La structure commune de lutte contre le narcotrafic implantée à Key West dont vous avez parlé a-t-elle vocation à s'occuper uniquement des Caraïbes ou son champ d'action s'étend-il à d'autres mers du monde ?
Nous avons entendu hier le général Abrial, chef d'état-major de l'armée de l'air, qui a tenu un discours à peu près équivalent au vôtre sur la réduction des effectifs. Existe-t-il un seuil minimal en dessous duquel il serait militairement ou techniquement impossible de descendre ? Des structures d'accueil, d'apprentissage, de formation sont mises en place à l'arrivée. Existe-t-il l'équivalent pour la sortie ? La réduction des effectifs ne va-t-elle pas avoir une incidence sur les écoles ?
Amiral Paul-François Forissier, chef d'État-major de la marine. Le JIATF de Key West est une organisation américaine inter-administration qui, à l'origine, était régionale et avait pour sigle : JIATF-S – S pour south. Il existait auparavant une organisation North qui a été fusionnée avec celle du Sud. Le JIATF de Key West ambitionne aujourd'hui d'être un pôle international de lutte contre le trafic de drogues. Alors que son champ d'action s'étend déjà sur toute l'Amérique latine, l'organisation commence à regarder du côté de la côte ouest africaine puisque les trafics à partir de l'Amérique du Sud empruntent deux voies, l'une en décroissance permanente vers les États-Unis et l'autre, en croissance permanente, vers l'Afrique et, à travers l'Afrique, vers l'Europe.
Ce qui est intéressant, c'est que cette organisation, au départ américaine et inter-agence, est devenue un centre de commandement international dans lequel de très nombreuses nations sont représentées. La France y est présente en permanence. C'est un général de gendarmerie qui a amorcé le processus. Actuellement, le représentant de la France à Key West est un officier de marine. Cette structure donne un exemple de fusion des services de renseignement et des chaînes de commandement ; les actions menées s'apparentant à des opérations de guerre. Aujourd'hui, les narcotrafiquants utilisent des sous-marins jetables, construits dans la jungle colombienne. Ils ne sont utilisés que pour un voyage, le coût du sous-marin ne représentant que 5 % du prix de la cargaison.
Je suis allé à Key West il y a un mois et j'ai trouvé cette organisation formidable. Elle montre que l'on peut travailler de manière intelligente et efficace en coopération internationale et interministérielle. Je suis sûr qu'elle peut faire école en Europe. Le coût est une donnée d'entrée : le JIATF travaille toujours à coût minimum et à efficacité maximum en se souciant nullement des structures et des prérogatives des uns et des autres.
En ce qui concerne la « manoeuvre RH », la RGPP et le Livre blanc avaient estimé que la marine devait pouvoir réduire ses effectifs de 2 600 personnes. Lorsqu'on m'a demandé, au titre de la solidarité collective, de faire un geste supplémentaire, j'ai estimé que je pouvais sans casse aller jusqu'à 4 000 personnes, qu'entre 4 000 et 5 000 j'étais obligé de chambouler profondément les structures de la marine et qu'au-delà de 5 000, je ne savais pas faire. Sachant cela, les décideurs m'ont imposé 6 000 suppressions de postes ! À l'heure où je vous parle, je ne sais pas comment faire. Mais, comme je vous le disais tout à l'heure, je ne suis pas là pour me plaindre ni pour résister aux décisions qui sont déjà prises. Je vais faire ce qui m'est demandé. La suppression des 1 000 derniers postes se fera dans cinq ans : d'ici là, j'ai le temps de travailler pour rechercher des solutions.
Ainsi, j'ai d'ores et déjà engagé une dynamique de réforme profonde de la marine. J'espère qu'elle sera productive car j'ai l'intime conviction que nos ratios de répartition des effectifs ne sont pas bons. Aujourd'hui, dans la marine française, pour un marin qui navigue, il y en a deux à terre. Il ne faut pas en déduire pour autant que ces derniers ne font rien, mais ils font surtout vivre l'administration française en appliquant les lois et règlements qui s'empilent depuis Colbert plutôt que de produire utilement.
J'ai prévenu mon ministre que j'aurai besoin de temps. Je compte, en effet, lui proposer, en les faisant remonter de la base, des dispositions révolutionnaires. J'ai demandé à mes hommes, pour faire face au défi qui nous est lancé, de changer du tout au tout leur façon de travailler car je suis convaincu qu'un certain nombre de mes marins sont payés à donner du travail à d'autres marins. Dans une réunion à laquelle j'assistais, le ministre s'est déclaré prêt à tout, y compris à aller jusqu'à la voie législative. Je l'ai pris au mot et je lui proposerai dans quelques années des modifications législatives nous permettant de ne plus respecter un certain nombre de procédures datant de Colbert et dont on ne comprend pas pourquoi elles seraient toujours pertinentes au XXIesiècle.
Aux États-Unis, les marins qui sont responsables de l'approvisionnement de leur bateau en matériel se rendent avec un caddy dans une sorte de supermarché et prennent sur les étagères les pièces de rechange dont ils ont besoin. Ils passent ensuite en caisse avec une carte type carte de crédit, qui impute la dépense à qui de droit. En à peine une demi-heure, ils ont ramené à bord la pièce à changer alors que cela nécessite trois mois en France.