Audition de M. Morgan Tsvangirai, Premier ministre du Zimbabwe
La séance est ouverte à onze heures
Monsieur le Premier ministre, j'ai le plaisir de vous souhaiter la bienvenue pour la seconde fois en quelques mois. Lors de votre première visite, en novembre 2008, vous étiez au coeur d'une très difficile négociation avec le président Mugabe pour que l'Accord politique de partage du pouvoir signé en septembre grâce à la médiation de M. Thabo M'Beki et sous l'égide de la Communauté de développement d'Afrique australe, la SDAC, soit appliqué. Aux termes de cet accord, le président Mugabe restait en fonction, vous-même deveniez Premier ministre et les postes gouvernementaux se répartissaient entre les membres de vos formations respectives.
Vous avez été investi en février dernier à la tête d'un gouvernement d'union nationale qui doit faire face à une tâche considérable. Votre pays, qui était en proie à une hyperinflation historique record – 230 millions de % –, fait désormais l'objet d'un plan de redressement énergique visant à endiguer le fléau inflationniste et à faire cesser les pénuries. La libéralisation de l'économie commence à faire sentir ses premiers effets et le plan d'urgence adopté par votre Gouvernement a, par son sérieux, convaincu le FMI qui, en mai, a décidé de vous accorder à nouveau son assistance.
Je vous inviterai à dresser un bilan d'étape de la situation économique du Zimbabwe quelques mois après votre prise de fonctions et à nous dire quels sont vos priorités et vos objectifs.
Monsieur le Premier Ministre, vous forcez notre admiration par votre courage et votre détermination. Vous vous êtes engagé de toutes vos forces sur le chemin difficile de la démocratisation de votre pays Beaucoup reste à accomplir mais sachez que la France, avec l'Union européenne, est prête à vous aider dans cette vaste entreprise de reconstruction politique et économique.
J'éprouve un grand plaisir à me trouver à nouveau parmi vous. La première fois que vous m'avez invité à m'exprimer, c'était en ma qualité de chef du Movement for democratic change - le MDC. Aujourd'hui, je prends la parole comme représentant du gouvernement d'union nationale du Zimbabwe qui a été formé il y a quatre mois au terme de très longues négociations et dont l'autorité n'a depuis cessé de se renforcer, car des progrès ont déjà été réalisés dans de nombreux domaines : les écoles et les hôpitaux ont été rouverts, les produits de première nécessité sont à nouveau disponibles et, d'une manière générale, l'économie va mieux.
Bien que, pour ce qui concerne la démocratisation, objectif clef, l'Accord politique de partage du pouvoir comporte des insuffisances, le processus de réforme constitutionnelle sera lancé la semaine prochaine. Nous entendons aussi réformer le droit des medias, installer une commission de lutte contre la corruption, une commission chargée des droits de l'homme et une commission électorale.
Nous avons l'intention de concéder des licences d'exploitation à des medias locaux et étrangers et de distribuer des visas aux correspondants étrangers, ce qui renforcera la pluralité d'opinions. Nous entendons professionnaliser les forces de maintien de l'ordre en les formant à la tolérance et au respect des droits de l'homme. Nous comptons aussi installer une institution chargée de promouvoir l'indispensable réconciliation nationale.
La dollarisation de l'économie nous a permis de maîtriser l'hyperinflation, et l'inflation s'établit maintenant à 3 %. Le problème est qu'actuellement la population n'a pas les moyens d'acheter des dollars américains ; mais, à moyen et long terme, nous ferons face aux problèmes de trésorerie. Nous avons par ailleurs engagé la réforme de la Banque centrale.
Enfin, nous voulons garantir qu'une justice équitable est rendue en assurant le bon fonctionnement de notre système judiciaire.
La composition de l'exécutif zimbabwéen reflète une expérience hors du commun. Sachant que le président Mugabe et moi-même étions, depuis bien longtemps, des ennemis jurés, on a pu se demander comment un tel antagonisme pourrait être surmonté. Or le gouvernement d'union nationale fonctionne, car nous entretenons une relation que je qualifierais volontiers de relation d'affaires : nous devons, ensemble, mener à son terme le programme du gouvernement. A cette fin, nous nous rencontrons chaque lundi, et j'ai pris la charge de l'application de toutes les décisions. C'est, à maints égards, une situation extraordinaire, mais la confiance s'installe progressivement et, au-delà de nos divergences, le même sentiment d'avoir à remplir un devoir national nous incite à laisser au passé ce qui lui appartient. L'exécutif étant formé par le président de la République, le Premier ministre et le gouvernement, toutes les décisions doivent être prises par consensus, ce qui nous contraint, aussi difficile que ce soit, à surmonter nos divergences. Elles persistent mais nous nous respectons et la coexistence est possible.
Il en résulte que le Zimbabwe change : le pays est maintenant dans une phase de transition irréversible et la réforme constitutionnelle permettra la tenue d'élections libres et équitables. Telle est notre feuille de route.
Notre économie, délabrée, doit être entièrement relancée. Il nous faut en particulier faire repartir le tourisme en restaurant l'image de notre pays. Je remercie le Gouvernement et le peuple français pour l'aide humanitaire qu'ils nous ont apportée quand notre peuple souffrait du choléra et de la famine. À présent, nous avons besoin d'une aide d'un nouveau genre, celle qui nous permettra de renforcer l'autorité du Gouvernement pendant la période de transition, afin que le peuple du Zimbabwe ait confiance dans le changement.
Comme c'est le cas dans toute coalition, des problèmes de personnes et de choix idéologiques se posent mais, sur le fond, le consensus est suffisant pour que le processus de démocratisation aboutisse.
II y a quelques mois à peine, confrontés à la pandémie de sida et à une épidémie de choléra, la plupart des Zimbabwéens n'avaient pas accès aux soins tant les structures de soins étaient dégradées ou leur coût prohibitif. Quelle est la situation aujourd'hui? Par ailleurs, les organisations humanitaires et les ONG qui souhaitaient la levée des restrictions pesant sur leurs interventions ont-elles été entendues ? Enfin, disposez-vous des équipements et des médicaments d'urgence et de base nécessaires?
Sur un autre plan, votre pays a été confronté à un émigration impressionnante -trois millions de vos compatriotes seraient partis en Afrique du Sud. Comment envisagez-vous leur retour, et quelles sont vos relations avec l'Afrique du Sud ?
En matière sanitaire, l'accent doit être mis sur la prévention. Malheureusement, nous nous trouvons face à des maladies complexes et, parallèlement, notre système de soins s'est détérioré. Le choléra se transmettant par l'eau, nous avons, pour contenir l'épidémie, amélioré la distribution d'eau propre dans les zones urbaines, avec des résultats significatifs. Nous avons bénéficié de l'aide des ONG, et nombre des restrictions qui entravaient leur action ont été levées, les dispositions de la loi qui régit leurs conditions de travail ayant été modifiées.
La diaspora zimbabwéenne est constituée de réfugiés économiques et politiques dont certains ont une qualification professionnelle ; d'autres n'en ont pas. Nous souhaitons que nos concitoyens expatriés qualifiés reviennent au plus vite pour participer à la reconstruction du pays. Sans leur aide, comment y parviendrons-nous ? C'est le message que nous leur adressons. Ce mouvement de retour est d'autant plus nécessaire que toute migration importante a des effets sociaux, économiques et politiques considérables dans les pays d'accueil, contraints de gérer un afflux soudain de population. L'Afrique du Sud encourage d'ailleurs les Zimbabwéens présents sur son territoire à régulariser leur situation pour ne pas vivre dans l'illégalité. Plus généralement, les économies africaines étant interdépendantes, la stabilisation de l'économie du Zimbabwe aura un effet bénéfique sur la région toute entière.
Monsieur le Premier ministre, je salue le courage dont vous faites preuve pour mener à bien la démocratisation du Zimbabwe. Vous avez pris vos fonctions il y a quatre mois seulement et, déjà, des progrès ont été accomplis. Vous nous avez indiqué les chantiers qui restent à défricher : les institutions et l'économie, mais aussi la santé. On ne peut que déplorer que le Zimbabwe soit au 151ème rang sur 177 dans la liste des pays membres de l'Organisation des Nations unies pour ce qui est des indicateurs de développement humain. L'espérance de vie de la population est faible en raison de la malnutrition et de la pandémie de sida.
Vous faites appel à la solidarité internationale. Mais, pour ce qui est des droits de l'homme, tout dépend de la volonté politique pour les reconnaître les faire respecter. Certes, de difficiles équilibres doivent être maintenus dans votre pays, mais quelle assurance avons-nous que le Zimbabwe se conformera aux obligations qui découlent des traités internationaux qui l'engagent ?
Je salue les perspectives que vous avez tracées, mais pourriez préciser quelque peu le calendrier et le rythme des réformes envisagées ?
Le Zimbabwe mérite-t-il la confiance de la communauté internationale ? L'histoire tragique de mon pays est bien connue, et je ne défendrai pas son passé. Je souhaite que nous puissions partir sur de nouvelles bases pour ouvrir un nouveau chapitre de notre histoire et redonner espoir à notre peuple qui veut la paix, la sécurité, des perspectives économiques et le respect des libertés individuelles. Tels sont les objectifs que nous nous sommes fixés. L'Accord politique de partage du pouvoir est d'ailleurs très clair à ce sujet, puisqu'il porte à 80 % sur le respect des droits de l'homme et sur la démocratisation. C'est le programme de travail du Gouvernement, et le respect de ces objectifs placera de manière irréversible le Zimbabwe sur la voie de la démocratie.
La restauration d'institutions démocratiques est indispensable au respect des droits de l'homme. Les réformes du pouvoir exécutif, du pouvoir judiciaire et du Parlement – avec la réforme du fonctionnement des partis politiques – sont autant de preuves que le Zimbabwe est en train de tourner une page de son histoire. Si ces transformations institutionnelles n'avaient pas lieu, le sort du pays dépendrait des initiatives individuelles, ce qui ne peut se concevoir. Nous voulons absolument renforcer nos institutions pour asseoir la démocratie et, avec elle, la stabilité. Si notre économie se relève, le peuple admettra plus facilement le bien-fondé du changement ; si les libertés sont respectées, les investisseurs reviendront et le peuple aura une plus grande confiance en son avenir. Ce sont donc les deux faces d'une même médaille. Le processus de réforme constitutionnelle est déjà engagé mais il va s'accélérer au cours des deux semaines à venir et j'ai bon espoir qu'il aboutira dans les dix-huit prochains mois. À ce moment, nous fixerons ensemble la date des élections. Nous voulons aussi hâter la réconciliation pour éviter à tout prix la répétition des errements passés, pour que les idées l'emportent sur la violence. Je suis persuadé que la concrétisation progressive de nos objectifs sera en soi un facteur de restauration irréversible de la confiance.
Nous mesurons les multiples difficultés que vous devez affronter, et vous le faites avec une sérénité et un volontarisme remarquable. A quel horizon imaginez-vous la tenue des élections ? Quelles sont vos relations avec l'Afrique du Sud ? Vous terminez une très longue tournée internationale qui vous a conduit aux Etats-Unis et dans plusieurs pays européens ; qu'en attendez-vous, et qu'en avez-vous obtenu pour vous aider au développement économique et social du Zimbabwe ?
Le processus qui doit mener aux élections figure dans l'Accord politique de partage du pouvoir. Une assemblée constituante sera convoquée et nous nous fonderons sur ses conclusions pour définir un projet de Constitution qui sera soumis à l'examen du Parlement. Ensuite, des élections seront organisées à une date définie d'un commun accord par M. Mugabe et moi-même, qui représentons les deux principaux partis politiques du Zimbabwe. À l'origine, mon parti, le MDC, suggérait que les élections se tiennent d'ici deux ans ; la ZANU-PF, parti du Président de la République, penchait pour un délai de cinq ans. La question a été remise, la priorité étant donnée à l'éducation et à la santé. Finalement, l'accord semble se faire sur un délai de dix-huit mois.
Vous m'avez interrogé sur les relations entre le Zimbabwe et l'Afrique du Sud. Je vous rappelle que l'Accord politique de partage du pouvoir a été conclu sous l'égide de la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) ; c'est dire que nous bénéficions du soutien de tous les pays voisins dont l'Afrique du Sud. J'ajoute que le soutien de la SADC et celui de l'Union européenne nous sont indispensables. Nous entretenons avec l'Afrique du Sud des relations très cordiales, du moins quand il s'agit de consolider l'accord conclu. Outre cela, les économies de nos deux pays sont historiquement liées et l'Afrique du Sud a donc à coeur de voir revenir la stabilité au Zimbabwe, d'autant plus que cela bénéficierait directement à sa propre économie. En effet, deux à trois millions de Zimbabwéens ont franchi la frontière au cours des dernières années, ce qui a suscité la montée de la xénophobie, certains Sud-africains considérant que nos concitoyens volaient leurs emplois. En d'autres termes, la stabilité politique, sociale et économique du Zimbabwe est un enjeu pour l'Afrique du Sud.
En commençant ma mission internationale, j'avais pour objectif de défendre les options de politique étrangère du Zimbabwe, un pays isolé depuis dix ans et qui veut s'ouvrir à nouveau aux relations avec l'Union européenne en relançant des relations commerciales anciennes. Nous voulons aussi relancer le tourisme et, pour cela, convaincre la communauté internationale qu'il n'y a plus lieu de restreindre les déplacements vers notre pays.
Pour des raisons historiques connues, nous avons des relations étroites avec l'Europe et de nombreuses entreprises implantées au Zimbabwe sont européennes. La situation qui a prévalu dans mon pays au cours de la décennie écoulée nous a privés du bénéfice de ces liens. De plus, le Zimbabwe a besoin d'un soutien humanitaire mais aussi politique pendant la période de transition qu'il traverse. Nous devons ouvrir des écoles, refonder notre système de santé, faciliter l'accès à l'eau, assurer notre approvisionnement alimentaire – dans tous ces domaines, nous avons besoin du soutien de l'Union européenne et de celui des États-Unis. Nous le savons, la question n'est pas seulement celle des fonds que nous pouvons obtenir ; beaucoup dépendra aussi de notre capacité à faire des dépenses bien ciblées.
Je tiens, Monsieur le Premier ministre, à vous féliciter, car la situation a beaucoup évolué au Zimbabwe depuis que nous vous avons entendu en novembre. Nous avions, à cette occasion, évoqué l'élection de M. Obama. Quelles conclusions avez-vous tirées de vos rencontres avec la nouvelle administration américaine ? Sur un autre plan, quels atouts permettront au Zimbabwe de refonder son développement économique et social ? Quelle place accorderez-vous à l'éducation ? Comment redonner un espoir aux jeunes pour qu'ils restent au Zimbabwe et se construisent un avenir prometteur ?
Les réunions que nous avons eues avec plusieurs représentants de l'exécutif américain, immédiatement après l'élection de M. Obama, ont été très encourageantes. M. Obama lui-même a dit clairement sa vision d'une Afrique responsable, dont les dirigeants doivent éviter le double écueil de la corruption et de la violence. Les Etats-Unis se sont dit prêts à soutenir l'Afrique sur le fondement de valeurs partagées : celles de la démocratie, de la liberté des peuples et de l'économie de marché.
Le ministre du tourisme vous dira quelques mots des attraits du Zimbabwe. Pour ma part, j'invite les autorités européennes à lever les restrictions qu'elles ont mises au tourisme vers mon pays. Le Zimbabwe est redevenu un pays sûr, prêt à accueillir les visiteurs qui s'émerveilleront de sa nature luxuriante.
S'agissant de l'éducation, le Zimbabwe a le taux d'alphabétisation le plus élevé d'Afrique car il avait, dans le passé, consenti d'importants investissements à cette fin. Malheureusement, faute d'investissements récents, la proportion a baissé. Nous devons donc réinvestir dans la formation, en termes quantitatifs et qualitatifs, pour combler un déficit de compétences d'autant plus aigu que de nombreux Zimbabwéens ont émigré. C'est pourquoi, je l'ai dit, nous tenons à ce qu'ils reviennent au pays. Plus généralement, une population bien formée est un grand atout pour un pays ; par exemple, des Zimbabwéens éduqués seront mieux en mesure de se protéger efficacement du sida. Nous attachons une grande importance à l'éducation et nous continuerons d'investir dans ce domaine.
Le tourisme peut être le catalyseur de la reprise économique au Zimbabwe. Cette industrie, qui employait 200 000 salariés, soit un Zimbabwéen sur douze, a beaucoup souffert de la situation politique au cours de la dernière décennie. Il convient donc de favoriser le dialogue avec la communauté internationale, et à ce sujet le rôle des médias est capital. C'est une des raisons pour lesquelles nous souhaitons faciliter les émissions des chaînes de télévision étrangères depuis notre territoire. Nous espérons aussi le retour des compagnies aériennes, telle Air France, dont les avions faisaient escale au Zimbabwe. Les touristes européens, dont les Français, et tous les autres auront ainsi le plaisir de découvrir notre flore, notre faune et des paysages inoubliables. La situation politique étant grandement stabilisée, le taux de criminalité a sensiblement régressé. Les mises en garde n'ont donc plus lieu d'être et nous allons lancer des campagnes incitant les voyageurs à reprendre le chemin du Zimbabwe. J'espère en tout cas vous accueillir au plus vite aux chutes du Lac Victoria.
Les relations politiques sont donc apaisées, le processus de démocratisation est engagé, la situation économique et financière se rétablit, la situation sanitaire s'améliore et le Zimbabwe s'ouvre sur le monde. Mais quelle est la situation de la minorité blanche, malmenée avant votre arrivée au pouvoir ? Dans un autre domaine, quel rôle joue la Chine dans la reconstruction de votre pays ?
Qu'en est-il, aussi, de la propriété foncière ? De graves litiges ont opposé les Zimbabwéens d'origine et les Zimbabwéens issus de la période coloniale. Ces litiges ont-ils été tranchés ? Si tel n'est pas le cas, quelles dispositions comptez-vous prendre pour les régler ?
Les Blancs sont au Zimbabwe depuis un siècle ; ils font partie de la communauté zimbabwéenne. Au moment de l'indépendance, bien qu'une politique de réconciliation nationale ait été menée, un exode s'est produit, certains Blancs ne se sentant plus en sécurité. Un mouvement similaire a été constaté dans tous les Etats d'Afrique au moment de leur indépendance. Cela étant, un nombre important de Blancs est resté au Zimbabwe ; ils sont environ 100 000 actuellement. Nous ne faisons pas de différence entre Zimbabwéens selon la couleur de leur peau. Notre société est extraordinairement tolérante, à la différence de l'Afrique du Sud où le racisme avait force de loi. Nos enfants ont grandi ensemble, et l'intégration est plus grande au Zimbabwe qu'elle ne l'est dans l'Afrique du Sud actuelle.
Il est vrai que la question foncière a semé la discorde. Une réforme s'imposait, qui devait être conduite de manière équitable, transparente et respectueuse de la loi. Or, celle qui a été menée il y a dix ans a eu des effets extrêmement fâcheux, puisqu'elle a été à l'origine d'une très grave pénurie alimentaire. Il convient à présent de revoir une méthode dont tous les partis politiques conviennent qu'elle était suicidaire car contraire au bon sens économique. Nous nous sommes attelés à ce dossier. Un audit est en cours, réalisé par une commission indépendante. Le problème épineux des droits de propriété doit être résolu. Il est impératif d'assurer la sécurité juridique de la propriété foncière pour permettre le retour des investisseurs. La commission indépendante traitera également de la question des indemnisations et réinstallations. Dans tous les cas, le sujet doit être abordé de manière rationnelle, dépassionnée et dépolitisée, sans faire intervenir la question raciale, trop chargée d'émotion. Ce dont il s'agit, c'est du bien commun, puisqu'il faut rétablir une agriculture productive.
La Chine ne vient pas en Afrique par philanthropie mais pour y faire des affaires. Nous avons entretenu de bonnes relations avec la Chine pendant cinq ans, mais elle n'a pas investi un centime dans notre pays au cours de cette période car nous n'étions pas solvables. À présent, la Chine constate que de nouvelles occasions se présentent et des discussions se sont engagées sur différents projets. Telle est la base de nos relations. J'invite les Etats-Unis et l'Union européenne à considérer la Chine comme un concurrent commercial, en affaire avec les Africains, et non comme une menace militaire.
Je m'associe à mes collègues pour saluer la détermination dont vous faites preuve dans une situation difficile. Pourriez-vous nous dire quel regard vos voisins portent sur votre volonté de reconstruction ? Vous considèrent-ils comme des partenaires potentiels ou comme des concurrents potentiels ? D'autre part, le FMI a décidé de vous accorder à nouveau son assistance, mais quelles ont été les contreparties demandées et quelles modalités d'évaluation ont été définies pour mesurer l'évolution de la reconstruction ? Enfin, Monsieur le Premier ministre, quelles questions avez-vous posées au Président de la République et au Gouvernement sur l'aide que la France, en tant que membre influent de l'Union européenne, pourrait apporter au Zimbabwe ?
Nos voisins apprécient d'autant plus nos efforts de reconstruction que c'est l'Accord politique de partage du pouvoir conclu sous leur égide qui les permet. Le gouvernement d'union nationale est un mariage qu'ils ont fait ! Nos voisins veulent que le Zimbabwe retrouve sa stabilité. Aussi bien le Botswana que l'Afrique du Sud l'ont démontré en s'engageant à apporter une aide financière.
Mais notre redressement est obéré par l'ampleur de notre dette extérieure. Nous devons apurer nos arriérés, et nous sommes engagés dans une négociation avec les institutions financières internationales à ce sujet. Ensuite, nous espérons que la France usera de son influence au sein de l'Union européenne pour appuyer nos demandes de financements complémentaires au FMI et à la Banque mondiale. Nous espérons aussi que la France aidera à la reprise du dialogue entre l'Union européenne et le Zimbabwe, dialogue indispensable à la relance des échanges commerciaux – le commerce n'est-il pas l'aide la plus durable qui soit ? En m'adressant ce matin au MEDEF, j'ai souligné que les entreprises – y compris les entreprises françaises – doivent, comme les politiques, prendre des risques, sans attendre pour investir au Zimbabwe que la situation y soit redevenue absolument parfaite. C'est maintenant que les occasions doivent être saisies !
Quels sont les conséquences pratiques de la réforme monétaire - nécessaire - sur la population ?
Toute réforme économique bénéficiera directement à la population. Dans cette optique, nous avons décidé de « dollariser » notre économie pour mettre un terme à une hyperinflation ravageuse, ce qui a amélioré la qualité de vie de nos concitoyens. D'autres réformes seront appliquées à moyen et à long terme. Déjà, nos entreprises se relèvent, utilisant de 60% à 100% de leurs capacités de production quand, auparavant, elles ne tournaient qu'à 10% de leurs capacités. Cette évolution permet la création d'emplois. La réforme agraire permettra de nourrir la population et d'exporter. Nous voulons redevenir le « grenier à blé » de la région et ne plus dépendre de l'aide humanitaire.
Les progrès sont patents. Ils sont la preuve que des possibilités de développement existent au Zimbabwe, qui doivent être saisies.
Je vous remercie, Monsieur le Premier ministre, pour vos réponses franches et précises. Je souhaite que le Zimbabwe poursuive son redressement sous votre égide.
La séance est levée à douze heures dix.