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Commission des affaires étrangères

Séance du 7 juin 2011 à 17h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • arabe
  • egypte
  • paix
  • tourisme
  • égyptien

La séance

Source

Audition de M. Mounir Fakhry Abdel Nour, ministre du tourisme de la République arabe d'Egypte.

La séance est ouverte à dix-sept heures.

PermalienPhoto de Martine Aurillac

Nous avons le grand plaisir d'accueillir M. Mounir Abdel Nour, ministre du tourisme égyptien, que je remercie d'avoir accepté notre invitation. Vous êtes, monsieur le ministre, l'un des responsables du parti laïque et libéral Al Wafd, l'un des plus anciens partis politiques d'Égypte, et vous avez été nommé à un poste clé pour l'économie égyptienne dès le mois de février en tant que l'une des figures de l'opposition à l'ancien régime. Votre témoignage nous intéresse aussi, même si là n'est pas l'essentiel, parce que vous êtes de confession copte.

Sur le volet politique tout d'abord, nous souhaitons vous entendre faire le point sur le rythme et les modalités de la transition. Une frange de la population s'impatiente et réclame le retour rapide à un pouvoir civil, le renvoi des responsables de l'ancien régime toujours en place et l'arrestation des personnalités coupables de corruption ou de violences. D'autres estiment que les échéances électorales, législatives en septembre puis présidentielle d'ici la fin de l'année, ne permettront sans doute pas au paysage politique de se recomposer.

Sur le volet économique, votre ministère est directement concerné par les engagements pris il y a dix jours par le G8 lors de son sommet de Deauville. Selon vos estimations, l'Égypte a perdu 2,27 milliards de dollars de recettes touristiques depuis fin janvier. Les moyens mobilisés par la communauté internationale – plus de 20 milliards de dollars pour la Tunisie et l'Égypte -, doivent aussi permettre l'application à moyen terme de réformes profondes, renforçant l'intégration économique en faveur d'une croissance plus équitable et créatrice d'emplois. Cet effort vous paraît-il à la hauteur des attentes ? Quelles sont vos priorités dans l'utilisation des moyens mobilisés ?

Enfin, l'Égypte joue un rôle actif au Proche-Orient, avec une nette inflexion de sa politique étrangère qui s'est traduite notamment par la signature au Caire de l'accord de réconciliation entre le Hamas et le Fatah et la réouverture du point de passage de Rafah. La France a proposé la tenue à Paris d'une conférence en juillet pour relancer le processus de paix israélo-palestinien. Comment le gouvernement égyptien conçoit-il une telle relance ?

PermalienMounir Fakhry Abdel Nour, ministre du tourisme de la République arabe d'égypte

C'est un grand honneur pour moi d'être parmi vous. Je suis à Paris pour donner un coup de pouce au tourisme vers l'Égypte, dont je me félicite qu'il ait déjà repris. Le fait que les voyageurs reviennent vers nos plages et vers la vallée du Nil nous réconforte car le tourisme est l'un des piliers de notre économie : c'est notre principale source de revenus en devises, il représentait l'année dernière 11,5 % de notre PIB et un travailleur égyptien sur sept dépend directement ou indirectement de cette industrie.

La période de transition nous place dans une situation difficile : il nous faut en effet résoudre les problèmes économiques et sociaux que connaît le pays afin que la transition elle-même se fasse sans surprises et sans accidents. Le calendrier de la transition, tel que proposé par le Conseil suprême des forces armées, prévoit la tenue d'élections législatives en septembre prochain puis l'élection présidentielle, en décembre 2011 ou en janvier 2012 au plus tard. Ces deux élections seraient suivies de la promulgation de la nouvelle Constitution rédigée par une Assemblée constituante composée de cent parlementaires. Le maréchal Mohammed Hussein Tantaoui, qui est à la tête du Conseil suprême des forces armées, insiste pour que ce calendrier soit respecté, en dépit du grand débat qui anime l'Égypte à ce sujet.

Le débat porte sur deux questions, et en premier lieu sur le calendrier lui-même. Certains s'interrogent sur la brièveté des délais prévus et singulièrement sur le bien-fondé d'élections législatives dès septembre ; ils proposent de reporter ces élections à une date ultérieure, non définie. Les avantages et les inconvénients des deux options sont évidents. Organiser des élections en septembre présente l'avantage de mettre l'Égypte en mesure de construire le plus vite possible un État de droit où se déroulera une vie normale et d'éviter les problèmes économiques qui risquent de se poser si l'incertitude politique demeure : ne pas savoir de quelle tendance sera la future majorité peut retarder les décisions des investisseurs, de quelque nationalité qu'ils soient. Le report des élections législatives a pour avantage de donner aux nouveaux partis politiques issus de la révolution du 25 janvier le temps de formuler leur programme d'action et de constituer la base populaire qui leur servira d'assise électorale. Le Conseil suprême des forces armées insiste pour céder le pouvoir le plus tôt possible à un gouvernement civil librement élu ; je crois en la sincérité des militaires, dont je pense qu'ils veulent effectivement se défaire dans les meilleurs délais d'un pouvoir qui leur est échu sans qu'ils aient vraiment voulu le prendre.

Le débat fait aussi rage sur l'ordonnancement proposé. Certains pensent en effet qu'il conviendrait de l'inverser, et de commencer par définir quel régime – présidentiel ou parlementaire – adoptera le nouvel État et quel doit être le rôle du président qui sera élu : un arbitre entre les différents pouvoirs ou la tête de l'exécutif ? Ceux-là considèrent qu'il faut commencer par adopter une nouvelle Constitution avant de procéder aux élections.

Dans le débat qui bat son plein, les libéraux demandent le report des élections législatives à une date qu'ils souhaitent la plus lointaine possible ; en revanche, les partis politiques organisés – en l'occurrence les Frères musulmans – insistent pour voir le calendrier proposé par le Conseil suprême des forces armées maintenu. Mais qu'en est-il de la jeunesse qui a mené la révolution, réussissant là où les partis politiques égyptiens ont échoué au cours des trente dernières années ? Les jeunes sont pressés de parvenir à leurs fins : ils veulent que les élections se tiennent au plus vite, que tous les collaborateurs du régime précédent soient renvoyés et que toute personne accusée, à tort ou à raison, de corruption, soit conduite devant les tribunaux pour y être jugée. À moins de 130 jours du tremblement de terre politique qui a secoué l'Égypte, ce débat démocratique est sain. J'espère que les forces majoritaires du pays sauront s'imposer pour trancher.

L'Égypte connaît des difficultés économiques certaines. Mercredi dernier, le Conseil des ministres a approuvé un budget qui prévoit un déficit effrayant d'un peu plus de 10 % du PIB. C'est que le Gouvernement a dû prendre des mesures propres à répondre aux attentes de l'opinion publique, notamment pour améliorer les services publics dont la qualité s'est dégradée à vue d'oeil au cours des cinq dernières années, en dépit d'un taux de croissance annuel moyen de 7 % et de l'augmentation continue des réserves en devises étrangères. La mauvaise distribution des revenus et la tout aussi mauvaise répartition de la dépense publique ont fait que l'instruction publique, l'Université, la santé, le logement et les transports sont défaillants. Aussi, pour répondre aux attentes de la jeunesse et de ceux qui ont fait la révolution précisément à cause de ces déficiences, le budget adopté la semaine dernière prévoit de consacrer 30 milliards de livres égyptiennes, par tiers, à l'instruction publique, à la santé et au logement.

L'Égypte est en passe d'obtenir des prêts du Fonds monétaire international, de l'Arabie Saoudite et du Qatar pour combler le déficit qui se creuse. Mais notre objectif n'est pas seulement celui-là. Notre vrai défi est de construire l'Égypte de demain et, pour cela, de gagner la confiance des investisseurs égyptiens, arabes et d'autres pays, de manière que l'économie égyptienne puisse absorber les 750 000 jeunes qui frappent chaque année à la porte du marché du travail. Malheureusement, le taux d'investissement local n'y suffit aucunement. C'est pourquoi nous devons ouvrir de nouveaux marchés aux exportations égyptiennes et augmenter notre production - et ainsi les possibilités de créations d'emplois. Ce défi considérable concerne, au-delà de l'Égypte, toute la région et l'entier pourtour de la Méditerranée. En effet, la sécurité des pays riverains du Nord de la Méditerranée dépend de la stabilité économique des pays du Sud. Nous devons donc essayer de résoudre ces problèmes la main dans la main, dans les plus brefs délais.

Vous m'avez interrogé sur la politique de l'Égypte concernant le Moyen-Orient. Le vent de fronde souffle très fort sur les pays de la région. En Libye, heureusement, le régime de M. Kadhafi vit ses derniers moments et il en est probablement de même au Yémen. Mais l'histoire ne s'arrêtera pas là, car la jeunesse arabe aspire partout à la démocratie et au respect des droits de l'homme ; le mouvement né en Tunisie continuera d'inspirer les jeunes partout dans la région. Des changements profonds sont donc en gestation et il faut aider les pays du monde arabe à réussir des transitions dont l'échec serait dangereux pour tous.

Je suis optimiste pour l'Égypte, qui offre des opportunités économiques extraordinaires. Je suis convaincu que le tourisme va reprendre car le marché mondial ne peut se déprendre d'un pays qui offre à lui seul ce que très peu d'autres pays peuvent offrir en même temps : le tourisme culturel, le tourisme balnéaire, le tourisme d'aventures dans le désert… Et tant de lieux demeurent encore inexplorés en Égypte que beaucoup reste à faire.

Sur le plan économique, l'Égypte, avec ses 85 millions d'habitants – qui seront bientôt 100 millions –, devrait attirer les investisseurs intéressés dans tous les secteurs : l'industrie, l'agriculture, l'industrie agroalimentaire, le tourisme et les services financiers. C'est d'évidence un marché obligé pour ceux qui s'intéressent au monde arabe. Voilà pourquoi je suis optimiste quant à l'avenir de l'Égypte, à court et à moyen terme. Permettez-moi enfin de rappeler les liens affectifs historiques qui unissent la France et l'Égypte. L'Égypte a besoin de la France sur le plan politique et sur le plan économique. Nous comptons sur votre soutien.

PermalienPhoto de Martine Aurillac

Monsieur le ministre, je vous remercie, et je vous sais gré d'avoir accepté de répondre à nos questions. La situation des coptes nous préoccupe, notamment après le dernier attentat qui a fait vingt-et-un morts. Comment évaluez-vous les risques qui pèsent sur cette minorité ? Par ailleurs, quel rôle l'Égypte peut-elle jouer dans le processus de paix entre Israël et la Palestine ?

PermalienPhoto de Hervé Gaymard

C'est en ma qualité de président du groupe d'amitié France-Égypte que j'ai le plaisir de vous interroger. Selon quel système électoral les futurs députés égyptiens seront-ils élus ? Par ailleurs, quelle devrait être, selon vous, la mission du parti Wafd dans l'Égypte nouvelle ?

PermalienPhoto de Jean-Marc Roubaud

Je me réjouis que le G8 réuni à Deauville par la présidence française ait pris d'importantes décisions en faveur de l'Égypte et de la Tunisie. Les aides qui vont vous être accordées et les réserves en devises que vous avez mentionnées permettront-elles à l'économie égyptienne de se reprendre rapidement ? D'autre part, vous avez dit souhaiter une transition « sans surprises et sans accidents » ; à ce sujet, le report des élections législatives ne conduirait-il pas à une instabilité persistante ?

PermalienPhoto de Michel Terrot

Je vous remercie, monsieur le ministre, pour cet exposé prononcé dans un français parfait. Le parti des Frères musulmans, qui vient d'être légalisé, pourra présenter les candidats aux prochaines élections. Mais, alors que Liberté et justice se décrit comme un parti non théocratique, une figure de premier plan de ce mouvement a récemment déclaré que le parti maintenait son opposition à l'éligibilité des chrétiens et des femmes à la présidence de la République égyptienne ; qu'en pensez-vous ? Ce parti a-t-il formulé d'autres discriminations à l'égard des chrétiens et des femmes ?

PermalienMounir Fakhry Abdel Nour, ministre du tourisme de la République arabe d'égypte

Des heurts interconfessionnels se sont effectivement produits, souvent méchants ; chacun a en mémoire l'attentat commis devant une église copte d'Alexandrie dans la nuit du 31 décembre au 1erjanvier dernier. Mais, outre que je vois dans cet événement l'une des raisons principales de ce qui s'est produit le 25 janvier, je considère que ces affrontements meurtriers ont aussi eu des retombées positives. En premier lieu, ils ont permis d'aborder de front la question confessionnelle, un tabou qui jusqu'alors n'était jamais évoqué franchement. Aujourd'hui, on en parle ; or, le premier pas vers la solution d'un problème, c'est la reconnaissance qu'il existe. C'est fait, et l'on s'efforce désormais de le résoudre.

La deuxième conséquence positive, c'est que ces confrontations violentes ont poussé les coptes à sortir des églises et à agir en citoyens. Avant le 1er janvier 2011, les coptes, lorsqu'ils manifestaient, le faisaient « en coptes », c'est-à-dire devant une cathédrale ou une église, jamais devant le Parlement ou la présidence de la République. À présent, ils manifestent dans les rues et commencent à participer à la vie sociale et politique du pays ; je m'en félicite.

La troisième retombée positive de ce qui s'est passé, c'est que demain, le 8 juin, le conseil des ministres adoptera un texte régissant la construction de tous les lieux de culte en Égypte. On parlait de cette loi depuis une quinzaine d'années mais, sous le régime précédent, il était pratiquement inconcevable qu'une loi soit adoptée un jour par laquelle le permis de construire une mosquée, une église ou un temple serait accordé selon des critères uniformes. Cette loi sera promulguée demain, et c'est un progrès considérable.

Enfin, l'église d'Imbaba, brûlée il y a un mois au cours de heurts interconfessionnels, a été restaurée dans des délais record et de la plus belle manière. Elle sera officiellement inaugurée ce soir : une messe y sera dite en présence du Premier ministre et de deux ministres. C'est un message très fort, qui confirme la volonté du Gouvernement de mettre l'accent sur l'égalité entre les citoyens égyptiens indépendamment de leur appartenance confessionnelle.

Certes, les coptes s'inquiètent de la montée des extrémismes et de la force des Frères musulmans sur l'échiquier politique égyptien. Ils ont raison d'avoir peur, et ils ne sont pas les seuls : comme s'inquiètent tous ceux qui croient au principe de l'égalité des citoyens devant la loi. De fait, les Frères musulmans disent tout et son contraire : par exemple qu'ils sont favorables à un État civil – sans pour autant le définir – et à l'égalité entre les citoyens mais, dans le même temps, certains d'entre eux se disent contre l'octroi de droits aux femmes et aux non-musulmans. À titre personnel, je considère que ce double langage constant découle d'une règle érigée en principe par Hassan Al-Banna, le fondateur des Frères musulmans, qui a encouragé ses partisans à mentir pour préserver leurs intérêts politiques, économiques ou sociaux. Le point de vue que j'exprime ainsi n'est pas nécessairement celui de l'ensemble du gouvernement auquel j'appartiens, mais c'est celui de tout libéral égyptien, de toute personne croyant aux valeurs d'une citoyenneté caractérisée par des droits égaux pour tous.

L'Égypte, qui a signé le traité de paix, qui respectera ses engagements internationaux et qui a tout intérêt à voir la paix régner à ses frontières de l'Est, de l'Ouest et du Sud, entend continuer de jouer un rôle de médiateur entre la Palestine et Israël. Elle continuera de promouvoir la paix au Moyen-Orient.

Pour ce qui est des relations égypto-israéliennes, je tiens à souligner que quand il a été question de « normalisation », l'objectif était d'établir avec Israël des relations normales et non pas des relations privilégiées. Aussi longtemps qu'Israël ne sera pas promoteur de la paix dans la région, il ne devrait pas profiter d'un traitement préférentiel. Je le dis de la manière la plus catégorique : les Israéliens doivent en finir avec le double langage.

Le Conseil suprême des forces armées a proposé un système électoral mixte, mais la question n'est pas encore tranchée. Un tiers des députés serait élu à la proportionnelle et deux tiers par des élections individuelles directes, ou l'inverse ; le débat reste ouvert. Beaucoup pensent que la proportionnelle bénéficiera aux nouveaux partis politiques. C'est vrai en théorie mais je ne suis pas certain que cela se réalise dans les faits. L'Égypte a usé par deux fois de la proportionnelle, en 1984 et en 1987. Pour avoir personnellement participé à ces élections, je sais qu'il est très difficile de constituer une liste électorale, surtout quand sont en lice des partis naissants, sans chef dont l'emprise soit telle qu'elle lui permette de prendre des décisions qui seront toutes acceptées par la base. Les nouveaux partis égyptiens n'étant pas bien structurés, je ne vois pas comment ils pourraient établir des listes électorales acceptées par leurs membres respectifs.

J'ai été secrétaire général du parti Wafd jusqu'à mon entrée au ministère, auquel je consacre à présent tout mon temps. Je pense que le Wafd a rendez-vous avec l'Histoire, à condition qu'il parvienne à réunir tous les partis libéraux qui sont en train de se créer en Égypte pour constituer un front uni contre le défi – ou le danger – que représentent les Frères musulmans. J'espère que le Wafd ne ratera pas ce rendez-vous.

Les réserves de l'Égypte, qui s'élevaient à l'équivalent de 32 milliards de dollars le 25 janvier 2011, ne sont plus que de 26 milliards. Elles s'épuisent donc rapidement, parce que nous devons combler le très fort déficit de la balance commerciale et aussi le déficit budgétaire, qui croît pour les raisons dites. Les réserves dont nous disposons encore et les aides que nous sommes en train de recevoir seront-elles suffisantes pour nous permettre de remonter la pente ? Tout dépendra de notre capacité à convaincre les investisseurs et à gagner la confiance des pays fournisseurs et de ceux qui importent des produits égyptiens.

Je ne suis pas contre la tenue d'élections législatives en septembre, car je pense que la force des Frères musulmans est surfaite. J'espère ne pas être trop optimiste. Il n'y a pas eu d'élections libres en Égypte depuis plus de cinquante ans, non plus que d'enquêtes d'opinions faites sur des bases correctes, mais mon estimation, toute personnelle qu'elle soit, est celle d'un homme averti : en ma qualité d'ancien secrétaire général d'un parti politique, ayant moi-même participé à de nombreuses élections législatives au Caire et en Haute Égypte, je crois connaître le paysage et les clivages politiques de mon pays et je pense que les Frères musulmans ne représentent pas plus d'un quart de l'échiquier politique égyptien. Encore faut-il toutefois que face à eux s'établisse un front commun uni et capable de former un Gouvernement qui aura l'approbation du Parlement. Voilà pourquoi je préfère que l'Égypte soit rapidement en mesure de bénéficier d'un système politique stable. Notre but, je le répète, est d'instituer un État démocratique, laïque, juste et moderne.

PermalienPhoto de François Rochebloine

Le retour des touristes est-il réellement perceptible ? Par ailleurs, vous avez souligné les aspects positifs des mutations en cours, mais la situation de la population chrétienne d'Égypte n'en demeure-t-elle pas quelque peu inquiétante ? S'agissant de la Bande de Gaza, je me réjouis que l'Égypte ait rouvert le passage de Rafah ; pensez-vous aller plus loin pour aider la population de cette partie des territoires palestiniens à vivre plus normalement ? Enfin, quel est votre sentiment sur la situation en Libye ?

PermalienPhoto de Jean-Claude Guibal

Alors que, au cours de la dernière décennie, le monde arabe s'est principalement manifesté sur la scène internationale par l'action d'intégristes, des révolutions s'y déroulent soudainement. Comment expliquez-vous leur simultanéité ? Que signifient-elles ? Est-ce une façon, pour le monde arabe de s'adapter au monde après avoir tenté d'exister par une forme d'intégrisme subversif ? Pensez-vous que l'Union pour la Méditerranée peut aider les pays du Sud de la Méditerranée à atteindre les objectifs que vous vous êtes fixés ? Dans un autre domaine, qui élaborera la nouvelle Constitution ? Je suppose enfin que la découverte de nouvelles pyramides est un atout pour l'Égypte.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Dufau

Pendant cinquante ans, les présidents qui se sont succédé ont marqué l'Egypte. Le calendrier proposé par le Conseil suprême des forces armées prévoit l'organisation d'élections législatives, puis l'élection présidentielle. L'ordre choisi tend-il à signifier la prééminence du législatif sur l'exécutif ? Par ailleurs, le président sera-t-il élu au suffrage universel ?

PermalienPhoto de Rudy Salles

Vous avez soutenu le rapprochement entre le Hamas et le Fatah, et vous nous dites que l'Égypte veut continuer de tenir une position équilibrée au Moyen-Orient, cette position si utile pour permettre un dialogue entre Israël et la Palestine et trouver une solution. Faites-vous alors pression sur le Hamas pour qu'il reconnaisse les propositions du Quartet – l'arrêt de la violence, la reconnaissance d'Israël et celle des accords passés par l'Autorité palestinienne?

PermalienPhoto de Didier Julia

Le tourisme ne fournit de travail qu'à un Égyptien sur sept. Pour absorber le grand nombre de jeunes qui arrivent chaque année sur le marché du travail, dans quels secteurs précis pensez-vous que l'on puisse développer l'économie égyptienne ? Miserez-vous sur l'agriculture, comme la Tunisie, ou avez-vous une préférence pour la transformation de produits agricoles ou pour certains secteurs industriels ?

PermalienPhoto de Marie-Louise Fort

Comment jugez-vous le rôle que peut jouer la Turquie, soit comme modèle pour les révolutions, soit comme acteur majeur de la résolution des problèmes du Moyen-Orient ?

PermalienMounir Fakhry Abdel Nour, ministre du tourisme de la République arabe d'égypte

Le tourisme reprend effectivement : nous étions à moins 80 % en février, moins 60 % en mars et moins 35 % en avril. La courbe est donc ascendante. Lorsque je suis arrivé au ministère, le 21 février dernier, la très grande majorité des gouvernements du monde déconseillaient formellement à leurs ressortissants de se rendre en Égypte ; maintenant, ils les y encouragent. Je tiens à souligner que la sécurité, en Égypte, est totale. Malheureusement, cela n'est pas clairement perçu, alors même que, depuis le 25 janvier, pas un seul touriste n'a connu le moindre incident. La saison d'été sera ce qu'elle sera – l'été n'a jamais été le point fort du tourisme en Égypte - mais nous savons déjà que les Russes, les Ukrainiens, les Allemands et les Britanniques continueront de venir. De même, les ressortissants de certains pays arabes – Jordaniens, Koweïtiens et Saoudiens par exemple – viendront en force. Comme je vous l'ai dit, je vois l'avenir avec optimisme. L'année dernière, l'Égypte a accueilli 14,8 millions de touristes. Pour 2011, mes estimations, qui peuvent paraître ambitieuses, me font tabler sur 10,5 millions de touristes et peut-être 11 millions, ce qui n'est pas mal, compte tenu des pertes que nous avons enregistrées en début d'année.

Je reviens sur la situation des coptes. Il y avait un abcès ; cet abcès a été crevé, c'est déjà ça. Le problème est maintenant reconnu et débattu, et nous trouverons une solution à l'intérieur de la famille égyptienne. Coptes et musulmans ont vécu ensemble dans la paix pendant quatorze siècles ; ils vivront dans la paix quatorze autres siècles ! Je sais, pour avoir lu la presse française et européenne, l'intérêt que vous portez aux chrétiens du Moyen-Orient. Vous avez raison de vous intéresser à ce problème déchirant, à la situation des chrétiens d'Irak, de Palestine, du Liban et aussi de Syrie – un pays dans lequel ils sont passés, en peu d'années, de 26 % de la population à 8 % à peine, si forte a été l'émigration. Mais je ne pense pas qu'il faille mettre sur le même plan les chrétiens du Moyen-Orient et les coptes d'Égypte. Ces derniers sont pour la plupart des paysans, de ces fellahs qui n'émigreront jamais car ils resteront attachés à leur paroisse, à leur pope, celui dont ils baisent la main et qui est leur maître à penser.

Vous m'avez interrogé sur la politique de l'Égypte à propos de la Bande de Gaza. Permettez-moi de souligner que l'on ne fait pas la paix dans la misère. Il faut donc résoudre les problèmes économiques que connaissent tant les Palestiniens que les autres peuples de la région. Je reviens un instant sur les heurts interconfessionnels dont nous avons parlé : ils ont eu lieu à Imbaba, un quartier pauvre du Caire dans lequel les services publics sont pratiquement inexistants, et dans le village de Soul, où règnent la pauvreté et l'ignorance. Je le redis, on ne rapproche ni les peuples ni les citoyens de confessions différentes dans la misère.

En Libye, nous espérons un changement. Il faut que Kadhafi s'en aille !

J'ai entendu dire que le monde arabe serait intégriste. N'est-ce pas là une généralisation abusive ? Que l'on veuille bien penser au Maroc, au Liban ou à la Syrie : on peut parler de manque de démocratie, parfois de dictature, mais pas d'intégrisme !

PermalienPhoto de Jean-Claude Guibal

Je me suis mal exprimé. Je m'interrogeais sur les raisons du basculement soudain du monde arabo-musulman dans la révolution.

PermalienMounir Fakhry Abdel Nour, ministre du tourisme de la République arabe d'égypte

Je citerai à ce sujet le journaliste Thomas Friedman, selon lequel la montée des révolutions arabes a signé la première mort de Ben Laden. Les aspirations à des régimes démocratiques respectueux des droits de l'homme sont en train de mettre fin à la distinction entre le monde arabe et le reste du monde, vous avez raison. C'est d'ailleurs pourquoi nous n'avons pas encore vu la fin de l'histoire : le vent qui s'est levé est très fort et il soufflera très loin.

PermalienPhoto de Jean-Claude Guibal

Comment expliquer la simultanéité des mouvements révolutionnaires ?

PermalienMounir Fakhry Abdel Nour, ministre du tourisme de la République arabe d'égypte

Parce qu'il y a eu tache d'huile. Je ne suis pas panarabiste, mais le fait est que le monde arabe est culturellement uni. Nous dialoguons de pays à pays, nous lisons la même presse et nous suivons les informations sur les mêmes médias. De ce fait, nous nous influençons très rapidement. Je puis d'ailleurs vous dire que de nombreux régimes arabes ne considèrent pas d'un bon oeil ce qui s'est passé en Égypte ; ils nous aident parce qu'il le faut, mais je ne pense pas que tous le fassent de bon coeur…

S'agissant de la Méditerranée, vous devez comprendre que nous sommes tous partenaires. Ce disant, je ne cherche pas à vous rendre responsables de quelque chose, je me limite à décrire la situation telle qu'elle est. Si l'ordre et la stabilité sociale, économique et politique ne sont pas établis dans les pays du Sud de la Méditerranée, votre sécurité n'est pas assurée. Nous devons donc oeuvrer ensemble pour résoudre les problèmes économiques que connaissent les pays du Sud car, je le redis, on ne fait pas la paix dans la misère. L'Union de la Méditerranée est une idée ingénieuse, mais elle n'aboutira que si l'on trouve une solution au problème israélo-arabe.

Le Conseil suprême des forces armées a proposé que la nouvelle Constitution soit élaborée par une Assemblée constituante composée de cent députés. Il ne s'agit pour l'instant que d'une proposition et, quelle que soit la composition de l'Assemblée constituante, la nouvelle Constitution sera soumise à référendum.

Toute nouvelle découverte d'une pyramide est un atout pour le tourisme égyptien. En Égypte, partout où l'on creuse, on découvre un trésor. À ce jour, nous n'avons pas dû découvrir plus du quart du patrimoine archéologique que nous ont laissé les pharaons. Nous devons continuer de creuser, et nous le ferons.

Si le calendrier de transition proposé par le Conseil suprême des forces armées place les élections législatives avant l'élection présidentielle, c'est pour donner plus de sens à la démocratie, plus de pouvoir à l'homme de la rue, et lui faire comprendre qu'il est devenu un acteur de la vie politique égyptienne – pour mettre fin, en bref, au « complexe de pharaon ».

PermalienPhoto de Jean-Pierre Dufau

Il s'agira donc d'un régime parlementaire plutôt que d'un régime présidentiel.

PermalienMounir Fakhry Abdel Nour, ministre du tourisme de la République arabe d'égypte

C'est possible, et j'y suis favorable, mais je ne saurais dire à ce stade si c'est ce à quoi nous parviendrons. Faire des pressions sur le Hamas ? Oui, mais il faut aussi faire pression sur Israël, que l'on aimerait entendre répondre positivement aux demandes faites par le président Obama. Si l'on veut la paix, les deux parties doivent mettre de l'eau dans leur vin ; si l'on ne trouve pas de compromis, la paix ne sera pas durable. Point n'est besoin de vous rappeler les conséquences d'une paix injuste : le Traité de Versailles a-t-il duré beaucoup plus longtemps que ce que durent les roses ?

Tous les secteurs économiques peuvent être développés en Égypte, qui comptera demain 100 millions d'habitants, un pays riche de son agriculture, de sa capacité de transformation des produits agroalimentaires, de ses réserves de pétrole, de gaz et de minerais inexploités, de son potentiel touristique. L'Égypte a malheureusement été mal gérée. Serait-elle bien gérée qu'elle s'en sortirait très facilement, j'en suis persuadé.

À propos de la Turquie, je commencerai par souligner qu'il existe une très grande différence entre le parti politique de M. Erdogan, qui se veut « islamiste islamisant », et les autres partis de ce type dans le monde arabe. La Turquie a eu une pratique réelle de la laïcité pendant soixante années de kémalisme et cette laïcité est ancrée dans la Turquie d'aujourd'hui. Ce n'est pas le cas ailleurs ; par exemple, il en va très différemment avec les Frères musulmans en Égypte. La Turquie, qui est en train de s'imposer comme force régionale économique et militaire, peut jouer un rôle dans la région, comme elle l'a déjà fait. Elle se voit rejetée par l'Union européenne et elle cherche une autre voie. La Turquie peut regarder vers le Nord et jouer un rôle dans les républiques islamistes d'Asie ; elle peut aussi jouer un rôle au Moyen-Orient. Je vois d'un bon oeil la coopération entre l'Égypte et la Turquie pour maintenir un équilibre économique et modérateur au Moyen-Orient.

PermalienPhoto de Martine Aurillac

Je vous remercie vivement, monsieur le ministre, pour ces propos sincères et optimistes et je vous dis les voeux que nous formons pour votre pays que nous aimons.

La séance est levée à dix-huit heures vingt-cinq.