C'est un grand honneur pour moi d'être parmi vous. Je suis à Paris pour donner un coup de pouce au tourisme vers l'Égypte, dont je me félicite qu'il ait déjà repris. Le fait que les voyageurs reviennent vers nos plages et vers la vallée du Nil nous réconforte car le tourisme est l'un des piliers de notre économie : c'est notre principale source de revenus en devises, il représentait l'année dernière 11,5 % de notre PIB et un travailleur égyptien sur sept dépend directement ou indirectement de cette industrie.
La période de transition nous place dans une situation difficile : il nous faut en effet résoudre les problèmes économiques et sociaux que connaît le pays afin que la transition elle-même se fasse sans surprises et sans accidents. Le calendrier de la transition, tel que proposé par le Conseil suprême des forces armées, prévoit la tenue d'élections législatives en septembre prochain puis l'élection présidentielle, en décembre 2011 ou en janvier 2012 au plus tard. Ces deux élections seraient suivies de la promulgation de la nouvelle Constitution rédigée par une Assemblée constituante composée de cent parlementaires. Le maréchal Mohammed Hussein Tantaoui, qui est à la tête du Conseil suprême des forces armées, insiste pour que ce calendrier soit respecté, en dépit du grand débat qui anime l'Égypte à ce sujet.
Le débat porte sur deux questions, et en premier lieu sur le calendrier lui-même. Certains s'interrogent sur la brièveté des délais prévus et singulièrement sur le bien-fondé d'élections législatives dès septembre ; ils proposent de reporter ces élections à une date ultérieure, non définie. Les avantages et les inconvénients des deux options sont évidents. Organiser des élections en septembre présente l'avantage de mettre l'Égypte en mesure de construire le plus vite possible un État de droit où se déroulera une vie normale et d'éviter les problèmes économiques qui risquent de se poser si l'incertitude politique demeure : ne pas savoir de quelle tendance sera la future majorité peut retarder les décisions des investisseurs, de quelque nationalité qu'ils soient. Le report des élections législatives a pour avantage de donner aux nouveaux partis politiques issus de la révolution du 25 janvier le temps de formuler leur programme d'action et de constituer la base populaire qui leur servira d'assise électorale. Le Conseil suprême des forces armées insiste pour céder le pouvoir le plus tôt possible à un gouvernement civil librement élu ; je crois en la sincérité des militaires, dont je pense qu'ils veulent effectivement se défaire dans les meilleurs délais d'un pouvoir qui leur est échu sans qu'ils aient vraiment voulu le prendre.
Le débat fait aussi rage sur l'ordonnancement proposé. Certains pensent en effet qu'il conviendrait de l'inverser, et de commencer par définir quel régime – présidentiel ou parlementaire – adoptera le nouvel État et quel doit être le rôle du président qui sera élu : un arbitre entre les différents pouvoirs ou la tête de l'exécutif ? Ceux-là considèrent qu'il faut commencer par adopter une nouvelle Constitution avant de procéder aux élections.
Dans le débat qui bat son plein, les libéraux demandent le report des élections législatives à une date qu'ils souhaitent la plus lointaine possible ; en revanche, les partis politiques organisés – en l'occurrence les Frères musulmans – insistent pour voir le calendrier proposé par le Conseil suprême des forces armées maintenu. Mais qu'en est-il de la jeunesse qui a mené la révolution, réussissant là où les partis politiques égyptiens ont échoué au cours des trente dernières années ? Les jeunes sont pressés de parvenir à leurs fins : ils veulent que les élections se tiennent au plus vite, que tous les collaborateurs du régime précédent soient renvoyés et que toute personne accusée, à tort ou à raison, de corruption, soit conduite devant les tribunaux pour y être jugée. À moins de 130 jours du tremblement de terre politique qui a secoué l'Égypte, ce débat démocratique est sain. J'espère que les forces majoritaires du pays sauront s'imposer pour trancher.
L'Égypte connaît des difficultés économiques certaines. Mercredi dernier, le Conseil des ministres a approuvé un budget qui prévoit un déficit effrayant d'un peu plus de 10 % du PIB. C'est que le Gouvernement a dû prendre des mesures propres à répondre aux attentes de l'opinion publique, notamment pour améliorer les services publics dont la qualité s'est dégradée à vue d'oeil au cours des cinq dernières années, en dépit d'un taux de croissance annuel moyen de 7 % et de l'augmentation continue des réserves en devises étrangères. La mauvaise distribution des revenus et la tout aussi mauvaise répartition de la dépense publique ont fait que l'instruction publique, l'Université, la santé, le logement et les transports sont défaillants. Aussi, pour répondre aux attentes de la jeunesse et de ceux qui ont fait la révolution précisément à cause de ces déficiences, le budget adopté la semaine dernière prévoit de consacrer 30 milliards de livres égyptiennes, par tiers, à l'instruction publique, à la santé et au logement.
L'Égypte est en passe d'obtenir des prêts du Fonds monétaire international, de l'Arabie Saoudite et du Qatar pour combler le déficit qui se creuse. Mais notre objectif n'est pas seulement celui-là. Notre vrai défi est de construire l'Égypte de demain et, pour cela, de gagner la confiance des investisseurs égyptiens, arabes et d'autres pays, de manière que l'économie égyptienne puisse absorber les 750 000 jeunes qui frappent chaque année à la porte du marché du travail. Malheureusement, le taux d'investissement local n'y suffit aucunement. C'est pourquoi nous devons ouvrir de nouveaux marchés aux exportations égyptiennes et augmenter notre production - et ainsi les possibilités de créations d'emplois. Ce défi considérable concerne, au-delà de l'Égypte, toute la région et l'entier pourtour de la Méditerranée. En effet, la sécurité des pays riverains du Nord de la Méditerranée dépend de la stabilité économique des pays du Sud. Nous devons donc essayer de résoudre ces problèmes la main dans la main, dans les plus brefs délais.
Vous m'avez interrogé sur la politique de l'Égypte concernant le Moyen-Orient. Le vent de fronde souffle très fort sur les pays de la région. En Libye, heureusement, le régime de M. Kadhafi vit ses derniers moments et il en est probablement de même au Yémen. Mais l'histoire ne s'arrêtera pas là, car la jeunesse arabe aspire partout à la démocratie et au respect des droits de l'homme ; le mouvement né en Tunisie continuera d'inspirer les jeunes partout dans la région. Des changements profonds sont donc en gestation et il faut aider les pays du monde arabe à réussir des transitions dont l'échec serait dangereux pour tous.
Je suis optimiste pour l'Égypte, qui offre des opportunités économiques extraordinaires. Je suis convaincu que le tourisme va reprendre car le marché mondial ne peut se déprendre d'un pays qui offre à lui seul ce que très peu d'autres pays peuvent offrir en même temps : le tourisme culturel, le tourisme balnéaire, le tourisme d'aventures dans le désert… Et tant de lieux demeurent encore inexplorés en Égypte que beaucoup reste à faire.
Sur le plan économique, l'Égypte, avec ses 85 millions d'habitants – qui seront bientôt 100 millions –, devrait attirer les investisseurs intéressés dans tous les secteurs : l'industrie, l'agriculture, l'industrie agroalimentaire, le tourisme et les services financiers. C'est d'évidence un marché obligé pour ceux qui s'intéressent au monde arabe. Voilà pourquoi je suis optimiste quant à l'avenir de l'Égypte, à court et à moyen terme. Permettez-moi enfin de rappeler les liens affectifs historiques qui unissent la France et l'Égypte. L'Égypte a besoin de la France sur le plan politique et sur le plan économique. Nous comptons sur votre soutien.