protection sociale de celui-ci. Avant l'existence d'un statut d'auto-entrepreneur, si elle voulait faire un mi-temps en libéral ou s'installer en libéral avec une consoeur, elle devait s'inscrire à la CIPAV au titre des psychologues. Aujourd'hui, elle le fait en tant qu'auto-entrepreneur.
Tous les jeunes qui demandent aujourd'hui l'affiliation à la CIPAV s'inscrivent comme auto-entrepreneurs. On les y pousse d'ailleurs. S'ils ont un chiffre d'affaires très bas, ils paient la cotisation minimale, qui est de 150 euros, alors que chaque inscription nous coûte 1 700 euros de compensation nationale. De plus, cela crée une distorsion avec les jeunes femmes et les jeunes hommes qui se sont installés il y a quatre ou cinq ans et relèvent du régime normal de la CIPAV.
Il est de 80 000 euros pour les artisans et commerçants et d'environ 30 000 euros pour le secteur des prestations de services.
Les auto-entrepreneurs ne cotisent pas à la retraite s'ils ont un revenu inférieur à 200 heures de SMIC alors qu'ils coûtent chacun 1 700 euros de compensation nationale à la CNAV-PL.
Nous ne sommes pas contre les auto-entrepreneurs, mais ce nouveau statut fragilise le régime de base par le biais de la compensation nationale. M. le ministre du travail nous a indiqué que des aménagements étaient en cours pour assurer une neutralité actuarielle dans ce domaine. J'espère que ce projet aboutira.
M. Woerth, jeudi dernier. Un premier aménagement a eu lieu. Un deuxième, dont nous attendons confirmation, devrait alléger la compensation pour ceux qui ont de tous petits revenus.
Enfin, je tiens à remercier Mmes et MM. les députés qui ont déposé une proposition de loi, afin que les professions libérales puissent bénéficier, elles aussi, de la bonification de pension de 10 % pour avoir élevé au moins trois enfants. Nous espérons que l'essai sera transformé. Outre l'avantage financier que cela représente, cet alignement sur les autres régimes est important pour des professions qui se féminisent et qui connaissant aujourd'hui des difficultés. Pour un coût très limité car elle serait entièrement financée par la CNAV-PL, cette mesure montrerait que les professionnels libéraux sont des Français à part entière.
Il est malheureusement question de supprimer cet avantage dans le régime général. Je ne suis pas sûr que vous l'obteniez, par conséquent.
Comment pensez-vous rétablir plus de justice dans le rapport entre cotisations et prestations au sein de votre régime de retraite ?
Au moment de la loi Fillon, les tensions étaient très fortes. Cette loi était donc nécessaire. Mais, comme pour tout, il faut savoir approuver la modernisation, puis en corriger rapidement les effets pervers.
Depuis 2003, la CNAV-PL a beaucoup évolué. Le dialogue en son sein s'est amélioré et simplifié. Les « mécaniciens » des retraites se sont ouverts aux vrais besoins des cotisants. Les anciens considéraient qu'un professionnel libéral était forcément riche et qu'il avait un patrimoine important.
Cette image d'Épinal tend tout doucement à s'effacer.
L'UNAPL et la CNAV-PL se sont rapprochées, afin de réfléchir à l'avenir du régime de retraite des professions libérales et aux moyens de le faire évoluer. Des liens très forts se sont noués entre le président de la CNAV-PL, M. Escourrou, et le président de l'UNAPL, M. Gordon-Krief. Il n'y a plus, d'un côté, le calcul des « mécaniciens » et, de l'autre, les rêves de l'UNAPL. De nombreuses réunions, y compris de bureau, ont lieu en commun. Les actifs et les « mécaniciens » des retraites travaillent ensemble à pérenniser notre système en établissant un peu plus d'égalité entre ceux qui paient et ceux qui reçoivent.
Pour établir plus d'égalité, seriez-vous prêts, d'une part, à faire évoluer la base de calcul des cotisations, c'est-à-dire à prendre en compte jusqu'à 100 % du plafond de la sécurité sociale, au lieu de 85 % actuellement – ceux qui ont un revenu supérieur ou proche de ce plafond paieraient davantage tandis que ceux qui ont un petit revenu ne paieraient pas plus qu'aujourd'hui – et, d'autre part, à augmenter les taux, comme le Régime social des indépendants a aligné ses taux sur ceux du régime général des salariés ?
Actuellement, le taux est de 8,6 % sur la première tranche de revenus, comprise entre 0 et 85 % du plafond de la sécurité sociale, et de 1,6 % sur la seconde tranche de revenus, qui va jusqu'à cinq fois ce plafond. À mon avis, nous devrons, comme vous l'indiquez, revoir à la fois les assiettes et les taux.
Il est un autre domaine où une évolution s'impose : la communication en direction des professions libérales, afin de leur redonner confiance. Certains professionnels n'ont guère poussé dans le sens de la solidarité en se plaignant qu'ils n'auraient jamais de retraite. Nous avons un travail de pédagogie à mener pour leur faire comprendre que, s'ils veulent obtenir quelque chose au bout de leurs années de cotisations, il faut savoir payer. Nous n'avons pas à rougir de ce que nous touchons grâce à nos cotisations. On pourrait faire beaucoup mieux si cela était compris.
Les sociétés d'exercice libéral ont été, pour beaucoup de professionnels libéraux, un moyen d'échapper aux cotisations et même à l'impôt, en se rémunérant en dividendes. La dernière loi de financement de la sécurité sociale a un peu corrigé le tir mais à combien estimez-vous les dégâts ?
Je serai très franc : je considère que les cas que vous citez ont été des déviances qui n'ont pas fait honneur au système mais qu'aujourd'hui, la situation est différente.
La société d'exercice libéral n'est pas un outil qui convient à tous les professionnels libéraux. Il faut, pour fonctionner selon ce mode, avoir des revenus importants. Cela étant, quelques professions en sont friandes.
Je regrette, par ailleurs, que, pour quelques personnes qui ont peut-être mal compris le sens de la société d'exercice libéral, la loi ait été modifiée.
Si j'ai bonne mémoire, les professionnels qui sont friands de ce type de société sont ceux-là mêmes qui ont fortement sollicité le pouvoir politique pour permette leur développement, afin d'ouvrir le paysage sanitaire français à la concurrence européenne. Mais j'ai l'impression que, ce faisant, nous avons ouvert la boîte de Pandore.
Tout à fait, et l'UNAPL n'est pas favorable à des démarches capitalistiques sans limite.
Je renonce à ma question, qui concernait également les sociétés d'exercice libéral – je voulais connaître la position de M. Guichardon sur ce sujet, car il répond toujours avec une grande franchise.
Je précise, pour information, que, comme j'ai quelques responsabilités sur le dossier des retraites, je me suis fait un devoir de ne signer aucune proposition de loi, afin de ne pas donner d'indications sur les mesures vers lesquelles je pourrais tendre.
L'UNAPL a fait des observations sur les « engagements » 1 à 3, 5 et 7 à 13 du document d'orientation du Gouvernement sur la réforme des retraites. Il serait un peu long de les détailler. J'ai préparé une note que je vous laisserai. Je vais simplement résumer notre état d'esprit vis-à-vis de la réforme.
Pour les professions libérales, les règles et les objectifs des retraites doivent reposer sur plusieurs principes précis.
Premièrement, la prestation doit être proportionnelle au temps travaillé. Mme Karniewicz a fait justement remarquer au Conseil d'orientation des retraites (COR) qu'un régime de retraite est fait pour assurer des retraites et non pour absorber toutes les irrégularités ou difficultés d'une carrière. Il faut certes s'en préoccuper afin de ne laisser personne sur le bord de la route, mais une retraite, c'est avant tout une prestation venant après une carrière de travail et des cotisations.
Deuxièmement, la durée d'activité doit représenter un pourcentage de la durée de vie compatible avec un financement supportable par les actifs. Nous sommes heureux que l'espérance de vie ait augmenté de vingt ans. Le seuil des 60 ans n'en paraît que plus archaïque. Il est plus néfaste qu'utile. La vie des Français est rythmée en trois phases : école, vie active, retraite, laquelle tombe comme un couperet à 60 ans. Les directions des ressources humaines ne s'occupent pas suffisamment des personnes qui ont passé la cinquantaine. C'est non seulement démotivant, mais encore déprimant : les gens perdent le sens de la vie au point d'en tomber malades. Par ailleurs, comme les professionnels libéraux font de longues études, ils débutent leur carrière plus tardivement et doivent donc travailler un temps suffisant pour se constituer une retraite convenable.
Troisièmement, la notion de revenu de remplacement reste, pour nous, l'élément fondamental et majeur dans toute réflexion sur les retraites. Notre travail nous procure un certain pouvoir d'achat. Il est important que nous soyons assurés d'en avoir également un lorsque nous serons à la retraite. Nous cotiserons de manière plus courageuse et nous accepterons plus facilement les modifications apportées au système des retraites, car une évolution périodique de celui-ci est préférable au déclenchement d'incendies que l'on a du mal ensuite à éteindre.
Quatrièmement, le coefficient de remplacement reste la clé de voûte de la solidarité. Il faut pouvoir assurer à tous les retraités une qualité de vie suffisante. Les mécanismes de solidarité garantissent aux titulaires de tous petits revenus un coefficient de remplacement un peu meilleur en diminuant un peu celui des hauts revenus.
Cinquièmement, les régimes complémentaires ne doivent pas supporter la même solidarité que le régime de base, faute de quoi les prélèvements décourageraient le citoyen. Leur finalité est d'apporter un complément de retraite au cas par cas ou en fonction d'un nombre de points.
Sixièmement, l'épargne personnelle doit continuer à être valorisée. Il est normal de vouloir s'assurer une certaine qualité de vie grâce à ses économies et cela doit être récompensé.
Septièmement, les régimes spéciaux doivent obéir aux mêmes règles de financement que les régimes par répartition. Le statut du fonctionnaire devrait être réaménagé en ce sens. Nous comprenons qu'un fonctionnaire, qui a opté pour un statut, ne puisse pas imaginer facilement que celui-ci soit changé en cours de route. Mais, il faut s'atteler à ce réaménagement.
Enfin, le risque de dépendance doit être examiné, non seulement pour les personnes les plus démunies, mais d'une manière plus générale. La réflexion doit permettre de distinguer, dans le cinquième risque, les charges strictement médicales des conséquences médico-sociales.
M. Woerth a mentionné l'éventualité de toucher au capital ou aux hauts revenus. Nous lui avons demandé de tenir compte, pendant une dizaine d'années, du fait qu'il n'y a pas encore longtemps, les cotisations et les prestations de notre régime étaient forfaitaires et, donc, de ne pas taxer trop lourdement ceux qui ont été obligés de constituer un patrimoine, les nouvelles générations de professions libérales étant bien conscientes qu'elles doivent se constituer une retraite par répartition.
Non seulement les professions médicales n'ont plus de clientèle à vendre, mais encore, en cas d'association, les seniors paient de jeunes médecins pour venir s'installer et assurer la permanence des soins.
Nous sommes favorables au développement du tutorat. Celui-ci doit fonctionner dans les deux sens : le junior apporte au senior une réactualisation du savoir et une meilleure compréhension de la génération à laquelle il appartient, et le senior lui offre son expérience, ses acquis et la connaissance de sa pratique quotidienne. Ce tutorat d'enrichissement mutuel redonne confiance, consolide les cabinets et est un élément de lutte contre la désertification dans certains territoires.
La séance est levée à dix-huit heures trente-cinq.