La commission a tout d'abord désigné M. Michel Raison rapporteur de la proposition de résolution de M. Hervé Gaymard, adoptée par la Commission chargée des affaires européennes, sur la fixation des profils nutritionnels des denrées alimentaires (n° 1576), puis elle a procédé à l'examen de ce texte.
Lors de sa réunion du 8 avril 2009, la Commission a examiné, sous la présidence de Mme Fabienne Labrette-Ménager, la proposition de résolution (n° 1576) de M. Hervé Gaymard sur la fixation des profils nutritionnels des denrées alimentaires.
La commission des affaires économiques est saisie par la commission des affaires européennes d'une proposition de résolution sur la fixation de profils nutritionnels des denrées alimentaires destinés à réglementer les allégations nutritionnelles ou de santé. Je propose, s'il n'y a pas d'opposition, que Michel Raison soit nommé rapporteur sur cette proposition de résolution.
Je précise que notre commission des affaires économiques et notre sous-commission agriculture avaient été alertées en amont, notamment au moment du salon de l'agriculture, sur le contenu du projet de la Commission européenne et que nous avions alors interpellé le ministre de l'agriculture.
Je me félicite donc que la commission des affaires européennes ait adopté une proposition de résolution sur le texte de la Commission – qui n'est pour l'heure qu'un document de travail – comme nous le permet désormais l'article 88-4 de la Constitution qui dispose que « des résolutions européennes peuvent être adoptées (…) sur tout document émanant d'une institution de l'Union européenne. »
Comme l'a rappelé Mme la Présidente, la sous-commission agriculture a déjà travaillé sur la question des profils nutritionnels et j'ai moi-même mené plusieurs auditions sur le sujet. Un courrier a également été envoyé au ministre de l'agriculture ainsi qu'au Premier ministre.
Le texte sur lequel porte la présente proposition de résolution n'est qu'un document de travail, de nature technique, qui plus est disponible uniquement en anglais. Il n'en constitue pas moins un document très important par la menace que son contenu représente pour nos produits traditionnels et de qualité, comme les fromages. Or, il risque d'être adopté quasiment sans débat démocratique car il relève de la procédure dite de « comitologie ». Dans ce cadre, le débat entre Etats-membres se fait au niveau d'experts nationaux et la position à laquelle ils aboutissent est ensuite généralement avalisée sans débat par le Parlement et le Conseil, sous réserve qu'elle ait été adoptée conformément aux procédures. Il nous faut donc être très vigilants et agir en amont et vite car la prochaine réunion du comité permanent de la chaîne alimentaire (CP CASA) est fixée au 27 avril prochain.
Tout d'abord, qu'est-ce que les profils nutritionnels ?
Cette notion a été introduite par le règlement communautaire 19242006 de décembre 2006 concernant les allégations nutritionnelles et de santé portant sur les denrées alimentaires. Mais il faut souligner que l'idée d'établir des profils nutritionnels pour encadrer le recours aux allégations est apparue suite à la commercialisation d'une sucette sur l'emballage de laquelle le producteur avait fait apposer la mention : « sans cholestérol », ce qui avait évidemment suscité de nombreuses protestations. L'objet des profils nutritionnels est donc de fixer par produit ou catégorie de produits des compositions-types à respecter : lorsque les teneurs en certains nutriments sont dépassés, il n'est alors quasiment plus possible d'utiliser d'allégations nutritionnelles. L'objectif initial est donc avant tout de protéger le consommateur en lui garantissant une information claire et compréhensible de manière à éviter qu'il ne soit induit en erreur par telle ou telle allégation et adopte un comportement alimentaire préjudiciable à sa santé.
L'article 4 du règlement 19242006 confie à la Commission le soin de définir les profils nutritionnels des aliments, après avis de l'Autorité européenne de sécurité des aliments, mais encadre toutefois son action. Il dresse tout d'abord la liste des nutriments ou substances à prendre en compte en raison de leurs effets nutritionnels ou physiologiques ; il indique ensuite que la place et le rôle des denrées alimentaires dans un régime alimentaire global doivent être pris en considération ; et enfin, il ouvre la possibilité d'octroyer des dérogations à l'obligation de respecter les profils nutritionnels pour certaines denrées alimentaires en raison précisément de leur rôle et leur importance dans le régime alimentaire de la population.
Ces éléments n'ont que partiellement été pris en compte par la Commission. Celle-ci a tout d'abord restreint la définition d'un profil nutritionnel à trois éléments : la teneur en acides gras saturés, en sodium et en sucre, alors que la liste visée dans le règlement en comprenait une douzaine. En outre, retenir pour la catégorie des lipides, les seuls acides gras saturés paraît également discutable, sachant non seulement que certains d'entre eux ont des propriétés bénéfiques pour l'organisme mais également qu'aucun lien n'a été scientifiquement établi entre la consommation de ces acides gras et les maladies cardiovasculaires ou l'obésité.
Ensuite, la Commission a choisi des seuils limites extrêmement restrictifs au-delà desquels toute communication positive est impossible. En effet, si cette réglementation devait être adoptée, un emmental, riche en calcium mais également riche en acides gras, ne pourrait plus bénéficier de la mention « riche en calcium », de même qu'un pain, riche en fibres mais également en sel, ne pourrait plus être dit « riche en fibres ». A contrario, une margarine fabriquée industriellement afin de respecter les seuils fixés au niveau communautaire et artificiellement enrichie en oméga 3 pourrait se prévaloir de sa richesse en oméga 3 et concurrençait ainsi un produit comme le beurre, naturellement riche en oméga 3, mais pour lequel il serait désormais interdit de le signaler.
Ainsi, pour les fromages, les seuils choisis apparaissent particulièrement inadaptés à nos productions, qu'il s'agisse de la teneur en acides gras saturés, qui ne doit pas dépasser 10 grammes pour 100 grammes de produit, ou du taux de sodium, qui à 600 mg pour 100 g de produit, pénalise tout particulièrement les fromages affinés. Cela est d'autant plus grave que des recherches récentes, notamment de l'INRA, démontrent que les acides gras contenus dans le lait sont meilleurs pour la santé que leurs équivalents artificiels.
La Commission n'a donc pris en considération ni la composition naturelle de ces produits ni les effets bénéfiques qu'ils peuvent avoir sur la santé, ni, plus globalement, le rôle important qu'ils jouent dans un régime alimentaire équilibré.
Autre détail révélateur : la Commission européenne a classé la crème fraîche dans le groupe des yaourts. Étant donné son taux de matière grasse, il sera donc impossible d'y apposer des allégations nutritionnelles, y compris lorsque celle-ci est allégée ou dite « légère », ne serait-ce que pour le signaler !
Enfin, s'agissant des dérogations possibles, la Commission a imaginé un dispositif dont les effets seraient vraisemblablement plus néfastes que l'absence de communication : ainsi, pour un produit ne respectant pas un seul des seuils définis, il serait néanmoins possible d'apposer des allégations uniquement sous réserve de signaler le non-respect du seuil en question.
Bien sûr, la Commission se défend de vouloir s'attaquer aux traditions culinaires des Etats membres et de tenter d'uniformiser, voire d'aseptiser, nos modes de consommation : les produits ne sont pas interdits, ils sont juste privés de moyens de communication. On sait bien pourtant qu'il s'agit là du nerf de la guerre et que, sans la communication positive, il sera beaucoup plus difficile de valoriser les petites productions ou les productions situées sur des territoires défavorisés, alors même que la réforme issue du bilan de santé de la PAC a permis de dégager des marges de manoeuvre pour soutenir un peu plus ces productions. Il s'agit là d'une incohérence flagrante qui pourrait se révéler dramatique pour la filière laitière. Ce traitement témoigne par ailleurs une nouvelle fois de la méconnaissance, voire du mépris, dans lequel sont tenus les produits de nos terroirs à Bruxelles ; et il en va d'ailleurs de même pour le vin rosé.
Il convient donc de combattre la conception réductrice de l'alimentation qui sous-tend la politique conduite par la Commission européenne et qui est soutenue par les pays anglo-saxons, comme la Grande-Bretagne ou le Danemark.
En outre, du point de vue de la santé publique, il paraît en tous points préférable de laisser un peu de souplesse à chaque État membre pour adopter la communication nutritionnelle qu'il juge la plus adaptée. L'état sanitaire de la population varie d'ailleurs fortement d'un pays à un autre : si la France est avec l'Italie le pays européen qui consomme le plus de fromage, elle a aussi la plus faible proportion de personnes en surpoids ou atteintes de maladies coronariennes. La politique de la commission va ainsi directement à l'encontre de notre politique de santé, qui recommande la consommation de 3 à 4 produits laitiers par jour.
Pour en venir à la proposition de résolution qui nous a été transmise, j'ai assez peu de remarques à formuler ; celle-ci est aussi claire que brève :
– dans son premier point, elle demande à la Commission de revoir sa copie pour les produits laitiers ;
– dans son deuxième point, elle aborde la question précise du classement de la crème fraîche ;
– et dans son troisième point, elle demande à ce que soit plus largement ouvert le champ des allégations positives pour les produits agricoles et les spécialités traditionnelles.
J'adhère à l'ensemble de ces points et vous suggérerai donc seulement d'adopter quelques petites modifications ponctuelles et deux précisions qui me semblent importantes :
– d'une part, souligner le type de politique alimentaire que nous souhaitons voir défendue au niveau communautaire ;
– et, d'autre part, réaffirmer notre attachement à la liberté de chaque État membre et de chaque peuple européen de préserver ses traditions culinaires, lorsqu'elles sont constitutives de son identité.
Le rapporteur connaît particulièrement bien le dossier, mais il me paraît très sévère à l'égard de la Commission européenne. Il est en effet louable de chercher à trouver un moyen adéquat d'informer le consommateur. Nous avons d'ailleurs ratifié il y a deux ans une ordonnance sur les signes de qualité qui visait déjà à permettre au consommateur de mieux se repérer dans le « maquis » des labels existants. Il faut rendre compte à la population, dont l'alimentation est de plus en plus uniformisée, des dangers pour la santé que représentent des aliments qui ne sont pas sains.
Pour autant, si l'idée de départ de la Commission européenne était légitime, il ne reste pas moins que le résultat est catastrophique. Son application porterait en effet préjudice aux produits de qualité comme, par exemple, le comté, qui est la plus grosse AOC de France en termes de tonnage.
Les acides gras ne sont pas tous dangereux pour la santé. On simplifie trop les relations entre les nutriments présents dans les aliments et on résume la qualité d'un produit à la somme des nutriments qui le composent. Or, en poussant le raisonnement de la Commission à son terme, on pourrait aller jusqu'à interdire la communication sur certains fruits. Il ne s'agit donc pas d'une bonne méthode pour classer les aliments et ses effets sont disproportionnés.
Je suis par conséquent contre la proposition de l'Union européenne, et favorable à la proposition de résolution de la Commission des affaires européennes, qui demande un certain nombre d'éclaircissements. Mais, plus largement, je suis contre l'établissement de ces profils nutritionnels qui ne permettra pas d'informer correctement le consommateur.
Je salue la démarche de la commission chargée des affaires européennes, ainsi que les propositions de notre rapporteur. L'affirmation de la nécessité pour le Parlement de se saisir en amont des textes communautaires est particulièrement bienvenue. Nous nous plaignons trop souvent d'être mis devant le fait accompli. Il nous appartient d'être réactifs, dans nos critiques comme dans nos propositions.
Le rapporteur s'est appuyé à juste titre sur les travaux des chercheurs. L'INRA Auvergne a publié les résultats de recherches démontrant que les acides gras trans industriels et naturels n'ont pas les mêmes effets sur la santé. Les acides gras trans des huiles végétales partiellement hydrogénées, que l'on trouve dans les produits transformés comme par exemple les barres chocolatées, les soupes, les biscuits, entraînent une baisse du taux bon cholestérol, et augmentent celui de mauvais cholestérol, facteur de risque de maladies cardio-vasculaires. En revanche, les acides gras trans des composés naturels, issus du lait, du beurre et d'autres produits laitiers, n'ont pas d'impact négatif. Ils augmentent même le taux de bon cholestérol chez les femmes.
D'autre part, la question des profils nutritionnels est directement liée au type d'agriculture que nous souhaitons promouvoir. En effet, les recherches précitées prouvent également que la valeur nutritionnelle des laits et fromages dépend de leur teneur en acides gras essentiels et vitamines, qui dépend elle-même de l'alimentation des animaux. Les laits provenant de rations à base d'herbe ou supplémentées en huile de lin sont ainsi plus riches en oméga-3 que ceux de rations à base d'ensilage de maïs.
L'Auvergne est connue pour être un « immense plateau de fromages ». Nous devons nous battre pour maintenir la qualité et la diversité de nos terroirs. Je voterai donc la proposition de résolution modifiée par le rapporteur.
Nous représentons tous des régions aux riches terroirs, avec de nombreux produits labellisés, de qualité, comme, dans mon cas, en Midi-Pyrénées et plus précisément en Aveyron. Nous voulons les défendre.
La démarche intellectuelle de la Commission européenne est franchement étonnante : elle prétend élaborer la règle à partir de l'exception, part de la sucette pour envahir le champ de notre alimentation. Les concepts anglo-saxons, de plus en plus fréquents en droit communautaire, ne sont en outre pas du tout adaptés à notre droit latin. Il faut refuser « le délire de la raison » uniformisatrice, qui interdit de valoriser toute particularité, ce qui est justement l'objet, par exemple, des AOC. Toute information doit-elle enfin être calibrée par la loi ? Peut-être faudrait-il à cet égard traiter le problème différemment, non pas en multipliant le champ des interdits mais en valorisant ce qui est permis. Enfin, je dois dire que si je suis un fervent Européen, je ne considère pas que ces questions soient une priorité pour l'Europe.
S'il convient de faire en sorte que les informations transmises au consommateur soient sérieuses, la validité de l'information doit non seulement se mesurer du point de vue scientifique mais également du point de vue du bon sens. Or, le projet de la Commission, aussi louable soit-il à l'origine, pêche par ses deux aspects à la fois. D'un point de vue scientifique, le traitement qui est fait de la question des acides gras est problématique ; les recherches de l'INRA sont à cet égard révélatrices. Et, du point de vue du bon sens, la Commission est totalement dans l'erreur et va trop loin dans l'excès de réglementation. On a beaucoup parlé des produits du terroir et des AOC mais tous les produits agroalimentaires sont potentiellement concernés : or, si une telle réglementation devait être adoptée, on pourrait également assister à des reculs dans ce domaine. En effet, lorsque des industriels améliorent des produits et qu'ils ne peuvent pas le faire savoir et le valoriser, ils renoncent simplement aux efforts entrepris. Enfin, j'attire votre attention sur le point 4 que je vous propose d'introduire dans la proposition de résolution qui met l'accent sur la nécessité de lutter contre l'uniformisation de nos modes de vie et de consommation qui est à l'oeuvre au niveau communautaire, et qui d'ailleurs dépasse le simple cadre de l'alimentation.
La Commission a ensuite adopté, à l'unanimité, la proposition de résolution ainsi modifiée.
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Information relative à la commission