La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l'audition de Mmes Ghyslaine Richard, Sabine Reynosa et Christine Guinand, représentantes de la CGT.
La séance est ouverte à seize heures dix.
Mesdames, je vous remercie d'avoir accepté de participer à cette audition. La situation qui prévaut dans notre pays, en matière de temps partiel, est grave. Votre point de vue de syndicalistes nous sera précieux.
En novembre 2010, M. Xavier Bertrand avait annoncé, pour 2011, une table ronde sur le temps partiel. Si celle-ci n'avait pas lieu, il n'y aurait pas là de quoi s'étonner. Mme Roselyne Bachelot, quant à elle, avait annoncé une conférence sur l'articulation des temps. Celle-ci se tiendra à la fin du mois de juin, et je pense que la question du temps partiel y sera abordée.
Le temps partiel est en effet un des thèmes possibles du deuxième séminaire sur l'organisation du travail, organisé dans le cadre de cette conférence et présenté ainsi par le ministère : « Le partage des responsabilités familiales et professionnelles peut être facilité par des dispositifs structurants, relevant des conditions d'organisation de travail. Les méthodes de management, sensibles à l'articulation entre vie familiale et professionnelle, le recours aux temps partiels ou encore le télétravail sont autant de thèmes pouvant faire l'objet de discussions. »
Traiter du partage des responsabilités familiales et professionnelles amène à aborder la question de la parentalité. De fait, au mois de mars, plusieurs interventions ministérielles ont concerné la parentalité masculine. Certes, parler de la parentalité est fort louable. Mais c'est aussi un moyen de détourner l'attention d'autres questions qui fâchent, ainsi que nous l'avons dénoncé dans l'un de nos communiqués.
Je l'ai moi-même relevé lors d'une interview. Avant de s'intéresser à la parentalité ou au télétravail, il faut s'attaquer aux problèmes posés par le temps partiel. Arrêtons de tourner autour du pot !
Certains députés sont très intéressés par le télétravail. Lors d'une audition portant sur la famille et le travail, M. Mariton m'a demandé ce que j'en pensais.
Lorsque je prends le TGV tôt le matin, à sept heures vingt-cinq, je suis impressionnée par le nombre de cadres qui s'activent déjà devant leur ordinateur. Mais ce n'est pas comptabilisé dans leurs heures de travail.
Vous pouvez assister aux mêmes scènes, après vingt et une heures, dans le métro.
Je vous remets d'ores et déjà le texte que j'avais préparé. En effet, je ne reviendrai pas sur les données chiffrées qu'il contient, dans la mesure où je sais que vous les avez obtenues lors de précédentes auditions.
Dans le contexte de crise que nous vivons aujourd'hui, le temps partiel gagne du terrain : non pas en milieu, mais en début et en fin de carrière. Les jeunes femmes, mais aussi les jeunes hommes, sont embauchés à temps partiel ; les femmes qui se retrouvent au chômage ne se voient proposer qu'un temps partiel – par exemple comme aides familiales. L'étude à laquelle je me réfère, et qui date de 2009, constatait déjà une différence par rapport à 2008. Nous la devons à Françoise Milewski et Rachel Silvera, dont je vous invite à consulter les travaux.
Le fait, pour les jeunes gens, de commencer par un temps partiel, constitue un handicap pour la suite de leur carrière.
D'autant qu'il est très difficile de passer d'un travail à temps partiel à un travail à temps plein.
Le temps partiel est devenu le mode d'entrée dans la vie professionnelle, même pour les personnes qualifiées : psychologues, technicien (ne) s de laboratoire, enseignant(e) s, etc.
Dans les laboratoires, par exemple, les prises de sang étant concentrées tôt le matin ou en fin de journée, les laboratoires offrent aux jeunes techniciennes des contrats à temps partiel sur les créneaux horaires correspondants. Il s'agit d'adapter le temps de travail à la demande de la clientèle – et non plus au travail lui-même. Ces techniciennes travaillent donc de façon parcellisée, sans que leurs compétences soient reconnues puisqu'on ne leur demande que de faire des prises de sang.
Dans certains centres d'appel, les téléopératrices sont renvoyées chez elles lorsque l'on considère qu'il n'y a plus suffisamment de travail pour le reste de la journée.
Je voudrais m'arrêter sur un autre phénomène, que l'on passe sous silence : l'intensification du travail. Un récent arrêt de la Cour de cassation me semble significatif à cet égard : dans le cadre de leur contrat de travail, des femmes de ménage disposaient d'une heure pour nettoyer une cage d'escalier ; l'entreprise leur notifia la mise en place d'un nouveau planning, établi sur la base de quarante-cinq minutes par cage d'escalier ; elles dénoncèrent ce qu'elles considéraient comme une modification de leur contrat de travail, mais furent déboutées. Pour le juge, on ne pouvait pas parler de modification du contrat dans la mesure où ce nouveau planning n'avait eu aucune répercussion sur leur rémunération, ni sur leur temps de travail. Mais il en aurait eu sur leur rythme de travail, sur leur vie et sur leur santé.
Le temps partiel se traduit souvent par l'intensification du travail. Par exemple, lorsqu'une salariée choisit de passer à temps partiel, il n'est que rarement prévu de diminuer sa charge de travail ou de la remplacer lors de ses absences.
Des études de la fin des années quatre-vingts ont montré que les personnes qui travaillaient à temps partiel étaient aussi productives que celles qui travaillaient à temps complet. De fait, la salariée qui prend son mercredi pour s'occuper de ses enfants – ce qui l'amène à travailler à 80 % – devra traiter autant de dossiers qu'auparavant.
Les enquêtes sur la santé au travail ont mis en évidence que les salariés à temps partiel étaient plus exposés aux risques psychosociaux et aux troubles musculo-squelettiques, tout en étant moins sollicités par la médecine du travail.
Les personnes travaillant à temps partiel cumulent les handicaps. Elles fournissent le même travail que les autres, en étant moins payées. Leur déroulement de carrière est moins favorable. Certains postes – en particulier d'encadrement ou de direction – leur sont fermés. Et bien sûr, leur niveau de retraite s'en ressent.
Sans compter qu'il leur est beaucoup plus difficile d'avoir accès à la formation.
À ce propos, je déplore que le décret d'application de l'article 99 de la loi portant réforme des retraites ne mentionne que trois indicateurs relatifs à la situation respective des hommes et des femmes : le salaire moyen ou médian, la durée moyenne entre deux promotions, et l'exercice de fonctions d'encadrement et décisionnelles. Les propositions de formation n'y figurent pas, alors qu'elles sont décisives dans l'évolution d'une carrière.
La CGT a des propositions sur le temps partiel.
Nos propositions tendent à renchérir le temps partiel, pour éviter qu'il ne devienne un mode de gestion du personnel. Nombreuses sont en effet les entreprises qui choisissent d'y recourir pour faire des économies.
En premier lieu, nous suggérons de conditionner l'octroi d'allégements de cotisations ou d'allégements fiscaux, à la réduction du temps partiel dans l'entreprise.
En deuxième lieu, nous préconisons que les employeurs supportent des cotisations sociales équivalentes à celles d'un temps plein. Ils devraient, au moins, acquitter celles qui permettent d'obtenir les droits sociaux : indemnités de chômage, de maladie et de retraite. Aujourd'hui, le salarié qui ne travaille que quinze heures par semaine n'en bénéficie même pas.
Au moment de la crise, lorsque les salariés – majoritairement des hommes – de l'industrie se sont retrouvés au chômage partiel, ils ont été indemnisés. Mais pour la plupart des femmes, le travail à temps partiel n'est qu'une forme de chômage partiel pérenne, dans la mesure où l'on ne leur propose rien de mieux. Pourquoi ne bénéficieraient-elles pas du même type d'indemnisation ?
Avec la loi TEPA, il est plus avantageux de proposer des heures complémentaires défiscalisées que d'augmenter le temps de travail à temps partiel. Pourquoi ne pas majorer les heures complémentaires, à l'instar des heures supplémentaires ?
De telles mesures rendraient le temps partiel beaucoup moins attrayant pour les entreprises et les amèneraient à regarder le marché du travail d'une autre manière.
En troisième lieu, les notions de prorata temporis devraient être supprimées. Un salarié à temps partiel prend des congés et touche des primes « à temps partiel ». Or il devrait avoir les mêmes droits qu'un salarié à temps plein.
Les salariés en CDD et les intérimaires bénéfcient de primes de précarité. Or le travail à temps partiel est une forme de précarité ! Parmi les salariés touchant de très bas salaires, 80 % sont des femmes. Et parmi ces femmes, 74 % travaillent à temps partiel et n'auront qu'une toute petite retraite dans vingt ans.
Dans mon rapport de 2004, j'avais prévu que les premières difficultés apparaîtraient en 2009 ou en 2010, moment à partir duquel la situation ne ferait qu'empirer. Il est urgent de s'attaquer au problème. De toute façon, si l'on n'oblige pas les entreprises à accompagner les femmes travaillant à temps partiel, l'État devra, dans quelques années, prendre des mesures de compensation en leur faveur.
En quatrième lieu, il conviendrait de travailler sérieusement la question de l'articulation entre la vie professionnelle et la vie personnelle en développant, non pas le temps partiel, mais les services d'accueil des jeunes enfants et d'aides à la personne.
Les femmes sont plus particulièrement concernées par la prise en charge de la dépendance : d'une part, elles doivent faire face à la perte d'autonomie de leurs parents ; d'autre part, quand elles travaillent dans ce secteur, elles sont le plus souvent employées à temps partiel.
En effet. Pendant longtemps, l'État a eu la volonté de favoriser l'accueil des jeunes enfants dans des structures comme, par exemple, les crèches municipales. Mais aujourd'hui, plus rien ne bouge : le plan « petite enfance », qui devait aboutir à la création de 200 000 places de crèches entre 2007 et 2012, s'est traduit, en 2010, par la création de 20 000 places seulement ; depuis vingt ans, 25 000 places d'écoles maternelles ont été supprimées. Les parents n'ont bien souvent d'autre solution que de recourir aux services de l'assistante maternelle, laquelle, de son côté, travaille à temps partiel, recevant des enfants deux heures le matin, deux heures l'après-midi, etc.
Que pensez-vous des crèches d'entreprises ? Je peux vous citer l'exemple de celle que j'ai soutenue, et qui est le fruit d'un partenariat entre la caisse d'allocations familiales, la communauté de communes et certaines entreprises ayant pris des berceaux. Cette crèche est, notamment, très appréciée des employés de PSA. Elle accueille en effet les enfants entre quatre heures du matin et minuit, voire la nuit, pour prendre en compte les horaires de travail des parents.
C'est une formule très particulière. Elle a surtout été utilisée par les hôpitaux, qui ont fini par l'abandonner. Aujourd'hui, il n'y en a presque plus.
J'en ai moi-même bénéficié, et je reconnais que de telles crèches peuvent présenter de l'intérêt.
Nous serions plutôt favorables à la création de crèches publiques, proches du domicile des parents. Si la crèche est liée à l'entreprise, ce sera toujours celui qui y travaille qui amènera l'enfant à la crèche et qui le ramènera le soir. En outre, si ce parent quitte l'entreprise, l'enfant n'aura plus de place d'accueil.
Dans l'exemple que je vous ai donné, la crèche n'est pas gérée par l'entreprise, mais par la communauté de communes. Ainsi, sur soixante places, une quinzaine est occupée par des enfants des employés de PSA, et le reste par des enfants habitant sur la communauté de communes.
Je suis pessimiste concernant la garde des jeunes enfants : d'abord, nous manquons de crèches et d'assistantes maternelles ; ensuite, les collectivités locales étant taxées de plus en plus lourdement par l'État, elles auront de plus en plus de difficultés à financer des structures d'accueil.
En outre, les enfants ne sont plus acceptés à l'école à deux ans ou deux ans et demi. Ils restent donc en crèche jusqu'à trois ans, ce qui réduit d'autant le nombre de places disponibles pour les plus petits. Dans ma circonscription de Villeurbanne, l'académie voulait même que les écoles maternelles n'accueillent que les enfants ayant atteint trois ans en début d'année. Cela supposait de garder en crèche certains enfants de plus de trois ans, alors que celle-ci n'est manifestement plus adaptée à leur âge. Mieux vaudrait rendre obligatoire l'école maternelle à partir de trois ans.
S'agissant de l'accueil des jeunes enfants, on peut parler, sinon d'un recul, du moins d'un gel.
Les employeurs, considérant que leurs charges sociales sont trop importantes, voudraient bien se débarrasser du paiement des cotisations familiales, lesquelles constituent une source de financement des structures d'accueil de la petite enfance. Ils sont prêts à acheter quinze places dans la crèche qui se créée, mais pas à augmenter de 0,5 % leurs cotisations familiales.
C'est dans l'air du temps. Nous devrions nous battre pour les maintenir, voire les augmenter : aujourd'hui, elles ne sont plus que de 4,1 % – contre 16 % il y a quelques années.
Il faut bien reconnaître que la réduction des cotisations sociales des employeurs, non seulement n'a pas permis de créer de l'emploi, mais a contribué à en dégrader la qualité – développement du travail précaire et à temps partiel.
Le recours aux assistantes maternelles présente des inconvénients. Par exemple, lorsque celles-ci sont absentes, elles ne sont pas remplacées et les parents doivent trouver d'autres moyens de faire garder leurs enfants. Il en va différemment dans les crèches.
Les crèches familiales – qui constituent un intermédiaire entre les crèches collectives et les assistantes maternelles – assurent un relais en cas d'absence. Il faut dire que ce sont elles, et non pas les parents, qui paient les nourrices.
Nous nous sommes d'ailleurs opposés l'année dernière au projet de décret de Mme Morano, qui porte ce nombre à quatre.
On peut s'étonner que dans notre pays, nous soyons très exigeants vis-à-vis des personnes qui s'occupent de nos enfants ou des personnes dépendantes, mais que nous ne voulions ni les reconnaître, ni les payer. Leurs qualités sont considérées comme innées et on ne leur demande ni compétences particulières, ni diplômes.
Il me semble pourtant que les employeurs ont fait des efforts pour former les personnes travaillant dans les services d'aide à la personne.
Une convention collective a en effet été signée en ce sens. Mais sa portée est limitée, dans la mesure où la demande est très forte dans ce secteur, et où les associations connaissent de graves difficultés. En effet, qui les finance ? Les caisses régionales de retraite, les mairies, les conseils généraux… ou les personnes âgées elles-mêmes, lesquelles sont souvent des femmes qui touchent de petites retraites.
Notre pays est fier de son taux de natalité. Mais je tiens à tirer la sonnette d'alarme : devant les difficultés rencontrées pour faire garder leurs enfants, vivre et se constituer une retraite décente, les femmes finiront par avoir moins d'enfants.
Déjà, le fait que la maternité constitue un frein à la carrière repousse l'âge de la première grossesse chez les femmes qualifiées et limite, en conséquence, le nombre de leurs enfants.
Les gynécologues s'inquiètent d'ailleurs de ces maternités tardives – accroissement du nombre de fausses couches et d'accouchements prématurés.
La séance est levée à dix-sept heures.