Nous vous remercions, amiral, pour cet exposé très complet. Il a répondu à nombre des questions que se posent les membres de la Commission.
À titre personnel, je livrerai un témoignage, ferai un commentaire et poserai une question.
Un témoignage : pour avoir assisté à l'IPER du Charles-de-Gaulle, j'ai été impressionné par la qualité du travail effectué et par la coordination entre la marine, le SSF, l'industriel et ses sous-traitants. Les dates ont été respectées au jour près puisque la mise à l'eau a eu lieu, comme prévu, le 21 août.
Un commentaire : vous avez souligné que l'IPER du Charles-de-Gaulle n'avait en rien impacté le MCO des SNA. C'est, à mon sens, un argument de plus pour justifier la nécessité de deux sites nucléaires pour assurer le MCO de notre marine.
Une question : apparemment la recherche et le développement navals sont le parent pauvre de la distribution des crédits de recherche et développement et les industriels s'en plaignent beaucoup. Ils font un parallèle avec l'objectif de contrainte des prix et craignent que cela n'amoindrisse, à terme, nos capacités technologiques par rapport à celles d'autres marines. Quelle est votre opinion à ce sujet ?
Amiral Pierre-François Forissier, chef d'état-major de la marine. Je suis un peu gêné pour répondre à votre question car elle ne relève pas de mon domaine de compétences, les études amont étant réalisées par la DGA – direction générale pour l'armement. Mais je ne vais pas me dérober pour autant. La question est complexe parce qu'elle intègre un certain nombre de paramètres.
Avant 1996, la marine avait son propre budget d'études amont et décidait donc de l'argent qu'elle souhaitait mettre sur tel ou tel projet. Dans les années 1996-1997, les études amont ont été mutualisées et confiées à la DGA. Nous sommes donc passés d'acteurs à clients. Je ne critique pas le système car il devrait être vertueux. En mettant la maîtrise d'ouvrage étatique qu'est la DGA face aux industriels, cela oblige ces derniers à être proactifs, ce qui évite que les études ne se transforment, comme cela a souvent été le cas dans le passé, en rentes de situation ou en flux d'études. La réforme de 1997 avait pour but de financer de vrais projets.
En 1997, l'industrie navale était dans un état bien différent de celui dans lequel elle est aujourd'hui. Il était certainement difficile de se restructurer en profondeur et de se recentrer sur son coeur de métier et en même temps d'être inventif et proactif en matière de recherche.
Je pourrais faire des ratios et me plaindre, comme le font certains, de ce que la part navale dans les études amont soit beaucoup moins importante aujourd'hui que du temps où la marine avait son propre budget. C'est un fait que l'industrie de défense étant essentiellement aéronautique en France, c'est le milieu aéronautique qui est le gros pourvoyeur d'études amont. Cela étant, comme les compagnies aéronautiques travaillent dans l'électronique au sens large, ce qui peut paraître uniquement aéronautique a des retombées importantes dans le domaine naval. Les études de portée purement navale correspondent aux projets que nos industries navales sont capables de mettre sur la table. La question est de savoir quel est le fait initiateur et quel est le fait conséquent.
Objectivement, les études à dominante navale ne sont pas aussi importantes que nous le souhaiterions… dans un monde idéal. Encore faut-il savoir si les études amont correspondent à des besoins que nous avons exprimés ou à des besoins liés au positionnement export. Plus les matériels destinés à l'export seront communs avec ceux que nous avons chez nous, plus les processus s'harmoniseront. S'il y a de bons projets avec des débouchés à la fois sur le marché national et à l'export, l'arbitrage sur les études amont devrait aller dans le bon sens. Les questions à se poser sont : « Quel est l'avenir de l'industrie navale européenne ? » et « Que cherche-t-on à faire ? » Pour être tout à fait clair et concret, je me suis opposé pendant des années à ce que notre industriel préféré dépense des sommes considérables dans le développement de piles à combustible navales puisque l'Allemagne en fabriquait de parfaitement opérationnelles. Je ne comprends pas pourquoi il serait nécessaire de développer en France une technologie disponible en Europe. Cela illustre les approches différentes que nous pouvons avoir en interne au sein de la maison navale.
Sur ces sujets, il faut être très prudent. S'il y a moins d'argent sur la recherche amont navale que nous le souhaiterions, c'est peut-être parce que les projets de la communauté navale ne sont pas suffisamment robustes ni suffisamment bien construits pour être retenus. Comme nous avons un pied dans le domaine naval et un pied dans le domaine aéronautique, je constate les niveaux d'exemplarité et d'élaboration des projets présentés par l'industrie aéronautique et je me dis que nous pouvons encore progresser dans le domaine naval.