– Audition, ouverte à la presse, sur l'organisation de la sécurité nucléaire –
La séance est ouverte à seize heures trente.
Je vous remercie, madame, messieurs, d'avoir répondu à notre invitation. Je vous prie d'excuser M. Claude Birraux, président de la Mission parlementaire et président de l'OPECST, qui se trouve actuellement sur le plateau des Glières, en Haute-Savoie, où il assiste aux côtés du Chef de l'État à une cérémonie de commémoration de la Résistance.
Après quatre auditions à l'Assemblée nationale et au Sénat, dont celle du 24 mai sur les protections des réacteurs nucléaires et celle qui s'est tenue à Lille sur la gestion des crises, nous voici réunis pour une cinquième audition. La sixième et dernière audition, relative à la transparence en matière de sûreté nucléaire, se tiendra le 16 juin prochain au Sénat.
Je rappelle qu'après les visites réalisées ces dernières semaines aux quatre coins de la France, nous visiterons le 10 juin les centrales de Belleville et de Fessenheim. Nous publierons dès la fin du mois de juin un rapport d'étape consacré à la sécurité nucléaire avant d'aborder le deuxième volet de notre étude, qui portera sur la place de la filière nucléaire dans le mix énergétique français.
La sûreté des installations nucléaires ne se limite pas à concevoir et à mettre en oeuvre des dispositions techniques élaborées pour pallier les incidents ou limiter leurs conséquences : elle nécessite une organisation adaptée identifiant les responsabilités de chacun des acteurs.
L'audition de ce jour comprendra deux sessions. La première, présidée par Christian Bataille, député, rapporteur de la mission, porte sur la dimension internationale du contrôle de la sûreté. La coopération internationale est un outil efficace pour faire progresser la sûreté nucléaire, tant en France qu'à l'étranger. Elle permet aux pays concernés de mieux connaître le fonctionnement de la filière, de prendre connaissance des problèmes auxquels les autres pays sont confrontés et d'harmoniser leurs exigences en matière de sûreté. La deuxième session sera consacrée aux modalités de la sûreté nucléaire en France et à la place de chacun des acteurs de la filière.
Chacune de ces sessions sera suivie d'un débat. Je rappelle que, s'agissant du temps de parole, les parlementaires membres de la mission bénéficient d'une priorité. Les membres du comité d'experts officiellement désignés le 14 avril dernier pourront également poser des questions, tout comme les autres participants, notamment les représentants de la presse.
Première session LA DIMENSION INTERNATIONALE DU CONTRÔLE DE LA SÛRETÉ
Présidence de M. Christian Bataille, député, rapporteur
Avant d'évoquer la dimension internationale du contrôle de la sûreté, je ne peux pas ne pas faire allusion, en tant que député de l'opposition, à l'annonce stupéfiante de Mme Merkel de fermer l'ensemble des centrales nucléaires allemandes. Cette décision unilatérale est un mauvais coup porté à l'Europe et à la France. Elle est en outre peu crédible car elle implique la remise en service des centrales au lignite, lequel n'est autre qu'une sorte de charbon très polluant, ainsi que des centrales au charbon, prétendument propres, et au gaz de M. Poutine ; les Allemands, confrontés à un déficit d'électricité, achèteront de l'électricité nucléaire en France, ce qui aura des conséquences sur le marché français de l'électricité. Demain, nous aurons peut-être plus peur d'une pénurie d'électricité que du nucléaire…
La France joue un rôle très actif dans la coopération internationale. Il n'est pas forcément très aisé de comparer la démarche des pays en matière de sûreté nucléaire car les organisations internationales n'ont pas vocation à établir un palmarès de leurs membres. Et cet exercice serait périlleux pour l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), qui joue un rôle majeur au niveau européen dans la coordination internationale des autorités de sûreté, car toutes les autorités ne bénéficient pas de la même indépendance que les autorités françaises vis-à-vis de la sphère politique. Les décisions de Mme Merkel semblent plus motivées par ses déboires dans le Bade-Wurtemberg que par une véritable politique énergétique.
En premier lieu, M. Philippe Saint-Raymond, membre du comité d'experts de notre mission, nous rappellera les spécificités de l'organisation de la filière nucléaire française et nous expliquera pourquoi la comparaison entre différents pays se révèle si délicate.
Ensuite, M. André-Claude Lacoste présentera les résultats très récents des négociations menées entre les pays européens au sein de l'ENSREG (European Nuclear Safety Regulators Group) sur le cahier des charges élaboré par l'association des chefs d'autorités de sûreté nucléaire en Europe – Western European Nuclear Regulators Association (WENRA) – concernant l'évaluation des installations européennes. Cette association, qui regroupe les autorités de sûreté des dix-sept pays européens dotés de réacteurs nucléaires, a été créée en 1999 à l'initiative de l'ASN. M. Lacoste évoquera également les évaluations complémentaires de sûreté, dont les travaux ont débuté en France début mai.
Nous entendrons ensuite M. Denis Flory, chef du département de sûreté et de sécurité nucléaire de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), qui évoquera le travail de coordination réalisé par l'AIEA en matière de sûreté ainsi que le rôle des autres instances internationales.
La première session se terminera avec l'intervention de M. Laurent Stricker, président de l'Association internationale des opérateurs nucléaires (World Association of Nuclear Operators (WANO), qui détaillera les efforts réalisés par les exploitants en matière de sûreté.
Mais auparavant j'invite M. Jacques Repussard, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), à faire le point sur la situation à Fukushima.
J'évoquerai d'abord la situation des réacteurs accidentés, celle des territoires contaminés, puis les conséquences radiologiques pour la population, et enfin les conséquences techniques de cette catastrophe en France.
La situation des réacteurs est relativement stable. Les exploitants japonais ont devant eux un chantier de longue haleine pour récupérer un système pérenne de refroidissement et concevoir des installations qui permettront d'évacuer les combustibles des piscines des quatre réacteurs. Sauf en cas de nouvelle agression naturelle, en particulier du fait d'un tremblement de terre, la situation ne devrait pas connaître d'évolution.
Le professeur Suzuki rappelait hier à Vienne qu'en 2006, alors qu'il en était le président, la Commission de sûreté nucléaire du Japon avait remis un rapport au Gouvernement japonais pointant la nécessité de réaliser des études approfondies par rapport aux risques que présenterait un tsunami sur un certain nombre de sites, dont celui de Fukushima. M. Suzuki a regretté hier devant les experts l'absence de réaction de l'autorité de sûreté japonaise. Les études n'ont jamais été réalisées et l'imprévisible s'est produit. Cet événement nous montre que les études probabilistes ne doivent pas faire l'impasse sur les risques à très faible probabilité. Cet enseignement fondamental vaut également pour notre pays.
S'agissant de la contamination des territoires, je rappelle que, le 21 mars, l'IRSN a publié sur son site internet une note d'analyse qualifiant les rejets qui s'étaient dirigés vers l'intérieur des terres, et non plus vers l'océan Pacifique, de « très importants », entraînant la contamination d'une zone assez étendue. Cette crainte s'est malheureusement confirmée puisque, le 21 mai, le Gouvernement japonais a confirmé la nécessité d'évacuer les territoires au-delà de la zone de 30 kilomètres, soit 10 kilomètres de plus que les 20 kilomètres prévus. On a enregistré des zones fortement contaminées en direction du nord-ouest jusqu'à 40, voire 45 kilomètres. Les prévisions de l'IRSN se sont donc malheureusement vérifiées. Le « terme source » fixant les rejets à 10 % de la catastrophe de Tchernobyl a été confirmé par les autorités japonaises et compte tenu de l'étendue des territoires contaminés, le classement 7 sur l'échelle INES nous semble parfaitement justifié.
Le 23 mai, l'IRSN a publié une note, qui a été adressée à un certain nombre de parlementaires, sur les conséquences radiologiques de la catastrophe, dans l'esprit du TSO (Technical safety organisation) français qui, dans une situation équivalente, aurait adressé aux autorités publiques des recommandations sur le traitement des populations présentes dans les territoires contaminés. Dans cette note, l'Institut exprimait son inquiétude face à l'exposition de la population à l'iode. En effet, les autorités japonaises n'ont pas suffisamment développé la prophylaxie par l'iode et l'on ne peut exclure des conséquences sanitaires, en particulier pour les enfants.
J'en viens aux impacts de cette catastrophe pour notre pays.
L'IRSN a fourni 280 dosimètres à des personnes se rendant au Japon, principalement des journalistes et des ingénieurs. Sur les 128 mesures anthropogammamétriques que nous avons réalisées, 60 se sont révélées positives. Les personnes concernées présentaient des doses très faibles de césium, et plus rarement d'iode, mais elles n'avaient passé que quelques jours au Japon. Nous avons mis en place un centre de crise sanitaire (CCS) qui nous a permis de répondre à l'appel de plusieurs centaines de personnes inquiètes des conséquences pour leur santé d'une exposition potentielle. Nous avons en outre aidé de nombreuses entreprises qui souhaitaient poursuivre leur activité au Japon. Notre site internet a reçu 2 millions de visites en France et répondu à plus de 5 millions de consultations.
Au cours de cette période, l'IRSN a enregistré dix-sept saisines, dont six de l'Autorité de sûreté nucléaire, quatre de la direction générale du travail, trois de la direction générale de la santé, deux du SGDSN, une de la DGCCRF, relative à l'importation de produits alimentaires, et une de la direction de la sécurité civile. Ces saisines démontrent l'aspect interministériel d'une crise qui s'est pourtant produite à 15 000 kilomètres de la France.
J'en viens à la polémique engagée par la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD). Dans un courrier adressé au Premier ministre, la CRIIRAD a accusé l'IRSN d'avoir mal évalué la présence d'iode dans l'atmosphère au-dessus de la France et la date à laquelle les masses d'air contaminées devaient survoler notre pays. Il faut rappeler que ces contaminations étaient quasiment imperceptibles. Je rappelle que mesurer l'iode particulaire et gazeux exige des instruments différents et que la mesure de l'iode gazeux nécessite un délai plus long. L'IRSN a bien fait son travail. La CRIIRAD a en outre commis des erreurs dans l'analyse des données publiées par le Réseau national des mesures, dont elle ne fait pas partie. Si cela avait été le cas, elle aurait su que la date indiquée sur le site internet est celle de la mise en place du prélèvement et non celle du début de la contamination. Nous avons réfuté ces assertions dans une note que nous avons rendue publique.
M. Philippe Saint-Raymond, vice-président du groupe d'experts « Réacteurs » de l'Agence de sûreté nucléaire (ASN), va nous livrer des éléments de comparaison sur les différentes approches nationales en matière de sûreté.
Je ne vous livrerai que quelques éléments de comparaison car le sujet est très vaste.
Il y a beaucoup plus de ressemblances que de différences entre les approches nationales en matière de sûreté nucléaire. C'est un domaine éminemment international parce que de nombreux organismes permettent aux États de se rencontrer : l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), l'Agence pour l'énergie nucléaire (AEN). La plupart des États membres de l'AIEA ont signé la convention de sûreté nucléaire. Celle-ci énonce des principes très généraux, mais elle exige surtout des États qu'ils se réunissent tous les trois ans à Vienne et rédigent un rapport présentant la façon dont ils l'ont appliquée. C'est un élément important de convergence.
À cela s'ajoutent les rencontres entre les autorités de sûreté – la WENRA, en Europe, et son corollaire international, l'International Nuclear Regulators Association (INRA), qui regroupe les grands pays nucléaires, et plus ponctuellement le Framatome Regulators (FRAREG), qui regroupe les autorités de sûreté des pays possédant des réacteurs Framatome de fabrication française. Il existe également des rencontres entre exploitants au sein du WANO et du Framatome Owners Group (FROG), qui regroupe les exploitants disposant de réacteurs de fabrication française.
Le retour d'expérience international a une importance considérable. Les accidents majeurs de Three Mile Island (TMI), de Tchernobyl et maintenant de Fukushima ont amené un grand nombre de pays à réfléchir. Nous disposons également d'un retour d'expérience lié aux incidents, et ceux qui sont signalés à l'AIEA sont répertoriés sur un site internet. Les pays mettent également en commun les évaluations de réacteurs. L'EPR étant au départ de conception franco-allemande, les principes de sûreté qui lui sont appliqués ont été examinés par les autorités de sûreté de nos deux pays. Quant au réacteur ATMEA, conçu par Areva et le groupe japonais Mitsubishi, il fait l'objet d'une évaluation par le groupe d'experts français et le Multinational Design Evaluation Program (MDEP), dont le secrétariat est assuré par l'AEN.
En matière de sûreté nucléaire, il existe toutefois des spécificités françaises. Tout d'abord, nous ne sommes équipés que de réacteurs à eau sous pression, contrairement à la plupart des grands pays nucléaires, qui ont également des réacteurs à eau bouillante, comme ceux de Fukushima. La France a fait ce choix, non parce que les réacteurs à eau bouillante sont moins sûrs, mais parce qu'il est plus facile de contrôler une seule filière. Autre particularité, la filière française comprend des paliers successifs, ce qui facilite la tâche de contrôle.
L'approche française est par tradition réglementaire, c'est-à-dire non prescriptive. Dans le domaine de la réglementation des appareils à pression, nous adoptons depuis près de deux siècles une approche non prescriptive, en donnant à l'exploitant des objectifs sans spécifier les moyens qu'il doit employer pour les atteindre. Par exemple, nous lui fixons pour objectif d'éviter la rupture fragile de la cuve, et c'est à lui de démontrer que celle-ci ne peut se produire. Les Américains se contentent, quant à eux, de demander aux exploitants d'utiliser le code de construction ASME. La réglementation française, sans doute plus subtile, est plus difficile à appliquer.
La dernière particularité française vient de ce que notre pays est soumis à des risques naturels modérés. C'est la raison pour laquelle nos centrales ne sont pas équipées de systèmes automatiques d'arrêt en cas de séisme tels qu'ils existent au Japon.
La France a acheté ses premiers réacteurs aux États-Unis, adoptant du même coup la réglementation américaine qui s'appliquait aux réacteurs. Ensuite, la filière a été francisée et la fabrication des réacteurs a été confiée pour l'essentiel à Framatome. Nous avons instauré une réglementation embryonnaire car nous ne souhaitions pas réglementer les installations nucléaires, préférant les guides de bonne pratique aux textes réglementaires. Par la suite, lorsque nous avons vendu des réacteurs français à l'étranger, nous avons, nous aussi, vendu la démonstration de sûreté en même temps que les réacteurs.
L'homogénéité de notre parc nucléaire – un fabriquant et un exploitant uniques, des réacteurs comparables – a des conséquences importantes sur la sûreté. Tout d'abord, elle permet un contrôle de fabrication rapproché. Ce n'est pas un hasard si la direction de l'ASN, en charge du contrôle des appareils sous pression, s'est installée à Dijon, à proximité du fabriquant, qui est désormais une division d'Areva. Par ailleurs, cette homogénéité améliore nos capacités d'ingénierie. Par exemple, l'exploitant, s'il y est invité par l'ASN, est capable d'améliorer la prévention dans le domaine de la surpression à froid des réacteurs. L'existence d'un exploitant unique présente, en outre, l'avantage de permettre des discussions directes avec l'ASN s'agissant des problèmes génériques qui affectent tous les réacteurs du parc.
Il faut toutefois mentionner un élément négatif : un défaut générique sur les réacteurs remettrait en cause la sûreté de tous les réacteurs du parc, paralysant 80 % de la production d'électricité en France. L'incident qui a affecté les couvercles de cuves il y a quelques années a failli mettre en péril le fonctionnement de l'ensemble des réacteurs français.
En France, les réacteurs à eau sous pression comprennent plusieurs paliers : 900, 1 300 et 1 450 mégawatts et bientôt le palier EPR, chacun étant subdivisé en sous-paliers. Cette division nous offre une vue générale de l'état des réacteurs. Dans les autres pays, les études probabilistes de sûreté concernent le réacteur tout entier. En France, au grand étonnement de nos amis étrangers, chaque palier fait l'objet d'une étude – ne sont naturellement évoqués que les événements liés au fonctionnement interne du réacteur, les risques liés à une agression externe s'appliquant à l'ensemble du site.
Les réexamens de sûreté, prévus tous les dix ans, peuvent également être réalisés palier par palier. Le palier EPR, qui n'existe pas encore, est déjà un élément de référence.
Si l'approche française est déterministe, elle est également probabiliste. Pour prévenir les séquences susceptibles de provoquer des rejets importants et précoces, les Américains doivent démontrer que leur fréquence est inférieure à 10-6 par an et par réacteur. En ce qui nous concerne, nous examinons les défaillances qui pourraient affecter chacune des séquences et nous prenons les mesures nécessaires pour les éliminer. Ce n'est qu'ensuite que nous procédons à une modélisation probabiliste. Dans le cas où nous n'atteignons pas l'objectif adopté par les Américains, nous considérons que notre prévention n'est pas satisfaisante.
La disparité des pratiques donne lieu à certaines confrontations. L'AIEA a mis en place le comité NUSSC (Nuclear Safety Standards Committee), lequel a pour mission de définir des normes de sûreté qui, selon l'Agence, seraient les plus exigeantes. Ce n'est pas exact, car elles sont obtenues par consensus. Or chacun sait qu'il est plus facile d'obtenir un consensus sur le plus petit dénominateur commun que sur le plus grand commun diviseur. Au sein du comité NUSSC, la France n'a pas affiché d'exigences contraires à la pratique française. Mais nous sommes allés encore plus loin en établissant par le biais de WENRA des exigences européennes minimales. Celles-ci nous semblent plus cohérentes que celles qui ont été définies par le comité NUSSC.
La particularité de l'organisation française de la sûreté par rapport aux organisations des pays comparables est l'indépendance de nôtre autorité de sûreté par rapport au Gouvernement. Selon moi ce modèle, bien que de plus en plus répandu, n'est pas fondamental. En effet, lorsque l'autorité de sûreté dépendait de deux ministres, de l'industrie et de l'environnement, elle était déjà suffisamment indépendante pour assurer un bon contrôle de la sûreté.
En France – c'est un point plus important – une seule autorité gère la sûreté et la radioprotection. Ce n'est le cas ni en Allemagne ni en Angleterre. Dans certains pays, les rejets des installations nucléaires sont de la compétence de l'autorité de radioprotection et non de l'autorité de sûreté, bien que cet élément relève du fonctionnement des réacteurs. Or il survient parfois des conflits entre sûreté et radioprotection. Lors de l'incident des couvercles de cuves, l'autorité de sûreté nucléaire a exprimé des exigences qui ont exposé le personnel chargé des contrôles à des doses importantes de radiation. Il a fallu arbitrer entre la sûreté et la radioprotection. Le fait qu'une seule autorité soit chargée d'assurer la sûreté et la radioprotection favorise les bons arbitrages.
Une autre caractéristique de la France est de disposer avec l'IRSN d'un appui technique dédié, distinct de l'autorité de sûreté, tandis qu'aux États-Unis l'appui technique est assuré par l'autorité de sûreté. Imaginez que l'IRSN soit le procureur, l'exploitant l'accusé, et le juge l'ASN : si le procureur est également le juge, le système ne fonctionne pas de la même façon.
La France a une autre spécificité, qu'elle partage avec les États-Unis, l'Allemagne et le Japon : elle dispose de groupes permanents d'experts.
M. André-Claude Lacoste, président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), va nous présenter les cahiers des charges pour l'audit des centrales françaises et les évaluations de sûreté prévues pour le parc nucléaire européen.
J'invite chacun à la plus grande modestie quant aux suites de l'accident de Fukushima et aux retours d'expérience. En effet, il a fallu une dizaine d'années pour établir le retour d'expérience de l'accident de Three Mile Island et six ans pour évaluer l'étendue de la fusion du coeur. Le retour d'expérience de Fukushima ne fait que débuter car l'accident se poursuit et les installations ne sont pas encore refroidies. Limitons-nous à évaluer le retour d'expérience de faits tout à fait avérés. Nous disposons pour cela de deux procédures complémentaires, l'une française et l'autre européenne.
Le Premier ministre a demandé à l'ASN, dans un courrier du 23 mars, d'évaluer la sûreté des installations nucléaires, en commençant par les centrales nucléaires. Il souhaite que nous envisagions toutes sortes de situations : inondations, séismes et autres phénomènes naturels extrêmes, perte totale des ressources électriques et des sources de refroidissement. Depuis le 5 mai dernier, l'exploitant examine les améliorations et modifications nécessaires pour chacune des installations. Voilà pour la filière française.
Dans le même temps s'est développée la filière européenne des stress tests, à la suite d'une suggestion du ministre autrichien de l'environnement d'appliquer aux centrales nucléaires européennes le test appliqué aux banques européennes face à la défaillance d'un certain nombre de leurs débiteurs. Cette décision de réaliser des stress tests a été prise au cours du Conseil européen qui s'est tenu à Bruxelles les 24 et 25 mars derniers. Le Conseil a demandé à l'ENSREG de définir le contenu de ces tests à partir de la proposition de la WENRA et d'en publier les conclusions. Les rapports nationaux seront établis fin 2011.
L'ASN a participé à la réflexion sur les stress tests au cours d'une réunion au sein de la WENRA qui s'est tenue à Helsinki les 22 et 23 mars, avant même la décision officielle du Conseil européen, et une première version de ces tests a été établie vers le 15 avril. Ils ont ensuite été soumis à la consultation et, dès le début du mois de mai, nous avons fait des propositions à l'ENSREG portant sur la mise en place d'évaluations complémentaires de la sûreté française à la lumière des événements de Fukushima.
Il existe toutefois deux différences entre les stress tests européens et les évaluations complémentaires de la sûreté française. Les premiers ne concernent que les centrales nucléaires électriques, tandis que les secondes portent sur les 150 installations nucléaires françaises. Nous avons divisé ces installations en trois catégories : la première, qui sera traitée en 2011, comprend 80 installations dont les 58 réacteurs EDF en fonctionnement, le réacteur EPR en cours de construction, les installations de La Hague et celles du CEA. Les autres seront traitées en deux temps, en 2012 et 2013.
L'autre différence concerne la sous-traitance, qui a une grande importance pour l'ensemble des exploitants nucléaires français, en particulier pour EDF qui emploie 20 000 personnes dans le secteur nucléaire et 20 000 autres au titre de la sous-traitance, qui peut aller de l'entreprise Areva au peintre en bâtiment. Le Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN), que nous avons consulté, s'est dit favorable à ce que les évaluations complémentaires de sûreté incluent les sous-traitants. Périodiquement, les syndicats dénoncent la façon dont les employés des sous-traitants sont traités. Nous tentons de vérifier ce qu'il en est, mais il nous est extrêmement difficile de trouver des cas particuliers. Les évaluations complémentaires de la sûreté française se poursuivront jusqu'à la fin de l'année, et cela dans la plus grande transparence.
Nous avons manqué toutefois une belle occasion de faire progresser l'Europe. Sur les 27 pays membres de l'ENSREG, 25 ont approuvé les propositions de WENRA. Deux pays s'y sont opposés, l'Autriche et l'Allemagne, ainsi que la Commission européenne, car ils souhaitaient que le processus contienne des éléments relatifs à la sécurité et au terrorisme. Nous leur avons fait d'abord observer que le terrorisme était traité par les stress tests et par l'évaluation complémentaire car les conséquences d'une perte totale de refroidissement ou de l'alimentation électrique sont proches de celles d'un acte de terrorisme, ensuite qu'il est difficile de traiter le terrorisme avec la même transparence que les autres domaines de la sûreté, et enfin que leur proposition ne figurait pas dans les conclusions du Conseil européen. Mais ces arguments n'ont pas convaincu l'Allemagne, l'Autriche et la Commission européenne, et le combat a duré presque trois semaines, avant que les stress tests ne soient approuvés tels qu'ils avaient été présentés. Cette perte de temps et les polémiques nourries par l'une des deux parties ont donné une image déplorable de la construction européenne.
Nos collègues russes, ukrainiens et arméniens, souhaitant s'arrimer au « vaisseau » européen, vont mener des stress tests suivant la même méthodologie, ce qui montre l'influence de WENRA, de l'ENSREG et de l'Europe. C'est une bonne nouvelle.
La catastrophe de Fukushima nous a enseigné une chose : tous les pays du monde doivent mener des tests analogues, et ceux qui s'y refusent doivent faire l'objet de graves suspicions. J'espère que la conférence ministérielle prévue à la fin du mois de juin à Vienne prendra une décision en ce sens.
M. Denis Flory, Chef du département de sûreté et de sécurité nucléaire de l'AIEA, va évoquer la dimension multilatérale du contrôle de sûreté et la problématique de l'établissement des normes internationales de sûreté (AIEA, Euratom, contrôle conjoint des autorités de sûreté).
L'histoire de la sûreté a été fortement accélérée en 1986 après l'accident de Tchernobyl. L'AIEA a tiré une leçon de cet accident, notamment quant au sort des réacteurs soviétiques VVER et RBMK, et a accéléré le développement des normes de sûreté, des guides et des services. Fait extraordinaire, la même année que l'accident de Tchernobyl, deux conventions de sûreté ont été adoptées, l'une sur la notification des accidents, l'autre sur l'assistance en cas d'accident. Quelques années plus tard a été adoptée la convention sur la sûreté nucléaire, et par la suite le département que j'ai l'honneur de diriger au sein de l'AIEA a été créé. Vingt-cinq ans plus tard, nous sommes confrontés à la problématique de l'après-Fukushima.
La sécurité est née avec les événements du 11 septembre 2001, qui ont amené l'AIEA à déposer un amendement à la convention sur la protection physique des matières nucléaires et à créer un bureau chargé de la sécurité au sein du département que je dirige. Mais cet amendement, proposé en 1998, adopté en 2005, n'entrera en vigueur qu'entre 2010 et 2020. Cela montre la difficulté d'amender une convention internationale.
La sûreté et la sécurité nucléaire sont assurées au niveau national par les autorités de régulation, chargées d'autoriser les activités nucléaires et de les réglementer.
Sur le plan international, il existe des textes juridiquement contraignants comme la convention sur la sûreté nucléaire et la convention commune sur la sûreté de la gestion du combustible irradié et sur la sûreté de la gestion des déchets radioactifs. Les États souscrivent également à des codes de conduites, qui relèvent d'une obligation politique sans pour autant être juridiquement contraignants. L'Agence internationale de l'énergie atomique, que j'ai rejointe en septembre dernier, développe des normes de sûreté, des guides de sécurité et des services pour les 152 États membres. Elle tient à leur disposition des missions d'experts internationaux et favorise la création et la diffusion des connaissances dans le domaine de la sûreté.
Les normes de sûreté se situent à trois niveaux : les principes fondamentaux de sûreté qui ont été adoptés par l'Union européenne dans le cadre de la directive sur la sûreté nucléaire ; les exigences de sûreté, adoptées par le conseil des gouverneurs de l'AIEA ; les guides de sûreté, qui définissent les moyens à mettre en oeuvre pour satisfaire les exigences de sûreté.
Ces normes de sûreté et de sécurité comportent des exigences générales et des exigences spécifiques. Après avoir été planifiées par le secrétariat de l'AIEA, ces normes font l'objet d'un examen par quatre comités de sûreté – le NUSSC, le comité en charge des transports, le comité en charge de la radioprotection et le comité chargé d'étudier les déchets nucléaires – et par la Commission des normes de sûreté. Enfin, le conseil des gouverneurs donne son approbation finale. C'est un processus long, qui dure entre trois et cinq ans, mais qui donne un poids aux 150 normes de sûreté actuellement en vigueur. Le même processus est mis en place concernant les guides de sécurité.
Si ces normes de sûreté ne sont pas juridiquement contraignantes pour les États membres de l'AIEA, elles le sont pour les États qui, ayant peu d'expérience en matière nucléaire, utilisent directement les normes de sûreté de l'AIEA dans leur réglementation nationale.
L'AIEA propose également aux États des missions, sortes de peer reviews (revues de pairs), au cours desquels des experts internationaux, très souvent des chefs d'autorités de sûreté, évaluent de façon collective les pratiques d'une autorité de sûreté ou la manière dont est assurée la sûreté dans une installation, et leur conformité aux normes de l'AIEA. Il s'agit des missions OSART, INSARR ou encore IRRS.
La directive européenne sur la sûreté nucléaire exige des autorités de sûreté qu'elles se soumettent à un audit IRSS tous les dix ans. D'ailleurs, la demande des États de réaliser ces audits est en forte augmentation.
La mission OSART, qui a pour objectif d'améliorer la sûreté opérationnelle d'une installation nucléaire, est effectuée par des experts internationaux et s'appuie sur les normes de référence de l'AIEA. Ces missions font l'objet d'une grande transparence. Les États ne sont pas obligés de publier le rapport de mission, mais sauf opposition de leur part sous quatre-vingt-dix jours celui-ci est rendu public. De 1983 à 2010, les missions OSART se sont concentrées en Europe occidentale, qui est un laboratoire en matière de sûreté.
Le recours à ces missions sera certainement au coeur des discussions de la conférence ministérielle de l'AIEA, qui se tiendra en juin. Il est clair que l'utilisation systématique de ces missions renforcerait la sûreté au niveau international et la confiance réciproque que les États s'accordent en matière de sûreté.
La World Association of Nuclear Operators (WANO) est une association mondiale des exploitants nucléaires qui a été créée en 1989, peu après l'accident de Tchernobyl. Sa mission consiste à porter au niveau maximum la sûreté et la fiabilité des installations nucléaires des centrales à vocation commerciale dans le monde entier, en faisant travailler ensemble les exploitants pour évaluer, comparer et améliorer de façon continue la performance de ces installations en matière de sûreté. Ses principes sont le support mutuel, l'échange d'informations et l'émulation.
WANO compte une centaine de membres. Il s'agit des compagnies d'électricité qui exploitent les 440 réacteurs actuellement en service dans le monde. Elle est dirigée par un conseil d'administration que j'ai l'honneur de présider, composé de personnalités de haut niveau : chief nuclear officers, chefs d'entreprise ou responsables du nucléaire des entreprises en question. Quatorze pays y sont représentés. La structure de l'association est régionale : outre le support international, basé à Londres, elle comporte quatre centres, dotés d'un conseil d'administration régional et d'une petite équipe. Au total, elle compte environ 150 ingénieurs, qui sont détachés par ses membres. Je précise que tous les opérateurs des centrales nucléaires commerciales sont membres de WANO, ce qui est important puisque la sûreté nucléaire est équivalente à celle du maillon le plus faible. L'organisation en quatre régions permet de prendre en compte les différentes cultures qui existent de par le monde. C'est un point important : le mot « transparence », par exemple, n'a pas le même sens dans tous les pays et évolue dans le temps.
L'action de WANO repose sur un « autocontrôle » permanent de l'ensemble des opérateurs, sur la base de peer reviews. Il s'agit d'ausculter une installation nucléaire, une compagnie dans son ensemble ou un réacteur qui démarre, et ce pendant trois semaines, avec 15 à 20 ingénieurs. Nous organisons une quarantaine de peer reviews chaque année, sans compter celles des réacteurs qui vont démarrer, dont le nombre tend à s'accroître.
Ces peer reviews sont alimentées par le retour d'expérience des membres de la WANO, lequel constitue une véritable banque de données, et par des indicateurs de performance qui concernent essentiellement le domaine de la sûreté : nombre d'arrêts automatiques, fiabilité des équipements de sauvegarde, par exemple
A l'issue de la peer review, un plan d'action est proposé par l'opérateur pour prendre en compte les points qui méritent amélioration. On peut dire qu'il s'agit du diagnostic médical, du traitement consistant dans les missions de support technique que propose WANO, qui dispose des meilleures compétences mondiales, afin de corriger la faiblesse identifiée.
Ces missions peuvent prendre la forme d'envoi d'experts, de séminaires ou de formations ciblées.
Une visite de suivi permet enfin de s'assurer que les points qui méritaient amélioration ont bien été pris en compte. Si tel n'est pas le cas, un plan d'action complémentaire est mis en oeuvre.
La fréquence minimale que les membres de WANO s'engagent à respecter pour ces peer reviews est de six ans. C'est beaucoup trop long : même si, pour la plupart d'entre eux, cette fréquence s'établit plutôt à quatre ans, voire deux, ce qui est raisonnable si l'on tient compte de la visite de suivi, nous proposerons une amélioration sur ce point lors de notre prochain congrès en octobre.
Qu'a fait WANO après le 11 mars ? Notre organisation n'a pas vocation à faire face à un accident, mais à améliorer le niveau de sûreté. Ainsi, elle ne dispose pas d'un centre de crise. Nous avons fourni une information technique périodique à nos membres. Même s'il n'a pas été facile d'obtenir des informations fiables, nous avons pu informer quotidiennement chacun de nos membres pendant trois à quatre semaines sur l'état des réacteurs et des piscines ou les contaminations à l'extérieur de ces dernières. Nous avons également envoyé des ressources dans notre centre de Tokyo et participé au recensement des matériels de secours disponibles, qui ont été proposés – avec un succès relatif – à l'exploitant.
Nous avons également établi en un temps record un document appelé SOER (rapport de retour d'expérience en exploitation), qui a été émis le 17 mars, soit six jours après l'accident. Nous avons travaillé avec nos collègues de l'Institute of Nuclear Power Operations (INPO), l'institut américain de sûreté nucléaire. Nous avons adressé à chacun de nos membres un document leur demandant de vérifier sous un mois et demi leurs capacités à faire face à un black out, à une perte totale des alimentations de refroidissement et, de façon générale, à un événement allant au-delà de ceux pris en compte lors de la conception, et de nous préciser ce qui était prévu pour gérer ces situations accidentelles. À l'heure où je vous parle, tous les exploitants, sauf un, ont répondu.
WANO a également publié quelques communiqués de presse, avec des interviews de responsables dans les différentes régions du monde. Enfin, une commission interne a été mise en place pour proposer à nos membres un certain nombre d'améliorations, sur lesquelles je reviendrai.
Les trois grandes fonctions de sûreté sont le contrôle de la réactivité, le contrôle du refroidissement du combustible, y compris après l'arrêt, et le contrôle du confinement des matières radioactives. L'accident de Tchernobyl est lié à une perte de contrôle de la réactivité, perte qui s'est traduite par une destruction totale du confinement. Ceux de Three Mile Island et de Fukushima ont pour origine l'incapacité à évacuer la puissance résiduelle accumulée lors du fonctionnement des installations. Vous devez savoir, d'autre part, que le confinement n'a pas pleinement joué son rôle à Fukushima.
Que peut faire WANO dans ce contexte ? Peut-être faudrait-il mettre en place une organisation de crise pour faciliter le travail du centre sur lequel se produit un accident, ainsi que les échanges d'information montante – depuis la centrale accidentée – ou descendante – et des propositions d'appui. Il conviendrait, par ailleurs, de vérifier la capacité des sites à gérer les situations d'urgence, en élargissant le champ d'investigation des peer reviews à la gestion de crise et au contrôle du stockage – en eau ou sec – des combustibles. Il faudrait enfin vérifier certains aspects de conception.
Nous n'avons certes pas l'expertise suffisante pour procéder à une vérification complète, mais nous devrions pouvoir vérifier que les modifications de conception engagées à la suite d'un accident ont bien été prises en compte. M. Lacoste a indiqué tout à l'heure qu'après TMI, il avait fallu une dizaine d'années pour le retour d'expérience. Pour ma part, je parlerai du double, un certain nombre d'actions n'ayant pas été prises en compte par l'ensemble des exploitants nucléaires. Plus que jamais, ceux-ci se doivent de se prendre en main !
J'en viens à la coopération internationale.
WANO opère donc un contrôle de ses propres membres, qui se fonde notamment sur les retours d'expérience. Nous travaillons en étroite collaboration avec un certain nombre d'organisations : l'INPO aux États-Unis, le Japan Nuclear Technology Institute (JANTI), au Japon, la World Nuclear Association (WNA), organisation internationale qui s'apparente à une organisation de lobbying, le World Energy Council ou encore le Nuclear Energy Institute (NEI), organisation américaine. Nous collaborons également, bien entendu, avec l'AIEA qui, ayant défini des standards, a un rôle à jouer en matière d'harmonisation des pratiques entre les gouvernements et les autorités de sûreté. Il n'y a cependant pas de doublon : l'AIEA est une organisation intergouvernementale, tandis que WANO est une organisation de producteurs.
Il serait souhaitable de renforcer le rôle de l'AIEA à l'échelle mondiale. En tant que chairman de WANO, j'ai eu des difficultés – c'est un euphémisme – à obtenir des informations rapides de l'exploitant TEPCO lors de l'accident de Fukushima. En cas de crise, ces informations sont en effet du ressort de l'État, et l'exploitant n'a pas l'autorisation de les donner. Il faut modifier cette règle, dans l'intérêt même de la sûreté.
WANO doit sortir renforcée de Fukushima. Il faut qu'elle ait un rôle contraignant – si vous me permettez ce terme – vis-à-vis des opérateurs. La remarque qu'a faite M. Lacoste au sujet des stress tests pourrait en effet s'appliquer aussi à la prise en compte des retours d'expérience.
Dans la mesure où elle regroupe tous les exploitants nucléaires du monde, sans exception, WANO dispose d'une réelle compétence en matière nucléaire, au niveau de l'exploitation comme en cas de crise. J'insiste donc pour qu'elle participe à toutes les instances traitant de l'analyse de Fukushima, et je me félicite qu'elle soit invitée à la conférence de l'AIEA du 20 juin prochain.
Ma première question s'adressera plutôt à M. Lacoste.
L'Union européenne piaffe d'impatience de s'impliquer dans le contrôle de la sûreté nucléaire – ce qui n'est pas prévu par le Traité de Rome. Savez-vous comment elle entend le faire ?
Je me tourne maintenant vers vous, monsieur Flory. Nous avons finalement peu évoqué la situation hors d'Europe. En laissant de côté le cas bien connu des États-Unis, pouvez-vous nous dire si vous rencontrez des résistances dans certains pays ? Peut-on espérer parvenir à terme à des normes mondiales de sûreté ?
L'Union européenne peut agir en matière de sûreté nucléaire ou de radioprotection via le Traité Euratom. Celui-ci avait d'abord été interprété dans un sens restrictif, si bien que l'Union ne s'était occupée que de radioprotection, publiant un certain nombre de directives. Mais en 2002, un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes a estimé que le Traité Euratom donnait toute latitude à l'Union pour intervenir en matière de sûreté. Celle-ci a donc publié une directive sur la sûreté, qui reprend les grands principes désormais connus – elle impose aux États d'avoir une autorité de sûreté et un cadre réglementaire, mais ne va pas plus loin. Une deuxième directive – qui devrait être adoptée à la fin de l'année – est en cours d'élaboration sur les déchets et les combustibles usés. En l'état actuel du droit, l'Union n'a la possibilité d'intervenir directement ni sur les installations, ni sur les affaires de sécurité. Le dispositif européen n'en est pas moins efficace. L'Union peut publier des directives. Elle peut s'appuyer sur un groupe officiel de chefs d'autorité qu'elle a constitué, l'ENSREG, qui s'appuie lui-même sur un club informel pour faire des visites techniques. Cela a bien fonctionné pour les stress tests européens. La révision du Traité Euratom ou l'adoption d'un nouveau traité est cependant un problème d'ordre politique. En l'état actuel du droit, il appartiendra aux gouvernements nationaux de tirer les conséquences des résultats des stress tests ou des évaluations complémentaires de sûreté.
Si nous imposons des normes mondiales juridiquement contraignantes, les 152 États membres de l'AIEA – et les autres – ferrailleront contre toutes les évolutions proposées, si minimes soient-elles. Il y a donc un équilibre à trouver – et nous y sommes très attachés – entre le caractère juridiquement contraignant des normes mondiales et la nécessaire évolution de ces normes au fil des années. La sûreté doit en effet progresser en permanence.
Il faut cependant bien voir que les missions de service sont conduites sur la base des normes de l'AIEA et que les États reconnaissent la validité des recommandations formulées dans ce cadre, dont la mise en oeuvre est, en outre, contrôlée par des missions de suivi. On est donc très proche de normes contraignantes – sans doute pas sur le plan juridique, mais en tout cas sur le plan politique. L'élément qui manque, c'est l'engagement des États à demander ces missions.
Les États qui exploitent des centrales nucléaires de puissance sont tous partie à la convention de sûreté nucléaire, sauf un seul : l'Iran. Hormis ce cas particulier, les faiblesses constatées sont la plupart du temps liées à un manque de moyens, de compétences, de connaissances scientifiques ou encore de culture de sûreté. L'une de nos missions les plus importantes consiste précisément à renforcer la culture de sûreté et à aider les États à être capables de se doter d'autorités de sûreté et d'exploitants compétents et responsables.
L'Union européenne a-t-elle renoncé à la tentation d'instaurer une autorité européenne ? Est-elle vraiment la mieux placée pour donner des leçons en matière de gestion de crise ?
Vous posez là une question politique, à laquelle il ne m'appartient pas de répondre. En tant que citoyen, je trouve le sujet passionnant. Les installations nucléaires sont avant tout des objets politiques, et non techniques. La capacité de l'Union européenne à contrôler ces installations est proche de celle mise en oeuvre pour gérer l'application des directives sur les OGM, par exemple : c'est un domaine où elle a les plus grandes difficultés à exercer son pouvoir.
M. Lacoste a rappelé que les stress tests européens avaient été élaborés en suivant le modèle national, à partir de quatre critères : les critères culturels, les pertes totales de sources électriques, les pertes totales de sources de refroidissement et la gestion des accidents graves. Comment se fait-il que la sous-traitance et le contrôle de la chaîne humaine, qui ont fait l'objet de longs débats à l'échelle nationale, n'aient pas été abordés au niveau européen ?
Pourquoi certains pays – je ne parle pas de l'Iran – répugnent-ils à mettre en oeuvre des stress tests ? Que peut-on faire pour les contraindre ? On rejoint ici la question de la gouvernance internationale ; et je me félicite que mes collègues l'aient soulevée : sans normes unifiées, on court le risque de voir vendre sur le marché des centrales nucléaires des produits moins chers, mais qui ne garantissent pas les meilleures conditions de sûreté – nous avons évoqué tout à l'heure un certain marché au Moyen-Orient. Or tout accident nuit à la crédibilité de l'ensemble du parc nucléaire mondial.
Pour la plupart des autorités de sûreté, le contenu des tests de résistance européens devait constituer un tronc commun, sur lequel chaque pays grefferait ce qui revêtirait une importance particulière à ses yeux. En France, nous avons étendu le champ d'investigation au facteur humain et à la sous-traitance ; d'autres pays feront sans doute de même. L'idée est bien d'avoir une ossature commune.
Un certain nombre de pays ne pratiquent pas les peer reviews du type IRS (Système international de notification des incidents). D'autres ne feront pas de stress tests. Je crains que certains ne cumulent les failles. Il serait souhaitable que la conférence ministérielle de Vienne invite les États à faire un minimum, voire publie la liste de ceux qui sont en retard – il y en en a tout de même quelques-uns.
Quant au commerce en matière d'installations nucléaires, il pose un problème de morale. Celle-ci devrait, me semble t-il, imposer aux États de se fixer comme règle de vendre des installations aussi sûres que possible à des pays capables de les faire fonctionner.
Nous avons visité vendredi dernier le chantier-école de Tricastin, où les employés des prestataires qui interviennent dans la maintenance des centrales viennent se former, sur tous les postes de travail, à toutes les procédures qu'il devront suivre en situation. Mais y a-t-il des entreprises d'électricité possédant des centrales nucléaires qui en assurent elles-mêmes la maintenance ?
C'est relativement rare, et c'est pourquoi certains pays ne comprennent pas pourquoi nous posons la question de la sous-traitance. Aux États-Unis, par exemple, on recherche pour chaque tâche les travailleurs les plus qualifiés au meilleur prix. Le choix se porte sur le meilleur rapport qualité-prix, que celui-ci soit assuré en interne ou par le recours à un prestataire extérieur, et peut changer d'une année sur l'autre. Le volume de sous-traitance varie donc. En Suisse, on privilégie plutôt la maintenance en interne.
Il existe même des pays où l'exploitation de certaines installations nucléaires fait l'objet d'appels d'offres. Le Département de l'énergie américain procède régulièrement à des appels d'offres. Un grand prestataire prend alors la responsabilité de la gestion d'un centre nucléaire.
Monsieur Stricker, vous avez dit que tous les exploitants n'avaient pas encore intégré les enseignements de l'accident de TMI, qui s'est produit il y a plus de trente ans. La France est-elle du lot ? Avez-vous un autre exemple à citer ?
Le statut de WANO comporte une clause de confidentialité qui ne me m'autorise pas à donner publiquement des exemples nominatifs. Je puis cependant vous dire que la France n'est pas concernée par cette partie de mon propos. Mais certains grands pays ont des exploitants qui sont dans ce cas.
La sûreté dans les centrales programmées pour s'arrêter va-t-elle être cristallisée comme ce fut le cas en décembre 1998 ? Je m'explique : lors des révisions décennales, il y a du upgrading, c'est-à-dire que le niveau de sûreté se trouve rehaussé par rapport à celui de la dernière revue décennale. Tous les pays pratiquent-ils ces revues décennales ? Font-ils du upgrading ? Les évolutions en matière de sûreté nucléaire seront-elles prises en compte pour les centrales destinées à s'arrêter, ou les Allemands vont-ils en rester jusqu'en 2022 à la notion de sûreté définie en 1998 ?
Il faut distinguer plusieurs cas. Certains pays procèdent à des réexamens périodiques de sûreté, en général tous les dix ans. D'autres ne le font pas, mais affirment améliorer la sûreté de façon continue. D'autres encore disent procéder à des réexamens périodiques de sûreté, sans qu'on ait connaissance des décisions pratiques qu'ils prennent. Les plus dangereux restent cependant ceux dont la politique nucléaire varie en permanence. Le problème n'est ici plus de savoir s'il y a ou non réexamen périodique ou upgrading, mais comment on arrive à recruter et à conserver du personnel de qualité.
Ne faut-il pas élaborer une réglementation européenne sur les pays qui arrêtent le nucléaire ? Les opérateurs privés y étant moins enclins à investir dans les révisions, on risque d'avoir de moins en moins de personnels compétents à mesure qu'on s'achemine vers la date d'arrêt des centrales. Cette question devrait donc être traitée au niveau de l'Union européenne ou de l'AIEA, ce qui permettrait de renforcer les conditions de sûreté.
Quels que soient les choix techniques ou politiques d'un État, les autorités de sûreté doivent rester compétentes jusqu'au dernier moment, soit des années après l'arrêt des installations. C'est en tout cas le message politique que nous nous efforçons de faire passer auprès des États membres de l'AIEA. Il faut donc oeuvrer pour que les compétences demeurent et que les moyens suivent.
Si cela n'est pas couvert par la clause de confidentialité, WANO a-t-elle déjà organisé des peer reviews sur des réacteurs programmés pour s'arrêter ?
Entendons-nous bien : le seul but de la clause de confidentialité est d'obtenir un maximum de transparence de la part de nos membres.
Tous les sites nucléaires du monde, sans exception, ont reçu au moins une peer review. Beaucoup en ont reçu plusieurs. Les réacteurs arrêtés restent concernés par ces revues tant qu'il y a du combustible usé dans le réacteur ou dans les piscines.
Je m'excuse tout d'abord de ne pas avoir endossé – comme il avait été envisagé – la responsabilité de faire un exposé sur la comparaison des approches de sûreté en France et en Allemagne. Bien qu'ayant rédigé il y a quelque temps une note de comparaison des termes de référence des audits prévus en France et en Allemagne, je ne m'estimais pas suffisamment qualifié pour faire un exposé général.
Je souhaite néanmoins poser quelques questions.
La première porte sur le risque d'un défaut générique sur l'ensemble des réacteurs. Prenons l'exemple de deux incidents génériques sur des réacteurs de 900 mégawatts rendus publics par l'ASN peu de temps avant Fukushima. L'un concernait une réévaluation du bon fonctionnement des circuits d'injection à haute pression, l'autre un défaut de fonctionnement des générateurs diesel. Dans les deux cas, on peut se demander si le constat du défaut n'aurait pas dû conduire à un arrêt provisoire du réacteur pour remédier au problème. Lorsqu'il s'agit d'un problème générique sur l'ensemble des réacteurs, c'est évidemment plus compliqué. Existe-t-il des critères qui déterminent le niveau de dégradation de la sûreté qui devrait conduire à un arrêt de l'ensemble d'un palier ? Est-ce à l'appréciation de l'ASN ou du pouvoir politique ?
J'en viens à l'audit et à l'exposé de M. Lacoste. En Allemagne, l'audit doit prendre en compte les phénomènes accidentels liés aux erreurs ou aux activités humaines, notamment les explosions ou les accidents d'avions, y compris de lignes commerciales. Au niveau européen, le commissaire Günther Oettinger a d'ailleurs annoncé que le crash d'avion ferait partie du cahier des charges du stress test. Même si la perte totale de refroidissement et la perte totale d'alimentation électrique couvrent l'ensemble des situations accidentelles les plus problématiques, y compris celles pouvant survenir en cas d'accident industriel, la dégradation des barrières ou des équipements auxiliaires n'est pas la même selon que la cause initiale est un séisme, une inondation, une explosion chimique ou un crash d'avion. Ces situations spécifiques mériteraient donc d'être étudiées séparément.
Vous avez dit qu'il faudrait environ dix ans pour avoir un retour d'expérience complet sur l'accident de Fukushima. Quid alors de l'EPR ? Est-il envisageable que, d'ici à dix ans, il ne satisfasse plus aux nouvelles exigences de sûreté qui découleront de ce retour d'expérience ? Si oui, quelles conséquences en tirer pour le programme actuel ?
Ma dernière question concernera le processus de revue des pairs, c'est-à-dire par d'autres spécialistes ou experts institutionnels de la sûreté. On reste donc dans une certaine « monoculture ». Pourquoi ne pas y intégrer le regard d'experts non institutionnels, certes moins pointus sur le plan technique, mais porteurs d'autres exigences et d'autres sensibilités ?
Il n'existe pas de texte général qui réponde aux défauts génériques. C'est donc l'ASN qui apprécie au cas par cas.
Ce sujet est l'un des plus délicats que nous ayons à traiter. Nous devons donc répondre au cas par cas et être aussi explicites que possible sur les mesures que nous prenons.
J'en viens à l'audit de sécurité. La Commission européenne et le commissaire Oettinger ont pris position en approuvant la position commune de l'ENSREG et de la Commission telle qu'elle a été élaborée le 13 mai. Là-dessus se sont greffés des commentaires, qui n'engagent que ceux qui les font. Il est clair que les stress tests ne prennent pas en compte les chutes d'avion. D'autres commentaires ont utilisé le concept de man-made, qui semblait couvrir à la fois, dans l'esprit de leur auteur, l'erreur humaine, les chutes d'avion et les actes terroristes. C'est tout de même extrêmement vague ! S'agissant enfin de la sécurité, les autorités européennes et l'ENSREG ont reconnu qu'il s'agissait d'un vrai sujet, qui devait par conséquent être traité dans un groupe ad hoc. Le deuxième paragraphe de la déclaration conjointe de l'ENSREG et de la Commission européenne précise bien que les risques liés à la sécurité ne font pas partie du mandat de l'ENSREG, mais qu'ils pourront être traités dans un groupe qu'il appartient au Conseil européen de constituer.
L'EPR est un objet pour les évaluations complémentaires de sûreté françaises ou les stress tests européens. Nous verrons quelles conséquences en tirer. La vie ne doit cependant pas s'arrêter dans l'attente du retour d'expérience de Fukushima – nous continuons bien à utiliser l'électricité, dont une partie est d'origine nucléaire ! Vous savez d'ailleurs qu'à Flamanville, j'ai attiré l'attention d'EDF sur l'intérêt qu'il y aurait – sachant que nous allions sans doute imposer des exigences nouvelles à l'issue des évaluations complémentaires – à différer certaines parties de la construction de l'EPR en attendant d'y voir plus clair. EDF a préféré maintenir le projet initial, et elle est libre de le faire.
S'agissant enfin de l'ouverture à des revues par les pairs, je pense que cela va être fait dans des conditions raisonnables. L'engagement a déjà été pris vis-à-vis du Luxembourg d'associer des experts luxembourgeois, bien qu'ils soient surtout spécialisés dans la radioprotection.
Deuxième session LES MODALITÉS DE LA SÛRETÉ NUCLÉAIRE EN FRANCE
Présidence de M. Bruno Sido, premier vice-président de l'OPECST, rapporteur
La seconde session de cette audition vise d'abord à préciser le rôle dévolu à chacun des acteurs du contrôle de sûreté, des exploitants aux autorités de sûreté en passant par l'IRSN. Il s'agit ensuite de montrer comment les préoccupations de sûreté remontent jusqu'au stade de la formation des intervenants opérationnels dans les installations nucléaires, qu'ils soient employés ou sous-traitants. Il s'agit enfin d'illustrer toutes les dimensions de ce contrôle, qui couvre des domaines d'activité aussi divers que la fabrication des équipements sous pression, en amont, et les transports de matières radioactives, en aval, et revêt des formes multiples, les lourds contrôles systématiques étant complétés par des contrôles inopinés.
Je me bornerai à rappeler les grands acquis de la loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, dite loi TSN. Le premier est le principe de la responsabilité première de l'exploitant en matière de sûreté. Cela vaut pour les grosses installations nucléaires comme pour la radiologie médicale. Les institutions telles que l'AIEA ou l'Agence pour l'énergie nucléaire (AEN) ont une forte tendance à penser les suites de Fukushima dans un cadre institutionnel : renforcement des normes, de la coopération internationale, etc. C'est oublier ce rôle essentiel qui revient à ces exploitants, individuellement et collectivement. Il est fondamental qu'ils assument leur responsabilité, individuellement et collectivement, qu'ils fassent entendre leur voix et qu'ils s'efforcent de mettre de l'ordre dans leurs rangs.
Autre grand principe, acquis d'ailleurs depuis 2002 mais conforté par la loi de 2006 : le contrôle de la sûreté nucléaire et celui de la radioprotection sont dans les mêmes mains.
Troisième grand acquis de la loi, le statut d'autorité administrative indépendante conféré à l'ASN, qui est gage d'efficacité pratique.
Enfin, nous avons un appui technique principal : l'IRSN, ce qui est une situation tout à fait satisfaisante.
Nous nous efforçons de mettre en oeuvre quatre vertus, qui vont par deux : rigueur et compétence d'une part, transparence et indépendance de l'autre. Un des progrès accomplis à ce dernier égard a été la publication des lettres de suite à l'issue des 2 000 inspections que nous faisons chaque année, d'abord dans les installations nucléaires et désormais dans le secteur médical également. C'est une avancée considérable du point de vue de la transparence. Mais notre nouveau statut nous permet aussi de prendre position sur des problèmes de fond. Nous avions ainsi dit que nous montrerions notre insatisfaction si la France acceptait de couvrir de son drapeau l'exportation de réacteurs de génération II – j'avais indiqué que, pour un pays partant de rien, il fallait dix ou quinze ans avant d'être à même d'accueillir une installation nucléaire.
Pour résumer, nous avons le sentiment de pouvoir exercer correctement notre métier dans le cadre de la loi de 2006.
Une des caractéristiques du système français de sûreté nucléaire et de radioprotection est de faire davantage référence à la notion d'état de l'art qu'à celle de conformité à des textes précis. Issu en 2001 d'une initiative parlementaire et conçu pour être un socle de moyens d'expertise scientifique à la disposition des pouvoirs publics, l'IRSN est un organisme indépendant à la fois des exploitants nucléaires et de ceux qui développent les technologies et fournissent un appui technique, comme le CEA. La loi de 2006 a complété le dispositif avec la création de l'ASN, autorité administrative indépendante avec laquelle s'est établi un dialogue. On peut même parler de « quadrilogue » si l'on inclut les commissions locales d'information (CLI) et le Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire.
Ce dispositif repose sur deux piliers, un pilier régalien et un pilier scientifique. J'observe qu'un certain nombre de pays – et de responsables – vivent dans l'illusion que créer une autorité de sûreté, voter des textes et avoir un exploitant à qui l'argent ne manque pas suffit à assurer le contrôle de sûreté. Or rien n'est plus faux. Avoir un exploitant riche mais dépourvu des compétences nécessaires ou mal organisé est une situation potentiellement dangereuse, tout comme le fait d'avoir un organisme de sûreté dépourvu des moyens scientifiques et techniques de son appréciation. Il faut donc ces deux piliers – on ne peut faire la sûreté nucléaire à moitié – et la France a la chance d'avoir pensé à s'en doter à la grande époque de la politique nucléaire. Il va de soi que les exploitants constituent un troisième pilier.
Pour entretenir une capacité scientifique et technique, il ne suffit pas de disposer d'experts : il faut être capable de hiérarchiser les problèmes, de parvenir à des jugements globaux et d'entretenir un savoir-faire scientifique, ce qui suppose un effort de recherche permanent car les technologies et les connaissances évoluent. Pour être au niveau des grands exploitants, il faut donc disposer de moyens de recherche suffisants. Mais il faut aussi être capable d'analyser très précisément les événements qui se produisent en matière de sûreté dans le monde. En effet, le savoir-faire scientifique ne se fonde pas seulement sur la recherche : il repose également sur la compréhension et l'interprétation de ce qui se passe au quotidien dans les installations. Il faut enfin gérer toutes ces connaissances, c'est-à-dire faire en sorte qu'elles soient opérationnelles et que les experts travaillent ensemble, non seulement dans notre pays mais aussi à l'échelle internationale.
Ce travail suppose des ressources financières et humaines adéquates. Or les budgets disponibles n'ont pas augmenté dans les deux dernières décennies, ce qui veut dire que les moyens ont diminué. Au moment du lancement du grand emprunt, j'ai émis l'idée que la recherche sur la sûreté nucléaire pourrait bénéficier de crédits : on m'a répondu que beaucoup avait déjà été fait. Depuis Fukushima, l'attitude a changé ! J'ai en tête des sujets de recherche précis, comme la maîtrise des accidents de criticité. Les dernières installations qui existent dans le monde sont en effet menacées de fermeture. Les États-Unis sont prêts à cofinancer 50% de l'investissement en France, car ils ont détruit leurs installations, mais nous avons toutes les peines du monde à trouver les quelques millions d'euros nécessaires à la rénovation de cette installation. Même en France, la tentation de faire des économies sur la sûreté nucléaire existe ! Ce n'est pas une bonne orientation.
Une des manières de faire face au problème est de travailler à l'échelle internationale. Le contrat d'objectifs de l'IRSN prévoit que l'expertise de sûreté nucléaire peut et doit être traitée à l'échelle européenne et internationale – ce qui est un gage d'harmonisation, d'économie et d'efficacité. Nous avons donc fondé en Europe une association des organismes d'appui technique (TSO), l'European technical safety organisations network (ETSON), dont est également membre l'organisme japonais d'appui technique. Nous avons l'ambition de lancer avec l'AIEA, lors de la conférence générale en septembre prochain, un forum mondial des TSO. Il faut promouvoir l'idée selon laquelle tous les pays doivent disposer d'une expertise technique – même ceux qui n'ont que quelques installations. La coopération internationale doit donc se développer en matière de recherche comme en matière de traitement des incidents, et l'expertise être mise à la disposition de ceux qui en ont besoin. La France a 58 réacteurs, le CEA, AREVA… Mais les Pays-Bas, pour prendre un exemple européen, n'ont qu'un réacteur de recherche, à Petten, et un réacteur électrogène ancien. Ils souhaitent continuer à utiliser l'énergie nucléaire, mais ne seront jamais un grand pays nucléaire. Il faut donc poursuivre dans la voie de la coopération si l'on veut que la sûreté nucléaire soit présente dans tous les pays européens avec le même niveau d'efficacité – ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. La mise en réseau des organismes européens avec l'appui de la Commission est donc une façon intelligente de construire l'Europe et d'assurer à tous les citoyens de l'Union une égalité devant le risque nucléaire.
Mon propos se veut donc un plaidoyer pour le maintien, voire le développement de l'effort de recherche, ainsi que pour le renforcement du pilier international, source d'économie, d'efficience et d'égal traitement des citoyens au regard du risque nucléaire et radiologique.
Comme l'a rappelé M. Lacoste, les exploitants ont un rôle premier en matière de sûreté nucléaire. Nous avons la chance d'en accueillir trois aujourd'hui : AREVA, le CEA et EDF. Ils vont nous expliquer comment ils gèrent leur propre effort de sûreté, en mettant en avant leurs spécificités.
Mon propos portera sur les contrôles internes réalisés par AREVA en tant qu'exploitant d'installations nucléaires ou que prestataire d'activités nucléaires. Les contrôles menés à l'intérieur de nos établissements sont fondés sur les principes de l'arrêté « Qualité » du 10 août 1984. Ils sont définis dans deux documents internes « fondateurs » : la charte sûreté nucléaire, document en possession de chaque salarié du groupe, et la charte de l'inspection générale.
Trois types de contrôles sont mis en oeuvre dans nos installations, les deux premiers répondant strictement aux prescriptions des paragraphes 8 et 9 de l'arrêté de 1984. Le premier est un contrôle technique réalisé directement par leurs responsables au sein des équipes d'exploitation. Il se fonde sur l'édifice documentaire existant dans chaque établissement, lui-même assis sur des règles générales d'exploitation validées par l'ASN. Parallèlement, des délégations sont données aux différents rangs hiérarchiques de nos organisations. Ce premier contrôle est donc celui du chef vis-à-vis de son équipe, sur la base d'un référentiel propre à chaque installation.
Le deuxième contrôle est un contrôle spécifique de sûreté, effectué au niveau des établissements et par des moyens indépendants. Il est réalisé pour le compte du directeur d'établissement, qui a la responsabilité première de la sûreté et de la radioprotection dans l'installation nucléaire qu'il dirige.
Au-delà de ces deux contrôles, un contrôle de sûreté complémentaire – et de niveau supérieur – est réalisé par l'inspection générale AREVA pour le compte de la direction générale. L'organisation du groupe est la suivante : sous l'autorité de la direction générale sont placés un certain nombre de directions, puis les directeurs d'établissement, premiers responsables de la sûreté, de la sécurité et donc de la radioprotection dans leur installation. Eux-mêmes s'appuient sur un support fonctionnel sûreté qui assure le contrôle de sûreté au niveau de l'établissement.
L'inspection générale est composée d'un inspecteur général et d'une équipe d'une dizaine de personnes directement nommées par la présidente du groupe. Elle rend compte de ses contrôles au directeur de l'établissement concerné, mais aussi à la direction générale.
La charte sûreté nucléaire pose les principes suivants : un système de responsabilité qui suit la ligne hiérarchique opérationnelle des activités industrielles ; un contrôle indépendant des équipes d'exploitation, placé au niveau du directeur d'établissement ; un contrôle par l'inspection générale.
La charte de l'inspection générale, conforme à une norme internationale de l'audit interne, définit les principes généraux – indépendance, objectivité, compétence… – ainsi que les règles méthodologiques auxquelles obéissent les inspections.
Chaque directeur d'établissement nucléaire formalise annuellement son programme de contrôle, en appliquant une directive qui est émise au niveau du groupe. En 2010, 173 contrôles indépendants ont été réalisés au niveau des établissements.
L'inspection générale établit de son côté un autre programme annuel d'inspections, qui est validé par la direction générale en comité exécutif. Ces inspections donnent chacune lieu à un rapport ; les directions inspectées se voient demander des plans d'action pour remédier aux constats qui sont faits. L'inspection générale rédige enfin un rapport annuel sur l'état de la sûreté des installations du groupe, rapport qui est rendu public après son approbation par le conseil de surveillance. Le rapport pour 2010 est en cours de validation et devrait être publié prochainement. L'inspection générale a réalisé 53 inspections en 2010. Il s'agit aussi bien d'inspections portant sur des thèmes généraux – elles sont alors répétées sur plusieurs sites – que d'inspections de conformité ou de suivi, ou encore d'inspections déclenchées à la suite d'incidents à l'intérieur d'établissements du groupe.
L'organisation de la sûreté nucléaire propre au CEA est définie par des notes d'instruction générale et par des circulaires. De façon schématique, elle repose sur trois niveaux de responsabilité, qui déterminent autant de « lignes d'action » : l'administrateur général ; les directeurs de centre, qui agissent par délégation de l'administrateur général et qui sont les représentants locaux du CEA en tant qu'exploitant nucléaire ; les chefs d'installation – installations nucléaires de base (INB) ou installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) –, qui ont une délégation nominative du directeur de centre dont ils dépendent et dont la mission est de déterminer et de conduire les actions permettant d'assurer la maîtrise des risques inhérents à leur installation.
Les objectifs et les moyens associés sont formalisés par des contrats d'objectifs de sécurité signés entre les différents niveaux hiérarchiques. Chacun de ceux-ci dispose de ses fonctions de soutien : ce sont le pôle maîtrise des risques – que je dirige – pour l'administrateur général, les cellules de soutien pour les directeurs de centre et les acteurs de sécurité de terrain pour les chefs d'installation.
Le pôle maîtrise des risques instruit et prépare les décisions de l'administrateur général dans le domaine de la sûreté et de la sécurité, en définit les modalités d'application, et anime et coordonne tout le réseau de soutien, tant du point de vue technique qu'humain et organisationnel.
Chaque niveau dispose également de ses fonctions de contrôle : contrôle de premier niveau dans chaque installation ; cellule de contrôle au niveau du directeur de centre ; et inspection générale et nucléaire (IGN) au niveau de la direction générale. Pour l'IGN, les maîtres mots sont, comme chez AREVA, indépendance, objectivité et compétence.
Le directeur de l'IGN dispose d'un corps de six inspecteurs nucléaires pour réaliser le programme d'inspections arrêté sur sa proposition par l'administrateur général. En outre, il conduit les inspections « réactives » que peut demander ce même administrateur général mais il peut également s'autosaisir.
La stratégie du CEA en matière de sûreté, de radioprotection, de sécurité et de protection de l'environnement est exposée dans le plan triennal d'amélioration de la sécurité et de la sûreté. Le plan en cours a été signé au début de 2009, à la prise de fonction de l'administrateur général actuel.
C'est sur la base des plans triennaux et de directives de sécurité annuelles établies par le pôle maîtrise des risques que sont élaborés les contrats d'objectifs de sûreté et de sécurité entre les différents acteurs concernés : d'une part, entre l'administrateur général et les directeurs de pôles opérationnels ; d'autre part, entre les directions de centre et les départements. Ces différents documents comportent des indicateurs dont le suivi est assuré dans le cadre de réunions périodiques entre les directions opérationnelles concernées et le pôle maîtrise des risques. En outre, chaque mois, à l'occasion de la réunion du « comité de direction opérations », qui rassemble l'administrateur général, les directeurs de pôles opérationnels et fonctionnels et les directeurs de centre, un point est fait, notamment, sur les événements déclarés aux autorités de sûreté. Enfin, quatre fois par an, le comité stratégique de la sécurité nucléaire effectue une revue de direction, traitant de façon approfondie le sujet de la sûreté pendant tout un après-midi.
Il s'agit d'un processus que l'on peut décrire comme une boucle d'amélioration continue de la sûreté : chaque année, les directives pour l'année suivante prennent évidemment en compte les résultats des audits et inspections et les retours d'expérience des événements et incidents.
Cette organisation et ce processus « bouclé » d'amélioration de la sûreté résultent des efforts consentis au fil du temps pour clarifier les rôles et responsabilités de chacun, pour bien séparer les responsabilités des lignes d'action, de soutien et de contrôle et pour bien préciser la façon de travailler.
Établie en 2008, cette organisation ne se heurte à aucune difficulté particulière d'application sur le terrain. L'appropriation par les acteurs est bonne, ce qui est essentiel puisqu'une organisation – ou un processus – ne vaut que si les acteurs fonctionnent de la façon spécifiée. En 2009, il est cependant apparu nécessaire d'améliorer notre chaîne de remontée de l'information. C'est pourquoi a été ajoutée à cette organisation une procédure d'information immédiate, depuis le terrain jusqu'à l'administrateur général, pour toute situation susceptible d'évoluer en crise, ce afin de garantir la réactivité nécessaire.
Alors que, d'une manière générale, nos homologues étrangers, particulièrement les Anglo-Saxons, sont très forts sur l'organisation, contrairement à nous qui sommes plus forts sur l'ingénierie, nous avons paradoxalement un temps d'avance sur eux pour ce qui est de l'organisation de la sûreté nucléaire, que nous fondons à la fois sur l'indépendance entre le contrôle et l'exploitation et sur la transparence.
La sûreté à la conception est d'autant plus importante pour nous que nous construisons en ce moment Flamanville 3, que nous procédons à des réexamens de sûreté plus fréquents que par le passé et que nous demandons la prolongation de la durée de fonctionnement de nos centrales. À cet égard, le dialogue avec l'ASN et avec son appui technique, l'IRSN, est essentiel, et les réévaluations de sûreté, qui sont sans doute l'une des caractéristiques de notre pays, nous ont permis de progresser dans la prise en compte des risques de séisme, d'inondation ou d'accidents du type de celui de Three Mile Island, etc. Mais la spécificité d'EDF par rapport à d'autres opérateurs est peut-être de rassembler dans une même main une ingénierie de la conception, de l'exploitation et de la déconstruction, ce qui est fondamental pour la sûreté.
S'agissant de l'exploitation, EDF n'est pas une entreprise comme les autres : le fait d'être le premier exploitant dans le monde avec 58 centrales nucléaires donne des responsabilités particulières à son président. Aussi faut-il à ce dernier des moyens d'inspection, ce que, en ma qualité d'inspecteur général dépendant directement de lui, je lui apporte, avec l'aide d'une petite équipe.
À ce premier niveau de sûreté et de contrôle s'en ajoutent deux autres : celui de la division Production nucléaire (DPN), qui dispose d'un corps d'inspection très nombreux, et celui des centrales, également dotées d'un corps de contrôle, le service « sûreté et qualité ». Ces trois niveaux sont indépendants les uns des autres.
L'inspection générale pour la sûreté nucléaire (IGSN) – au niveau donc de la direction de l'entreprise – a comme bras armé le conseil de sûreté nucléaire. Cette instance, qui se réunit cinq fois par an, est présidée par le président d'EDF et comprend les principaux directeurs de l'entreprise et, depuis peu, des représentants d'EDF Energy, ce qui donne une ouverture sur l'étranger et permet de mener une politique plus cohérente avec British Energy.
Mon rôle, plus précisément, est d'apprécier les performances, d'avoir une vision globale en matière de sûreté nucléaire, de sécurité et de radioprotection – eu égard aux dispositions réglementaires mais aussi à la sensibilité des opinions publiques –, de maintenir une veille active dans les différentes entités, et de porter un regard extrêmement large aussi bien sur l'ingénierie que sur l'exploitation, y compris sur celle des centrales dont nous sommes responsables à l'étranger – aux États-Unis, en Chine et au Royaume-Uni. En outre, comme les corps d'inspection des deux autres niveaux, je dispose d'un droit d'alerte que je peux exercer directement auprès du président, en cas de nécessité.
Mon travail est fait de visites sur le terrain. C'est ainsi qu'ont été dernièrement effectuées 38 visites d'inspection, notamment sur neuf sites français – les sites sont visités une fois tous les trois ans – et qu'ont été conduits 350 entretiens, qui n'ont pas concerné uniquement EDF, mais également des acteurs étrangers et les prestataires. Je m'intéresse particulièrement à ces derniers : chaque fois que je me rends sur un site nucléaire, je rencontre leurs responsables, mais je peux également m'entretenir avec eux dans différents organes parisiens ou autres. Je procède en outre à un benchmarking international – j'ai ainsi passé quinze jours au mois de février à la centrale de Koeberg en Afrique du Sud.
L'IGSN est également présente dans toutes les instances de sûreté du groupe et diffuse largement – que ce soit auprès de notre président, de l'ASN ou encore du public – un rapport annuel dans lequel nous donnons de manière franche et transparente notre avis sur l'état de la sûreté.
La division Production nucléaire d'EDF dispose en propre d'un corps de 35 à 40 inspecteurs hautement qualifiés dans les domaines de la sûreté nucléaire, de la radioprotection ou encore de la protection de l'environnement. Leur mission est de réaliser des évaluations globales de sûreté des 19 centrales que nous exploitons. Menées tous les trois ans sur chacune d'entre elles, ces inspections, d'une durée de trois semaines, sont effectuées par une trentaine d'inspecteurs dont des pairs venant d'autres centrales afin d'échanger les retours d'expérience. Elles donnent lieu à des rapports détaillés qui sont soumis au directeur de la division, chaque directeur d'unité étant ensuite conduit à élaborer un plan d'action pour améliorer tout ce qui doit l'être. Ce travail, complémentaire de celui que conduit la WANO au moyen des peer reviews, a pour objectif l'amélioration permanente de la sûreté nucléaire sur l'ensemble de nos sites.
Au quotidien, la responsabilité de la sûreté sur un site est avant tout celle du directeur d'unité, mais également, bien entendu, de tous les personnels, agents EDF comme prestataires. Cette responsabilité s'exerce essentiellement par ce que nous appelons le management de la sûreté nucléaire, qui suppose d'avoir un référentiel de sûreté – une sorte de code de la route que chacun doit connaître et respecter –, des personnels formés et compétents et une culture de sûreté, mais aussi un dispositif très robuste de contrôle interne à la centrale : c'est la « filière indépendante de sûreté », qui relève directement du directeur d'unité. Piloté par un chef de mission ou par un directeur sûreté, ce service « sûreté et qualité » est composé de dix à douze ingénieurs totalement dédiés au contrôle. Ils réalisent, en particulier, une évaluation journalière de la sûreté de leur centrale, qui est confrontée à celle du chef d'exploitation, afin de détecter toutes les anomalies qui méritent d'être traitées.
Cet appui sûreté de la direction et de toutes les équipes de la centrale constitue une ressource d'ingénierie dans le domaine de la sûreté. Le référentiel étant complexe et évolutif, il est important que des spécialistes soient au service des équipes pour les guider dans son application et pour le tenir à jour.
Enfin, chaque centrale produit, conformément à la loi TSN, un rapport annuel sur sa sûreté. Ce rapport, qui couvre aussi des aspects de radioprotection et de protection de l'environnement, est soumis aux organismes internes à la centrale, tels que le CHSCT, mais fait également l'objet d'une diffusion externe.
Cette organisation interne permet à chaque directeur de centrale de disposer en permanence d'un état précis de la sûreté de son installation et de pouvoir ainsi améliorer cette sûreté, conformément à sa mission essentielle.
En conclusion, je récapitulerai l'ensemble des inspections réalisées sur un site. Le contrôle interne, d'abord, est exercé à la fois par la présidence, grâce au rapport de l'inspection générale, par les divisions nucléaires, avec des inspections tous les trois ans, et par les unités, avec une inspection journalière. Le contrôle externe, ensuite, est effectué par l'ASN et par son appui technique, l'IRSN avec 350 visites par an, et par le haut fonctionnaire de défense avec une visite tous les deux ans. Le contrôle international, enfin, implique, d'une part, la WANO, avec un contrôle tous les six ans sur chaque CNPE (centre nucléaire de production d'électricité), suivi, deux ans après, par une revue de suivi – follow-up – et, d'autre part, les équipes OSART de l'AIEA, qui viennent une fois par an.
Je tiens à insister sur l'indépendance des corps de contrôle et sur la transparence de l'entreprise, garantie par les rapports annuels de l'inspecteur général et de chaque site.
La sûreté suppose un effort de tous les intervenants à tous les niveaux, et la formation professionnelle a donc un rôle essentiel à jouer dans la validation des compétences nécessaires pour travailler dans l'industrie nucléaire. C'est pourquoi j'invite M. Henri Chapotot à nous présenter le dispositif français de certification en matière de radioprotection.
Le CEFRI a été créé en 1990 à l'initiative des exploitants – EDF, AREVA NC, le CEA, la Défense –, de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), de la Société française de radioprotection, de l'IRSN, des médecins du travail et du Groupe intersyndical de l'industrie nucléaire (GIIN) – fédération des entreprises intervenant dans l'industrie nucléaire, hors exploitants. Il a pour mission de certifier les entreprises et les personnes, c'est-à-dire les entreprises prestataires, les entreprises de travail temporaire – 3 500 personnes travaillent ainsi pour EDF, AREVA et le CEA –, les organismes de formation en radioprotection et les formateurs de personnes compétentes en radioprotection (PCR).
Le domaine de certification du CEFRI couvre le management – et non le contrôle – de la radioprotection, afin que les entreprises prestataires s'approprient les règles posées en ce domaine et les appliquent au mieux, qu'il s'agisse de la formation des personnels, du suivi médical ou du suivi dosimétrique.
Le CEFRI attribue ainsi, avec la participation des exploitants, la certification « E » aux entreprises prestataires, « I » aux entreprises de travail temporaire, « F » aux organismes de formation et « R » aux formateurs de CPR. Nous avons bien entendu des équipes d'audit comprenant une soixantaine d'auditeurs qualité, ainsi que deux comités de certification : l'un dédié aux entreprises, dans lequel siègent les exploitants et les représentants des entreprises et auquel vient en appui une commission technique ; l'autre dédié aux formateurs de PCR.
Le CEFRI est lui-même audité par le Comité français d'accréditation (COFRAC) – le dernier audit pour le renouvellement de notre accréditation vient d'ailleurs d'avoir lieu.
En 2010, 520 audits ont été réalisés dont 45 dans le domaine de la formation et 23 dans celui de l'intérim. Les résultats sont au rendez-vous. On constate, en effet, une appropriation croissante des règles de radioprotection par les entreprises certifiées. Ainsi, entre le quatrième trimestre de 2009 et le quatrième trimestre de 2010, le nombre des dossiers sans écart a augmenté de 43 %, tandis que le nombre de remarques en audits a diminué de 34 % et celui des non-conformités en audits de 64 %. Le CEFRI contribue, en outre, aux excellents résultats des exploitants en matière de dosimétrie des intervenants : en 2010, la dose moyenne par intervenant chez EDF– hors intervenants à dose nulle bien entendu – a été de 1,19 mSv, c'est-à-dire à peine supérieure à la dose autorisée pour le public.
Pour résumer, le CEFRI est le certificateur de référence en radioprotection auprès des parties prenantes – les exploitants, les entreprises avec le GIIN, l'IRSN, la Société française de radioprotection (SFRP), la CNAM et les médecins du travail travaillant ensemble. C'est un organisme indépendant et impartial grâce à l'équilibre maintenu au sein des commissions et comités entre exploitants et entreprises et grâce à son indépendance financière que vérifie le COFRAC. Enfin, c'est un moteur de progrès continu en radioprotection, trouvant pleinement sa place dans une démarche de management intégré.
M. Lacoste ayant fait état de la dénonciation par certaines organisations d'un prétendu mauvais traitement des salariés prestataires, je précise qu'aucune personne n'a depuis 2004 reçu une dose dépassant 18 mSv, soit moins que la limite réglementaire.
Si l'effort de sûreté concerne chacun des employés des exploitants, il n'a de sens que si la sous-traitance y contribue pleinement, ce qui suppose d'en conserver une parfaite maîtrise. La sous-traitance peut en effet avoir du sens pour des tâches très spécialisées techniquement ou périphériques. M. Jean-Marc Miraucourt, directeur de l'ingénierie nucléaire d'EDF, n'ayant pu se libérer, il a demandé à pouvoir présenter le point de vue d'EDF à l'occasion du déplacement que nous devons effectuer à la centrale de Belleville, la semaine prochaine.
Aussi, j'invite de nouveau M. Andrieux, directeur sûreté, sécurité, santé et environnement d'AREVA, à nous expliquer comment son entreprise s'assure que la sous-traitance est intégrée dans le dispositif de sûreté.
Concernant la maîtrise de la sous-traitance, la stratégie achats du groupe AREVA repose sur plusieurs principes.
En premier lieu, des analyses « coeurs de métier » et des analyses de risques sont effectuées au niveau local avant tout recours significatif à la sous-traitance, notre responsabilité d'exploitant étant de faire la juste part entre notre expertise et celle des entreprises extérieures. C'est au vu de ces analyses que nous avons recours dans certains cas à la sous-traitance lorsqu'elle aura plus de compétences que nous pour réaliser certains gestes.
En deuxième lieu, la sous-traitance est utilisée principalement pour la maintenance des installations et pour quelques activités spécialisées d'exploitation. AREVA n'est d'ailleurs pas simplement exploitant d'installations nucléaires. Elle est aussi prestataire de services, étant elle-même sous-traitante par l'intermédiaire de filiales dans les secteurs de l'ingénierie, des services, de l'assainissement et des transports. Pour prendre l'exemple de La Hague, dont j'ai été le directeur, 40 à 50 % de la sous-traitance réalisée pour le compte d'AREVA le sont en fait par des filiales du groupe.
En troisième lieu, nous avons fait le choix de favoriser la sous-traitance à des acteurs locaux. Le directeur d'établissement a un rôle fondamental à cet égard : il doit maintenir autour de son installation un tissu industriel qui contribuera à la pérennité de l'exploitation, y compris en aidant à faire face à des surcroîts d'activité. Il lui appartient de ce fait de veiller à un juste équilibre entre le recours à la sous-traitance externe et le recours aux filiales d'AREVA.
En quatrième lieu, enfin, le groupe valorise ses partenariats par l'octroi d'un label « fournisseur AREVA », qui intègre des critères de sûreté et de sécurité ainsi que des critères environnementaux.
La politique des achats s'inscrit dans la démarche globale de développement durable et de progrès continu du groupe AREVA. Les directeurs locaux ont ainsi la responsabilité de conclure avec les fournisseurs des conventions permettant d'anticiper sur l'évolution des besoins – connaissant relativement mieux leur avenir, nos sous-traitants peuvent se doter des moyens d'assurer les prestations qu'on leur confie – et de fixer des objectifs communs de sécurité et de sûreté.
Le groupe s'est, par ailleurs, engagé dans une démarche volontariste s'agissant de la radioprotection de ses salariés et de ses sous-traitants : AREVA applique à tous les mêmes règles. Cela étant, non seulement la dose individuelle moyenne reçues par les salariés des entreprises extérieures – inférieure à 0,5 mSv – est moindre que celle des salariés AREVA, mais il en est de même de la dose collective – étant entendu qu'une grande partie des tâches de sous-traitance, en particulier des tâches d'assainissement, est assurée par des filiales du groupe.
Pour ce qui est des conditions générales de travail et d'intervention de nos sous-traitants, un processus achats, commun à toutes les entités, prend en compte les compétences sûreté et radioprotection dans le choix qui est fait des entreprises. Une directive groupe, que j'ai moi-même émise, précise ces exigences en matière de sûreté et de santé – la radioprotection –, de sécurité et de protection de l'environnement. Un suivi de la qualité des fournisseurs et des sous-traitants est ensuite réalisé sous forme d'une centaine d'audits, effectués par des auditeurs internes à AREVA, différents de ceux de l'inspection générale. Cette dernière a cependant un programme pluriannuel d'inspections relatives à la maîtrise des prestataires, qui concernera une quinzaine d'établissements nucléaires entre 2011 et 2013, Enfin, compte tenu des contraintes particulières à ces activités, une commission spécifique d'acceptation des entreprises d'assainissement radioactif (CAEAR) traite des marchés d'assainissement et de démantèlement, qui exigent un agrément qualité et une certification CEFRI des sous-traitants.
S'agissant enfin de la formation à la sûreté, AREVA sensibilise ses sous-traitants aux risques de leurs installations et ateliers. Je citerai, à cet égard, la sensibilisation à la culture de sûreté dispensée sur le site du Tricastin aux correspondants sûreté des sous-traitants, et celle prodiguée par AREVA NC La Hague au personnel des entreprises extérieures avant toute intervention sur un chantier de démantèlement.
AREVA a également pris des initiatives pour former ses sous-traitants aux spécificités de ses installations ou de ses activités nucléaires : sur le site de MELOX, une école dispense une formation certifiante avant toute intervention en boîte à gants cependant qu'à AREVA NC La Hague, on prépare les télémanipulations à l'aide d'une maquette à l'échelle 1.
Pour résumer, AREVA a une maintenance plutôt centrée sur les établissements – dont la nature, encore une fois, est totalement différente selon qu'on est à l'amont ou à l'aval du cycle. Les directeurs de ces installations ont la responsabilité de maintenir autour d'eux un tissu industriel local et nous nous appuyons sur toute une palette de méthodes pour entretenir la « fibre sûreté » chez nos sous-traitants.
Je vais pour finir demander à M. Henri Legrand, conseiller du directeur général de l'ASN, de nous présenter les différents aspects pratiques du contrôle de sûreté : jusqu'à quel point fait-on remonter le contrôle à l'amont et à l'aval de la filière ? Qui déclenche les contrôles systématiques ou, à l'inverse, comment sont organisés les contrôles inopinés ?
Mon propos portera sur les contrôles effectués par l'ASN, sous forme d'inspections – soit l'aval de nos activités, l'amont consistant en la réglementation et l'autorisation.
L'objectif de l'inspection est de vérifier que l'exploitant assume bien sa responsabilité. De manière schématique, je dirai même que l'on inspecte l'exploitant davantage que son installation.
L'ASN compte quelque 250 inspecteurs qui effectuent environ 2 000 inspections par an, dont la moitié sur les installations nucléaires de base – mais elle contrôle également les équipements sous pression nucléaire, le transport de matières radioactives, le nucléaire de proximité, soit à peu près 150 installations nucléaires et 50 000 activités diverses.
Une caractéristique importante de ce contrôle est son caractère intégré : contrairement à ce qui a pu se faire en France à d'autres époques et à ce qui peut se faire dans d'autres pays, l'ASN a à la fois en charge la sûreté nucléaire au sens strict, c'est-à-dire la prévention des accidents, mais aussi la radioprotection, la protection de l'environnement – contre le rejet d'effluents et de déchets – et, dans les centrales nucléaires uniquement, l'inspection du travail.
L'agence, qui cherche, ce qui est la moindre des choses, des inspecteurs compétents et efficaces, tente de varier leurs profils en recrutant non seulement des ingénieurs, mais aussi des médecins et des inspecteurs du travail.
Elle consacre à leur formation un peu plus de 4 % de sa masse salariale, et assure à tout inspecteur débutant une formation initiale de 45 jours.
L'encadrement s'opère par l'intermédiaire d'un dispositif d'habilitation. Les inspecteurs sont habilités en fonction du domaine qu'ils vont contrôler – sûreté nucléaire, radioprotection, équipements sous pression, inspection du travail –, certains pouvant l'être dans plusieurs domaines. Cette habilitation est délivrée sur la base des connaissances et de l'expérience. Une habilitation « senior » a été créée pour les inspecteurs expérimentés, dont nous cherchons à valoriser au mieux le rôle.
Ces inspecteurs sont polyvalents : ils peuvent ainsi participer au travail de réglementation et d'élaboration des autorisations et à l'information que délivre l'ASN. À la différence de certains autres pays, nous avons choisi de ne pas avoir d'inspecteurs résidents dans les installations : ils sont regroupés dans onze divisions territoriales, ce qui facilite l'échange d'expériences et leur évite d'avoir avec l'exploitant une trop grande proximité, qui n'est pas forcément souhaitable.
Chaque année est élaboré un programme qui fait place à des inspections de différents types et de volume variable : l'inspection simple, qui peut durer un ou deux jours ; l'inspection de revue, qui voit un nombre plus important d'inspecteurs se rendre dans un site pendant une semaine ; l'inspection avec prélèvements ; l'inspection inopinée – elle représente à peu près un quart des inspections réalisées sur les installations nucléaires. Mais d'autres inspections peuvent être déclenchées lorsqu'un événement l'exige, tout le problème étant alors pour nous de réagir dans le délai le plus court possible.
Les inspections programmées font l'objet, un mois à l'avance, de tout un travail de préparation effectué en relation avec l'IRSN, travail qui comporte notamment l'analyse de toutes les informations disponibles afin d'avoir la meilleure efficacité possible sur le terrain.
Sur le site, les inspecteurs de l'ASN disposent du pouvoir d'accès aux locaux et aux documents – sachant que les exploitants doivent adresser à l'ASN des documents pour qu'elle puisse les analyser avec l'appui de l'IRSN. Des inspecteurs de l'Institut accompagnent d'ailleurs souvent les nôtres.
Toutes les inspections donnent lieu à une lettre de suite qui contient les constats effectués et les demandes adressées à l'exploitant. Ces lettres sont désormais toutes publiées sur Internet. Les inspecteurs de l'ASN peuvent dresser procès-verbal s'ils constatent une infraction, ce qui ne préjuge pas des suites administratives qui peuvent être de deux ordres : les prescriptions qui obligent, sous peine de sanction, à se plier aux demandes formulées ; le processus de sanction administrative, institué pour les installations nucléaires de base par la loi de 2006, si un manquement à la réglementation est constaté. Nos moyens vont de la mise en demeure ou de la consignation d'une somme jusqu'à la suspension du fonctionnement de l'installation, en passant par l'exécution d'office de travaux – disposition rarement mise en oeuvre car il est préférable que ce soit l'exploitant qui se charge directement de ces travaux.
J'ajoute que l'agence exerce aussi un contrôle, de deuxième niveau, sur des organismes agréés qui interviennent dans les installations pour contrôler certaines activités.
Lors de notre visite au centre nucléaire de production d'électricité (CNPE) de Gravelines, son directeur nous a indiqué que 10 % du temps de travail des employés du site était consacré à la formation. En est-il de même pour les sous-traitants ?
EDF prévoit que, pour passer au niveau de technicité supérieur et pour obtenir des habilitations, ses agents doivent recevoir une formation plus générale que celle qu'exige l'exercice de leur seul métier. Ainsi les candidats apprennent comment fonctionne une centrale et, finalement, en quoi leur travail est essentiel au fonctionnement de la centrale et à sa sûreté. Par quel mécanisme peut-on garantir un niveau aussi exigeant de formation chez les sous-traitants ?
Il existe un référentiel CEFRI en matière de formation. C'est sur cette base que tous les personnels reçoivent une formation initiale et continue.
Les temps de formation dépendent en fait des métiers exercés, et cela vaut pour les personnels EDF comme pour les sous-traitants. Ainsi les opérateurs en salle de commande, qui doivent s'entraîner régulièrement sur simulateur pour répéter des gestes, soit d'exploitation courante, soit de configuration incidentelle ou accidentelle, sont ceux qui reçoivent le plus de formation dans l'année.
Nos sous-traitants chargés de la maintenance suivent en tout cas, en sus des formations qui relèvent de leur métier, toutes les formations et tous les recyclages obligatoires conformes au référentiel CEFRI. Pour autant, cela ne concernera pas, pour prendre l'exemple d'un peintre, 10 % de son temps de travail. En revanche, un soudeur aura besoin de temps de formation importants, car les qualifications en matière de soudage sont très exigeantes dans nos centrales.
Les chantiers écoles sont également ouverts aux prestataires en raison de l'importance pour tous de la culture de sûreté.
Une pratique de transparence s'affirme depuis quelque temps : la participation de la société civile, au travers de membres des Commissions locales d'information (CLI), à des inspections menées par l'ASN. Quelle est la proportion des inspections concernées ? D'autre part, comment les exploitants informent-ils les CLI des autocontrôles qu'ils mènent sur leurs différentes installations ?
Il faut faire attention aux mots en la matière. Ce que l'ASN souhaite pratiquer, c'est une association de membres des CLI ou du Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN) à des inspections. Il faut éviter de laisser croire que ces personnes deviennent elles-mêmes inspecteurs. Elles sont, comme je l'ai dit, associées aux inspections.
Cette participation est destinée à leur montrer ce qu'est une inspection et ce que sont les rapports entre l'ASN et les entités inspectées. Pour donner un ordre de grandeur, cela ne concerne qu'une dizaine de cas par an. Quel qu'en soit l'intérêt, cette pratique n'a en effet aucune vocation à devenir une pratique de masse. Nous nous efforçons d'ailleurs de choisir des thèmes qui ne soient pas trop techniques – tenue de la documentation ou certains aspects qualitatifs ou organisationnels – de façon que les participants puissent suivre le déroulement des inspections.
Je compléterai la question de M. Marignac avant la réponse des représentants d'EDF. En effet, ces derniers nous ont dit que, conformément à la loi TSN, chaque centrale rédigeait un rapport sur la sûreté dans son installation. Or, régulièrement, l'Autorité de sûreté pointe du doigt certaines installations à la traîne en matière de sûreté. Ne faut-il pas en conclure que l'auto-évaluation se confond avec l'autosatisfaction ? Comment EDF fait-elle pour répondre aux injonctions de l'ASN sachant, me semble-t-il, qu'avant la loi TSN de 2006, cette autorité avait, sous menace de suspendre l'activité, mis en demeure les responsables d'une centrale d'appliquer ses consignes ?
C'est là une histoire ancienne qui, je l'espère, ne se renouvellera pas.
En matière de sûreté, s'il faut toujours progresser, certaines centrales progressent plus que d'autres...
S'agissant de l'information des CLI, l'article 21 de la loi TSN nous oblige à leur communiquer les rapports, ce que chaque centrale fait tous les ans.
Quant aux visites, je fais miens les propos du président de l'Autorité de sûreté nucléaire : nous autorisons, au cas par cas, la participation de membres des CLI aux inspections, mais sans intention de généraliser cette pratique.
Tous les trois ans, l'ASN présente le rapport français à la réunion de revue de la Convention sur la sûreté nucléaire et nous demandons alors à l'inspecteur général pour la sûreté nucléaire d'EDF d'intervenir. Ce qui frappe nos confrères étrangers, c'est la liberté de parole – que l'on retrouve d'ailleurs dans le ton de son rapport – dont dispose et use cet inspecteur général, et la discussion avec nos homologues est alors infiniment plus intéressante qu'en d'autres enceintes.
AREVA, qui est également partie prenante dans les CLI, diffuse énormément d'informations, par l'intermédiaire plus particulièrement de ses deux installations de La Hague et du Tricastin.
Il convient aussi de signaler l'existence de groupes d'expertise pluralistes, comme le Groupe radioécologie Nord-Cotentin (GRNC) sur le site de La Hague ou encore le groupe d'expertise pluraliste GEP-Mines, qui consacre ses travaux aux mines d'uranium du Limousin. De telles initiatives ont favorisé un rapprochement entre exploitants et représentants de la société civile. De son côté, le HCTISN s'associe des groupes de travail, ce qui contribue également à des échanges d'informations très détaillées.
Concernant la participation des CLI aux inspections, je partage la position de M. Lacoste. Autant AREVA est disposée à montrer ses installations et à expliquer ses processus de fonctionnement, autant nous estimons qu'une inspection, c'est d'abord un rapport entre un contrôleur et un contrôlé. Elle doit suivre des règles précises, et il y a donc une limite à respecter dans cette participation.
Si le CEA est évidemment tout prêt, lui aussi, à montrer toutes ses installations, les inspections sont soumises à des objectifs et à un cadre réglementaire extrêmement précis. Il y a en effet un certain rapport à respecter entre inspecteur et inspecté, et il faut donc être très prudent si l'on ne veut pas dénaturer le travail qui se fait à cet occasion.
Tous les centres du CEA concernés participent bien sûr aux CLI et nous publions, conformément à l'article 21 de la loi TSN, les rapports réglementaires relatifs à chacun de nos sites. De plus, nous publions de notre propre volonté un bilan annuel de la maîtrise de risques qui couvre l'ensemble du sujet, sans s'en tenir à la sûreté et à la radioprotection, et qui donne l'occasion au directeur de l'inspection générale de présenter sa perception du niveau de sûreté nucléaire au CEA.
Parmi les informations à la disposition du public figurent les rapports que l'IRSN publie chaque année sur les centrales nucléaires et tous les deux ans sur les installations et les transports. Sortes d'analyses des retours d'expérience, ils obéissent à une approche plus scientifique que d'autres documents. Nous essayons ainsi d'apprécier les effets des plans d'amélioration élaborés par EDF, en fonction d'indicateurs relatifs aux petits incidents qui se produisent tous les jours.
Ces rapports sont d'autant plus intéressants qu'ils sont élaborés « à froid » et permettent de porter un autre regard sur des événements qui ont parfois fait la une des journaux. Ils aident à distinguer entre les situations satisfaisantes et celles qui exigent des mesures, ce qui contribue à l'acculturation de l'ensemble des acteurs du nucléaire et à la progression de la sûreté.
Si la séparation administrative entre l'autorité de sûreté et le support technique qu'est l'IRSN est l'une des caractéristiques du système français, arrive-t-il à l'ASN de faire appel à un support technique étranger ? Inversement, l'IRSN – le cas de la Hollande a été mentionné – peut-il être appelé à servir de support technique à une autorité de sûreté étrangère ?
Le principal appui technique de l'ASN est bien sûr l'IRSN, mais nous faisons appel à d'autres sur certains sujets : par exemple à des collègues britanniques à propos de la criticité, ou encore à des collègues belges ou autres pour les appareils à pression. Nous sommes donc ouverts à d'autres collaborations – encore que cela reste marginal – de façon à ne pas avoir une vision totalement monocolore.
Les interventions à l'étranger ne représentent également qu'une faible part des activités de l'IRSN. Nous y sommes cependant ouverts, et d'ailleurs des autorités étrangères nous demandent régulièrement de leur apporter soit un appui technique sur un point particulier d'instruction de dossier qui fait appel à des connaissances scientifiques dont elles ne disposent pas nationalement, soit encore pour avoir un deuxième regard. Ainsi l'autorité de sûreté suédoise nous implique dans son évaluation de projets de stockage géologique afin d'avoir, en plus de celui de son appui technique local, l'avis de l'IRSN. De même, nous avons rendu un rapport à l'autorité de sûreté slovène – qui ne lui a sans doute pas fait plaisir – sur la sismicité d'un site qui avait été retenu pour une implantation : nous avons découvert qu'il était situé sur une faille ! Nous travaillons également pour les Émirats arabes unis, pour la Chine, pour l'Afrique du Sud, etc.
Si marginales que soient ces collaborations, le fait pour nos ingénieurs et nos experts de se confronter à d'autres cultures et pratiques de sûreté se révèle très formateur. Nous avons, par exemple, appris à connaître les VVER-1000 russes qui sont potentiellement de bons réacteurs. Cette activité internationale fait de bons experts et crée ainsi de la compétence dont la France et son autorité de sûreté bénéficient.
Un cas d'école pour la nécessaire séparation des activités serait celui d'une installation exploitée par l'IRSN : celui-ci ne pourrait alors être le conseiller et l'appui technique de l'autorité de sûreté.
Ma dernière question concerne la certification des sous-traitants et donc le CEFRI. Comment suivez-vous, monsieur Chapotot, ceux que l'on appelle les « nomades du nucléaire », qui effectuent des travaux très spécifiques dans la France entière, et comment vous assurez-vous qu'ils sont bien formés, car ce sont eux qui sont le plus exposés à la radioactivité ? Qui réussit d'ailleurs à suivre leur dosimétrie ?
Enfin, lorsqu'une entreprise prestataire a une filiale, par exemple en Europe centrale, et que celle-ci intervient sur notre sol, un risque de confusion des rôles peut exister, surtout s'il s'agit d'une filiale d'une entreprise connue. Comment vous assurez-vous alors de sa certification ? Lors de notre visite à Gravelines, les représentants des organisations syndicales nous ont cité le cas d'une entreprise roumaine qui était intervenue sur les turbines.
Pour ce qui est de la formation, une obligation de formation initiale et de recyclage périodique s'applique uniformément à tous les personnels.
En ce qui concerne le suivi dosimétrique des personnels, l'IRSN l'assure en totalité.
Enfin, s'agissant des entreprises étrangères, celles qui interviennent en France sont soumises à des audits du CEFRI, dans leur pays d'origine. Elles ne sont au reste que quelques dizaines sur un total de 500, soit 2,5 % environ.
Il me reste à remercier chacun des intervenants et des participants.
La séance est levée à vingt heures dix.