Appelée à donner un avis sur le budget de la marine, je tiens d'abord à saluer l'augmentation du budget global de la défense dans le contexte financier contraint et incertain que nous connaissons.
Mes questions ne sont plus vraiment des questions puisque vous y avez répondu, amiral, dans votre exposé liminaire.
Lorsque j'ai rendu visite aux personnels civils et militaires de tous grades de Toulon, Brest et Paris, j'ai rencontré des hommes et des femmes à la fois intéressés par ce moment historique constitué par la conjonction de la publication du Livre blanc, de la RGPP et de l'amorce de la nouvelle loi de programmation militaire, attentifs, sereins et surtout – et cela m'a fait plaisir – fiers de servir leur pays, notamment parmi les jeunes générations. Cela est porteur d'espoir.
Je souscris totalement à votre idée de pouvoir disposer de plusieurs comptes en banque. Comme je l'ai souligné l'an dernier en rapportant ce budget, il y a, d'un côté, les crédits « Défense » et, de l'autre, l'exercice de l'autorité de l'État en mer. La mission de sauvegarde maritime, qui a été consacrée par le Livre blanc, nécessite des moyens importants. Or ceux-ci sont aujourd'hui un peu « à bout de souffle » pour les équipements. Je serais favorable à l'idée d'un portage interministériel. Il faudra certes payer, mais la charge serait moins lourde à porter par le budget stricto sensu Défense.
S'agissant de l'interarmisation, je suis toujours un peu réservée quand ce mot est utilisé car autant on peut imaginer une interarmisation en termes de soutien – humain notamment – autant elle apparaît difficile avec la marine du fait de ses spécificités propres. Le mot « harmonisation » me semble mieux convenir.
Vous avez longuement évoqué les ressources humaines en mettant en avant la nécessité à la fois de formation, d'attrait du recrutement et de fidélisation. La réhabilitation des logements est également un impératif. Les besoins sont criants à Toulon, un peu moins à Brest mais tout aussi nécessaires. Par ailleurs, la marine a changé du fait de la féminisation des armées, et des questions se posent aujourd'hui qui ne se posaient pas il y a encore quelques années. Il faut dorénavant organiser la garde des enfants, avec des horaires forcément atypiques compte tenu des missions demandées à nos marins.
Enfin, il est prévu de retirer du service le navire-école Jeanne d'Arc en 2010. Des orientations sont-elles prises pour la formation des élèves officiers ?
Amiral Pierre-François Forissier, chef d'état-major de la marine. Il est évident qu'une nouvelle Jeanne d'Arc ne viendra pas remplacer l'ancienne en 2010. Sinon, il y a longtemps qu'elle serait en construction. Notre impératif de formation est résumé dans la formule suivante : apprendre à naviguer loin, longtemps et en équipage. C'est notre cahier des charges. Pour l'honorer, il faut disposer d'un bateau armé par un équipage de la marine nationale et représentatif des équipements que l'on trouve sur les bateaux de la flotte.
L'année où la Jeanne d'Arc est tombée en panne, elle a été remplacée par ce que l'on a appelé un groupe école, composé de trois frégates. Nous savons faire naviguer nos élèves officiers loin, longtemps et en équipage dans ce genre de format. Cela étant, nos frégates ayant une autre vocation, nous ne souhaitons pas pérenniser cette solution d'urgence. En revanche, nous disposons avec les BPC de bateaux formidables, conçus pour une disponibilité technique de 300 jours par an et extrêmement flexibles dans leur utilisation. Je suis en train de négocier avec le chef d'état-major des armées la mise à disposition d'un créneau d'utilisation d'un de ces bateaux. Le créneau serait réversible puisque, sur ce genre de bateau, l'école pourrait être embarquée de façon temporaire et « containérisée », de sorte qu'elle serait débarquable aussi vite qu'elle serait embarquée. Par ailleurs, l'histoire récente de la Jeanne d'Arc montre que nous avons de plus en plus intérêt à mettre nos élèves officiers en situation opérationnelle réelle, d'autant que les opérations que nous menons sont sorties de l'alternative guerre-paix. En fait, nous ne faisons ni la paix ni la guerre, nous gérons une crise permanente. Que nos élèves officiers soient immergés dans la crise est plutôt pédagogique et ne gêne en rien, comme nous l'avons vu lors du tsunami et de l'affaire du Ponant, la conduite des opérations. Nous assumons totalement le risque que nos élèves soient « pris en otages » à l'occasion d'une opération. Si jamais la situation devenait très tendue, il resterait toujours la possibilité de débarquer l'école et ses containers sur un quai quelque part. C'est un risque que j'assume.
Je ne sais pas exactement comment les choses vont se passer en 2010. Je souhaite n'avoir recours au groupe de frégates qu'en dernière extrémité et pouvoir utiliser un BPC de façon presque transparente. Je n'ai évidemment pas renoncé à avoir un bâtiment dédié mais j'ai conscience que celui-ci ne pourra pas être franco-français. Il devra forcément être européen, ce qui suppose qu'il y ait une formation européenne harmonisée. C'est la raison pour laquelle je milite et agis pour que l'école navale soit complètement intégrée dans le processus de Bologne et soit au standard européen. L'Erasmus naval n'est pas un slogan, c'est une réalité puisque, aujourd'hui, l'école navale est certifiée Erasmus. C'est la première école militaire française à l'être.
En ce qui concerne l'interarmisation, je vous ferai part de ma conviction personnelle profonde : il n'existe pas d'armée interarmées ! Nos militaires sont soit marins, soit terriens, soit aviateurs, et ils font leur métier de base de marin, de terrien ou d'aviateur. Ce sont les structures de commandement qui sont interarmées.
Laissez-moi vous rapporter une anecdote. Lorsque le Mistral a été positionné, en 2006, devant les côtes du Liban, je suis personnellement allé à sa rencontre lors de son retour vers Toulon pour recueillir les impressions des militaires qui venaient de vivre cette expérience extraordinaire. Il y avait, à bord de ce bateau, 160 marins, quelque 450 terriens et une vingtaine d'aviateurs. Comme les affectations sont en général de trois ans, 30 % d'entre eux étaient en période de mutation, ce qui signifie qu'ils étaient partis le 14 juillet en alerte en laissant derrière eux une famille en train de gérer un déménagement, avec tous les problèmes administratifs que cela implique. À bord du Mistral, un bureau administratif est chargé de s'occuper de ces affaires mais il ne savait traiter que les dossiers des 160 marins qui étaient à bord. Les 450 terriens et les 20 aviateurs ont dû se rendre au Liban, à Naquoura, afin de traiter, sous la tente, avec des obus qui leur passaient au-dessus de la tête, leurs dossiers administratifs auprès de leur propre armée…
Pour autant, la solution est-elle d'installer un adjudant-chef de l'armée de terre dans le bureau administratif du Mistral ? Je ne le pense pas. On ne rejoint pas l'armée de terre pour passer sa vie en mer. Est-il inconcevable que les procédures traitées par les marins du bureau administratif du Mistral soient les mêmes que pour les autres corps d'armée ? C'est là, à mon sens, que se situe la véritable interarmisation.