La commission a entendu M. Christophe de Margerie, directeur général de Total.
Nous sommes heureux d'accueillir M. de Margerie, directeur général de Total. Je lui présente les excuses de la Commission car l'ordre du jour de nos travaux nous a contraints à modifier le jour de son audition.
M. de Margerie étant reçu à la demande du groupe GDR, je laisserai M. Daniel Paul lui poser les premières questions, après avoir donné un instant la parole à M. François Brottes.
Le groupe SRC souhaitait participer à cet échange, en raison du rôle éminent que joue la société Total dans notre pays en matière sociale, économique et énergétique. Nous ne le pourrons pas car, en ce moment même, s'engage en séance plénière l'examen d'une proposition de loi déposée par notre groupe, dont M. Copé a décidé de court-circuiter la discussion par une motion de procédure. Nous sommes donc contraints de regagner l'hémicycle. Nous vous prions de n'y voir,M. de Margerie, aucune discourtoisie à votre endroit.
Je tiens à vous remercier, monsieur le président, d'avoir accédé à notre demande de pouvoir entendre le premier responsable du groupe Total à la suite des informations qui ont été diffusées il y a quelques semaines. Au-delà, étant donné l'importance intrinsèque du groupe dans l'économie française et mondiale, il serait sans doute intéressant que de telles rencontres aient lieu régulièrement.
Le groupe Total a annoncé 13,9 milliards de profits pour l'exercice 2008. Depuis 2005, les profits cumulés s'établissent à plus de 50 milliards, dont la moitié ont été distribués en dividendes. Dans le même temps, monsieur le directeur général, vous annonciez le 20 mars un plan de développement massif en Chine, dans le raffinage et la pétrochimie. On sait aussi votre projet d'une raffinerie de 20 millions de tonnes à Jubail, en Arabie saoudite, et celui d'un complexe pétrochimique à Arzew, en Algérie. Vous parlez de «localiser » des capacités de production dans des pays en développement et non de «délocalisation» de production, mais comment ne pas rapprocher ces informations de la décision prise en juillet 2008 par le Port de Marseille de construire un septième poste sur le terminal pétrolier de Fos, portant ainsi notre capacité d'importation de produits raffinés de 6 millions de tonnes aujourd'hui à 21,5 millions de tonnes en 2011 ?
Par ailleurs, notre pays a vécu pendant des années avec un parc automobile majoritairement diésélisé cependant que ses raffineries produisaient majoritairement de l'essence. En conséquence, la France était, et est toujours, dans la situation absurde consistant à produire de l'essence exportée aux Etats Unis tandis que le gazole venait de Russie. Tant que cela rapportait, pourquoi changer ? Maintenant que les Américains réduisent leur consommation d'essence, vous modifiez votre stratégie. Vous annoncez des investissements d'adaptation à la nouvelle donne, en particulier pour la raffinerie de Gonfreville et pour le complexe pétrochimique voisin.
Mais cela commence par la disparition d'un site à Notre-Dame-de-Gravenchon et la suppression de 244 emplois dans la pétrochimie, à TPF, et de 251 emplois dans le raffinage. Globalement, d'ici à 2013, plus de 25% des emplois de ces sites seront supprimés. C'est une amputation énorme, surtout quand elle est le fait d'un groupe qui a réalisé tant de profits, distribué autant de dividendes et reçu tant d'aides publiques ! Vous annoncez qu'il n'y aura pas de licenciements et que tous les salariés seront reclassés ; mais même si c'est le cas, qu'en sera-t-il des entreprises sous-traitantes ? Particulièrement en cette période difficile, comment accepter que vos résultats financiers s'accompagnent d'une telle politique de l'emploi ?
Certes vous annoncez un milliard d'euros d'investissements sur les deux sites, dont 770 millions sur la raffinerie, mais leur examen détaillé suscite des interrogations. Ainsi, 250 millions sont destinés à des travaux visant à réduire les rejets de CO2 : bien sûr, ces travaux sont importants, mais ils sont liés à l'évolution de la réglementation. D'autre part, 252 millions sont prévus pour une DGO5. Or un investissement semblable était prévu à Donges, les collectivités locales ayant même été sollicitées pour accompagner l'opération. Où en est-on du choix entre Donges et Le Havre ? De plus, on dit que cet investissement ne serait envisagé que pour 2017. On aurait donc la certitude des suppressions d'emplois, mais les investissements ne seraient qu'éventuels... Quant aux autres lignes d'investissement, elles concernent des actions de maintenance.
Le tableau ainsi brossé explique mes questions. Confirmez-vous ces investissements, à l'étranger et en France ? Utiliserez-vous les moyens de production du Moyen-Orient et les installations du Port de Marseille pour développer les importations de produits raffinés ? Confirmez-vous que les suppressions d'emplois auront lieu avant 2013 mais que les investissements pourraient s'étaler jusqu'en 2017, avec toutes les incertitudes que cela suppose ?
La crise actuelle et le débat qu'elle suscite ne devraient-ils pas vous pousser à distribuer une moins grande part de vos bénéfices en dividendes afin de consacrer davantage de moyens à la recherche, de réduire les prix et de ne plus solliciter d'aides publiques ?
Depuis plusieurs années, on invoque l'existence de surcapacités de raffinage en France et en Europe pour envisager des fermetures de sites. Mais dans le même temps, les moyens d'importation de produits raffinés augmentent – j'ai parlé tout à l'heure de Marseille. Le groupe Total envisage-t-il de réduire ses capacités de raffinage en France ? Quel avenir est promet-on à la raffinerie de Grandpuits – et aux autres ?
Dans la pétrochimie, prévoyez-vous aussi de développer les importations en provenance de sites extérieurs à l'Union européenne ? Quel sera avenir du site de Carling, celui de la chimie en Moselle et en Lorraine, celui des productions nécessaires à notre pétrochimie – naphta, éthylène, polyéthylène, propylène, polymères, dont la production se développe à l'étranger mais se réduit en France ?
Considérez-vous que les sites de raffinage et de pétrochimie doivent être regroupés ? Quels sont vos projets pour Hutchinson, filiale à 100 % du groupe Total, dont les 8 000 salariés sont touchés par le chômage technique?
Enfin, confirmez-vous l'intérêt de Total pour le nucléaire ?
Il serait en effet utile que vous reveniez nous parler de Total plus longuement, en des moments plus simples.
Sur les 26,5 millions de salariés que compte la France, 21 millions sont employés dans des entreprises privées. Celles-ci produisent donc une part essentielle du PIB français. La vôtre,Total, est implantée en France et à l'étranger. Elle emploie environ 100 000 personnes, dont un peu plus de 40 000 dans notre pays, où en 2009, et c'est tout à votre honneur, vous avez prévu d'embaucher 2 300 personnes en CDI et de proposer 1800 stages à des jeunes. Depuis vingt-cinq ans, vous avez aussi aidé quelque 3 000 PME à se développer par le biais de la sous-traitance que vous leur confiez, vous avez créé une fondation dédiée à l'environnement ainsi qu'un fonds pour l'emploi des jeunes. Total dispose de sept centres de recherche en France, dont un à Gonfreville. Cette entreprise de premier plan, qui exerce son activité dans une conjoncture difficile, continue donc, globalement, de faire progresser l'emploi en France.
L'audition qui vous conduit devant nous aujourd'hui tient à ce qu'une annonce a été faite à Gonfreville, relative à la restructuration de la raffinerie et du site pétrochimique. Pour ce qui me concerne, j'ai appris ces nouvelles dans la presse. La communication de l'entreprise demanderait peut-être à être revue. De fait, dans l'inconscient collectif, il est resté que Total ne procédait pas de manière très plaisante. Il serait donc utile que, d'une manière ou d'une autre, vous expliquiez sereinement ce qui va se passer.
Pour nous, en Normandie, Total est un partenaire de premier plan doté d'un savoir-faire immense. À cet égard, continuez-vous de rechercher un accord qui vous permettra de travailler désormais dans l'industrie nucléaire, une diversification qui nous intéresse tous ?
Par ailleurs, en ma qualité de rapporteur du budget de la mer depuis 2002, permettez-moi d'inciter Total à s'assurer de la qualité du pavillon RIF.
Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Je ne reprendrai pas les questions que vous a posées mon collègue Daniel Paul, mais j'insisterai sur la fermeture du site de Notre-Dame de Gravenchon. Les salariés ont fait des propositions destinées à préserver l'avenir du site. Pour ce qui me concerne, j'avais eu des informations bien avant l'annonce qui a été faite car j'entretiens d'excellentes relations avec le directeur de la raffinerie. Mais je me suis trouvé pris de court car le nombre de suppressions d'emplois que l'on m'avait indiqué – une cinquantaine – a été très largement dépassé, atteignant 555 postes en tout, dont près de 400 dans ma circonscription. Pour quelqu'un qui, depuis vingt-cinq ans, respecte Total et a entretenu des relations correctes avec la direction de l'entreprise, cette découverte faite dans la presse a été difficile à vivre.
J'en viens aux investissements. Je rappelle que lorsque la construction du DHC à Gonfreville-l'Orcher a été acquise, une convention de subventionnement a été signée, la région devant apporter 4 millions d'euros, le département 11 millions et la communauté d'agglomération 30 millions sur cinq ans. Cette convention entre en vigueur maintenant. Mais entre-temps, l'entreprise a distribué des milliards de bénéfices sous forme de dividendes et elle annonce des suppressions d'emplois. Dans ce contexte, l'application de la convention de subventionnement paraît indécente et décalée à la population du Havre. Alors que l'investissement avait été conçu pour donner un avenir au site, tout en faisant travailler les entreprises de la région – sur ce point déjà, les attentes ont été un peu déçues – et pour pérenniser les emplois, c'est à la suppression de 360 emplois que l'on assiste ! J'ai donc proposé à M. Antoine Rufenacht que l'on affecte les 30 millions d'euros promis par la communauté d'agglomération à un autre objet, que l'on s'en serve par exemple pour aménager les abords de la raffinerie. Quel est votre avis à ce sujet ? Cela donnerait une bien meilleure image de Total dans l'agglomération havraise.
Je ne conclurai pas sans vous remercier, monsieur le directeur général, de votre insertion sur une double page dans L'Humanité. N'hésitez pas à continuer de participer ainsi au sauvetage de la presse démocratique !
Il y a quelques mois, un article du Financial Times relatait vos propos relatifs au point culminant de la production mondiale de pétrole. Vous estimiez qu'elle serait de 89 millions de barils par jour, ce qui est, à mon avis, optimiste. Maintenez-vous cette estimation ? Pour moi, le pic a été atteint l'année dernière ; après quoi s'est amorcé le déclin dû aux effets cumulés de la conjoncture économique et de la déplétion du pétrole. L'un de vos directeurs estimait pour sa part que l'on parviendrait à produire 105 millions de barils par jour, ce qui correspond aux estimations de l'Agence internationale de l'énergie à une certaine époque, mais elle a, depuis, revu ses prévisions à la baisse. En bref, quels chiffres estimez-vous réalistes pour les années à venir ?
Après une chute considérable, le prix du baril flirte depuis le début de 2009 avec les cinquante dollars. Pensez-vous que la tendance sera à nouveau haussière à partir de 2010 ? Faut-il s'attendre à une plus grande rentabilité pour Total et, en conséquence, à l'affectation des moyens supplémentaires aux recherches visant à exploiter les gisements hypothétiques de l'Orénoque et de l'Alberta ? Quel niveau éventuel de production pensez-vous pouvoir atteindre à partir de ces huiles lourdes et de ces sables bitumineux ? Il me semble qu'elle ne peut que rester marginale.
Par ailleurs, je ne puis évidemment que vous dissuader de vous diversifier dans le nucléaire. Je ne crois pas du tout à cette solution, notamment parce que, l'uranium n'étant pas plus inépuisable que le pétrole ou le charbon, sa raréfaction fera que son prix, à terme, augmentera aussi.
Avez-vous des projets d'investissement relatifs aux énergies renouvelables, qu'il s'agisse de géothermie, d'énergie des mers ou de micro-algues ?
Enfin, vous n'étiez pas directeur général de Total, en septembre 2001, lors de l'explosion de l'usine AZF, mais vous privilégiez sans doute un scénario pour expliquer cette explosion. Huit ans après le drame, on ne sait toujours pas ce qui s'est passé précisément, et certains parlent désormais de deux explosions. Selon vous, qu'en est-il ? D'autre part, si le tribunal juge Total responsable du drame, êtes-vous prêt à indemniser les victimes de cette catastrophe industrielle majeure ?
Le dialogue avec la représentation nationale est d'une grande importance et je suis toujours prêt à venir m'exprimer devant elle. En l'occurrence, je serais même volontiers venu plus tôt, pour parler à chaud. Cela me semblait en effet nécessaire et souhaitable pour dissiper quelques difficultés de compréhension réciproques. Et si, en ces moments difficiles, on peut aider la presse à travers une communication diffusée dans les journaux, c'est très bien. D'une façon générale, j'observe que, trop souvent, l'on nous dit des choses contradictoires. Ainsi, pourquoi reprocher des séjours à Deauville au mois de mars, alors qu'autrement ces hôtels resteraient vides ? J'insiste, il faut que les élus évitent des déclarations intempestives aux conséquences inverses de ce qu'ils souhaitent : en période de crise, il est bien de soutenir l'économie avec l'argent dont on dispose.
J'insiste avec la plus grande fermeté sur le fait que lorsque Total investit à l'étranger et, face à la concurrence, parvient à y placer ses ingénieurs et ses équipes, c'est une bonne chose pour la France. C'est toujours ainsi que notre pays a été glorieux. Lorsque j'entends qu'investir en Arabie saoudite, c'est délocaliser, je me fâche ! Ceux qui pensent que prendre des marchés à des compétiteurs étrangers, c'est pratiquer la délocalisation ont franchement tort. Un site Total en Arabie saoudite crée aussi des emplois, mais il n'opère pas pour les mêmes marchés que les sites Total de France : il est destiné aux marchés de l'Est et de la Chine. Tous les parlementaires devraient être fiers quand une entreprise française gagne des contrats à l'étranger.
En ce qui concerne Marseille, ce n'est pas Total qui a investi dans un poste de stockage supplémentaire. Si cela vous pose problème, allez vous plaindre à son propriétaire qui, pour nous, est un concurrent. Ces nouvelles capacités de stockage ne nous réjouissent pas spécialement et, d'ailleurs, nous ne facilitons pas leur approvisionnement.
S'agissant du gazole, de l'essence et des restructurations nécessaires, il y a beaucoup à dire. La France a la chance d'avoir encore une industrie pétrolière. Celle-ci doit encore progresser, c'est vrai, et c'est pourquoi une bonne partie des investissements que nous avons engagés vise à remédier aux problèmes causés à l'environnement par nos installations. Nous avons ainsi mis au point un ambitieux programme de réduction des émissions des gaz à effet de serre et décidé d'y consacrer 250 millions d'euros, ce qui est considérable.
Je rappelle d'autre part que les décisions prises au terme du Grenelle de l'environnement tendent à réduire le plus possible la consommation individuelle d'énergie. Nous appuyons ces décisions. Nous savons qu'elles auront pour conséquence la réduction de la consommation énergétique en France et en Europe, et nous nous en félicitons. Non seulement on demande aux consommateurs de réduire leur consommation, mais on fabrique des produits qui consomment moins d'énergie. Que l'on ne vienne pas ensuite nous reprocher d'adapter notre outil industriel à cette évolution !
Je le dis fermement, nous nous devions d'adapter l'outil industriel à la capacité du marché. On a vu dans d'autres secteurs ce qu'il en coûte de conserver un outil surdimensionné. En revanche, on peut se doter d'un outil pérenne, adapté aux nouvelles normes environnementales, et compétitif. C'est notre devoir, c'est celui de toute entreprise telle que la nôtre. Nous avons d'ailleurs toujours dit au maire de Gonfreville notre volonté de pérenniser l'usine – et les salariés le savent. Contrairement à ce que certains ont prétendu, le dialogue social existe chez Total, et tous les employés sont convaincus de la nécessité de ce plan. N'en retenir que la suppression, à terme, de 555 postes, ce n'est pas sérieux. Ce que nous faisons n'est pas antisocial, mais responsable. L'irresponsabilité aurait été de se voiler la face et de ne pas bouger – ce que beaucoup m'ont conseillé. Je refuse cette attitude, et je considère que je ne suis pas payé pour ne rien faire.
Un autre point qui me fâche est la méconnaissance du droit du travail. Que plus de la moitié des députés ignorent que l'on n'a pas le droit de s'exprimer avant le comité central d'entreprise est extraordinaire. Dans cette affaire, la presse a été au courant bien avant qu'il ne se réunisse. Pour notre part, elle nous sollicitait depuis quinze jours et nous en étions de plus en plus irrités, mais nous avons résisté. Il serait temps qu'une réflexion sérieuse s'engage pour éviter la répétition de pareils errements, qui ne profitent à personne et surtout pas aux salariés. Permettez-moi de dire qu'il est anormal que cette communication ait été faite par un syndicat. Chacun, sans exception, doit respecter le droit du travail, les organisations syndicales comme le patronat.
Les choses ayant été dites, nous avons dû conjuguer nos efforts pour expliquer que le coeur de ce plan, c'est un investissement d'un milliard d'euros dans la pétrochimie et le raffinage. Cet investissement se fait sans conditions – personne, je le souligne, n'a brandi la menace assez habituelle consistant à dire : « Si vous n'êtes pas gentils, nous n'investirons pas »…
M. Lecoq a eu l'amabilité de dire ses bonnes relations avec la direction de la raffinerie, mais je voudrais lui dire que les termes de son communiqué ont fait beaucoup de mal à notre personnel, ont terriblement affecté les personnes qu'il dit respecter. Je sais néanmoins que nous continuerons à travailler avec l'ensemble des élus. J'observe d'ailleurs que, à Carling comme au Havre, nous avons reçu leur soutien ; en réalité, la presque totalité des attaques est venue de Paris. À Carling, les élus nous ont remerciés de nos efforts. Il faut dire que nous avons attendu jusqu'au dernier moment pour savoir si nous restructurerions le site et nous ne l'avons décidé qu'après avoir eu confirmation que Suez y construirait des panneaux solaires ; ainsi savions-nous que des emplois seraient créés en nombre égal à ceux que nous étions contraints de supprimer. Après quoi, nous avons entendu des phrases selon lesquelles « Le solaire, c'est vraiment beaucoup mieux que ce qu'il y avait avant »… Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il n'y a guère de soutien à l'industrie lourde en France ! Le soutien commence au moment des restructurations…
Le fait est que personne, jamais, ne nous dit : « Votre métier est superbe, nous avons besoin des raffineries, employez-vous seulement à les rendre plus propres » !
J'en viens aux fameuses subventions que l'on a été jusqu'à nous demander de rembourser avant même que nous les ayons touchées. Je rappelle que nous attendons depuis plus de cinq ans que les conventions, approuvées et signées, entrent en vigueur. Il est vrai qu'à l'époque où elles ont été conclues, Total gagnait moins d'argent, et que nous nous sommes félicités de cet important coup de pouce à la réalisation du DHL. Dire maintenant, d'une part, que ces subventions sont scandaleuses, d'autre part qu'il faut les utiliser d'une certaine manière, n'est pas recevable. En premier lieu, ceux qui s'expriment de la sorte devraient se mettre d'accord avec eux-mêmes : veulent-ils, ou ne veulent-ils pas, que nous percevions ces subventions et que nous les utilisions localement ? Nous sommes toujours prêts à participer au développement régional, et nous l'avons maintes fois démontré. Que l'on nous demande de réfléchir à un programme supplémentaire de développement régional, pourquoi pas ? En revanche, je ne suis absolument pas d'accord pour me laisser dire comment je dois utiliser une subvention dont le principe est déjà acquis. Je ne suis pas plus disposé à entendre que la dépense ne serait fondée que si elle était entièrement faite sur place. Que l'on nous laisse donc en discuter entre nous, en privé, et non sur la place publique, sous la pression. Quand on me contraint, j'ai tendance à dire : « Très bien, attendons un peu… ». Il est faux de prétendre que c'est parce qu'on nous le demande que nous faisons du social, et il n'est pas correct d'affirmer que Total ne fait telle ou telle chose que parce que tel député ou tel maire l'a exigé. Ce n'est pas convenable, et ce n'est pas ainsi que nous travaillons.
Total n'a pas beaucoup bénéficié d'aides publiques. Par ailleurs, contrairement à ce qui a été dit, nous n'avons pas distribué sous forme de dividendes plus de 50 % de notre résultat : le taux de distribution a tourné ces dernières années autour de 35 %. Vous pouvez considérer que c'est trop mais, en tout cas, cela n'a jamais été 51 % ou davantage.
S'il y en a eu un, il n'est pas de notre fait car il suffit de se reporter aux chiffres publiés par l'entreprise.
Cela étant, nos prochains résultats seront beaucoup moins bons car, comme toutes les entreprises, nous allons être touchés par la crise. Certes, Total se porte mieux que beaucoup d'autres, ce qui nous permettra d'agir comme nous n'aurions pu le faire si nos résultats avaient été moindres au cours des exercices précédents. Mais si la crise dure et si, comme c'est probable, nos résultats baissent beaucoup, nous ne pourrons pas tenir nos engagements, qui sont de maintenir nos investissements à hauteur de 14 milliards par an. Là, je le répète, est le véritable engagement de Total. Oui, nous avons gagné beaucoup d'argent l'année dernière, et nous sommes fiers de pouvoir l'utiliser intelligemment. Oui, pour nous, la priorité a toujours été d'investir, comme nous l'avons démontré, et cette priorité sert l'emploi, comme le sert notre programme de modernisation de l'outil industriel.
J'en viens au débat que je ne peux qualifier autrement que de grotesque sur les emplois qui seront supprimés à l'avenir. Puis-je rappeler que, pour l'instant, ces emplois existent ? Puis-je rappeler qu'investir en période de crise, c'est mieux qu'investir en période de croissance ? Pourtant, si j'avais cédé à ceux qui me conseillaient de ne rien faire, ces emplois n'existeraient pas.
Il a beaucoup été question de communication, et l'on m'a reproché d'avoir annoncé dans la foulée d'excellents résultats et des restructurations. Mais si nous avions procédé à l'inverse, on nous aurait accusés de duplicité, sinon pire. En réalité, pour ce genre d'annonce, le moment n'est jamais le bon. Pourtant, un jour arrive où l'on ne peut plus attendre, et nous y étions. D'ailleurs, un responsable d'entreprise digne de ce nom fait ce qu'il estime devoir faire au moment où il pense devoir le faire, et tant pis pour la communication, car ce n'est pas ce type de considérations qui doit faire bouger une entreprise. Le programme que nous avons annoncé était décidé avant que la crise ne se déclenche ; il ne lui est pas lié, même si la crise a exacerbé le différentiel d'utilisation entre le diesel et l'essence. Il fallait le faire, nous l'avons fait. Je déplore que nous n'ayons pu communiquer normalement, mais c'est ainsi. D'ailleurs, nous sommes constamment soumis à la pression des médias : la presse dit ce qu'elle sait, et nous essayons de suivre.
M. Jean-Yves Besselat l'a bien compris, il s'agissait de pérenniser l'outil de raffinage. Parce que Total a les moyens qu'il en soit ainsi, il n'y aura pas de licenciements secs. Incidemment, on ne peut non plus critiquer l'entreprise en lui reprochant tantôt de payer trop, tantôt de ne pas payer assez…Il faut savoir ! Les organisations syndicales de la maison demandent que les salariés soient bien payés, et ceux-ci sont contents de l'être. Je pense que lorsqu'on peut augmenter les salaires de ses employés, il faut le faire, même si on les augmente plus que dans les autres secteurs.
Pour ce qui concerne le site de Notre-Dame de Gravenchon, il s'agissait, ni plus ni moins, d'un secret de Polichinelle. Tous ceux qui, dans la région, s'intéressaient à la question, savaient qu'un problème majeur se posait : le site fabriquait un seul produit pour un seul client. Lorsque ce client a décidé de s'approvisionner ailleurs en France, comment vendre le produit qu'il n'achetait plus ? J'ajoute que la délocalisation à laquelle nous devons procéder n'est pas des plus extrêmes, puisque nous avons défini un plan de réaffectation de la majorité des employés à Gonfreville, qui est situé à trente kilomètres de Notre-Dame de Gravenchon. Il faut, bien sûr, mettre au point un accompagnement personnalisé et tout faire pour opérer un rapprochement harmonieux. Nous n'avons jamais dit que si les salariés ne bougeaient pas, nous les licencierions, mais on ne peut conserver un site qui ne produit pas, le personnel le sait. Je ne prétends pas que l'idée de travailler ailleurs les enchante, mais le sujet n'est pas dramatique. Il doit être traité de manière convenable et humaine, avec les organisations syndicales et, en l'occurrence, avec la CFDT, syndicat majoritaire sur le site. C'est ce que j'ai fait la semaine dernière. Quant aux salariés de Gonfreville, ils seront heureux d'avoir des renforts. Par ailleurs, la raffinerie de Grandpuits est rattachée à Gonfreville et confortée par la restructuration. C'est le choix que nous avons fait, en privilégiant une solution qui permettait d'éviter la fermeture de ce site car, contrairement à ce que certains semblent croire, nous faisons attention à ce genre de choses.
M. Yves Cochet a engagé, comme souvent, un débat sur l'énergie au niveau mondial. Mais quand ce débat a-t-il lieu en France, sauf au moment où l'on parle de restructurations ? Manifestement, on éprouve quelque mal à intéresser nos concitoyens à ce sujet dans sa dimension internationale ; pourtant, il le faut.
Total, c'est vrai, avait été quelque peu avant-gardiste dans ses annonces concernant les capacités de production, se montrant beaucoup plus pessimiste que les agences officielles, ce qui m'avait été reproché. Je ne sais à quoi faisait référence la prévision de 105 millions de barils par jour, mais elle était erronée. Le chiffre exact est de 89 millions de barils et je pense, comme M. Yves Cochet, que cet objectif risque de devenir difficile à atteindre, non que les réserves ne soient plus là mais parce qu'à la fin de la crise nous risquons de nous trouver à court en raison de la déplétion naturelle. Il en résultera que les réserves dureront plus longtemps mais que nous n'aurons pas suffisamment d'énergie pour faire face à la forte reprise de la demande qui se manifestera dans les pays émergents. À ce jour, on compte 800 véhicules automobiles pour mille habitants aux Etats-Unis, mais seulement 15 pour mille habitants en Inde et 40 pour mille habitants en Chine. Tous ces gens ne continueront pas de rouler à bicyclette ; la moitié de la population de la planète continuera donc de consommer, et il faudra répondre à ses besoins énergétiques. Il faut donc investir dans les énergies propres. J'appelle votre attention sur les progrès prodigieux déjà accomplis. Ainsi, quand je suis entré dans l'industrie pétrolière, on en était à 1 000 ppm pour le soufre ; on en est actuellement à 10 ppm !
Je crains, je vous l'ai dit, une remontée assez rapide des prix, et aussi que ce renchérissement ne se produise avant la reprise économique. Ce serait le scénario le plus noir, mais Total n'a pas de prise sur cette évolution. Serions-nous satisfaits qu'il en aille ainsi ? Certainement pas. Il serait très mauvais que les choses se passent dans cet ordre, non pas que le prix de l'énergie soit responsable de la crise, mais parce que lorsque l'économie a du mal à redémarrer, une hausse de ce prix ne peut améliorer la situation. Aurons-nous à l'avenir d'aussi forts bénéfices que nous en avons eus jusqu'à présent ? Je ne le pense pas. Avec l'augmentation des prix, les profits diminuent. Les pays producteurs récupèrent de plus en plus les marges. Jusqu'à présent, nous avons bénéficié d'un effet d'aubaine qui ne se reproduira pas, ce qui nous doit inciter à une gestion prudente et à une politique d'investissement attentive. La France s'est habituée à un taux de rentabilité, pour l'industrie pétrolière, très supérieur à celui de l'industrie lourde, et nous avons su utiliser ces résultats exceptionnels.
Je suis d'autant plus convaincu de la nécessité de développer d'autres énergies que nous allons être à court d'énergies traditionnelles. Le vieux débat n'a donc plus lieu d'être : il faut travailler sur tout ce qui existe. Total a décidé de donner la priorité à l'énergie solaire et à la biomasse ; c'est là qu'iront nos plus gros investissements. Cependant, aussi longtemps que le baril de pétrole est coté à 50 dollars, l'énergie solaire n'est nullement rentable, si bien que beaucoup de sociétés qui se sont lancées sur ce créneau sont au bord de la faillite. C'est attristant, et il est heureux que Total puisse se lancer dans cette activité avec son partenaire Suez, en étant doté d'un capital consistant.
Par ailleurs, un énergéticien tel que Total ne peut se désintéresser de l'industrie nucléaire, cette industrie qui a permis à la France d'être en tête dans la réduction des émissions de CO2et de préserver une indépendance énergétique plus forte que celle de bien d'autres pays. Nous savons les difficultés qui nous attendent mais nous considérons que Total peut avoir un rôle à jouer en ce domaine. Nous voulons donc nous associer à des partenaires expérimentés tels que Suez-Electrabel, EDF ou AREVA. L'industrie nucléaire sera-t-elle un pilier du développement de Total dans vingt ans, je ne le sais, mais nous nous efforçons de nous en donner les moyens. Ce n'est pas ce qu'il y a de plus facile en termes de communication, mais c'est à nous qu'il revient de gérer cet aspect des choses.
Le procès AZF étant en cours, il ne m'est pas loisible d'en parler sinon pour dire que, malheureusement, nous n'avons pas de scénario privilégié. Il est très dur pour un industriel de ne pas savoir ce qui s'est passé sur l'un de ses sites car à la douleur s'ajoute la frustration de ne pouvoir donner d'explication. J'espère que le procès permettra d'apprendre du nouveau mais je vous assure formellement que Total ne sait pas ce qui s'est passé ni par qui l'événement est arrivé. Nous laissons donc la justice suivre son cours.
Vous m'avez demandé si, à supposer que nous soyons jugés coupables, nous indemniserions les victimes. Mais nous avons déjà versé 2,2 milliards à la ville de Toulouse et aux victimes ! Toutes les démarches ne sont peut-être pas achevées mais nous avons fait énormément. Il n'est pas question pour moi de polémiquer mais je souligne que, sans Total, ces indemnisations n'auraient pu être faites car la société Grande Paroisse aurait été mise en faillite. Aussi, au lieu d'attaquer Total au motif que si nous avons payé 2,2 milliards d'euros d'indemnisation c'est que nous nous sentions fautifs, mieux vaudrait se rendre compte que c'est parce que Total était là que ces 2,2 milliards ont pu être versés. En l'absence de Total, c'est l'État qui aurait dû procéder aux indemnisations, la société Grande Paroisse étant incapable de le faire. Quoi qu'il en soit, l'indemnisation a eu lieu et Toulouse a été reconstruite. Le tribunal, quant à lui, cherche la vérité. Malheureusement, cela ne fera pas revenir les morts.
La France peut être fière de son grand groupe pétrolier, dont l'action est importante non seulement au niveau industriel, mais aussi par le biais de sa fondation. Toutefois, il serait bon d'expliquer à la population pourquoi, lorsque le prix de la matière première a augmenté, vos bénéfices ont augmenté aussi car cela suscite une certaine incompréhension.
Les Français vont très vite comprendre, en constatant qu'avec la diminution du prix du pétrole, nos profits vont diminuer.
Monsieur le directeur général, je vous remercie de la franchise avec laquelle vous nous avez répondu. Ces explications étaient nécessaires. Certains d'entre nous avaient dû parler trop vite. C'est que, souvent, la pression des médias est très forte. Nous en discuterons entre nous. Sans doute serait-il opportun que nous ayons avec vous des contacts réguliers afin que vous puissiez nous communiquer toutes informations nécessaires.
S'agissant du débat sur l'énergie, je ne doute pas que nous vous entendrons dans le cadre du débat sur le « Grenelle 2 ». Au demeurant, nous n'avons pas négligé nos responsabilités en ce domaine ; nous avons voté en juillet 2005 la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique, et vous avez été entendu ici même le 4 juin 2008. Nous vous accueillerons à nouveau à l'automne avec le plus grand plaisir.
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