Mission d'information sur les raisons des dégâts provoqués par la tempête Xynthia
Je remercie M. Yvon Bonnot, président de l'Association nationale des élus du littoral, d'avoir répondu à notre invitation.
Monsieur le président, je vous propose de nous présenter, dans un bref discours liminaire, le rôle de l'ANEL. Plus particulièrement, pouvez-vous nous exposer la manière dont l'association a, depuis sa création, essayé de concilier la sauvegarde des personnes et des biens avec l'urbanisation de territoires en forte croissance ? Quelles propositions se dégagent de vos réflexions ?
Notre association regroupe des élus de toutes les régions littorales françaises, quelle que soit leur localisation géographique ou leur orientation politique. Elle a vocation à être un lieu d'échanges entre ces collectivités aux spécificités marquées.
Nous avions d'ailleurs évoqué la question qui nous préoccupe aujourd'hui en 2006, à Torreilles, lors de « Journées d'études de l'ANEL » consacrées à la montée du niveau de la mer et à la protection, à l'aménagement et au développement du littoral. Dans la conclusion de ces journées, j'avais souligné les difficultés, notamment financières, auxquelles on se heurtait en la matière ; protéger, c'est bien, encore faut-il avoir les moyens de le faire !
L'ANEL nous permet donc d'échanger des techniques, des expériences et de nous rendre sur le terrain. Nous examinons régulièrement, à ce titre, les conséquences concrètes du changement climatique. Avant le passage de Xynthia, nous avions évoqué le risque de tempête et jugé que le recul des habitations était crucial. La loi littoral interdit toute nouvelle construction à moins de 100 mètres du rivage, mais ce n'est pas toujours suffisant. Une association a appelé à modifier la loi afin de porter le seuil à 300 mètres, mais cette règle ne peut être générale : dans certaines zones, il faudrait passer à huit cents mètres, voire un kilomètre. En tout état de cause, la règle doit s'appliquer avec une certaine latitude.
Parfois, l'ANEL est saisie de problèmes concrets. Je peux alors constater qu'il existe d'importants vides juridiques, notamment en matière de camping. On m'a ainsi signalé, dans le nord du Finistère, l'installation entre la mer et la route d'un terrain de camping, qui était en réalité un lotissement déguisé, avec des personnes habitant à l'année dans des mobile homes. Le littoral est parfois perturbé par des aménagements et par la méconnaissance, involontaire ou non, des conséquences que ceux-ci peuvent avoir.
L'ANEL organise chaque année des journées nationales d'études et réunit régulièrement son conseil d'administration. De nombreux membres de la mission d'information sont, ou ont été, membres de l'ANEL. Celle-ci compte également parmi ses adhérents des élus des DOM-TOM. Le recul du trait de côte est également une préoccupation pour eux.
Il y a quelques années, le Professeur Roland Paskoff avait publié un ouvrage intitulé : Les plages vont-elles disparaître ? Il est certain que, dans certains secteurs, les plages courent ce risque. Il n'existe pas de solution miracle, mais nous essayons d'informer les acteurs concernés sur les précautions et les mesures préventives à prendre ; nous étudions également les financements possibles.
Avez-vous conclu des accords de partenariat avec Météo-France, avec l'Institut géographique national et avec le Service hydrographique et océanographique de la marine – au conseil d'administration duquel vous siégez ? Les membres de l'ANEL interviennent-ils dans les réflexions de ces organismes ?
Je suis membre de la commission « Tourisme » de Météo-France ; tout est lié : si les plages disparaissent, le tourisme disparaît. Quant à l'IGN, il est lui aussi membre du conseil d'administration du SHOM et nous nous rencontrons dans ce cadre. Nous travaillons tous ensemble sur les questions de montée du niveau de la mer, de recul du trait de côte et de changement climatique.
Personne ne peut prévoir avec précision quelle sera la montée du niveau de la mer. J'ai entendu toutes sortes de chiffres, dont certains m'ont paru déraisonnables. Mais on sait que cela se produira. Même si le niveau ne s'élève « que » de vingt centimètres dans les cinquante prochaines années, les conséquences seront dramatiques, car cela fera disparaître des plages et des zones entières. On n'a pas partout la chance d'avoir, comme à Perros-Guirec, des marées fortes, avec un marnage de quelque douze mètres, qui fait revenir le sable quoi qu'il advienne !
Notre préoccupation première est d'évaluer la réalité des risques encourus, d'en informer le public et d'essayer de les prévenir, notamment en conseillant aux maires de ne pas accorder de permis de construire dans les endroits où ils sont particulièrement élevés. Cela ne plaît pas toujours, mais il importe d'être prudent. En outre, il convient de prévoir pour les habitants des lieux de refuge en cas de fortes tempêtes, dans le cadre des plans communaux de sauvegarde. Il y a quelques mois, dans ma ville, nous avons ainsi subi la conjonction d'une grande marée, du débordement d'un cours d'eau et de basses pressions, ce qui a provoqué une surcote.
Je ne conçois pas aujourd'hui que l'on n'associe pas le plan local d'urbanisme (PLU) avec un schéma de cohérence territorial (SCOT) pour la terre et pour la mer.
Les plans de prévention des risques d'inondation (PPRI) vous sembleraient-ils insuffisants ?
Cela dépend des cas. Certains endroits bien protégés, où il ne s'est rien passé depuis vingt-cinq ans, restent en zones inondables. Cela permet de prévenir tout risque, mais les habitants ne sont pas très contents que leur bien perde de la valeur.
La précipitation avec laquelle les zones noires ont été délimitées sur le littoral vendéen m'a surpris. Cela aurait mérité des discussions avec les experts, une étude sur le terrain, bref : une réflexion plus approfondie. Certaines personnes ne comprennent pas qu'on leur dise que leur maison doit être rasée alors qu'ils n'ont eu que dix ou vingt centimètres d'eau à l'intérieur.
Il est délicat d'arrêter une politique générale ; il vaut mieux regarder au cas par cas. Dans certains endroits, il est évident que l'on ne pourra pas se dispenser de renforcer les digues. Dans d'autres, elles pourront disparaître, à condition que l'on ait examiné avec soin les conséquences d'une telle décision. Il faut demander l'avis d'experts venant de pays soumis aux mêmes aléas.
Avez-vous le sentiment que l'État a disposé de l'expertise suffisante pour avoir une approche rationnelle – et raisonnable – de la tempête Xynthia ?
Que pensez-vous des décisions prises ? La méthode utilisée vous semble-t-elle réfléchie, adaptée, efficace ? Les résultats sont-ils à la hauteur de l'enjeu ?
Les échanges que nous avons eus avec les personnes concernées nous conduisent à penser que les décisions ont été prises dans la précipitation. Bien sûr, il fallait prendre conscience de la gravité de la situation, mais de là à mettre en place systématiquement des zones noires ! D'autant que l'on doit ensuite procéder aux indemnisations…
Les choses auraient pu se faire dans la douceur. Si des maisons sont condamnées, autant qu'elles soient démolies sans avoir recours à la contrainte ; on aurait trouvé des volontaires pour partir, les voisins auraient suivi plus facilement, sans éprouver une telle sensation de brutalité. C'est en tout cas mon point de vue.
La commission a elle aussi le sentiment que le zonage a été fait dans la précipitation et qu'il n'est pas toujours probant. Il serait nécessaire de procéder à un examen à une autre échelle, en étudiant la situation parcelle par parcelle. Que l'on n'ait examiné aucune possibilité de protection nous conduit à penser que ce zonage peut être contesté.
J'ai eu l'occasion de le dire en conclusion de précédentes journées d'études de l'ANEL : quand des ouvrages de protection sont en place, il faut les entretenir ; il existe des méthodes efficaces pour ce faire.
Le problème est d'obtenir les financements nécessaires, car il s'agit d'un investissement financier très lourd, que les collectivités locales ne peuvent supporter seules. Un représentant de l'État nous avait dit, à l'époque, que cette tâche était de la responsabilité de l'État, mais que, comme celui-ci n'avait pas les moyens, il fallait trouver d'autres solutions. Il me paraît toutefois difficile de transférer la charge aux collectivités locales, comme certains le suggèrent !
Je suis frappé par l'expérience et le savoir que possèdent les élus locaux. Sous l'effet de la pression médiatique, on paraît découvrir les problèmes de gestion du trait de côte, d'élévation du niveau de la mer, d'érosion et l'existence de risques en tout genre. Pourtant, nombre de collectivités territoriales avaient déjà pris des initiatives dans ce domaine ; elles sont manifestement restées sans effet sur les services de l'État.
On a délimité, dans la précipitation, des zones noires, alors que des travaux étaient disponibles, réalisés de longue date avec la participation d'experts, de scientifiques et des élus locaux, qui connaissent bien leurs territoires. Ce qui est inquiétant, c'est qu'en raison du principe de précaution, on souhaite tout prévoir ; cela suppose que ce soit possible face à la mer, et que l'on puisse répondre à n'importe quel aléa naturel.
On a crié haro sur les élus locaux, en particulier les maires, alors qu'ils sont les plus à même de connaître leur territoire, son évolution et les risques qu'il encourt. Comment expliquez-vous l'absence d'exploitation des connaissances locales par les services concernés ?
La dénonciation des élus locaux m'a profondément choqué. Il faut étudier la question avant de désigner des responsables ! Des erreurs ont peut-être été commises, mais il existe aussi des impondérables.
J'en ai fait personnellement l'expérience, il y a quelques années, dans ma commune, quand une vague scélérate a déferlé sur une plage existant depuis 1880. Elle a tout ravagé. Ce genre de situation se présentera toujours ; les élus locaux n'y peuvent rien !
Il est de la responsabilité des élus d'anticiper, de s'organiser et d'éviter de subir les événements. Il faut qu'ils travaillent avec les services de l'État, mais aussi qu'ils expliquent la situation et fassent prendre conscience que le risque zéro n'existe pas. L'application du principe de précaution n'aboutira jamais au risque zéro.
Il paraît difficile de confier aux seules collectivités locales la responsabilité des protections. La mission sur les digues instituée par le Président de la République constatera probablement la très grande hétérogénéité des protections existantes et les problèmes d'entretien qu'elles posent.
Avez-vous fait des propositions en la matière ? Quelle organisation vous paraît la plus pertinente, compte tenu de la longueur du littoral français ?
La situation n'est pas la même partout : on n'a pas besoin de protéger la totalité du littoral !
Notre rôle est, d'abord, d'informer la population sur les risques encourus. Mais s'il existe des digues, on doit les contrôler et les entretenir régulièrement. Ce n'est pas parce qu'il y a une digue qu'on ne court aucun risque. Les ouvrages vieillissent. En tant qu'ancien professionnel du bâtiment, je suis bien placé pour savoir qu'en la matière, il vaut mieux prévenir que guérir !
Ma question portait plutôt sur le mode de gouvernance à instaurer pour assurer la protection des populations.
Il existe des digues d'État, des digues départementales, des digues communales, des digues privées : cette multiplicité d'acteurs ne nuit-elle pas à la connaissance de l'état des protections, à l'établissement d'une doctrine et au bon entretien des ouvrages ?
Il ne peut s'agir que d'un travail de coopération. La collectivité locale est la mieux placée pour procéder aux vérifications sur le terrain, mais il paraît difficile de ne pas associer l'État aux décisions et au financement en cas d'intervention.
L'ANEL s'est-elle engagée publiquement dans la controverse sur les zones noires ? A-t-elle des préconisations à faire ?
Le fait que les digues soient gérées par des acteurs multiples, disposant de peu de moyens et ayant des intérêts contradictoires, nuit à la cohérence du système. Leur gestion ne devrait-elle pas être prise en charge par des collectivités qui ont le souci de l'intérêt général et davantage de moyens ?
Le conseil d'administration de l'ANEL s'est penché sur la question des zones noires. Nous avons examiné sous quelles formes approfondir la réflexion. Le sujet sera évoqué lors de nos prochaines journées d'études.
S'agissant de la gestion des digues, les avis sont partagés. La collectivité locale pourrait s'en charger, mais avec quel financement ? Aujourd'hui, aucune collectivité locale n'a les moyens de construire ou d'entretenir des digues ! La solution ne peut venir, selon moi, que d'une coopération entre l'État, le département et la commune. Toutefois, je ne suis pas opposé à ce que la commune ait un droit de regard et des responsabilités en ce domaine.
Nous sommes les mieux placés pour établir les constats et suivre l'ouvrage. Mais il faudrait que nous soyons entourés d'experts, que nous puissions les payer et que l'État nous aide !
La proximité de l'élu vous semble donc irremplaçable, quelle que soit la structure mise en place.
Presque tous les phénomènes existant sur nos littoraux ont été identifiés et étudiés par les collectivités territoriales, à l'échelon de la commune, du département ou de la région. Pourtant ce travail reste lettre morte. N'y a-t-il pas un problème de gouvernance ?
Le Grenelle de la mer et le Grenelle II prévoient la mise en place du conseil national de la mer et des littoraux et des conseils de façades et de bassins. Pensez-vous que ces nouvelles structures, qui réuniront l'ensemble des acteurs, permettront de mieux gérer ces phénomènes, qu'il s'agisse d'aléas naturels ou de pollutions accidentelles ?
Par ailleurs, il y a la prévision météorologique, mais il y a aussi l'alerte, qui permet d'avertir les habitants qu'ils courent un danger. Si les habitants de Charente-Maritime et de Vendée avaient été prévenus quand la prévision météorologique a été faite, peut-être aurait-on évité des drames. En la matière, les collectivités locales ne sont pas du tout organisées. N'y aurait-il pas là matière à réflexion ?
Il est vrai qu'en vertu du principe de précaution, les préfets cherchent à se couvrir : nous recevons des alertes trop fréquentes, souvent inutiles, ce qui a pour effet d'en diminuer la crédibilité. Il faut en outre améliorer les moyens permettant de prévenir les intéressés, même si nous ne sommes jamais à l'abri d'une surprise.
Vous avez raison, il faut prendre davantage en considération le littoral, notamment les risques de submersion marine. J'ai participé à plusieurs commissions ministérielles où toutes les questions sur les zones inondables ou la fonte des glaces étaient évoquées, mais jamais celles portant sur le littoral. Ce fut aussi le cas lors de réunions du Centre européen de prévention du risque d'inondation. De plus la presse, à la suite de ces réunions, ne posait aucune question sur le littoral alors que c'est lui qui présente les plus grands risques pour les années à venir. C'est la raison pour laquelle l'ANEL se bat en faveur du Conseil national de la mer et des littoraux. Nous avons, tous ensemble, de grands progrès à réaliser en vue de cerner les difficultés et de mesurer les risques.
Le Calvados, où je suis élu, a également été touché par la tempête, même si c'est sans commune mesure avec la Vendée ou la Charente-Maritime.
Sur son littoral, ce ne sont pas les collectivités locales qui sont chargées de la gestion des digues, mais des associations syndicales, sur des périmètres donnant lieu à cotisation, ce qui permet d'alimenter une caisse commune, les collectivités locales aidant au financement des travaux. Deux associations s'occupent respectivement d'une bande de trois kilomètres à l'est et de cinq kilomètres à l'ouest de ma commune : elles n'ont évidemment ni l'échelle ni les moyens financiers pour entretenir les digues.
Une collectivité locale, tel que le département, serait déjà plus à même d'intervenir. Toutefois, le financement d'une digue, dont le coût peut atteindre des millions d'euros, relève du niveau de compétence de l'État, avec, sans doute, le concours des collectivités. Or, l'État s'est désengagé depuis de nombreuses années déjà.
Monsieur Bonnot, comment et par qui les zones noires ont-elles été définies, c'est-à-dire sur quels critères et à quel niveau d'autorité ? Il n'y a aucune transparence en la matière.
Je l'ignore, puisque je les ai découvertes comme vous, mais il serait d'autant plus intéressant de le savoir que la définition de ces zones n'est pas sans conséquences sur les biens et la vie de nombreuses personnes. Il faudra revenir sur la question, notamment avec les urbanistes et les architectes, en fonction des expertises qui auront été établies – ce qui peut demander des mois, voire des années – et qui devront être rendues publiques.
Le problème a une dimension globale : il est l'affaire de tous et aucune instance ne saurait se désengager, ni l'État, ni la région, ni le département. Toutefois, la collectivité locale concernée doit intervenir car la proximité permet une meilleure surveillance. Je vais régulièrement sur le littoral inspecter les digues ou contrôler l'enrochement, et j'ouvre un dossier en cas de problème. Vous avez néanmoins raison : le problème du financement persiste.
Il faudra arriver à distinguer la capacité d'expertise – capitalisation du savoir et création de doctrine – de la capacité de financement des travaux.
Quel est, monsieur Bonnot, votre point de vue sur les plans de prévention des risques d'inondation, institués il y a quinze ans, en 1995 ? Le fait est que peu de communes disposent aujourd'hui d'un PPRI approuvé. Pensez-vous que les communes concernées auraient pu éviter le drame si elles en avaient eu un ?
Par ailleurs, d'autres zones littorales sont-elles susceptibles de subir le risque de submersion marine, qui, comme vous l'avez rappelé, est rarement pris en considération dans les PPRI ? Convient-il de reconsidérer sous cet angle tout le littoral français ?
On ne peut pas se dispenser d'une meilleure prise en considération du risque de submersion marine – je ne saurais trop le répéter.
S'agissant de PPRI, j'ai, sur ma commune, une petite zone inondable, décelée comme telle depuis le début du XIXe siècle et où il n'y a aucune construction neuve. Les notaires doivent le mentionner dans leurs actes en cas de vente d'un immeuble situé dans cette zone.
Elle n'est pas toujours respectée. La consultation du PPRI permet, dans ce cas, de résilier un compromis de vente – je pourrais vous citer un cas.
Il faut aussi savoir que même si la zone inondable est peu étendue, elle peut se révéler préoccupante en cas de conjonction de plusieurs facteurs – marées à fort coefficient et ruisseaux dont le débit est important.
La commune de La Faute-sur-Mer, où vingt-trois morts ont été dénombrés, disposait d'un PPRI approuvé.
Le PPRI de La Faute-sur-Mer était en cours de modification. On a reproché au maire d'avoir volontairement repoussé son adoption, alors qu'il était en phase administrative de consultation.
Il ne faut pas oublier l'imprévu, comme la vague géante qui a récemment balayé les plages de Cannes et de Nice, il y a quelques jours.
Monsieur Bonnot, les élus de l'ANEL sont-ils favorables à une sauvegarde, coûte que coûte, des constructions situées directement sur la façade maritime ou penchent-ils plutôt pour un repli intelligent, concerté et mesuré vers l'intérieur des côtes ?
Les deux ! J'ai évoqué la proximité : les élus de l'ANEL, lors de leurs journées d'études de 2006, ont posé la question provocante : « Les plages vont-elles disparaître ? », dans le cadre d'une réflexion sur la gestion raisonnable de l'érosion des côtes. Une réponse générale est impossible car le littoral français répond à des situations très différentes. Certains secteurs peuvent encore être protégés : ce n'est pas le cas de tous. Les habitants concernés doivent alors comprendre qu'il appartient aux élus de prendre leurs responsabilités, ce qui nécessite tout un travail d'explication. On ne saurait mettre une population en danger à partir du moment où les risques d'accidents sont avérés. On a déjà procédé à la destruction de maisons situées sur des falaises qui menaçaient de s'effondrer.
Si je m'appuie sur le cas de La Faute, je rappellerai que là où l'État ne trouvait pas les 150 000 euros que réclamaient depuis quatre ou cinq ans les élus locaux pour consolider une digue sur le domaine public maritime, alors qu'il a trouvé 500 millions pour détruire des habitations, d'où une réelle incompréhension.
De plus, la justice a sommé le préfet de la Vendée de lui transmettre les éléments ayant contribué à délimiter les zones noires, ce qui ne saurait manquer de nous intéresser.
Enfin, en matière de précipitation et de brutalité, je tiens à souligner que, quelques semaines après la tempête, tous les maires de Vendée concernés par les PPRI ont été réunis pour se voir infliger dans les zones jaunes des contraintes qui relèvent des zones noires et qui, du reste, sont inapplicables. Ces nouvelles prescriptions, prises à la suite de la tempête, sont déraisonnables puisqu'elles imposent quasiment de quitter sa maison située en zone inondable, maison qui, de toute façon, sera rendue inassurable. Il s'agit d'un dommage collatéral engendré par la peur des préfets de devoir assumer une quelconque responsabilité. L'ANEL devra intervenir sur la question.
Je l'ai dit et répété : une digue doit être contrôlée et entretenue régulièrement – il n'est qu'à prendre exemple sur les Pays-Bas. De plus, avec le concours non seulement de l'État, mais également d'experts, d'architectes et d'urbanistes, il faudra distinguer avec précision les secteurs constructibles des autres. La collectivité locale doit être obligatoirement associée à ces travaux, soit directement soit par l'intermédiaire de l'intercommunalité : en bord de mer, un SCOT littoral est nécessaire car il permet de nourrir la réflexion sur le sujet.
Il faut savoir que l'État, il y a six ou sept ans, a changé de doctrine en matière de digues : il a abandonné la construction de digues de protection en raison des décès entraînés, dans le Gard et l'Aude, où je suis élu, par la rupture d'ouvrages sur un effet de vague. Mme Roselyne Bachelot, alors ministre de l'environnement, s'est dite opposée à la création de polders, en parlant même de « dépoldérisation ». Tout dépend, en fait, du type d'inondation. Il n'en reste pas moins que le problème de la responsabilité de l'État est engagé, puisqu'il a la charge de l'entretien des ouvrages sur tout fleuve domanial. C'est ainsi que les collectivités, dans le cadre d'un syndicat mixte monté avec, notamment, les associations syndicales autorisées, dont celles qui interviennent sur les rivières, ont réussi à établir un plan de sauvegarde et de création de digues et à le faire financer par l'État, en dépit de son opposition à ce type d'ouvrages. De toute façon, les propriétaires, notamment les viticulteurs, n'avaient aucun moyen de le faire en raison de la crise.
S'agissant des constructions effectuées dans le cadre de la loi littoral, je tiens à souligner que les jugements des tribunaux administratifs provoquent des disparités entre les régions ou les départements, si bien que certains élus ont l'impression d'être brimés. Ne vaudrait-il pas mieux réformer la loi littoral en y intégrant notamment les schémas de mise en valeur de la mer – SMVM – afin d'aboutir, comme dans les DOM-TOM, à un schéma littoral intégrant à la fois la mer et la bande côtière ? L'ANEL réfléchit-elle à une telle modification de la loi littorale visant à la fois à protéger et à développer ?
Je suis d'accord avec vous : il faut éviter toute généralisation abusive, notamment en matière de suppression des digues dans le Gard ! Il convient, en fonction de la situation géographique ou économique, notamment agricole, de les consolider ou de les supprimer.
Lorsque j'étais conseiller régional chargé de la mer et du tourisme, j'étais un farouche partisan des SMVM. Ils ont échoué parce que seule l'administration s'en est occupée et a présenté, lors d'une réunion, des schémas déjà tout préparés aux élus, les mettant devant le fait accompli : ils sont venus le matin, ils ne sont pas revenus l'après-midi. Les SCOT associent davantage les élus. En ce qui concerne la réforme de la loi littoral, qui a été votée à l'unanimité, chacun hésitera à ouvrir la boîte de Pandore. Néanmoins, il conviendrait de préciser certaines de ses dispositions afin d'éliminer les disparités les plus choquantes – des communes situées à cinquante mètres du littoral sont entièrement libres de leur politique, alors que d'autres, beaucoup plus éloignées, sont soumises aux contraintes de la loi. À mon avis, toutes les communes vues de la mer devraient être soumises à la loi littorale. Philippe Plisson photographie actuellement le littoral à partir de la mer, ce qui permettra de découvrir de nombreuses erreurs d'application de cette loi et donc de réfléchir à des modifications précises. Les élus du littoral reviennent souvent sur le sujet.
Je partage les inquiétudes exprimées au lendemain de la tempête, concernant la nouvelle doctrine de l'État relative aux littoraux. Nous avons déjà perçu une forme de raidissement de la part des préfets et des différents services de l'État, qu'il s'agisse des zones situées à proximité du littoral ou non. Dès lors qu'elles font l'objet d'un PPRI, la prudence de l'État se transforme en « opération parapluie », de peur d'avoir à assumer une quelconque responsabilité.
L'État a réagi dans la précipitation. Il n'en reste pas moins que nous ignorons toujours ce que nous devons faire dans certaines communes du littoral face à des événements comme un retrait de la falaise ou le recul du trait de côte. Le positionnement actuel de l'État – financement de la destruction et du déménagement –, adopté sous le coup de l'émotion publique, est-il ponctuel ou répond-il à une doctrine nouvelle ? Si tel est le cas, la réflexion sera-t-elle conduite dans le cadre du Conseil national de la mer et des littoraux ou dans un autre ? Il convient d'anticiper les situations puisque nous avons des populations en butte à ce genre de risques. Dans ma commune, une maison a brusquement disparu dans la cavité d'une falaise.
Je ne vois pas comment ce qui a été accepté pour les uns pourrait être refusé aux autres.
L'état de péril est déjà prévu par la loi : il est de la responsabilité des maires et de l'État. Il n'est pas besoin de légiférer de nouveau sur le sujet. Le tout est de préciser le périmètre des dispositions existantes. Il est évident, à mes yeux, que l'État a improvisé une doctrine conjoncturelle qui n'est pas transposable. Les responsables de l'État que nous auditionnerons devront nous préciser si l'attitude de celui-ci après la tempête Xynthia doit faire jurisprudence, ce qui ne serait pas sans conséquences, car il conviendrait alors de déterminer si cette nouvelle doctrine devra être employée de manière curative ou préventivement.
Dans ce dernier cas, il conviendra de prévoir une somme bien supérieure à 800 millions d'euros car il faudra réexaminer tous les PPRI, notamment les PPRI dont l'État est le maître d'oeuvre pour des collectivités sans moyens et qui sont bâclés : les données d'entrée sont improvisées quand les niveaux de précaution ne sont pas tout simplement inacceptables et, faute de moyens suffisants, leurs conséquences ne font l'objet d'aucune formalisation ou numérisation par des bureaux d'étude compétents. Il n'en est pas de même des PPRI effectués par des collectivités qui y consacrent les moyens appropriés.
S'il s'agit bien de la nouvelle doctrine de l'État, tous les littoraux devront être examinés de manière préventive, l'État n'ayant plus le droit, sur la base de la jurisprudence « Xynthia », de laisser quiconque en état de danger mortel. La mission d'enquête devra se poser cette question dans le cadre d'un audit poussé de la chaîne de décision qui a conduit à la mise en place de cette doctrine improvisée.
Monsieur Bonnot, est-il possible d'améliorer la procédure d'alerte ?
Par ailleurs, les moyens mis en oeuvre par les préfectures en cas de sinistre sont-ils suffisants ?
J'ai vécu des marées noires : la préfecture nous prévenait que nous pouvions procéder au nettoyage des côtes huit jours après que nous avions commencé de le faire ! Plus on est éloigné, moins on est opérationnel. Je ne saurais donc trop insister sur la proximité.
S'agissant de la procédure d'alerte, les moyens technologiques permettraient d'en améliorer la précision. Il ne sert à rien d'envoyer un message d'alerte sur le télécopieur d'une mairie un samedi soir à vingt-deux heures, alors qu'il n'y a personne pour le réceptionner : on le découvre le lundi matin, quand la catastrophe a eu lieu ! Il conviendrait d'affiner la procédure.
M. le rapporteur a posé une question essentielle : celle de l'égalité des citoyens devant les risques.
Membres présents ou excusés
Mission d'information sur les raisons des dégâts provoqués par la tempête Xynthia
Présents. - M. Jacques Bascou, M. Jean-Claude Beaulieu, M. Philippe Boënnec, M. Maxime Bono, M. Dominique Caillaud, M. Frédéric Cuvillier, Mme Claude Darciaux, Mme Pascale Got, M. Christian Kert, Mme Marguerite Lamour, M. Jean-Marc Lefranc, M. Jean-Louis Léonard, M. Jean-Marie Morisset, M. Philippe Plisson, Mme Catherine Quéré, Mme Marie-Line Reynaud, M. Dominique Souchet