Amiral, la présence de la marine dans l'arc de crise de l'Atlantique à l'océan Indien suppose que celle-ci continue à pratiquer ce qu'elle a toujours fait, à savoir le prépositionnement, qui est inhérent à son identité. À cet égard, puisque la marine est APS – armée pilote de soutien – pour l'implantation d'une base dans les Émirats Arabes Unis à Abou Dhabi, j'aimerais que vous nous précisiez les raisons de cette implantation et les relations de cette base avec celle de Djibouti.
Amiral Pierre-François Forissier, chef d'état-major de la marine. La base d'Abou Dhabi n'est pas une base de soutien mais la concrétisation sur le terrain d'un partenariat stratégique. Elle permet à la France d'avoir une présence visible à l'intérieur du golfe Persique. La base d'Abou Dhabi ne sera donc pas en compétition avec celle de Djibouti dont la géographie, l'environnement et le positionnement en font une véritable base de soutien. Il n'est pas question que la marine se désengage de Djibouti. Elle n'y a d'ailleurs qu'un support extrêmement léger puisque ce qui l'intéresse dans cette base, ce sont les facilités portuaires, le fait de pouvoir se connecter sur l'Europe et même d'y faire des réparations d'un certain niveau sans courir le risque de se retrouver isolée du reste du monde.
Abou Dhabi étant à l'intérieur de la nasse du golfe Persique, la France doit, sans être prisonnière de la nasse, être suffisamment présente pour être crédible et montrer qu'il n'y a pas que les États-Unis qui s'impliquent dans cette zone. C'est la raison pour laquelle chacune des trois armées y installe des éléments opérationnels significatifs. Abou Dhabi est une base de soutien opérationnel et non de soutien logistique – même s'il y aura forcément une part de logistique. En particulier, je n'envisage pas d'y faire des arrêts techniques de longue durée. Si jamais la situation se dégrade et que mon bateau est indisponible pour six mois, je ne vais pas le laisser prisonnier de la nasse.
Concrètement, qu'allons-nous faire ? Nous avons une force permanente itinérante dans l'océan Indien, ALINDIEN, dont les bateaux sont, pour des raisons administratives, affectés au port de Toulon. Nous allons rechercher leur affectation au port d'Abou Dhabi ce qui permettra de résoudre un certain nombre de problèmes administratifs de nos personnels, car il n'est pas facile de rester soumis dans l'océan Indien aux règles d'administration s'appliquant aux Toulonnais. Par ailleurs, lorsque les bateaux ont besoin de faire relâche, par exemple pour que des membres d'équipage puissent partir en permission, ils le feront de préférence à Abou Dhabi, assurant ainsi une certaine présence.
De plus, comme nous aurons des infrastructures à terre, nous pourrons y organiser un soutien, que je veux essentiellement tourné vers l'homme. J'ai demandé à ce que des facilités de logement soient prévues afin de permettre les relèves d'équipage, en particulier de sous-marins. En effet, les relèves d'équipage durent un certain temps et les deux équipages doivent être sur place. Il sera politiquement beaucoup plus porteur de les faire à Abou Dhabi plutôt que dans n'importe quel autre port de la zone.
L'intérêt de la base d'Abou Dhabi est de montrer l'implication de la France à l'intérieur du Golfe sans pour autant y développer une véritable base navale. À titre d'exemple, je n'envisage pas, par exemple, d'y avoir un atelier de réparation de moteurs diesel labelisé « marine nationale française ». Le port d'Abou Dhabi, qui est en train de connaître une croissance gigantesque, dispose des compétences nécessaires si l'on doit, par exemple, travailler sur un moteur.
Il s'agit donc d'avoir une présence opérationnelle visible tout en ayant les contraintes logistiques les plus faibles possible pour pouvoir manoeuvrer si c'est nécessaire. La base d'Abou Dhabi ne servira que de support aux opérations navales qui auront lieu soit à l'intérieur du Golfe, soit à l'extérieur. Notre vocation n'est pas de rester à quai.