Audition de l'amiral Pierre-François Forissier, chef d'état-major de la marine, sur le projet de loi de finances pour 2009
La séance est ouverte à dix heures
Mes chers collègues, c'est avec un très grand plaisir que la Commission accueille ce matin l'amiral Pierre-François Forissier, chef d'état-major de la marine. En notre nom à tous, je lui souhaite la bienvenue.
Permettez-moi, amiral, de vous remercier une nouvelle fois pour l'accueil que vous nous avez réservé lors des universités d'été de la Commission à Saint-Malo en septembre dernier et, notamment, pour les visites très intéressantes que vous avez pu organiser sur la frégate Latouche-Tréville ou le sous-marin Ouessant. Cela nous a permis de mieux connaître le métier des marins et d'apprécier la qualité des missions qu'ils exercent au service de la nation.
Le projet de budget pour 2009 permet un certain nombre de commandes importantes pour la marine – en particulier trois frégates multi-missions et un deuxième Barracuda. Nous souhaitons que vous puissiez nous en faire un point précis.
Notre rapporteur pour avis, Mme Marguerite Lamour, aura sans doute de nombreuses questions à vous poser, comme les autres membres de notre Commission qui sont tous très actifs.
Je vous cède tout de suite la parole, amiral.
Amiral Pierre-François Forissier, chef d'état-major de la marine. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, c'est à la fois un plaisir et un honneur pour moi de venir parler devant vous du projet de budget pour 2009, d'autant que nous vivons une période un peu particulière. Nous avons tous conscience que, dans les turbulences que nous traversons, nombre de problèmes doivent être relativisés et la façon dont chaque euro est dépensé doit être examinée avec soin.
Depuis cet été, les missions de la marine sont éclairées par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationales. Ce Livre blanc constitue une première historique car il concerne non seulement la défense comme ses prédécesseurs mais également la sécurité. Pour nous, marine nationale et non pas seulement armée de mer, dont les missions relèvent à la fois de la défense et de la sécurité, ce Livre blanc permet d'avoir une vision de l'avenir plus claire.
Je m'appuierai sur l'utilisation du budget 2008 pour présenter la finalité opérationnelle de la marine.
Sur le plan des opérations militaires, la tenue de la posture de dissuasion reste notre priorité essentielle. Nous avons – non sans quelques difficultés parfois – tenu le contrat, et ce sans discontinuité. Si tel n'était pas le cas, ce serait pour nous une catastrophe majeure. C'est pourquoi notre attention est concentrée sur cette mission.
Nous avons désarmé l'Inflexible alors que le Terrible sera bientôt opérationnel. Le Président de la République s'est rendu à Cherbourg pour sa présentation officielle en mars dernier. Dans le même temps, nous travaillons sur le missile M51, qui doit prochainement faire l'objet d'un essai. Celui-ci sera déterminant puisqu'il sera le premier à être effectué à partir d'un tube immergé – quoique non encore dans de l'eau de mer. La poursuite de ces programmes aboutit à l'uniformisation de nos sous-marins en service puisque l'Inflexible était le dernier de la génération précédente.
Après une mise en sommeil pendant l'IPER – indisponibilité pour entretien et réparation – du Charles-de-Gaulle, la force aéronavale nucléaire remontera en puissance en 2009. Ses capacités s'élargiront notablement avec l'arrivée du missile ASMPA – air-sol moyenne portée amélioré – et du Rafale au standard F3. La crédibilité de la dissuasion repose aussi sur la maîtrise de l'océan et des espaces maritimes dans lesquels nous nous déployons. Ces opérations de sûreté menées par les sous-marins nucléaires d'attaque – SNA –, les frégates de lutte anti-sous-marine, les avions de patrouille maritime et les chasseurs de mines ne font pas beaucoup de bruit mais sont fondamentales pour le soutien de la dissuasion.
La marine est également engagée sur d'autres théâtres d'opérations. Elle est très présente sur l'arc de crise allant de l'Atlantique à l'océan Indien défini par le Livre blanc.
Au nord de l'océan Indien, notre participation à la lutte contre le terrorisme et à la sécurisation des routes maritimes stratégiques se poursuit en étroite coopération avec les forces alliées. Avec au minimum deux bâtiments et un avion de patrouille maritime engagés en permanence dans l'opération Enduring Freedom, la France est le deuxième contributeur naval de la zone. Un amiral français a d'ailleurs exercé, de février à juin 2008, le commandement de cette force maritime internationale, que nous appelons TF 150, opérant entre la mer Rouge et le détroit d'Ormuz.
La piraterie s'est invitée dans le paysage. Elle a toujours existé mais elle connaît actuellement une recrudescence. Les événements que nous avons vécus ont démontré le bien-fondé du dispositif français dans le golfe d'Aden. À chaque fois, nos moyens ont été en position d'intervenir dans des délais raisonnables. Cela nous a permis de proposer à nos dirigeants une gamme d'options impliquant des moyens de la marine et des armées afin de libérer les otages. Nous avons pu, dans les deux cas qui nous intéressent, résoudre les problèmes avec succès. Une frégate accompagne désormais les navires français et européens volontaires lors de rotations programmées dans le golfe d'Aden. Deux passages par mois sont prévus.
En outre, conformément à l'annonce du Président de la République à l'assemblée de l'ONU, un aviso a accompagné, de novembre 2007 à février 2008, les navires du programme alimentaire mondial pour les protéger des risques de piraterie. En six convois, 30 000 tonnes d'aide alimentaire ont été acheminées vers la Somalie, permettant d'éviter une catastrophe humanitaire.
Au printemps, le déploiement d'un groupe amphibie jusqu'en Chine et au Japon a permis de valoriser une partie des capacités duales du bâtiment de projection et de commandement – BPC – lors de l'opération humanitaire menée au large de la Birmanie.
Nous avons également déployé cet été trois Super Étendard modernisés – SEM – en Afghanistan de façon à conserver le savoir-faire de nos aéronefs en matière de projection de puissance pendant l'indisponibilité du porte-avions Charles-de-Gaulle. Basés à Kandahar aux côtés des Mirage de l'armée de l'air, ils ont effectué 248 sorties en soutien des forces alliées au cours de leurs quatre mois de déploiement.
Dans le golfe de Guinée, région dont on parle moins alors que l'insécurité y est chronique, un bâtiment porte-hélicoptères et un avion de patrouille maritime apportent leurs capacités d'intervention et d'évacuation de ressortissants. Agissant en soutien de l'opération Licorne, ce dispositif assiste les marines riveraines.
Au Tchad, un aéronef de patrouille maritime est régulièrement déployé pour le suivi de la situation terrestre. Le désert et la mer sont deux espaces dans lesquels nos avions trouvent matière à travailler en exploitant leur savoir-faire.
Au large du Liban, la marine maintient en permanence un bâtiment porte-hélicoptères intégré dans le volet maritime de la FINUL. La France assure jusqu'au 1ermars2009 le commandement de la Task Force 448 déployée entre Chypre et le Liban.
L'entretien de notre aptitude à coopérer avec les marines alliées s'est poursuivi en Atlantique. L'action la plus significative a été la participation à la phase de qualification du porte-avions américain Théodore Roosevelt avec une frégate, un SNA, deux Hawkeye et six Rafale. Le point d'orgue a été l'embarquement pendant cinq jours de nos aéronefs qui ont réalisé plus de 150 appontages dont un tiers de nuit. Après les appontages de deux Rafale et d'un Hawkeye l'an passé sur l'USS Enterprise au large de Nice, l'interopérabilité entre la France et les États-Unis a franchi une étape majeure que la marine américaine ne cesse de souligner.
En parallèle de ces opérations à vocation militaire, les missions de surveillance des zones maritimes se sont poursuivies sur toutes les mers du globe. Nous sommes très satisfaits de l'identification dans le Livre blanc de la fonction stratégique « connaissance et anticipation ». La seule façon, en effet, de savoir ce qui se passe en mer est d'y être. Chacun de nos bateaux participe à cette mission, ne serait-ce que par sa seule présence. Comme je vous l'ai indiqué à Saint-Malo, 35 navires sont quotidiennement à la mer, parmi lesquels 28 sont déployés à plus de 300 milles nautiques de leur port d'attache. En moyenne, quatre aéronefs de patrouille ou de surveillance maritime opèrent sur des théâtres extérieurs.
La sauvegarde maritime est un volet important de la contribution de la marine à la sécurité des Français et constitue une part conséquente de son activité opérationnelle. L'approche interministérielle mise en oeuvre me semble la plus à même de fédérer les capacités des administrations agissant en mer, la marine apportant ses capacités militaires et hauturières. Là encore, j'ai plaisir à voir qu'il est clairement spécifié dans le Livre blanc que notre marine doit avoir des capacités d'action en haute mer. Nous ne voulons pas être concurrents des autres administrations. Notre système repose sur la complémentarité des moyens et l'absence de duplication. La haute mer est notre domaine de prédilection, la zone côtière celui des autres administrations.
Notre organisation donnant satisfaction, les limites d'action que nous rencontrons sont la plupart du temps dues à des problèmes juridiques, tels que le droit du pavillon, le statut des migrants naufragés en mer ou la problématique de leur lieu de débarquement.
Dans la lutte contre l'exploitation illicite des espaces maritimes, la marine accompagne la montée en puissance des agences européenne tout en militant pour ne pas sectoriser les moyens par domaine de responsabilité. La sectorisation est une caractéristique de la vie en société. Or, en mer, il n'y a pas de société qui vive. C'est un espace global sans frontières ni secteurs. Sur la mer, il n'y a que des actes licites ou illicites. Les gens qui se livrent à des actes illicites ne sont pas spécialistes : ils agissent dans le champ le plus rémunérateur. Celui qui, aujourd'hui, est trafiquant de drogue, sera, demain, trafiquant d'armes et, après-demain, trafiquant d'êtres humains. Si l'on veut traiter ce même trafiquant avec trois organisations et trois cadres juridiques différents dans un lieu global qui s'appelle la mer, on n'arrivera à rien car celui qui cherchera de la drogue trouvera des trafiquants de migrants clandestins ou d'armes et inversement. On dupliquera les moyens et on s'épuisera parce que la mer est grande !
Nous appartenons à un pays qui est fier de ses valeurs et où la sauvegarde de la vie humaine est fondamentale. Les trafics d'êtres humains auxquels nous sommes confrontés en mer sont de véritables drames, pour les personnes concernées comme pour nous. En 2008, la marine a accru sa coopération avec l'agence européenne FRONTEX, les freins législatifs et juridiques qui nous entravaient ayant été quelque peu assouplis grâce aux accords bilatéraux signés avec quelques pays membres de l'Union. Nous avons ainsi, pour la première fois, participé à des patrouilles en mer Egée, en mer d'Alboran et dans le canal de Sicile. À titre d'exemple, le patrouilleur Arago, déployé en Méditerranée centrale, a récemment recueilli plus de 200 personnes à la dérive sur un bateau de pêche de vingt mètres.
De telles situations sont extrêmement difficiles à vivre, non seulement pour les victimes mais aussi pour nos marins qui se sentent désemparés parce que nous n'avons pas toujours les moyens pour agir face à de telles détresses. Ainsi, au cours d'une opération de sauvetage, le commandant, voyant la horde de migrants partir à l'assaut de son bateau, a craint que certains soient piétinés ou tombent à la mer et a fait tirer des coups de fusil en l'air pour rétablir l'ordre, ce qui a eu pour effet de calmer les gens, qui ont pu monter tranquillement sur le bateau. Un député européen s'en est ému et le commandant s'est presque retrouvé dans la position de l'accusé alors qu'il a évité un drame majeur qui aurait pu causer de nombreuses morts.
L'immigration clandestine ne concerne malheureusement pas que l'Europe continentale. Elle touche particulièrement nos îles d'outre-mer dans l'arc antillais et la région de Mayotte. Sur cette île, qui est en fait la porte d'entrée principale de l'immigration clandestine en France et donc en Europe, la marine exploite trois radars de veille. Elle a intercepté depuis le début de l'année une vingtaine de navires avec plus de 500 migrants et passeurs. En 2007, elle en avait attrapé 653. Les personnes interpellées sont ramenées chez elles, ce qui est un facteur fondamental de dissuasion. Néanmoins, comme on le constate, les chiffres sont encore très importants.
Dans le domaine de la lutte contre le narcotrafic, la coopération interministérielle et internationale est excellente. Nous participons, en particulier, à la Joint Interagency Task Force de Key West, une organisation américaine remarquable où nous apprenons à développer nos savoir-faire avant de les utiliser dans d'autres zones de trafic. Depuis le 1er janvier 2008, nous avons intercepté en haute mer près de 11 tonnes de produits illicites et 15 navires.
Nous luttons également contre la pêche illicite, essentiellement dans la zone antarctique ; la situation y est maintenant sous contrôle mais il ne faut pas baisser la garde. Cette action nous permet d'entretenir une filière de pêche viable à la Réunion. Nous avons par contre des soucis en Guyane, où une opération quasi militaire a dû être menée à l'automne 2007 par les commandos marine du fait de l'agressivité et des armements de pêcheurs brésiliens en situation illicite. En un an, près de 2 000 jours de mer et 650 heures de vol ont été dédiées aux missions de police des pêches.
Nous continuons également à lutter contre la pollution. L'arsenal juridique mis en place en la matière nous aide beaucoup. En 2008, trois navires seulement ont été surpris en train de déballaster – mais ce sont encore trois de trop.
En dépit du nombre d'opérations de recherche et de sauvetage, la mer tue encore beaucoup trop. Les accidents continuent de croître le long de nos côtes. Trois échouements et quatre naufrages de navires de commerce ou de pêche sont à déplorer depuis le début de l'année sur nos rivages métropolitains. Et je ne parle pas des accidents d'activité nautique de loisir : les accidents de plongée et de baignade sont encore beaucoup trop nombreux.
Enfin, ce sont près de 200 marins qui sont engagés en mer, sur nos façades maritimes ou à terre comme à Marseille et à Cherbourg, dans le cadre des plans Vigipirate et Vigimer.
En dépit de ce bilan relativement positif, la disponibilité fluctuante des moyens aéromaritimes impacte souvent l'efficacité des opérations et le respect du contrat opérationnel de la marine. Ainsi, le vieillissement des parcs d'hélicoptères obère l'aptitude de la marine à projeter ses frégates avec des aéronefs fiables et surtout à tenir ses alertes de service public.
Nous connaissons également des difficultés conjoncturelles sur un certain nombre de nos bateaux. Les problèmes rencontrés par nos deux seules frégates antiaériennes ont entraîné la rupture du contrat opérationnel de projection d'un groupe amphibie pendant trois mois fin 2007, car ces frégates en constituent l'escorte principale.
Pour autant, la reconquête de la disponibilité des moyens se poursuit. Le taux moyen de disponibilité technique des bâtiments est passé de 65 % en 2004 à 73 % en 2007. Il devrait se maintenir au-dessus de 70 % en 2008. Cet excellent résultat est dû à la réorganisation du MCO – maintien en condition opérationnelle – naval. Nous avons éprouvé beaucoup de difficultés à nous faire comprendre : un bateau n'est pas un véhicule mais, comme le disaient les anciens, un bâtiment. L'entretien des navires s'apparente donc à celui du patrimoine et non à celui de véhicules. Ceux qui voulaient nous faire croire qu'une réduction de 10 % de notre activité suffirait à réduire notre budget de MCO ont fini par comprendre qu'ils avaient tort : qu'il navigue ou non, un bateau rouille et la corrosion est la principale source de problèmes sur un bâtiment. Le MCO naval est indépendant de l'activité de nos bâtiments. Il est, en revanche, directement lié à la nature et à la quantité du parc.
Maintenant que nous avons réussi à assurer une disponibilité convenable de nos plateformes, ce qui ne se voyait pas avant nous saute aux yeux : il faut dorénavant se battre pour assurer la disponibilité de nos équipements. Dans le cas des frégates de défense antiaérienne, les bateaux étaient disponibles, mais leur système d'armes, lui, n'était pas opérationnel.
Enfin – et c'est un souci au moment où l'on examine au Parlement le Grenelle de l'environnement –, la mise aux normes environnementales de nos bateaux nécessite des investissements considérables que nous n'avons pas. Nous bénéficions donc de dérogations par rapport à la loi commune. Nous essayons d'effacer les écarts les plus criants tout en sachant, par exemple, qu'il ne serait pas raisonnable de refaire complètement les installations frigorifiques d'un bateau devant être démoli dans trois ou quatre ans. Pour autant, un certain nombre d'aménagements restent à réaliser, que nous ferions plus vite si nous avions des crédits disponibles.
L'année 2008 a été marquée par la première IPER du porte-avions Charles-de- Gaulle. C'était un défi à la fois organisationnel, industriel, méthodologique et financier. Le chantier a représenté au total 1,2 million d'heures de travail pour les industriels et autant pour nos marins. Je suis pour l'instant optimiste. Le pari est en passe d'être gagné. En tout cas, les travaux ont été réalisés dans les temps. Le bateau est à l'eau, les réacteurs recommencent à fonctionner et le premier appontage dans un cadre d'essais devrait avoir lieu dans moins d'un mois. Outre cette IPER, l'entretien des autres bâtiments s'est poursuivi à un rythme soutenu : trois SNA et onze frégates ont bénéficié d'arrêts techniques majeurs ou intermédiaires cette année.
Le service de soutien de la flotte – SSF –, qui a initié en 2005 des contrats très originaux qui font école jusqu'au États-Unis, appelés « CAP 2005 », met actuellement sur pied la deuxième génération de contrats, que nous appelons « CAP 2008 ». Des marchés de maintenance ont d'ores et déjà été engagés pour les sous-marins pour un montant de 340 millions d'euros et un marché d'environ 100 millions d'euros sera passé d'ici à la fin de l'année pour l'entretien des frégates. Il s'agit de contrats globaux. Nous n'achetons plus des prestations mais de la disponibilité, c'est-à-dire que l'industriel est jugé et payé sur le résultat et non sur les travaux qu'il a effectués.
Le bilan concernant le taux de disponibilité des matériels de l'aéronautique navale est plus mitigé. Ce taux a diminué de près de 10 % sur un an à cause de plusieurs facteurs conjoncturels. Le premier est l'arrêt du porte-avions. Nous avions différé un certain nombre d'opérations de maintenance pour utiliser au mieux notre parc aérien tant que le porte-avions était disponible. Celles-ci ont été réalisées pendant l'IPER de ce dernier, mais, durant cette période, nos avions ne volaient pas. Par ailleurs, contrairement à l'armée de l'air qui travaille en flux continu, la marine travaille au rythme du porte-avions. Nos amis de l'armée de l'air, avec qui nous travaillons de façon très étroite à l'intérieur de la SIMMAD – structure interarmées de maintenance du matériel de l'aéronautique de défense –, essaient de gérer leur disponibilité linéairement tandis que nous gérons des courbes en pics : pendant les mois d'embarquement de nos avions, nous recherchons une disponibilité de près de 100 %, parfois durant un an. Comme nous travaillons avec des moyennes imposées, les mois suivants, la disponibilité tend vers zéro. Le rythme que l'on a connu en 2008 n'est donc pas anormal.
Il faut cependant faire attention en ce qui concerne les hélicoptères car ils ont connu des baisses de disponibilité significatives, dues essentiellement au vieillissement des machines et à l'insuffisance des pièces de rechange, certaines pièces devant être fabriquées sur mesure car elles ne sont plus commercialisées.
Nous avons subi comme tout le monde l'impact de la fluctuation des cours du pétrole. Durant la première partie de l'année, nous avons dû réduire très fortement notre activité car, d'une part, le pétrole était à des prix tels que nous ne pouvions pas l'acheter et, d'autre part, nos stocks ne sont pas inépuisables. La situation s'est un peu améliorée récemment. Sur l'ensemble de l'année, nous pensons avoir réussi à tenir à peu près 90 % de nos objectifs d'activité et nous espérons pouvoir remonter notre stock de combustible, tout en étant conscients que nous n'arriverons vraisemblablement pas à le reconstituer à moins que l'évolution des cours nous réserve de bonnes surprises. Nous attendons un complément de ressources d'ici à la fin de l'année pour pouvoir compléter nos stocks et faire les livraisons du premier trimestre 2009, puisque le combustible « marine » est fabriqué spécialement pour nous. Ce n'est pas du combustible standard que l'on trouve sur le marché. Entre la commande et la livraison, il se passe donc un certain temps.
Pour les travaux d'infrastructure, la gestion 2008 est marquée par la poursuite d'opérations techniques majeures, essentiellement en Bretagne. Nous poursuivons la mise à niveau de l'Île Longue pour l'adapter aux nouveaux sous-marins et aux nouveaux missiles ainsi qu'à l'évolution des normes de sécurité nucléaire. Nous préparons également l'arrivée de l'hélicoptère NH90 sur la base aéronavale de Lanvéoc-Poulmic.
En ce qui concerne la livraison de nos matériels neufs, bien que l'année 2008 ait enregistré un léger tassement, le renouvellement de la flotte se déroule convenablement. Sept avions Rafale de type F2 seront livrés à la marine cette année et la première frégate de défense aérienne type Horizon, le Forbin, arrive au stade final puisque les derniers jalons du programme dépendent des résultats des essais à la mer actuellement menés en coopération étroite avec nos amis italiens. Je tiens beaucoup à cette coopération parce que je trouverais très dommageable que, dans un programme multinational, les critères d'acceptation vis-à-vis de l'industrie soient différents d'un pays à l'autre. Je n'ignore pas, cependant, que les industriels font tout pour que nous acceptions les bateaux dans l'état où ils sont.
La construction du Terrible se poursuit quant à elle de manière normale. Enfin, le développement et l'acquisition de nouvelles torpilles pour sous-marins ont également été lancés.
Concernant le projet de budget pour 2009, nous voyons bien que nous changeons d'ère. D'abord, ce budget va être concomitant avec la nouvelle LPM – loi de programmation militaire – qui est elle-même la conséquence du Livre blanc et de la révision générale des politiques publiques – RGPP.
Les dotations budgétaires supportant l'activité de la marine sont réparties dans plusieurs programmes dont les trois principaux sont le programme 178 « Préparation et emploi des forces » qui finance nos forces, notre fonctionnement et notre MCO, le programme 146 « Équipement des forces » qui gère la livraison de nos matériels aussi bien aéronautiques que navals et enfin le programme 212 « Soutien de la politique de la défense » qui finance essentiellement notre infrastructure.
Le programme « Préparation et emploi des forces » est pour nous très important car il concerne la quasi-totalité des unités en service de la marine, réunies au sein de l'action « préparation des forces navales » qui rassemble 91 % du personnel de la marine. Dans ce BOP – budget opérationnel de programme –, le poste le plus important est celui relatif aux « rémunérations et charges sociales ».
Comme j'ai coutume de le rappeler, un navire sans équipage n'est qu'un tas de ferraille inutile. C'est pourquoi notre attention est focalisée sur ce que nous appelons la manoeuvre des ressources humaines menée par l'ensemble du ministère. Celle-ci va nous conduire à réduire nos effectifs de 12 % en six ans tout en continuant à travailler avec un haut niveau de professionnalisme. La marine porte toute sa part des réductions d'effectifs et sa contribution à l'effort collectif va bien au-delà des audits de la RGPP et des conclusions du Livre blanc. Contrairement à ce que j'entends dire, la marine ne « s'en tire pas mieux » que les autres. La ponction sur nos effectifs est à la limite du supportable. Mais je ne me plains pas parce que mon métier consiste à préparer l'avenir et je suis intimement convaincu que, d'ici à cinq, dix ou quinze ans, la question ne sera pas de savoir combien il doit y avoir de bateaux mais combien on a de marins capables d'armer ces bateaux. Je trouve un peu dommage que le Livre blanc n'ait pas davantage insisté sur le déclin démographique de l'Europe, même si ce problème est moins prégnant chez nous que chez nos voisins. Les jeunes Français se considèrent aujourd'hui autant européens que français et s'ils vont travailler dans d'autres pays d'Europe, cela fera autant de candidats en moins pour venir s'engager dans nos armées.
Cette contrainte sur nos effectifs, qui est bien supérieure à ce que nous aurions décidé de notre propre chef, est sans doute pour nous une chance historique car elle va nous obliger à modifier fondamentalement nos structures de fonctionnement, si bien que nous nous trouverons dans une posture beaucoup plus robuste face à la crise que si nous avions laissé décroître nos effectifs naturellement en fonction des préconisations de la RGPP.
Cette manoeuvre des ressources humaines devra être précise parce que, tout en diminuant les effectifs globaux, il faudra maintenir un équilibre dans les différents métiers que nous pratiquons. Ceux-ci sont basés sur des effectifs réduits, soumis à des micro-flux de personnes qui détiennent des spécialités très rares. Nous devons faire de la gestion de compétences et envisager les départs d'un point de vue qualitatif et non quantitatif, selon le slogan diffusé en ce moment par notre direction du personnel : il ne s'agit pas de partir plus, mais de partir mieux.
Un de nos sujets de préoccupation majeurs reste le recrutement. La vie embarquée nécessitant une bonne condition physique, nous devons maintenir la moyenne d'âge des équipages au niveau actuel, c'est-à-dire à moins de trente ans. Il faut donc continuer à recruter des jeunes et à laisser partir les plus âgés tout en conservant les plus expérimentés dans des compétences spécifiques, ce qui est une équation délicate.
En 2009, la marine diminuera ses effectifs civils et militaires de 834 postes, ce qui creusera encore le déficit de 500 postes que nous pressentons pour la fin 2008 puisque nous n'avons pas atteint nos objectifs de recrutement d'officiers mariniers. C'est la raison pour laquelle nous allons devoir lancer, alors que nous sommes en phase de déflation, une campagne de recrutement dans les médias au début de 2009.
L'apparente stabilité en valeur des crédits du titre II, qui ne diminuent que de 0,4 %, ne doit pas masquer une baisse de 3 % des crédits de rémunération, à mettre en regard de la diminution des effectifs de 12 % en six ans, soit 2 % par an. Nous serons très vigilants pour que les contraintes budgétaires ne nous obligent pas à réduire la voilure plus que nous n'avions prévu de le faire.
Le chef d'état–major des armées a indiqué récemment que, de façon insidieuse, à la suite de différentes régulations budgétaires, 30 000 postes de militaires avaient « disparu » dans la nature au cours des dernières années, sous des prétextes comme l'augmentation du point d'indice de la fonction publique financée sous enveloppe constante. Si nous voulons réussir notre manoeuvre de ressources humaines, il faudra que ces anciennes pratiques cessent.
Il nous appartiendra, dans cette enveloppe qui reste assez importante, de faire les bons réglages entre les rémunérations, les mesures d'accompagnement social des personnels concernés par les restructurations et les mesures d'amélioration de la condition militaire. Comme vous pourrez le voir dans la gazette interne de la direction du personnel de la marine, qui décrit la manoeuvre des ressources humaines à l'intérieur de la marine, il est clairement indiqué au personnel qu'il ne doit pas espérer recevoir une prime de départ car nous ne souhaitons pas payer les gens qui partent. Notre problématique est davantage de retenir les personnes que nous voulons garder que de pousser des gens dehors.
La part relative des dépenses liées aux produits pétroliers reste en augmentation continue depuis 2004. Elle atteindra, en 2009, 25 % des crédits alloués au fonctionnement des forces ; il n'en demeure pas moins que tout dépendra de l'évolution des cours. Cette dotation a été calculée sur l'achat de la quantité de combustible nécessaire à la réalisation de 90 % de la norme d'activité prévue pour les bâtiments de surface et aéronefs. La marge de manoeuvre sera notre capacité à reconstituer ou pas les stocks au niveau que nous souhaitons. Il faut cependant avoir conscience que, même si la situation est gérable, elle présente quelques fragilités et il faudra que nous soyons très attentifs en matière de gestion.
Compte tenu de ce contexte, le volume d'activités planifiées pour 2009 est moindre qu'en 2008. Il n'est bien évidemment pas question de toucher à la posture de dissuasion ni à notre activité dans les zones de crise. Nous avons sacralisé notre contribution à l'opération HéraclèsEnduring Freedom en océan Indien avec la prise de commandement de la TF 150 au cours du premier semestre. Nous continuerons à être présents en permanence en Afrique de l'Ouest dans la mission anciennement appelée Corymbe et rebaptisée récemment Rorqual. Nous continuerons également à participer à la FINUL maritime au large du Liban.
En ce qui concerne les restructurations, la marine participe à l'expérimentation des premières bases de défense avec la base de Brest. C'est la plus grosse base défense expérimentale puisqu'elle regroupe plus de 15 000 personnes, la taille moyenne se situant entre 2 000 et 3 000 personnes. Pour nos unités dans les forces, cette création devrait être transparente puisque c'est à l'intérieur des mécanismes de soutien, et donc à terre, que vont avoir lieu les modifications. Normalement, le « bateau-client » ne doit rien voir des modifications apportées à la façon dont on organise sur le quai les services dont il a besoin. En revanche, la concentration à un niveau interarmées va provoquer une mise à plat totale de nos méthodes de travail et une harmonisation volontariste et très profonde des processus administratifs, jusqu'à présent différents d'une armée à l'autre.
Les crédits consacrés à l'entretien des équipements sont en nette augmentation par rapport à 2008 puisque le MCO global augmente de 8 % en crédits de paiement et de 20 % en autorisations d'engagement. L'augmentation importante des autorisations d'engagement a pour but de permettre au service de soutien de la flotte de passer des contrats globaux et donc de prendre de l'avance sur ce qui sera plus tard des crédits de paiement. L'augmentation des crédits de paiement est liée essentiellement à celle de la prestation qui est, elle-même, directement liée aux coûts des matières premières, dont beaucoup ont connu des envolées très importantes. On peut espérer que ces chiffres reviennent à des valeurs plus raisonnables avec la crise. Ce que j'espère, c'est que les insuffisances que nous avions dans la construction de nos contrats puissent être comblées par les marges de manoeuvre que devrait nous procurer la stabilisation des cours des matières premières.
Compte tenu des incontournables, puisqu'il n'est pas question de toucher à la FOST – force océanique stratégique –, ce sont les forces conventionnelles qui seront nos variables d'ajustement. Notre marge de manoeuvre est de l'ordre de 10 %. Cette marge d'incertitude devrait normalement être gérable si les coûts extérieurs, comme je l'indiquais, évoluent de façon raisonnable.
Comme nous devons être proactifs, nous prévoyons des mesures d'économie préventives. Ainsi, certains bâtiments anciens, patrouilleurs, bâtiments de transport léger, chasseurs de mines ou bâtiment atelier, dont un certain nombre outre-mer, seront retirés du service dès 2009 pour préserver le maintien en condition opérationnelle des grands bâtiments de combat qui sont l'ossature de notre marine. Pour préserver les capacités d'action de l'État en mer, nous avons décidé, conformément aux préconisations du Livre blanc, de déclasser nos avisos qui, jusqu'à présent, émargeaient dans la famille des frégates, en patrouilleurs de haute mer. Cela signifie qu'un certain nombre de capacités militaires qu'ils détiennent ne seront plus entretenues. L'utilisation de ces bateaux robustes et au fonctionnement très peu coûteux nous permettra de faire la jonction avec les programmes futurs de bateaux de sauvegarde maritime et donc d'envisager la planification avec des paramètres maîtrisables.
En ce qui concerne l'aéronautique navale, l'amélioration de la disponibilité dépendra essentiellement de l'évolution du stock des pièces de rechange. L'évolution des coûts des matières premières sera, là encore, le paramètre dimensionnant. Mais c'est moins gênant pour l'aéronautique navale que pour les bateaux puisque nous achetons des heures de vol que nous utilisons comme le MCO nous le permet. Comme il n'est pas question de dégrader la sécurité des vols, nous n'acceptons pas que nos pilotes volent en dessous de leurs quotas d'heures d'entraînement. Mais comme nos pilotes sont également des marins et savent faire autre chose que piloter, de temps en temps, on les sort du système pour les remettre dans un métier de marin, et cela nous donne la respiration nécessaire.
Le renouvellement de nos moyens se poursuit au sein du programme 146 « Équipement des forces. ». Celui-ci bénéficiera d'une hausse très significative de ses dotations en 2009. Pour la marine, cela représentera une augmentation de 47 % en autorisations d'engagement et de 10 % en crédits de paiement. Cela permet la poursuite d'un certain nombre de programmes, les principaux étant la FREMM – frégate européenne multimission –, le sous-marin Barracuda et le Rafale. Ceux-ci font l'objet actuellement de renégociations avec les industriels pour tenir compte des paramètres de la loi de programmation militaire. Par exemple, sur la FREMM, les négociations portent sur la réduction de la cible de 17 à 11 bateaux. Il était prévu initialement une première tranche de huit bateaux, suivie de deux autres tranches : l'une de cinq bateaux et l'autre de quatre. Comme une tranche de construction de trois bateaux induirait des surcoûts considérables, nous demandons que la tranche de huit bateaux passe à onze, en en commandant trois supplémentaires. C'est ce qui explique l'augmentation importante des autorisations d'engagement. La renégociation de ces contrats devrait nous permettre à terme, en optimisant l'économie générale de ceux-ci, de ne pas avoir trop de CP à payer les années suivantes.
La construction du Terrible est arrivée à terme. Sa présentation aux essais est toujours programmée au début de 2009.
Il me paraît important de signaler que, en dehors de la dissuasion, la moitié des programmes de la marine sont conduits en coopération européenne.
Concernant le deuxième porte-avions, je signale simplement que nous travaillons à maintenir un minimum de spécialistes dans les équipes de recherche pour pouvoir remonter en puissance le moment venu et que nous mettons à profit le report pour examiner la pertinence de changer notre option sur le type de propulsion, compte tenu de l'évolution prévisible du coût du pétrole.
Un deuxième sous-marin Barracuda devrait être commandé ainsi que trois frégates FREMM, dont deux de défense aérienne (FREDA), neuf avions Rafale et 150 missiles de croisière navale, dont 50 pourront être tirés depuis un sous-marin.
Les deux frégates Horizon, le Forbin et le Chevalier Paul, actuellement en essai, devraient nous êtres livrées en 2009, ainsi que deux avions Rafale et 50 nouvelles torpilles MU90.
Si cette situation peut paraître très favorable à la marine, il ne faut pas oublier que le contexte budgétaire contraint de ces dernières années a provoqué un ralentissement important des commandes. Hors le cas particulier du deuxième porte-avions, le niveau des engagements réalisés au 1er octobre n'atteignait que la moitié des objectifs fixés pour l'année. Il existe donc un risque de décalage de certains programmes.
Concernant le programme 212 « Soutien de la politique de défense », nous n'avons pas de difficultés sur le papier puisque les dotations prévues répondent à nos besoins mais 80 % des financements consacrés aux infrastructures sont liés à la vente des actifs de la défense et à un certain nombre de ressources extrabudgétaires. Donc, ce qui est inscrit au projet de loi de finances ne représente qu'une toute petite partie de nos besoins. C'est un point très important pour la marine, seule armée en charge de l'outil industriel nécessaire à la mise en oeuvre et à la maintenance de ses équipements : quais, bassins de radoub, grues etc. Je veillerai personnellement à ce qu'on ne fasse pas l'impasse sur les installations nucléaires de l'Île Longue.
En conclusion, le projet de budget pour 2009 se présente plutôt bien compte tenu du contexte. Il va nous obliger à travailler sérieusement et professionnellement mais nous sommes payés pour cela. Nous devrons être vigilants sur le financement des infrastructures mais nous n'avons pas de raison de nous plaindre a priori.
Un paramètre qui sera très dimensionnant est le point d'atterrissage de la gestion 2008. Un certain nombre d'arbitrages sont en cours dont nous attendons les résultats, en particulier sur les équipements. Nous avons quelques soucis depuis plusieurs années à faire respecter par le ministère des finances l'accord dit des 1319e sur les FREMM. Cet accord n'a pas été honoré l'année dernière, et je crains fort qu'il ne le soit pas non plus cette année.
Quelques mots sur l'arrivée à maturité de la LOLF. Alors que l'ordonnance de 1959 relevait d'une logique budgétaire de moyens, la LOLF repose sur une logique affichée d'objectifs et de missions. Or la marine nationale, qui comme je le rappelle régulièrement ne se résume pas à une simple armée de mer, est aujourd'hui entièrement financée sur la mission « Défense » alors que 30 % de son activité ressortissent à d'autres missions. J'ai coutume de dire que mon patron, qui est le chef d'état-major des armées, ne peut pas, lorsqu'il a des arbitrages à prononcer, faire d'autres choix que ceux reposant sur des critères « défense ». Si on lui demande d'arbitrer entre la protection du soldat en Afghanistan et la survie du thon rouge en Méditerranée, quelle que soit la personne occupant le poste de CEMA, la décision s'impose. Pour autant, la préservation du thon rouge en Méditerranée est un problème important qui, pour être résolu, nécessite un financement. Mais est-ce à la mission « Défense » de supporter ce genre de contrainte ? Normalement – et c'est ce que nous espérons toujours, parce que nous sommes optimistes –, la LOLF devrait permettre, en travaillant sur une logique non plus de moyens mais de missions, de nous donner les financements adéquats. Le Livre blanc a commencé à évoquer la question. Personnellement, je ne souhaite pas que la marine soit démantelée en plusieurs morceaux. Ce serait néfaste non seulement à notre institution mais aussi à la bonne gestion de l'argent du contribuable puisque nous dégraderions ce qui, aujourd'hui, est optimisé. Mais, compte tenu du fait que nous développons maintenant une comptabilité analytique qui permet de retracer l'usage que nous faisons de l'argent qui nous est donné, il ne me paraîtrait pas scandaleux que, comme tout particulier, je puisse avoir plusieurs comptes en banque.
Nous vous remercions, amiral, pour cet exposé très complet. Il a répondu à nombre des questions que se posent les membres de la Commission.
À titre personnel, je livrerai un témoignage, ferai un commentaire et poserai une question.
Un témoignage : pour avoir assisté à l'IPER du Charles-de-Gaulle, j'ai été impressionné par la qualité du travail effectué et par la coordination entre la marine, le SSF, l'industriel et ses sous-traitants. Les dates ont été respectées au jour près puisque la mise à l'eau a eu lieu, comme prévu, le 21 août.
Un commentaire : vous avez souligné que l'IPER du Charles-de-Gaulle n'avait en rien impacté le MCO des SNA. C'est, à mon sens, un argument de plus pour justifier la nécessité de deux sites nucléaires pour assurer le MCO de notre marine.
Une question : apparemment la recherche et le développement navals sont le parent pauvre de la distribution des crédits de recherche et développement et les industriels s'en plaignent beaucoup. Ils font un parallèle avec l'objectif de contrainte des prix et craignent que cela n'amoindrisse, à terme, nos capacités technologiques par rapport à celles d'autres marines. Quelle est votre opinion à ce sujet ?
Amiral Pierre-François Forissier, chef d'état-major de la marine. Je suis un peu gêné pour répondre à votre question car elle ne relève pas de mon domaine de compétences, les études amont étant réalisées par la DGA – direction générale pour l'armement. Mais je ne vais pas me dérober pour autant. La question est complexe parce qu'elle intègre un certain nombre de paramètres.
Avant 1996, la marine avait son propre budget d'études amont et décidait donc de l'argent qu'elle souhaitait mettre sur tel ou tel projet. Dans les années 1996-1997, les études amont ont été mutualisées et confiées à la DGA. Nous sommes donc passés d'acteurs à clients. Je ne critique pas le système car il devrait être vertueux. En mettant la maîtrise d'ouvrage étatique qu'est la DGA face aux industriels, cela oblige ces derniers à être proactifs, ce qui évite que les études ne se transforment, comme cela a souvent été le cas dans le passé, en rentes de situation ou en flux d'études. La réforme de 1997 avait pour but de financer de vrais projets.
En 1997, l'industrie navale était dans un état bien différent de celui dans lequel elle est aujourd'hui. Il était certainement difficile de se restructurer en profondeur et de se recentrer sur son coeur de métier et en même temps d'être inventif et proactif en matière de recherche.
Je pourrais faire des ratios et me plaindre, comme le font certains, de ce que la part navale dans les études amont soit beaucoup moins importante aujourd'hui que du temps où la marine avait son propre budget. C'est un fait que l'industrie de défense étant essentiellement aéronautique en France, c'est le milieu aéronautique qui est le gros pourvoyeur d'études amont. Cela étant, comme les compagnies aéronautiques travaillent dans l'électronique au sens large, ce qui peut paraître uniquement aéronautique a des retombées importantes dans le domaine naval. Les études de portée purement navale correspondent aux projets que nos industries navales sont capables de mettre sur la table. La question est de savoir quel est le fait initiateur et quel est le fait conséquent.
Objectivement, les études à dominante navale ne sont pas aussi importantes que nous le souhaiterions… dans un monde idéal. Encore faut-il savoir si les études amont correspondent à des besoins que nous avons exprimés ou à des besoins liés au positionnement export. Plus les matériels destinés à l'export seront communs avec ceux que nous avons chez nous, plus les processus s'harmoniseront. S'il y a de bons projets avec des débouchés à la fois sur le marché national et à l'export, l'arbitrage sur les études amont devrait aller dans le bon sens. Les questions à se poser sont : « Quel est l'avenir de l'industrie navale européenne ? » et « Que cherche-t-on à faire ? » Pour être tout à fait clair et concret, je me suis opposé pendant des années à ce que notre industriel préféré dépense des sommes considérables dans le développement de piles à combustible navales puisque l'Allemagne en fabriquait de parfaitement opérationnelles. Je ne comprends pas pourquoi il serait nécessaire de développer en France une technologie disponible en Europe. Cela illustre les approches différentes que nous pouvons avoir en interne au sein de la maison navale.
Sur ces sujets, il faut être très prudent. S'il y a moins d'argent sur la recherche amont navale que nous le souhaiterions, c'est peut-être parce que les projets de la communauté navale ne sont pas suffisamment robustes ni suffisamment bien construits pour être retenus. Comme nous avons un pied dans le domaine naval et un pied dans le domaine aéronautique, je constate les niveaux d'exemplarité et d'élaboration des projets présentés par l'industrie aéronautique et je me dis que nous pouvons encore progresser dans le domaine naval.
Appelée à donner un avis sur le budget de la marine, je tiens d'abord à saluer l'augmentation du budget global de la défense dans le contexte financier contraint et incertain que nous connaissons.
Mes questions ne sont plus vraiment des questions puisque vous y avez répondu, amiral, dans votre exposé liminaire.
Lorsque j'ai rendu visite aux personnels civils et militaires de tous grades de Toulon, Brest et Paris, j'ai rencontré des hommes et des femmes à la fois intéressés par ce moment historique constitué par la conjonction de la publication du Livre blanc, de la RGPP et de l'amorce de la nouvelle loi de programmation militaire, attentifs, sereins et surtout – et cela m'a fait plaisir – fiers de servir leur pays, notamment parmi les jeunes générations. Cela est porteur d'espoir.
Je souscris totalement à votre idée de pouvoir disposer de plusieurs comptes en banque. Comme je l'ai souligné l'an dernier en rapportant ce budget, il y a, d'un côté, les crédits « Défense » et, de l'autre, l'exercice de l'autorité de l'État en mer. La mission de sauvegarde maritime, qui a été consacrée par le Livre blanc, nécessite des moyens importants. Or ceux-ci sont aujourd'hui un peu « à bout de souffle » pour les équipements. Je serais favorable à l'idée d'un portage interministériel. Il faudra certes payer, mais la charge serait moins lourde à porter par le budget stricto sensu Défense.
S'agissant de l'interarmisation, je suis toujours un peu réservée quand ce mot est utilisé car autant on peut imaginer une interarmisation en termes de soutien – humain notamment – autant elle apparaît difficile avec la marine du fait de ses spécificités propres. Le mot « harmonisation » me semble mieux convenir.
Vous avez longuement évoqué les ressources humaines en mettant en avant la nécessité à la fois de formation, d'attrait du recrutement et de fidélisation. La réhabilitation des logements est également un impératif. Les besoins sont criants à Toulon, un peu moins à Brest mais tout aussi nécessaires. Par ailleurs, la marine a changé du fait de la féminisation des armées, et des questions se posent aujourd'hui qui ne se posaient pas il y a encore quelques années. Il faut dorénavant organiser la garde des enfants, avec des horaires forcément atypiques compte tenu des missions demandées à nos marins.
Enfin, il est prévu de retirer du service le navire-école Jeanne d'Arc en 2010. Des orientations sont-elles prises pour la formation des élèves officiers ?
Amiral Pierre-François Forissier, chef d'état-major de la marine. Il est évident qu'une nouvelle Jeanne d'Arc ne viendra pas remplacer l'ancienne en 2010. Sinon, il y a longtemps qu'elle serait en construction. Notre impératif de formation est résumé dans la formule suivante : apprendre à naviguer loin, longtemps et en équipage. C'est notre cahier des charges. Pour l'honorer, il faut disposer d'un bateau armé par un équipage de la marine nationale et représentatif des équipements que l'on trouve sur les bateaux de la flotte.
L'année où la Jeanne d'Arc est tombée en panne, elle a été remplacée par ce que l'on a appelé un groupe école, composé de trois frégates. Nous savons faire naviguer nos élèves officiers loin, longtemps et en équipage dans ce genre de format. Cela étant, nos frégates ayant une autre vocation, nous ne souhaitons pas pérenniser cette solution d'urgence. En revanche, nous disposons avec les BPC de bateaux formidables, conçus pour une disponibilité technique de 300 jours par an et extrêmement flexibles dans leur utilisation. Je suis en train de négocier avec le chef d'état-major des armées la mise à disposition d'un créneau d'utilisation d'un de ces bateaux. Le créneau serait réversible puisque, sur ce genre de bateau, l'école pourrait être embarquée de façon temporaire et « containérisée », de sorte qu'elle serait débarquable aussi vite qu'elle serait embarquée. Par ailleurs, l'histoire récente de la Jeanne d'Arc montre que nous avons de plus en plus intérêt à mettre nos élèves officiers en situation opérationnelle réelle, d'autant que les opérations que nous menons sont sorties de l'alternative guerre-paix. En fait, nous ne faisons ni la paix ni la guerre, nous gérons une crise permanente. Que nos élèves officiers soient immergés dans la crise est plutôt pédagogique et ne gêne en rien, comme nous l'avons vu lors du tsunami et de l'affaire du Ponant, la conduite des opérations. Nous assumons totalement le risque que nos élèves soient « pris en otages » à l'occasion d'une opération. Si jamais la situation devenait très tendue, il resterait toujours la possibilité de débarquer l'école et ses containers sur un quai quelque part. C'est un risque que j'assume.
Je ne sais pas exactement comment les choses vont se passer en 2010. Je souhaite n'avoir recours au groupe de frégates qu'en dernière extrémité et pouvoir utiliser un BPC de façon presque transparente. Je n'ai évidemment pas renoncé à avoir un bâtiment dédié mais j'ai conscience que celui-ci ne pourra pas être franco-français. Il devra forcément être européen, ce qui suppose qu'il y ait une formation européenne harmonisée. C'est la raison pour laquelle je milite et agis pour que l'école navale soit complètement intégrée dans le processus de Bologne et soit au standard européen. L'Erasmus naval n'est pas un slogan, c'est une réalité puisque, aujourd'hui, l'école navale est certifiée Erasmus. C'est la première école militaire française à l'être.
En ce qui concerne l'interarmisation, je vous ferai part de ma conviction personnelle profonde : il n'existe pas d'armée interarmées ! Nos militaires sont soit marins, soit terriens, soit aviateurs, et ils font leur métier de base de marin, de terrien ou d'aviateur. Ce sont les structures de commandement qui sont interarmées.
Laissez-moi vous rapporter une anecdote. Lorsque le Mistral a été positionné, en 2006, devant les côtes du Liban, je suis personnellement allé à sa rencontre lors de son retour vers Toulon pour recueillir les impressions des militaires qui venaient de vivre cette expérience extraordinaire. Il y avait, à bord de ce bateau, 160 marins, quelque 450 terriens et une vingtaine d'aviateurs. Comme les affectations sont en général de trois ans, 30 % d'entre eux étaient en période de mutation, ce qui signifie qu'ils étaient partis le 14 juillet en alerte en laissant derrière eux une famille en train de gérer un déménagement, avec tous les problèmes administratifs que cela implique. À bord du Mistral, un bureau administratif est chargé de s'occuper de ces affaires mais il ne savait traiter que les dossiers des 160 marins qui étaient à bord. Les 450 terriens et les 20 aviateurs ont dû se rendre au Liban, à Naquoura, afin de traiter, sous la tente, avec des obus qui leur passaient au-dessus de la tête, leurs dossiers administratifs auprès de leur propre armée…
Pour autant, la solution est-elle d'installer un adjudant-chef de l'armée de terre dans le bureau administratif du Mistral ? Je ne le pense pas. On ne rejoint pas l'armée de terre pour passer sa vie en mer. Est-il inconcevable que les procédures traitées par les marins du bureau administratif du Mistral soient les mêmes que pour les autres corps d'armée ? C'est là, à mon sens, que se situe la véritable interarmisation.
Amiral, la présence de la marine dans l'arc de crise de l'Atlantique à l'océan Indien suppose que celle-ci continue à pratiquer ce qu'elle a toujours fait, à savoir le prépositionnement, qui est inhérent à son identité. À cet égard, puisque la marine est APS – armée pilote de soutien – pour l'implantation d'une base dans les Émirats Arabes Unis à Abou Dhabi, j'aimerais que vous nous précisiez les raisons de cette implantation et les relations de cette base avec celle de Djibouti.
Amiral Pierre-François Forissier, chef d'état-major de la marine. La base d'Abou Dhabi n'est pas une base de soutien mais la concrétisation sur le terrain d'un partenariat stratégique. Elle permet à la France d'avoir une présence visible à l'intérieur du golfe Persique. La base d'Abou Dhabi ne sera donc pas en compétition avec celle de Djibouti dont la géographie, l'environnement et le positionnement en font une véritable base de soutien. Il n'est pas question que la marine se désengage de Djibouti. Elle n'y a d'ailleurs qu'un support extrêmement léger puisque ce qui l'intéresse dans cette base, ce sont les facilités portuaires, le fait de pouvoir se connecter sur l'Europe et même d'y faire des réparations d'un certain niveau sans courir le risque de se retrouver isolée du reste du monde.
Abou Dhabi étant à l'intérieur de la nasse du golfe Persique, la France doit, sans être prisonnière de la nasse, être suffisamment présente pour être crédible et montrer qu'il n'y a pas que les États-Unis qui s'impliquent dans cette zone. C'est la raison pour laquelle chacune des trois armées y installe des éléments opérationnels significatifs. Abou Dhabi est une base de soutien opérationnel et non de soutien logistique – même s'il y aura forcément une part de logistique. En particulier, je n'envisage pas d'y faire des arrêts techniques de longue durée. Si jamais la situation se dégrade et que mon bateau est indisponible pour six mois, je ne vais pas le laisser prisonnier de la nasse.
Concrètement, qu'allons-nous faire ? Nous avons une force permanente itinérante dans l'océan Indien, ALINDIEN, dont les bateaux sont, pour des raisons administratives, affectés au port de Toulon. Nous allons rechercher leur affectation au port d'Abou Dhabi ce qui permettra de résoudre un certain nombre de problèmes administratifs de nos personnels, car il n'est pas facile de rester soumis dans l'océan Indien aux règles d'administration s'appliquant aux Toulonnais. Par ailleurs, lorsque les bateaux ont besoin de faire relâche, par exemple pour que des membres d'équipage puissent partir en permission, ils le feront de préférence à Abou Dhabi, assurant ainsi une certaine présence.
De plus, comme nous aurons des infrastructures à terre, nous pourrons y organiser un soutien, que je veux essentiellement tourné vers l'homme. J'ai demandé à ce que des facilités de logement soient prévues afin de permettre les relèves d'équipage, en particulier de sous-marins. En effet, les relèves d'équipage durent un certain temps et les deux équipages doivent être sur place. Il sera politiquement beaucoup plus porteur de les faire à Abou Dhabi plutôt que dans n'importe quel autre port de la zone.
L'intérêt de la base d'Abou Dhabi est de montrer l'implication de la France à l'intérieur du Golfe sans pour autant y développer une véritable base navale. À titre d'exemple, je n'envisage pas, par exemple, d'y avoir un atelier de réparation de moteurs diesel labelisé « marine nationale française ». Le port d'Abou Dhabi, qui est en train de connaître une croissance gigantesque, dispose des compétences nécessaires si l'on doit, par exemple, travailler sur un moteur.
Il s'agit donc d'avoir une présence opérationnelle visible tout en ayant les contraintes logistiques les plus faibles possible pour pouvoir manoeuvrer si c'est nécessaire. La base d'Abou Dhabi ne servira que de support aux opérations navales qui auront lieu soit à l'intérieur du Golfe, soit à l'extérieur. Notre vocation n'est pas de rester à quai.
Je souhaite revenir sur les contrats « CAP 2005 » et « CAP 2008 » du SSF. Si, dans notre commission, nous attachons beaucoup d'importance aux budgets de la marine, de l'armée de l'air et de l'armée de terre, c'est-à-dire aux moyens donnés aux militaires pour effectuer en pleine capacité et en pleine connaissance leur métier, nous accordons aussi beaucoup d'intérêt à la vie de nos industries et aux emplois y afférents.
Or de nombreuses inquiétudes se font jour chez DCNS. Il a été demandé à cette entreprise d'entreprendre une profonde transformation sociale et elle a parfaitement réussi à le faire – nous avons été nombreux à le reconnaître au sein cette commission. Elle a également procédé avec succès et sans gros remous à la diminution du nombre de postes qui lui était demandée. Mais, dans le même temps, les budgets diminuent et les commandes sont remises en cause, comme cela va être le cas pour les FREMM après l'abandon du deuxième porte-avions. À ce sujet, j'ai été heureuse d'apprendre que la question du mode de propulsion était remise à l'étude ; si l'avis de la Commission avait été suivi, nous aurions peut-être aujourd'hui un deuxième porte-avions.
Je suis également inquiète aujourd'hui car le budget recherche est quasiment nul. Je ne pense pas que les critiques que vous avez exprimées à ce sujet, amiral, soient toutes imputables à DCNS. On peut peut-être aussi déplorer une absence de projets de la part de l'État, pour le naval en particulier. De même, le budget du MCO est sérieusement en baisse. Je sais – et vous l'avez indiqué – que le niveau des engagements réalisés au 1er octobre n'atteignait que la moitié des objectifs fixés pour l'année. Or cela a des conséquences sur les crédits de paiement : dans cette entreprise, ils sont réduits de moitié. On imagine les conséquences que cela peut avoir sur la vie de l'entreprise et sur l'emploi. Les bassins industriels de Brest et de Toulon vont être massivement touchés.
Dès lors, pouvez-vous nous donner plus de précisions sur les marchés dits « CAP 2008 » ? Vous parlez d'appels d'offres globaux. Je constate plutôt un découpage par petits morceaux de l'ensemble des contrats. Ainsi, DCNS n'aura plus la maîtrise de l'entretien des navires, la maîtrise d'oeuvre et d'ouvrage passant au SSF. Du fait des contrats que vous envisagez et des appels d'offres que vous ouvrez à l'ensemble des entreprises, on risque de voir des ouvriers de DCNS sans travail regarder travailler des entreprises qui étaient à l'époque des sous-traitants de DCNS. Cela m'inquiète beaucoup car un tel processus ne va pas manquer de créer du chômage et de susciter des mouvements sociaux.
Par ailleurs, je ne suis pas persuadée que cela soit bénéfique en termes de compétitivité. Je crains que, si l'on perd les compétences françaises en ce domaine, cela n'entraîne la disparition de l'industrie navale tant française qu'européenne.
Amiral Paul-François Forissier, chef d'état-major de la marine. Je partage totalement votre préoccupation. Cela étant, il importe de savoir comment les différents acteurs – qui sont nombreux autour de la table – règlent les différents paramètres qui relèvent de leur compétence.
Nous avons donné, au cours des quinze dernières années, suffisamment de gages de bonne volonté à DCNS et lui avons manifesté suffisamment notre préoccupation de lui procurer la posture la plus confortable possible dans un monde concurrentiel, pour qu'elle ne puisse douter que nous avons autant besoin d'une DCNS performante et compétente qu'elle a besoin d'une marine nationale solide sur laquelle compter. Notre partenariat est clair, même si notre couple traverse parfois – ce qui est normal – des grains ; tout le monde est d'accord sur les objectifs.
En ce qui concerne les constructions neuves, la négociation avec l'industriel pour trouver, à la suite de la réduction des ambitions de l'État français sur le nombre de frégates à construire, un autre montage comportant des avantages pour tout le monde m'apparaît plutôt aller dans le bon sens puisqu'il a abouti à une commande globale de onze bateaux au lieu de huit.
Pour ce qui est du MCO, nous avons quelques divergences. DCNS utilise depuis de très nombreuses années la sous-traitance locale, se réservant l'ingénierie et la conduite de chantier. Nous avons affirmé pour notre part dès le début que nous voulions ouvrir le MCO à la concurrence. Nous avons donc confié des travaux d'entretien pour des petits bâtiments à des chantiers concurrents de DCNS, comme celui de Concarneau pour l'entretien des goélettes en bois et de quelques autres bateaux. Mais cette ouverture reste encore très partielle, DCNS réalisant toujours 95 % du MCO – avec d'ailleurs les mêmes sous-traitants que ses concurrents. Ce n'est pas une situation très saine sur le long terme.
Je ne pense pas qu'on puisse reprocher à nos contrats « CAP 2005 » et « CAP 2008 » d'avoir mis DCNS en difficulté. J'observe d'ailleurs que les situations sont différentes selon les sites. Ainsi, l'établissement brestois de DCNS a, dans le cadre des contrats 2005, fait des progrès de productivité, d'organisation et de fonctionnement tout à fait remarquables. Il est presque parvenu à l'optimum de ce qu'on pouvait espérer il y a quelques années.
Les contrats CAP 2008 sont la continuité des contrats précédents, à cette différence près que nous devons nous plier à des contraintes supplémentaires. Comme nous avons eu des difficultés à mettre en oeuvre les contrats « CAP 2005 » – en raison de l'annualisation budgétaire, l'État avait du mal à s'engager sur des contrats globaux, avant que l'industriel ne s'engage lui-même en échange –, nous avons décidé, pour assurer la pérennité de ce mode d'action, de segmenter les contrats « CAP 2008 » par tranches conditionnelles annuelles. C'est sans doute ce qui inquiète l'industrie. Mais cela a été décidé au niveau des directions centrales afin de permettre à ces contrats globaux de vivre face aux contraintes administratives et budgétaires auxquelles nous sommes soumis. Rien ne serait pire que le retour au statu quo ante.
Cela étant, j'entends vos préoccupations et je les partage. Je souhaite, bien évidemment, que DCNS puisse se développer et vivre correctement. En ce qui concerne le MCO naval, je pense qu'elle a un atout considérable. Dans le monde dans lequel nous vivons, l'un des paramètres clés des clients est la sécurité. Or DCNS bénéficie de cet avantage considérable d'être une société de droit privé installée dans une enceinte militaire protégée. C'est un critère commercial majeur. Je suis très favorable à ce que des bateaux étrangers soient entretenus dans nos ports et prêt à faciliter les choses. Nous incitons fortement DCNS à aller chercher des marchés à l'international, ce que d'ailleurs, la vieille DCN, du temps où elle était arsenal de la marine, pratiquait régulièrement. J'ai souvenir d'avoir vu étant jeune des frégates belges et allemandes à l'arsenal de Brest et des bateaux américains à l'arsenal de Toulon.
Son changement de statut et l'immense travail interne réalisé au sein de cette entreprise l'ont conduite – c'est naturel quand on traverse un grain – à se replier un peu sur elle-même. Cela étant, quand on voit les résultats, on ne peut que se féliciter de l'évolution intervenue. Je pense que le temps est venu pour elle de se rouvrir à l'international en matière de services. Lorsque nous connaissons nous-mêmes des difficultés et que nos budgets d'entretien ne sont pas au niveau des besoins de DCNS pour entretenir son savoir-faire et maintenir sa capacité de travail, il faut absolument qu'elle aille chercher du travail à l'étranger, d'autant plus – et c'est un des atouts de DCNS qu'il faut conserver – que la construction neuve et le MCO sont deux activités sensiblement différentes. Dans les chantiers étrangers, on a souvent privilégié, pour des raisons de politique industrielle, la construction neuve par rapport au MCO, de sorte que le savoir-faire en ce domaine n'est pas aussi répandu qu'on veut bien le dire en Europe. Il y a là une véritable compétence qu'il faut capitaliser.
La structure commune de lutte contre le narcotrafic implantée à Key West dont vous avez parlé a-t-elle vocation à s'occuper uniquement des Caraïbes ou son champ d'action s'étend-il à d'autres mers du monde ?
Nous avons entendu hier le général Abrial, chef d'état-major de l'armée de l'air, qui a tenu un discours à peu près équivalent au vôtre sur la réduction des effectifs. Existe-t-il un seuil minimal en dessous duquel il serait militairement ou techniquement impossible de descendre ? Des structures d'accueil, d'apprentissage, de formation sont mises en place à l'arrivée. Existe-t-il l'équivalent pour la sortie ? La réduction des effectifs ne va-t-elle pas avoir une incidence sur les écoles ?
Amiral Paul-François Forissier, chef d'État-major de la marine. Le JIATF de Key West est une organisation américaine inter-administration qui, à l'origine, était régionale et avait pour sigle : JIATF-S – S pour south. Il existait auparavant une organisation North qui a été fusionnée avec celle du Sud. Le JIATF de Key West ambitionne aujourd'hui d'être un pôle international de lutte contre le trafic de drogues. Alors que son champ d'action s'étend déjà sur toute l'Amérique latine, l'organisation commence à regarder du côté de la côte ouest africaine puisque les trafics à partir de l'Amérique du Sud empruntent deux voies, l'une en décroissance permanente vers les États-Unis et l'autre, en croissance permanente, vers l'Afrique et, à travers l'Afrique, vers l'Europe.
Ce qui est intéressant, c'est que cette organisation, au départ américaine et inter-agence, est devenue un centre de commandement international dans lequel de très nombreuses nations sont représentées. La France y est présente en permanence. C'est un général de gendarmerie qui a amorcé le processus. Actuellement, le représentant de la France à Key West est un officier de marine. Cette structure donne un exemple de fusion des services de renseignement et des chaînes de commandement ; les actions menées s'apparentant à des opérations de guerre. Aujourd'hui, les narcotrafiquants utilisent des sous-marins jetables, construits dans la jungle colombienne. Ils ne sont utilisés que pour un voyage, le coût du sous-marin ne représentant que 5 % du prix de la cargaison.
Je suis allé à Key West il y a un mois et j'ai trouvé cette organisation formidable. Elle montre que l'on peut travailler de manière intelligente et efficace en coopération internationale et interministérielle. Je suis sûr qu'elle peut faire école en Europe. Le coût est une donnée d'entrée : le JIATF travaille toujours à coût minimum et à efficacité maximum en se souciant nullement des structures et des prérogatives des uns et des autres.
En ce qui concerne la « manoeuvre RH », la RGPP et le Livre blanc avaient estimé que la marine devait pouvoir réduire ses effectifs de 2 600 personnes. Lorsqu'on m'a demandé, au titre de la solidarité collective, de faire un geste supplémentaire, j'ai estimé que je pouvais sans casse aller jusqu'à 4 000 personnes, qu'entre 4 000 et 5 000 j'étais obligé de chambouler profondément les structures de la marine et qu'au-delà de 5 000, je ne savais pas faire. Sachant cela, les décideurs m'ont imposé 6 000 suppressions de postes ! À l'heure où je vous parle, je ne sais pas comment faire. Mais, comme je vous le disais tout à l'heure, je ne suis pas là pour me plaindre ni pour résister aux décisions qui sont déjà prises. Je vais faire ce qui m'est demandé. La suppression des 1 000 derniers postes se fera dans cinq ans : d'ici là, j'ai le temps de travailler pour rechercher des solutions.
Ainsi, j'ai d'ores et déjà engagé une dynamique de réforme profonde de la marine. J'espère qu'elle sera productive car j'ai l'intime conviction que nos ratios de répartition des effectifs ne sont pas bons. Aujourd'hui, dans la marine française, pour un marin qui navigue, il y en a deux à terre. Il ne faut pas en déduire pour autant que ces derniers ne font rien, mais ils font surtout vivre l'administration française en appliquant les lois et règlements qui s'empilent depuis Colbert plutôt que de produire utilement.
J'ai prévenu mon ministre que j'aurai besoin de temps. Je compte, en effet, lui proposer, en les faisant remonter de la base, des dispositions révolutionnaires. J'ai demandé à mes hommes, pour faire face au défi qui nous est lancé, de changer du tout au tout leur façon de travailler car je suis convaincu qu'un certain nombre de mes marins sont payés à donner du travail à d'autres marins. Dans une réunion à laquelle j'assistais, le ministre s'est déclaré prêt à tout, y compris à aller jusqu'à la voie législative. Je l'ai pris au mot et je lui proposerai dans quelques années des modifications législatives nous permettant de ne plus respecter un certain nombre de procédures datant de Colbert et dont on ne comprend pas pourquoi elles seraient toujours pertinentes au XXIesiècle.
Aux États-Unis, les marins qui sont responsables de l'approvisionnement de leur bateau en matériel se rendent avec un caddy dans une sorte de supermarché et prennent sur les étagères les pièces de rechange dont ils ont besoin. Ils passent ensuite en caisse avec une carte type carte de crédit, qui impute la dépense à qui de droit. En à peine une demi-heure, ils ont ramené à bord la pièce à changer alors que cela nécessite trois mois en France.
Il ne faut peut-être pas attendre des années pour proposer des modifications législatives, amiral !
Amiral Paul-François Forissier, chef d'état-major de la marine. C'est une véritable révolution culturelle que je compte proposer !
Nous sommes prêts à tout !
Amiral Paul-François Forissier, chef d'état-major de la marine. Mais peut-être pas les gens concernés à qui on a appris qu'il fallait respecter une procédure et remplir une multitude de papiers. Comme je suis incapable de deviner leur quotidien, je mène actuellement un travail d'investigation qui me demandera du temps afin de faire remonter les difficultés rencontrées et de les agréger dans des propositions que je vous soumettrai.
Je sais que des discussions ont été engagées entre la marine – qui est la seule à avoir conservé un mode d'approvisionnement en combustible et de distribution autonome – et le service des essences des armées, le SEA. Où en sont-elles ? S'oriente-t-on vers un schéma d'interarmisation ?
Amiral Paul-François Forissier, chef d'état-major de la marine. Je serai franc. Je n'étais pas partisan d'un rattachement de la marine au service des essences des armées pour la bonne raison que, ce dernier ne traitant pas des combustibles navals, il ne détient aucune compétence en la matière. La compétence se trouve dans la marine. Les instances supérieures ont décidé que nous devions rentrer dans le rang, c'est donc ce nous ferons. Autrement dit, les personnes qui s'occupent des combustibles navals dans la marine intégreront le SEA.
Le dispositif de la marine est constitué de la manière suivante : un bureau d'achat à Paris, composé de cinq spécialistes de l'achat de pétrole sur le marché spot à Rotterdam ; des ouvriers qui s'occupent du stockage et de l'entretien de nos dépôts d'hydrocarbure. Cela représente en tout 148 personnes : 115 dans le service du commissariat de la marine nationale et 33 au service de soutien de la flotte. En dehors de cinq managers, tous ces personnels sont des ouvriers. J'espère – et je serai très vigilant sur ce point – que le service des essences des armées sera capable de la même performance, autrement dit qu'on ne viendra pas me demander davantage d'argent et de personnels, et qu'on me fournira la même qualité de service que dans le système actuel. Il ne faudrait pas que là où cinq spécialistes suffisent pour acheter du pétrole à Rotterdam, il en faille quinze dans dix ans au SEA.
On m'accuse parfois de faire du corporatisme et de mettre en avant la spécificité de la marine pour le plaisir ou pour préserver je ne sais quel avantage. Ce n'est pas ma faute si la mer mouille et si elle est salée, ce qui fait qu'il n'est pas possible de lui transférer les concepts de fonctionnement s'appliquant à terre. C'est ainsi, nous n'y pouvons rien. Il n'y a pas de vie en mer. Les êtres humains sont des terriens organisés pour vivre à terre. Les marins sont des gens un peu fous qui vivent autrement – et c'est pourquoi ils sont marins avant tout. La différence entre un pêcheur à la ligne et un pêcheur en mer, c'est que le second est marin avant d'être pêcheur. De même, les marins aviateurs sont marins avant d'être aviateurs. Ils font de l'aviation parce qu'ils ont trouvé plus intelligent de monter dans un avion plutôt qu'au sommet du grand mât pour voir au-delà de l'horizon, mais c'est un besoin de marin, pas d'aviateur.
Pour autant, nous connaissons bien le SEA puisque, étant spécialisé dans les combustibles aéronautiques, il travaille sur toutes nos bases aéronautiques navales et sur nos porte-aéronefs. Et il travaille bien puisqu'il est dans son coeur de métier. Toutefois, il va devoir intégrer à celui-ci un élément qui n'en faisait pas partie puisque les combustibles navals ne se trouvent pas à la pompe normale. Acceptons-en l'augure. Je fais confiance à son personnel et j'espère que l'expérience va fonctionner. De plus, nous avons besoin de travailler collectivement sur un certain nombre de choses.
Il faut réussir ce défi, comme cela a été le cas avec le service de santé des armées. C'est un joyau national qui nous rend un service colossal. Chaque fois que nous avons un problème, il est là et répond à la perfection à nos sollicitations. L'hôpital Sainte-Anne 2000 de Toulon n'aurait jamais vu le jour sans lui. Si nous étions restés avec un service de santé de la marine, cette dernière aurait trouvé 50 000 raisons pour affecter son argent sur ses bateaux. Le service de santé des armées est une interarmisation qui a réussi ; on sait donc qu'intellectuellement et pratiquement, c'est possible. Malheureusement, les autres expériences d'interarmisation n'ont pas toujours été aussi probantes.
Même le BPC Mistral ?
Amiral Paul-François Forissier, chef d'état-major de la marine. Le BPC Mistral est un bateau de la marine nationale.
Il s'intègre néanmoins dans un schéma d'utilisation interarmées.
Amiral Paul-François Forissier, chef d'état-major de la marine. Effectivement. Je suis pour le processus interarmées, mais je dis qu'il n'y a pas d'armée interarmées. Le Mistral, dont je suis très fier, est un bateau qui travaille en interarmées. Mais les terriens à son bord font leur métier de terrien et les marins leur métier de marin.
Le message que je souhaite vous faire passer, c'est que les marins ne sont pas des corporatistes cherchant à tout prix à préserver leur pré carré. Ce sont simplement des gens qui essaient de tirer le meilleur parti des moyens qui leur sont donnés par la République.
Nous vous remercions, amiral, pour la qualité de vos explications et de vos réponses. Vous avez, de votre côté, pu apprécier la qualité du travail réalisé par les membres de la Commission de la défense.
Amiral Paul-François Forissier, chef d'état-major de la marine. Comme je l'ai indiqué à Saint-Malo, je suis enchanté de voir que les responsables des forces armées travaillent de plus en plus avec la représentation nationale. Nous en avons tous bien besoin.
La séance est levée à douze heures dix