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Intervention de Christophe de Margerie

Réunion du 30 avril 2009 à 10h00
Commission des affaires économiques

Christophe de Margerie :

Cela étant, nos prochains résultats seront beaucoup moins bons car, comme toutes les entreprises, nous allons être touchés par la crise. Certes, Total se porte mieux que beaucoup d'autres, ce qui nous permettra d'agir comme nous n'aurions pu le faire si nos résultats avaient été moindres au cours des exercices précédents. Mais si la crise dure et si, comme c'est probable, nos résultats baissent beaucoup, nous ne pourrons pas tenir nos engagements, qui sont de maintenir nos investissements à hauteur de 14 milliards par an. Là, je le répète, est le véritable engagement de Total. Oui, nous avons gagné beaucoup d'argent l'année dernière, et nous sommes fiers de pouvoir l'utiliser intelligemment. Oui, pour nous, la priorité a toujours été d'investir, comme nous l'avons démontré, et cette priorité sert l'emploi, comme le sert notre programme de modernisation de l'outil industriel.

J'en viens au débat que je ne peux qualifier autrement que de grotesque sur les emplois qui seront supprimés à l'avenir. Puis-je rappeler que, pour l'instant, ces emplois existent ? Puis-je rappeler qu'investir en période de crise, c'est mieux qu'investir en période de croissance ? Pourtant, si j'avais cédé à ceux qui me conseillaient de ne rien faire, ces emplois n'existeraient pas.

Il a beaucoup été question de communication, et l'on m'a reproché d'avoir annoncé dans la foulée d'excellents résultats et des restructurations. Mais si nous avions procédé à l'inverse, on nous aurait accusés de duplicité, sinon pire. En réalité, pour ce genre d'annonce, le moment n'est jamais le bon. Pourtant, un jour arrive où l'on ne peut plus attendre, et nous y étions. D'ailleurs, un responsable d'entreprise digne de ce nom fait ce qu'il estime devoir faire au moment où il pense devoir le faire, et tant pis pour la communication, car ce n'est pas ce type de considérations qui doit faire bouger une entreprise. Le programme que nous avons annoncé était décidé avant que la crise ne se déclenche ; il ne lui est pas lié, même si la crise a exacerbé le différentiel d'utilisation entre le diesel et l'essence. Il fallait le faire, nous l'avons fait. Je déplore que nous n'ayons pu communiquer normalement, mais c'est ainsi. D'ailleurs, nous sommes constamment soumis à la pression des médias : la presse dit ce qu'elle sait, et nous essayons de suivre.

M. Jean-Yves Besselat l'a bien compris, il s'agissait de pérenniser l'outil de raffinage. Parce que Total a les moyens qu'il en soit ainsi, il n'y aura pas de licenciements secs. Incidemment, on ne peut non plus critiquer l'entreprise en lui reprochant tantôt de payer trop, tantôt de ne pas payer assez…Il faut savoir ! Les organisations syndicales de la maison demandent que les salariés soient bien payés, et ceux-ci sont contents de l'être. Je pense que lorsqu'on peut augmenter les salaires de ses employés, il faut le faire, même si on les augmente plus que dans les autres secteurs.

Pour ce qui concerne le site de Notre-Dame de Gravenchon, il s'agissait, ni plus ni moins, d'un secret de Polichinelle. Tous ceux qui, dans la région, s'intéressaient à la question, savaient qu'un problème majeur se posait : le site fabriquait un seul produit pour un seul client. Lorsque ce client a décidé de s'approvisionner ailleurs en France, comment vendre le produit qu'il n'achetait plus ? J'ajoute que la délocalisation à laquelle nous devons procéder n'est pas des plus extrêmes, puisque nous avons défini un plan de réaffectation de la majorité des employés à Gonfreville, qui est situé à trente kilomètres de Notre-Dame de Gravenchon. Il faut, bien sûr, mettre au point un accompagnement personnalisé et tout faire pour opérer un rapprochement harmonieux. Nous n'avons jamais dit que si les salariés ne bougeaient pas, nous les licencierions, mais on ne peut conserver un site qui ne produit pas, le personnel le sait. Je ne prétends pas que l'idée de travailler ailleurs les enchante, mais le sujet n'est pas dramatique. Il doit être traité de manière convenable et humaine, avec les organisations syndicales et, en l'occurrence, avec la CFDT, syndicat majoritaire sur le site. C'est ce que j'ai fait la semaine dernière. Quant aux salariés de Gonfreville, ils seront heureux d'avoir des renforts. Par ailleurs, la raffinerie de Grandpuits est rattachée à Gonfreville et confortée par la restructuration. C'est le choix que nous avons fait, en privilégiant une solution qui permettait d'éviter la fermeture de ce site car, contrairement à ce que certains semblent croire, nous faisons attention à ce genre de choses.

M. Yves Cochet a engagé, comme souvent, un débat sur l'énergie au niveau mondial. Mais quand ce débat a-t-il lieu en France, sauf au moment où l'on parle de restructurations ? Manifestement, on éprouve quelque mal à intéresser nos concitoyens à ce sujet dans sa dimension internationale ; pourtant, il le faut.

Total, c'est vrai, avait été quelque peu avant-gardiste dans ses annonces concernant les capacités de production, se montrant beaucoup plus pessimiste que les agences officielles, ce qui m'avait été reproché. Je ne sais à quoi faisait référence la prévision de 105 millions de barils par jour, mais elle était erronée. Le chiffre exact est de 89 millions de barils et je pense, comme M. Yves Cochet, que cet objectif risque de devenir difficile à atteindre, non que les réserves ne soient plus là mais parce qu'à la fin de la crise nous risquons de nous trouver à court en raison de la déplétion naturelle. Il en résultera que les réserves dureront plus longtemps mais que nous n'aurons pas suffisamment d'énergie pour faire face à la forte reprise de la demande qui se manifestera dans les pays émergents. À ce jour, on compte 800 véhicules automobiles pour mille habitants aux Etats-Unis, mais seulement 15 pour mille habitants en Inde et 40 pour mille habitants en Chine. Tous ces gens ne continueront pas de rouler à bicyclette ; la moitié de la population de la planète continuera donc de consommer, et il faudra répondre à ses besoins énergétiques. Il faut donc investir dans les énergies propres. J'appelle votre attention sur les progrès prodigieux déjà accomplis. Ainsi, quand je suis entré dans l'industrie pétrolière, on en était à 1 000 ppm pour le soufre ; on en est actuellement à 10 ppm !

Je crains, je vous l'ai dit, une remontée assez rapide des prix, et aussi que ce renchérissement ne se produise avant la reprise économique. Ce serait le scénario le plus noir, mais Total n'a pas de prise sur cette évolution. Serions-nous satisfaits qu'il en aille ainsi ? Certainement pas. Il serait très mauvais que les choses se passent dans cet ordre, non pas que le prix de l'énergie soit responsable de la crise, mais parce que lorsque l'économie a du mal à redémarrer, une hausse de ce prix ne peut améliorer la situation. Aurons-nous à l'avenir d'aussi forts bénéfices que nous en avons eus jusqu'à présent ? Je ne le pense pas. Avec l'augmentation des prix, les profits diminuent. Les pays producteurs récupèrent de plus en plus les marges. Jusqu'à présent, nous avons bénéficié d'un effet d'aubaine qui ne se reproduira pas, ce qui nous doit inciter à une gestion prudente et à une politique d'investissement attentive. La France s'est habituée à un taux de rentabilité, pour l'industrie pétrolière, très supérieur à celui de l'industrie lourde, et nous avons su utiliser ces résultats exceptionnels.

Je suis d'autant plus convaincu de la nécessité de développer d'autres énergies que nous allons être à court d'énergies traditionnelles. Le vieux débat n'a donc plus lieu d'être : il faut travailler sur tout ce qui existe. Total a décidé de donner la priorité à l'énergie solaire et à la biomasse ; c'est là qu'iront nos plus gros investissements. Cependant, aussi longtemps que le baril de pétrole est coté à 50 dollars, l'énergie solaire n'est nullement rentable, si bien que beaucoup de sociétés qui se sont lancées sur ce créneau sont au bord de la faillite. C'est attristant, et il est heureux que Total puisse se lancer dans cette activité avec son partenaire Suez, en étant doté d'un capital consistant.

Par ailleurs, un énergéticien tel que Total ne peut se désintéresser de l'industrie nucléaire, cette industrie qui a permis à la France d'être en tête dans la réduction des émissions de CO2et de préserver une indépendance énergétique plus forte que celle de bien d'autres pays. Nous savons les difficultés qui nous attendent mais nous considérons que Total peut avoir un rôle à jouer en ce domaine. Nous voulons donc nous associer à des partenaires expérimentés tels que Suez-Electrabel, EDF ou AREVA. L'industrie nucléaire sera-t-elle un pilier du développement de Total dans vingt ans, je ne le sais, mais nous nous efforçons de nous en donner les moyens. Ce n'est pas ce qu'il y a de plus facile en termes de communication, mais c'est à nous qu'il revient de gérer cet aspect des choses.

Le procès AZF étant en cours, il ne m'est pas loisible d'en parler sinon pour dire que, malheureusement, nous n'avons pas de scénario privilégié. Il est très dur pour un industriel de ne pas savoir ce qui s'est passé sur l'un de ses sites car à la douleur s'ajoute la frustration de ne pouvoir donner d'explication. J'espère que le procès permettra d'apprendre du nouveau mais je vous assure formellement que Total ne sait pas ce qui s'est passé ni par qui l'événement est arrivé. Nous laissons donc la justice suivre son cours.

Vous m'avez demandé si, à supposer que nous soyons jugés coupables, nous indemniserions les victimes. Mais nous avons déjà versé 2,2 milliards à la ville de Toulouse et aux victimes ! Toutes les démarches ne sont peut-être pas achevées mais nous avons fait énormément. Il n'est pas question pour moi de polémiquer mais je souligne que, sans Total, ces indemnisations n'auraient pu être faites car la société Grande Paroisse aurait été mise en faillite. Aussi, au lieu d'attaquer Total au motif que si nous avons payé 2,2 milliards d'euros d'indemnisation c'est que nous nous sentions fautifs, mieux vaudrait se rendre compte que c'est parce que Total était là que ces 2,2 milliards ont pu être versés. En l'absence de Total, c'est l'État qui aurait dû procéder aux indemnisations, la société Grande Paroisse étant incapable de le faire. Quoi qu'il en soit, l'indemnisation a eu lieu et Toulouse a été reconstruite. Le tribunal, quant à lui, cherche la vérité. Malheureusement, cela ne fera pas revenir les morts.

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