La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l'audition de Mme Jacqueline Gourault, sénatrice, vice-présidente de l'Association des maires de France (AMF) et présidente de la mission intercommunalité sur les projets de loi relatifs à la création des conseillers territoriaux
La séance est ouverte à dix-sept heures quinze.
Je vous remercie, madame, monsieur, d'avoir accepté d'être auditionnés par la Délégation aux droits des femmes dans le cadre de ses travaux sur les projets de loi relatifs à la création des conseillers territoriaux et leur incidence en termes de parité.
Comment appréhendez-vous donc une telle réforme, notamment le mode de scrutin qui semble se profiler ?
D'une manière générale je considère que, en la matière, on a mis la charrue avant les boeufs : avant de traiter de l'architecture de la réforme territoriale et du mode de scrutin, il aurait été indispensable de discuter des compétences respectives des conseils généraux et régionaux. Par ailleurs, outre que le contexte économique et financier dans lequel se trouvent l'État et les collectivités territoriales est pour le moins délicat, la suppression de la taxe professionnelle a constitué un véritable choc.
Si le volet intercommunal de la réforme et le mode d'élection des délégués intercommunaux est, quant à lui, assez satisfaisant – la quasi-totalité des groupes l'ont voté au Sénat –, l'AMF s'interroge néanmoins sur la création des métropoles : leurs dimensions doivent-elles être comparables à celles des grandes villes européennes – et dans ce cas-là, nous étions prêts à envisager la disparition de certaines communes – ou l'abaissement du seuil constitutif de ces dernières entraînera-t-il leur multiplication au point qu'elles concerneront de trop nombreux territoires ? Je rappelle que, pour pouvoir intégrer Strasbourg, ce seuil a été abaissé à 450 000 habitants. J'ajoute que de trop nombreux verrous ont été posés au regroupement des villes.
Au final, loin de réduire le mille-feuille administratif, le texte issu du Sénat crée un échelon supplémentaire, au-dessus des communautés urbaines.
Maintenant, je ne m'exprimerai qu'à titre personnel et non en tant que vice-présidente de l'AMF, celle-ci ayant considéré que l'élection des conseillers territoriaux ne relève pas de sa compétence. Si le mode de scrutin devait être maintenu – mais le Premier ministre, que j'ai rencontré récemment, a déclaré que tout était ouvert en la matière –, il est clair que le mode d'élection uninominal à un tour des conseillers territoriaux ne serait pas accepté par le Sénat.
C'est en effet le point de vue de MM. les professeurs Colliard et Carcassonne. Je gage, de surcroît, que le résultat des élections régionales a éclairé un peu les esprits sur les « premiers tours » en général. Il n'en reste pas moins que la détermination d'un autre système sera extrêmement difficile : comment, hors l'organisation d'un scrutin mixte, respecter le principe de la parité ?
Dans le cadre d'un système mixte – à la fois uninominal et proportionnel –, des candidats indépendants pourront se présenter. Toutefois, l'application de la proportionnelle ne corrigeant en rien l'effet du scrutin majoritaire dans les petits départements, le scrutin de liste devrait plutôt être appliqué à l'échelon régional.
Un scrutin majoritaire pour 80 % des sièges à la proportionnelle de liste pour 20 %, c'est la quadrature du cercle ! À cela s'ajoute le fait que certaines personnes seront élues sans que leur nom n'ait été expressément choisi !
En l'état, oui, mais il est toujours possible d'élaborer une liste à part. J'ai eu l'occasion d'évoquer la question du scrutin avec le directeur de cabinet du Premier ministre, M. Jean-Paul Faugère. Rien n'a encore été définitivement arrêté. J'espère, en tout cas, que l'on ne se dirige pas vers un scrutin uninominal à deux tours, où la parité serait lettre morte.
Qu'adviendra-t-il des 47 % de conseillères régionales élues à ce jour et des 48 % qui sont vice-présidentes de régions ?
Surtout si l'on passe de 6 000 à 3 000 conseillers.
Par ailleurs, le conseiller territorial exerçant deux mandats, l'un au conseil général, l'autre au conseil régional,…
… il serait fallacieux de prétendre résoudre le problème de la parité en arguant des suppléances. Les suppléants ne manqueront pas de réclamer une indemnité pour le travail qu'ils accompliront, un tel système aura donc tôt fait de neutraliser la réforme, en multipliant à nouveau le nombre effectif de conseillers.
Outre que, j'en suis persuadée, personne n'avait songé au problème de la parité je considère comme vous, madame la Sénatrice, qu'il aurait d'abord fallu s'inquiéter des compétences respectives du département et de la région. Pourquoi, par exemple, séparer la gestion des collèges et celle des lycées ?
Il me semble en effet que, sans envisager la suppression d'un échelon administratif, puis en faisant en sorte qu'un même élu siège dans deux assemblées, la réforme est condamnée à rester au milieu du gué.
Jean Arthuis, ce matin, posait la bonne question : le conseil général deviendra t-il un établissement public de déconcentration des services de l'État ou demeurera-t-il une collectivité territoriale à part entière ?
Comment donc franchir ce gué ? Ce n'est pas tant les indemnités des élus qui soulèvent un problème, que le maintien d'une double administration.
En effet, mais tout en veillant à ne pas confondre conseil général et dimension départementale, laquelle, conformément à la révision générale des politiques publiques, mérite d'être maintenue. Cette dimension départementale pourrait s'exprimer au sein d'une collectivité territoriale, qui pourrait se réunir par exemple, en séance plénière au niveau régional et, pour examiner tel ou tel problème spécifique, sur un plan départemental.
L'urgence n'ayant pas été déclarée, chaque assemblée en fera deux lectures. Néanmoins, je ne suis pas certaine que, si ce projet passionne les élus, il en aille de même pour nos concitoyens.
Quid, également, du cumul des mandats ? Un député ou un sénateur qui serait conseiller territorial n'en exercerait pas moins de trois !
Se pose, également, le problème de la tutelle administrative.
J'ai eu le sentiment, lors des dernières élections régionales, que les électeurs découvraient pour la première fois le bulletin de vote régional avec ses listes de départements. Le moins que l'on puisse dire est que ce scrutin ne les a pas passionnés : comment s'y seraient-ils retrouvés ? De plus, si l'esprit de la réforme est séduisant, on ne peut en dira autant de la répartition des compétences entre département et région.
Des problèmes de majorité ne manqueront pas de se poser et certains cantons feront l'objet de nouveaux découpages.
Dans mon département de 320 000 habitants, ils passeront de trente à quinze. J'ajoute que, parfois, les conseillers territoriaux seront élus par l'équivalent du quart d'une circonscription parlementaire.
Les conseils généraux, en particulier, exercent un puissant lobbying, et nous ne nous sommes jamais résolus à dire qu'ils étaient de trop.
Le processus de réforme s'est arrêté en 2004, avec le passage à gauche de la quasi-totalité des régions.
En effet. En 2004, les élections régionales sont survenues entre la première et la deuxième lecture du projet Raffarin au Sénat. Compte tenu du poids des présidents de conseils généraux à la Haute assemblée, seuls M. Longuet et moi-même avons tenu bon en ce qui concerne le passage de la compétence économique du département vers la région. Si, en effet, les conseils généraux se plaignent d'un surcroît de charges, ils se refusent aussi ardemment à être délestés de certaines d'entre elles !
Le rapport du comité Balladur, quant à lui, avait le mérite d'être clair et de prendre en compte les intercommunalités alors que les nouveaux cantons seront établis à partir du découpage de ces dernières.
Quid de la taille et des compétences de nos régions par rapport à celles d'autres pays européens tels que l'Allemagne, l'Italie ou l'Espagne ?
Si, comme conseillère régionale, j'ai pu constater pendant dix ans le dynamisme des régions, comme conseillère générale, j'ai vu combien les conseils généraux sont devenus de plus en plus des collectivités de gestion de politiques de l'État.
Si, après la loi sur la concomitance des renouvellements des conseillers généraux et régionaux, le Sénat a voté le principe de l'institution du conseiller territorial, les modalités de cette dernière font l'objet d'un troisième texte.
…Avant que la question des compétences ne soit abordée dans un quatrième projet de loi, prévu pour l'an prochain. Tous les membres de la commission Belot convenaient pourtant qu'il aurait fallu commencer… en l'occurrence par la fin. Plutôt que cette réforme des conseillers territoriaux, il aurait, sans doute, mieux valu discuter une loi consensuelle, uniquement consacrée aux intercommunalités qui aurait été plus efficace.
La séance est levée à dix-huit heures cinq.